Chapitre 15.

Salem, lundi 31 mai 2021
20h, appartement de Sidney et Alistair

Sidney voit mille questions traverser le visage de son mari après sa déclaration. Il a passé des heures, si ce n'est la journée à réfléchir à cela. Il est sûr de lui, sûr de sa décision. Il fait glisser ses doigts sur les sourcils froncés d'Ali. Le convaincre ne sera pas une mince à faire.

- Notre place est l'un avec l'autre, assure Sidney fermement. Je sais que je t'ai dit que c'est ce qui me gênait, mais je me suis trompé.

- Je ne comprends pas bien là, avoue Alistair hébété.

- Être ton âme-soeur est la plus belle chose que j'ai dans la vie. Tu me rends plus fort et paradoxalement, je n'ai plus peur d'être faible face à toi, ni que tu me vois triste.

- Bébé, ronronne le noiraud en plaquant ses mains sur les cuisses de Sidney.

- J'ai longtemps été dans le brouillard par rapport à ça, mais j'ai compris maintenant. Je veux être près de toi.

Il observe son mari déglutir, ses yeux brillent. Ali pose son front sur le sien, délicatement, tandis que ses doigts s'enfoncent dans sa peau. Il est en train de céder, Sidney le sent. C'est donc le moment d'abattre sa dernière carte. Il récupère la pochette et la lève à hauteur de leur visage.

- Tiens, regarde ce qu'il y a dedans, ordonne-t-il gentiment à son époux.

Celui-ci se recule un peu, afin de prendre le porte-documents. Sidney ne le quitte pas du regard pendant qu'il l'ouvre. Alistair lit attentivement tous les papiers, sans laisser paraître la moindre émotion sur son visage. Sidney aimerait le secouer ou lire dans ses pensées. Il stresse comme un fou. Il essaye de ne pas se faire dominer par son pessimiste habituel. Son coeur est prêt à sortir de sa poitrine, tant il bat fort.

Toujours en silence, Alistair remet toutes les feuilles dans la pochette, puis pose celle-ci sur la table. S'il s'obstine à ne pas dire un mot, Sidney va mourir d'angoisse. Là, il aimerait pouvoir déchiffrer les sentiments des autres grâces aux pulsations cardiaques. Étant donné que son mari ne le regarde pas en face.

- Dis quelque chose, le supplie-t-il.

Au lieu de répondre, Alistair passe une main sur sa barbe taillée. Très discrètement, ses pupilles se mettent à briller. Sidney reconnaît cette lueur, celle de l'espoir, de l'amour et du bonheur.

- Tu as fait changer ton nom de famille, dit le noiraud, troublé.

- Ce que j'aurais dû faire il y a cinq ans, après notre mariage.

Les yeux d'Ali sont fixés sur le plan de travail de la cuisine. Sidney attrape les joues de son mari, dont la fraîcheur de l'alliance contre sa peau, fait frissonner. Il tourne son visage face au sien. Même ainsi, le loup-garou tente de se défiler. Il en est hors de question. Plus jamais ils ne fuiront.

Déterminé, le shaman approche ses lèvres, au ralenti, permettant à son mari de se détourner s'il le souhaite. Ce qu'il ne fait pas. Sidney l'embrasse donc, avec toute la tendresse qu'il possède. Il ne passera plus une seule journée sans qu'il ne touche ses lèvres. Il les quitte à regret, mais reste à proximité. Il plonge ses yeux dans ceux de son mari.

- Je suis sincèrement désolé d'avoir obéi à mon père lorsqu'il m'a demandé de garder mon nom, déclare Sidney. Je n'aurais jamais dû accepter, surtout en sachant que ça te blesserait.

- Ça a été le cas, au début, admet Ali après s'être éclairci la gorge. Parce que je savais que tu le faisais pour satisfaire ton père.

- J'espère qu'il n'est pas trop tard pour rectifier cette erreur ?, s'inquiète-t-il.

- C'est un peu long cinq ans pour réaliser que tu t'es planté sur un truc aussi important.

Les épaules de Sidney s'affaissent à la remarque d'Ali. Une boule obstrue sa trachée, ce qui l'empêche de respirer normalement. Il a prévu cette repartie, mais il ne pensait pas qu'elle ferait aussi mal. A-t-il laissé passer sa chance de se faire pardonner ? Certes, il s'est réveillé des années après. Naïvement, il croyait qu'Ali allait le prendre dans ses bras en découvrant qu'il avait modifié tous leurs documents officiels. Ce n'est pas assez. Rien n'effacera cinq ans de souffrance.

