Chapitre 19.

Salem, dimanche 6 mai 2021
8h, appartement des Helling

Avant même d'ouvrir les yeux, Sidney sait que ça va être un mauvais jour. Le genre de journée où il veut rester couché et pleurer, où l'accablement s'empare de lui, sans raison. Il est seul dans le lit, d'un côté cela l'arrange. Il ne tient pas à ce que son époux le voit ainsi. C'est tout ce qu'il redoutait et plus il se demande pourquoi ça arrive aujourd'hui, plus il s'enfonce dans son mal-être. Il étouffe un sanglot contre l'oreiller.

Totalement abattu, il s'enroule dans la couverture. À l'abri, il laisse cours à ses larmes. Il ne connaît pas la raison de ce soudain changement d'humeur. Hier encore, tout allait bien. Il sait que la dépression reprend ses droits et que ce matin, il n'a pas la force de la combattre. Il plonge le nez dans le coussin d'Ali, son odeur l'apaise, un peu. Qu'est-ce que son mari va penser en le découvrant comme ça, faible, pathétique ? Va-t-il revenir sur ses promesses ? Rien qu'à cette éventualité, les pleurs de Sidney redoublent.

Tout le dégoûte, son corps, lui-même, son comportement. Un mal de crâne le fait souffrir, à s'en taper la tête contre le mur. Son ventre est tordu par l'angoisse. Dans un élan de lucidité, il a conscience que c'est dimanche et qu'il est en arrêt, il n'a donc pas à lutter pour se rendre au travail.

Sa semaine formidable vient de s'écrouler en une fraction de seconde. Il est en train de gâcher la dernière journée qu'ils ont ensemble. Demain, Alistair reprend le boulot. Il se déteste. Son mari va le détester et être en colère contre lui, et il aura raison.

Malgré la couette qui le recouvre entièrement, il entend la porte de la chambre s'ouvrir. Son pire cauchemar est en train de se réaliser. Il mord son poing, dans le but d'étouffer le bruit de ses sanglots. Seulement, c'est vain avec l'ouïe surnaturelle du noiraud.

- Sidney, l'appelle Ali paniqué, en s'approchant de lui.

Le coeur du blond s'affole. Sa propre terreur le paralyse, mais il ne peut pas laisser son époux le découvrir comme ça. Alors utilisant une ultime volonté, il freine Ali.

- Va-t'en, couine-t-il d'une voix brisée.

- Non chéri. Je vais rester.

Au grand désarroi de Sidney, le loup-garou s'assoit au bord du lit. Mortifié par la honte, le shaman ressert la couverture sur son corps. Le mouvement du matelas l'informe qu'Ali bouge, il le sent s'allonger derrière lui. Il n'arrive pas à s'arrêter de pleurer. Il se roule en boule lorsqu'une main se pose sur son dos, à travers la couette. Tant bien que mal, Ali l'étreint. En dépit de l'embarras, la présence de son mari rassure Sidney.

- Si tu sortais la tête de là-dessous ?, propose le noiraud en essayant de retirer le drap. Tu vas t'étouffer.

- Non, répond faiblement Sidney. Je ne veux pas que tu me voie ainsi.

- Mon coeur, on s'est mis d'accord sur le fait que je ne partirais pas et que tu n'avais plus peur que je te vois ainsi.

C'est vrai, il l'a dit, mais la réalité est tout autre. L'infamie est telle qu'elle prend le dessus sur tout le reste. Notamment sur les belles paroles échangées lundi soir. N'a-t-il pas certifié avoir dépassé cela ? S'il rejette son mari, ce sera comme un nouvel échec et il se dégoûtera encore plus. Il est en plein dilemme. Ali est patient, agit avec amour et tendresse, a accepté de revenir dès que Sidney le lui a demandé. Il ne peut pas le décevoir et encore moins le faire souffrir en refusant son aide. C'est terminé d'agir seul.

Les mains tremblantes, il libère sa tête de la couverture. La chambre est plongée dans le noir grâce aux volets fermés. Sidney ferme les yeux au contact des doigts d'Ali sur sa joue. Ils essuient ses larmes. Le regard du noiraud sur lui, le terrifie. Pourtant, il embrasse son visage avec une douceur infinie. Sidney pince les lèvres et hoquète, afin de bloquer ses sanglots. Ali parvient à se faufiler sous la couette et le serre contre son torse.

- Où tu étais ?, demande le blond d'une petite voix.

- Parti courir, lui répond Alistair. Tu te rappelles, je l'ai dit avant que nous nous couchions.

Effectivement, cela lui rappelle vaguement quelque chose. Après cinq jours enfermés, Ali et son loup devaient sortir se dégourdir les pattes. Maintenant, Sidney se souvient l'avoir entendu se lever tôt dans la matinée. Il culpabilise d'avoir négligé les besoins de son mari.

- Pardon, souffle-t-il le menton tremblant. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça.

- Ne t'excuse pas, répond Ali contre son oreille. De quoi tu as envie ?

- De rien.

Durant ces passades noires, il ne veut rien faire d'autres que rester allongé. Il n'a pas faim, ni soif, ni le courage de s'habiller. Il se sent oppressé, mais paradoxalement, il est soulagé de se sentir libre de déprimer. Le plus important, c'est qu'Ali ne le juge pas et le garde aux creux de ses bras. Il n'essaie pas de réconforter Sidney avec des phrases toutes faites qui n'ont pas réellement de sens.

Plusieurs minutes s'écoulent ainsi, en silence. Le regard de Sidney est perdu dans le vague, tandis qu'Alistair fait des allers-retours sur sa peau avec son doigt. La présence d'Ali l'empêche de sombrer complètement. Ses larmes se sont taries, mais elles peuvent revenir à tout moment. Le cerveau du shaman est éteint, il ne parvient pas à réfléchir. Justement, s'il le fait, les questions et le doute vont s'emparer de lui et il risque de se remettre à pleurer. À cet instant, il n'a qu'un tourment.

- Est-ce que tu m'aimes ?, chuchote-t-il.

- Oui, réplique Alistair du tac au tac. Tu es ce que j'ai de plus précieux au monde.

Le loup-garou attrape la main de Sidney, dépose un baiser sur le dessus, puis la plaque contre sa barbe. Le blond caresse les poils sous ses doigts, appréciant cette proximité et sécurisé par la réponse. Il a désespérément besoin de l'affection de son mari. Il a si peur qu'en voyant son vrai visage, l'amour d'Ali disparaisse qu'il en devient paranoïaque. Même s'il sait qu'ils sont âmes-soeurs et que rien ne pourra interférer dans leurs sentiments.

Pendant combien de temps Ali va-t-il le supporter ? Aura-t-il un jour honte d'être associé à lui ? Voilà pourquoi Sidney ne voulait pas réfléchir. Avant qu'une larme ne s'échappe de son oeil, le loup-garou embrasse sa pommette.

- Chéri, je sens à travers ton coeur que tes pensées deviennent négatives, annonce Ali comme un avertissement.

- Pardon, répète Sidney. Je suis désolé.

- Tu n'as pas à être désolé. Je ne peux pas te laisser te noyer.

Sidney acquiesce, car il comprend. Le caractère protecteur d'Ali réfute cette idée. Son mari a déjà l'impression de l'avoir abandonné, il ne souhaite pas commettre cette erreur, encore. Il a tenu sa promesse jusque-là. La foi de Sidney envers son époux reprend de la vigueur, sa place dans ce brouillard. Jamais le noiraud lui tournera le dos. Alors pourquoi finit-il par l'occulter ?

Il soupire, affligé par ses réactions. Il doit récupérer le contrôle de lui-même. Certes, Ali lui offre la liberté d'être triste, mais ce n'est pas une raison pour s'enliser. Ce moment de répit lui a fait du bien. Il pousse un long soupir, avant de basculer sur le dos. Affronter le regard de son mari l'effraye, pourtant c'est inutile.

Comme à leurs habitudes, les yeux d'Ali brillent d'amour, cela détend automatiquement Sidney. Le noeud dans son ventre diminue. Il parvient même à esquisser un sourire, en écho à celui chaleureux d'Alistair. À l'aide de ses deux mains, il retrace le contour du visage de son mari.

- Merci d'être resté, dit-il sincèrement.

- C'est normal Sidney. On est une équipe, tu te souviens ?

- Oui. Je ne veux pas que tu me quittes ou t'effrayer avec mon comportement, avoue-t-il en reniflant, prêt à pleurer.