Il se sent bête et est à deux doigts de pleurer. Sa démarche devait prouver à Alistair qu'il a compris ses erreurs et commence à les rectifier. Visiblement, il s'est trompé. Ali ne veut pas lui pardonner. Pourtant, malgré ce point, ils étaient heureux. Sidney baisse la tête, honteux. Il n'avait pas de plan B. Il ravale ses sanglots. Il va se montrer fort et continuer à se battre pour son mari. Il ne va pas abandonner la bataille. Ali ne l'a jamais abandonné lui.

Il pousse un cri lorsqu'un des bras d'Ali passe autour de son bassin et le rapproche contre son corps. Ils sont collés l'un à l'autre. Alistair attrape son menton afin de lui redresser la tête. Il dépose un baiser sur sa bouche, faisant chavirer Sidney.

- Tu sais ce qu'on dit bébé ?, demande le noiraud, à voix basse, mais qui remue le shaman.

- Non, parvient-il à répondre.

- Il n'est jamais trop tard.

- Pendant un instant, j'ai cru que ça ne te plaisait pas, avoue Sidney, le coeur lourd.

- Comment ça ne pourrait pas me plaire ? J'attends ça depuis cinq ans.

- Je t'aime, répond-il simplement, à court de mots.

- Je t'aime aussi, plus que tout au monde.

Ému au possible, Sidney étreint son mari avec toute la puissance de son amour. Il est tellement soulagé qu'il hésite entre sauter de joie ou pleurer. C'est la seconde option qu'il choisit. Il évacue la pression du stress, le nez enfuit dans le cou d'Alistair. Il a encore tant de choses à lui dire, mais pour le moment, il veut juste profiter du câlin. Il savoure les mains de son mari sur son corps.

L'odeur de la viande qui marine, les rappelle à l'ordre. À regret, ils se séparent, après un dernier baiser. Sidney descend des genoux de son mari. Il se relève en se pinçant la bouche, retenant le sourire qui le démange. Il débarrasse les assiettes d'apéritifs, sous le regard scrutateur d'Ali. Il se sent rougir telle une collégienne. Ça ne l'aurait pas dérangé de rester sur le noiraud, à s'embrasser, mais le repas qu'il a mis tant d'énergie à préparer serait gâché. Le plat, un boeuf bourguignon à mijoté toute la journée. Son mari en est tombé dingue lors d'un voyage en France.

Il sert la viande dans des assiettes creuses et ajoute du gratin de pommes de terre, avec de la sauce bien sûr. Il revient auprès d'Ali.

- Tiens, dit-il en posant l'assiette devant son époux.

- Merci bébé.

Sidney retourne à sa place. Ils dégustent en se dévorant des yeux. Cette fois, c'est officiel, il est rouge pivoine, son corps est en ébullition. Il prend sur lui pour ne pas demander à Alistair s'il peut s'asseoir sur ses cuisses le reste du repas. Il n'est plus un enfant, ce n'est pas le genre de choses que l'on fait à vingt-huit ans. Il compte bien poursuivre leur tête-à-tête après le repas.

Il ressert son mari en vin. Ce n'est pas comme s'il pouvait le soûler. Sidney passe plus de temps à admirer son mari qu'à manger. Il faut dire que son époux est particulièrement beau. Aucun autre homme ne lui arrive à la cheville. Alistair lui lance un sourire, sachant très bien le court de ses pensées.

- Quoi ?, ronchonne le blond avec une grimace. Tu sais très bien que tu as un physique avantageux.

- Un physique avantageux ?, ricane Ali amusé.

- Je crois que le destin nous a réunis dès ma naissance, parce que j'avais besoin de toi tout de suite.

- C'est ce que je pense aussi.

Sidney en est venu à cette conclusion en cuisinant. Tout arrive pour une raison précise et à un moment précis. Sa grand-mère lui répétait souvent une phrase : « le destin de chacun est écrit, il ne peut être modifié, car tous les chemins y mènent ». Si le sien à croisé la route de son âme-soeur dès le début de sa vie, c'est parce qu'il avait besoin de son amour, de sa protection dès les premières heures de son existence. Jamais il n'aurait pu survivre sans Alistair, il n'aurait pas tenu. Le monde qui les entoure est trop cruel. Des membres de leur propre famille le sont.

- Il y a quelque chose que je dois t'avouer et que je sais depuis longtemps, mais que je n'ai pas voulu reconnaître, enchaîne-t-il en jouant avec sa fourchette dans le gratin.

- Quoi donc ?

- Mon père n'a jamais accepté que mon partenaire soit un homme. Il ne m'a pas réellement mis d'interdiction à cause du clan qui nous accepte.

- D'où la haine qu'il ressent à chaque fois qu'il me voit depuis la découverte de notre lien, dit Alistair d'une voix qui traduit le dégoût que lui inspire son beau-père.