- Jamais, affirme Ali, puis il embrasse son poignet.

- Si je fais ça trop souvent et que tu en prends marre ?

- Non. Si toi aussi, tu me promets de ne pas me rejeter.

- Promis.

Satisfait de la réponse, Ali se penche et capture sa bouche de la sienne. Sidney l'accueille avec joie. Malheureusement, Ali se recule assez vite et échappe aux mains du blond, qui retombent sur le matelas. Il sursaute en sentant une truffe humide contre son nez. Il rouvre les yeux et tombe sur un loup qui l'observe, les iris rouges. Sidney n'a pas tout à fait le temps de réaliser qu'Ali s'est transformé, que celui-ci donne des coups de langue sur son visage.

Visiblement, le loup-garou veut s'amuser, parce que maintenant, il passe aux chatouilles dans la nuque de Sidney avec son museau. Le blond gesticule en tenant de repousser son mari. Son rire le trahit.

- Arrête s'il te plait, glousse-t-il, ce qui le rend peu crédible.

Son coeur le trahit également, il pulse de bonheur. Voir la forme animale d'Ali, le met toujours en émoi. C'est un spectacle tout à fait à son goût. Le loup d'Ali est majestueux, le pelage noir de jais, comme ses cheveux. Pour Sidney, il est le plus beau. L'alpha s'allonge sur son corps et continue de jouer avec lui. Le shaman a mal à l'estomac tant il rigole. Le sombre moment de ce matin est loin et oublié.

- Non, pas ça, hurle Sidney en se tordant dans tous les sens.

Ali s'attaque à son torse, puis descend sur son ventre, le mordillant et le léchant. En regardant son mari, les larmes aux yeux à force de rire, il se rend compte que c'est son meilleur remède. Il passe ses mains dans la fourrure du loup. Sa douceur est si agréable. Il veut se blottir contre ce pelage.

- Je t'aime, dit-il en fixant Ali.

Cela lui vaut une léchouille au menton. Le loup laisse place à l'homme. Ali le surplombe, un sourire espiègle aux lèvres et les pupilles luisantes de fierté.

- Tu es merveilleux, enchaîne Sidney.

- Toi aussi bébé, ne l'oublie jamais.

Leurs fronts se rejoignent délicatement. Sidney encercle le bassin d'Ali de ses jambes et son cou. Ils s'embrassent avec tendresse. À travers le baiser, Sidney essaye de le remercier. Comment a-t-il pu rejeter cet homme ? Ou croire qu'il pouvait s'en sortir sans lui ? Ali apaise son âme et son coeur, il chasse sa dépression, le rend vivant.

Le corps de Sidney s'échauffe, il glisse de lui-même sous Ali, faisant frotter leurs sexes l'un contre l'autre. Ils échangent leur position, sans cesser de s'embrasser.

Quelques minutes et préliminaires plus tard, Sidney ondule sur Ali, son sexe enfoui en lui. Ses mouvements sont lascifs et puissants. Ali sert ses cuisses de ses doigts. La tête en arrière, le shaman exprime son plaisir, sous le regard émerveillé de son mari. L'harmonie de leurs âmes est parfaite. À chaque fois qu'ils s'unissent, Sidney a l'impression de voler.

La jouissance les traverse, envoyant des décharges électriques dans leurs peaux. Sidney s'écroule sur son mari, vidé de toute énergie. Ali le maintient sur son torse, les mains se baladant sur son épiderme. Le shaman soupir de bien-être. Il flotte sur un nuage, épuisé, mais serein.

- Tu es le meilleur remède au monde, annonce-t-il, la voix rêveuse.

- Ravis de pouvoir te servir, ricane Ali, avant d'embrasser son front.

- Tu es obligé d'aller bosser demain ?

- Oui bébé. Mon arrêt est terminé.

- Dommage. J'ai peur d'être sans toi, avoue Sidney.

- Je pense que c'est bénéfique que tu passes du temps seul, répond prudemment le noiraud en passant une main dans ses cheveux blonds.

- Tu as raison. Et puis, c'est ce que je voulais.

Sidney ne veut pas se rendre malade pour une chose qui ne s'est pas encore produite, mais il ne peut pas s'en empêcher. L'absence de son mari le lendemain, l'angoisse. Ce qui est absurde puisqu'ils ont été séparé durant neuf semaines. Ils viennent de passer six jours entiers ensemble. Sidney est effrayé qu'Ali change d'avis sur eux, s'ils se quittent ne serait-ce qu'une journée. Son mari ne va pas cesser de l'aimer en quelques heures.

Il s'allonge de façon à poser son oreille contre le coeur d'Alistair. Ses battements le bercent, l'incitent même à se confesser.

- Je crains que tu me trouves inutile si je ne travaille pas, avoue-t-il.

La main qui remonte le long de son dos le fait frissonner, elle se loge sur ses reins. Il entend Ali pousser un léger soupir. Il va encore contrarier son époux, mais il ne veut pas lui cacher ses sentiments.

- Tu n'es pas inutile Sidney, réplique le loup. Ça va me manquer de ne pas te voir dans ta tenue sexy de médecin.

- Tu parles de ce truc bleu informe ?, glousse le shaman.

- Le bleu te va bien et ça te fait un joli cul.

- Obsédé va !

Sidney ricane en donnant une tape sur l'épaule de l'alpha. Son pouls s'emballe lorsqu'il se remémore un certain souvenir dans les vestiaires du commissariat. Ali a le don de transformer les situations négatives en positives. Pour remercier son mari, il dépose un baiser sur son coeur.

- Jefferson va être fâché contre moi, poursuit Sidney.

- Bien sûr que non. Il t'adore et il s'inquiète pour toi, lui répond Ali. Tu veux discuter avec lui ?

- Non, je ne me sens pas encore capable de l'affronter.

- D'accord, quand tu seras prêt.

Il se sent encore plus minable à cette constatation. Il a totalement laissé tomber l'homme qui lui a tout appris. Celui qui lui répétait qu'il était doué, que c'était le meilleur élève qu'il n'ait jamais eu, qu'il serait un successeur fabuleux. Maintenant, que doit-il penser ? Que Sidney est un incapable, un moins-que-rien, qu'il a placé de faux espoirs chez un apprenti. Et si Jefferson ne veut plus de lui et le renvoie ? Sidney est perdu en ce qui concerne son travail, mais si cela se produisait, il en aurait le coeur brisé.

Jefferson est l'un des hommes qu'il respecte le plus au monde. Peut-être même le deuxième, après son mari. C'est aussi la personne qu'il craint le plus d'affronter, à cause de l'estime qu'il a pour lui.

- Je vais lui envoyer un message, décrète-t-il.

- T'es sûr qu'il va réussir à le lire ?, s'inquiète Ali narquois.

- Ne te moque pas de mon patron, le réprimande Sidney en pinçant sa peau. Même si tu n'as pas tort.

- C'est dingue d'avoir un doctorat et trente-six spécialisations et ne pas savoir se servir d'un portable.

- Jefferson n'a pas trente-six spécialisations, rigole le blond. Sept ou huit, tout au plus.

- Ça reste trop pour quelqu'un qui ne sait pas utiliser un portable, souligne Ali.

Sidney tente de camoufler son rire contre le torse du noiraud. C'est exactement ce qu'il disait, son mari sait dédramatiser chaque situation. Il prend l'alliance d'Ali, enfermée autour d'une chaîne à son cou, et la fait tourner entre ses doigts. Que deviendrait-il sans Ali ? Sans cet amour ? Il encercle le bassin de son mari et se presse contre lui. Il va rester là toute la journée. Pendant longtemps, il a cru que sa présence l'empêchait d'être triste lorsqu'il le souhaitait, mais il avait tort. Ali le rend libre d'être qui il veut, en le retenant de trop s'enfoncer.

- Pardon pour tout ce que je nous ai fait endurer, murmure-t-il.

- Ça va aller mon coeur. Essayons de tirer du positif.

- Tu crois que c'est possible ?

- Oui, affirme Ali.

Sidney se redresse et capture la bouche du loup. Ils pourront tout traverser, car ils sont une équipe. Il n'aura plus de secrets pour son mari. Au diable les conséquences, il va avouer tout ce qu'il sait à Ali. Sur Riley, sur Swann, sur le chasseur, sur le clan.

- Bordel de merde, souffle le noiraud après les confessions.

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