- Oui. Notre lien signifie pour lui la fin de notre lignée de shaman. À notre mariage, je me suis dit que si je gardais son nom, cela ferait perdurer notre famille et le calmerait un peu.

Alistair soupire, en baissant la tête. Sidney a honte de ce qu'il vient d'avouer. Ce n'est pas un sujet qu'il aurait dû garder pour lui, mais l'honnêteté de la situation lui faisait peur. Même avec son âme-soeur, il n'a jamais pu admettre la rancune que son père éprouve à son égard. Il a toujours appliqué la politique de l'autruche avec ses parents. C'était plus simple et moins douloureux que la vérité. Satisfaire son père et son partenaire, s'est vite avéré impossible.

En réalité, rien n'aurait pu assouvir les attentes de son géniteur. Sidney a passé sa vie à faire des compromis pour soulager l'amour-propre de son père. Mais à l'inverse, celui-ci n'a aucunement cherché à préserver ses sentiments.

Il sursaute en sentant la main d'Alistair recouvrir la sienne. Leurs regards se croisent de nouveau, ils se sourient et Sidney comprend que son mari n'est pas fâché contre lui.

- Bébé, murmure tendrement le loup-garou. Tu sais que l'unique problème de ton père, c'est qu'il n'a pas hérité du pouvoir et qu'il est jaloux de toi.

- Oui, répond-il la gorge nouée. Je m'en suis rendu compte.

- Tu pourras faire tout ce qu'il t'ordonne, rien ne réconfortera son égo.

- Je sais. Je voulais juste qu'il m'aime, pleurniche-t-il. Je m'en suis longtemps voulu d'être le shaman et pas lui, mais ce n'est pas de ma faute.

- Non ça ne l'est pas et ton père n'a pas à vivre la vie qu'il aurait voulue à travers la tienne.

- Oui.

Sidney essuie ses larmes de sa main libre. Il n'a pas demandé à naître avec le don que son père convoite tant. Lorsqu'il a posé la question à ses aïeuls, ils ont tous dit que Peter n'avait pas le coeur pure des shamans et qu'il ne méritait tout simplement pas le pouvoir. Sidney n'est pas responsable de ce choix, ni de la frustration de son père.

Il en souffre bien sûr, mais ce malaise familial perdura toute sa vie. Dorénavant, il ne laissera plus cette pression le dominer, ni ne vivra en fonction de son père. Tout ce qui importe pour lui, c'est l'homme assit en face de lui. Le fait que son mari l'aime. C'est le plus beau sentiment du monde.

Rassénéré par ce sentiment positif, il secoue mentalement la tête et chasse ses pensées. Il est temps de passer au dessert. Il débarrasse leurs assiettes vides. En récupérant celle d'Ali, il se penche et l'embrasse avec douceur. Lorsqu'il se redresse, Ali l'observe, cherchant la moindre faille dans son changement d'humeur. Il ne trouvera rien, car le coeur de Sidney est apaisé.

- Profitons juste de notre soirée, lui dit-il en souriant afin de le rassurer.

- Tu as raison. Qu'est-ce que tu as prévu ensuite ?, s'intéresse Ali.

- Tu vas voir.

Une fois la vaisselle sale mise au lave-vaisselle, Sidney récupère la tarte aux citrons qui reposait au frigo. Il est ravi de constater le bonheur d'Alistair en découvrant le dessert. Il leur sert une généreuse part à tous les deux. Il attend l'approbation gustative d'Ali avant de goûter la tarte.

En général, Sidney est une personne très humble, mais ce soir, il reconnaît qu'il s'est surpassé avec son repas. Alistair n'arrête pas de le complimenter. Le blond se tortille, mal à l'aise. Il veut que toutes ses soirées ressemblent à celle-ci.

- Tu sais ce que je me disais ?, le questionne son mari entre deux bouchées.

- Non ?

- Que tu étais bien mieux assis sur mes genoux.

Sidney ricane tout émoustillé par la proposition. Il prend son assiette et s'empresse d'obtempérer. Ali a raison, il est bien mieux installé à cet endroit. Le noiraud tend le bras derrière le corps de Sidney, puis le ramène devant son visage. Il approche la cuillère face à sa bouche, le blond comprend le message. Il entrouvre les lèvres afin qu'Ali puisse glisser le bout de tarte à l'intérieur. Il avale en gloussant.

Ils continuent leur petit jeu jusqu'à finir leurs deux parts. Ils n'avaient plus fait cela depuis des mois. Le coeur de Sidney déborde d'amour. Cependant, il n'a pas occulté que son mari n'a pas répondu à sa question.

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