Chapitre 13.

Salem, lundi 31 mai 2021
8h30, au restaurant dans les rues de Salem

Le calme olympien de Swann aide Sidney à s'apaiser, à expulser tous les parasites de son esprit. C'est également l'un des pouvoirs des elfes. Raison pour laquelle on vient les consulter et aussi pourquoi il s'est senti attiré par Swann pour vider son sac. Une part de lui est quand même embarrassée, il a l'impression de se servir du jeune homme. L'étudiant de vingt-quatre ans a sûrement mieux à faire un lundi matin que d'écouter les lamentations d'un shaman paumé.

- Tant qu'on y est et parce que c'est toi qui as voulu prendre ton petit-déjeuner avec moi, poursuit Swann. Tu as une chance inouïe d'être marié à ton âme-soeur, peu de gens la possède. Alors au nom de tous les célibataires de ce bas monde, ne gaspille pas cette chance. Tu as besoin d'Alistair, vous vous complétez et tu ne te sentiras jamais entier sans lui à tes côtés. Ce n'est pas une mauvaise chose Sidney, au contraire.

- J'ai tout mélangé dans mes remises en question, soupire le shaman. J'ai même cru que je n'avais pas eu le choix de mon conjoint.

- Le destin nous offre la chance de reconnaître la personne faite pour nous, c'est un coup de pouce. Tu n'aurais pas pu être heureux avec quelqu'un d'autre.

- Je sais.

Sidney a le coeur lourd de remords. Swann a raison sur toute la ligne. Avec le recul nécessaire, il réalise qu'Ali a toujours été le seul à lui laisser le choix. À chaque grand pas dans leur vie, il lui a demandé son avis. Comment a-t-il pu confondre son père et son mari ? Comment a-t-il pu croire que son mari agissait comme son père ? L'un veut le contrôler et l'autre le rendre heureux. Ses yeux s'embuent de larmes, qu'il retient difficilement.

- Je pense que tu es venu me voir parce que tu savais que je te dirais ce que tu veux entendre, lui dit Swann d'une voix douce. Et aussi parce que tu avais besoin que quelqu'un te le dise à voix haute. Tu le savais déjà, mais tu ne voulais pas te l'avouer. J'ai vu juste ?

- Oui, avoue-t-il.

Il se sent encore plus bête. Il est tel un enfant qui a besoin d'être réconforté. Il pourrait en avoir honte s'il ne touchait pas déjà le fond. Il émet des doutes sur son choix de carrière, pas sur son mariage. Il était trop dans le déni pour l'admettre lui-même. Le fait qu'un quasi-étranger lui rappelle est légèrement malaisant. Mais Swann a vu juste, car il savait les paroles qu'il lui dirait. Jusqu'à mars, ça ne lui avait jamais posé de problèmes d'être associé à son mari.

C'est dur de s'avouer que Sidney a fait souffrir son âme-soeur pour des foutaises. Son mariage est la seule chose qui le rendait heureux, mais lors de sa prise de conscience, il l'a oublié. Perdu dans un mirage obscur, il était persuadé qu'Ali avait contribué à son mal-être. Sidney est horrifié par ce constat. Sa dépression l'empêchait de dissocier ses tracas.

Un noeud se forme dans son estomac, lui coupant l'appétit. Où avait-il la tête ? Il a envie de pleurer et de se réfugier chez lui, avec Ali pour le réconforter. Swann le regarde, compatissant.

- Je suis stupide, murmure Sidney.

- Non, pas du tout, le rassure l'elfe. Les gens qui traversent ce que tu vis en ce moment, ont tendance à tout mélanger, à ne pas voir la véritable source du problème.

- Mes parents.

- Oui, si cela avait été ta relation, tu serais allé voir quelqu'un qui vit avec son âme-soeur et pas un célibataire.

Il connaît six couples qui correspondent à ce profil, alors effectivement, il avait l'embarras du choix. Mais en sortant de chez lui, ce n'est pas ce qu'il cherchait. Est-ce que cela signifie que son subconscient, ou les esprits qui l'ont guidé ici, savaient ce dont il avait réellement besoin ? C'est plus que probable, son coeur sait ce qui est bon pour lui. Plus que ses géniteurs en tous les cas. Plus que n'importe qui.

Sidney pousse un soupir à faire envoler les fantômes. Les deux qui le suivent depuis son réveil ont miraculeusement disparu. Ils ont fait leur travail en le conduisant ici. Ils reviendront, Sidney n'en doute pas. Mais là, il aurait envie de savoir quoi faire ensuite.

- Tu ne peux pas compter sur les autres pour te guider tout le temps, enchaîne Swann. Tu dois apprendre à te débrouiller seul.

- J'ai un ami phénix qui fait ça aussi et c'est chiant, râle Sidney vexé.

- Il n'y a que la vérité qui blesse et on en revient encore au même point, si tu voulais de la compassion, tu aurais mangé avec la femme assise à l'intérieur.

Il tourne la tête vers la femme, elle mange seule en lisant un livre. Elle a au moins soixante ans. S'il voulait de la gentillesse ou de la compassion, comme l'a souligné Swann, il appellerait sa grand-mère. Ou serait allé voir Leighton ou Virginia. Modèles d'empathie au sein de son clan. De toute manière, il ne veut pas de gentillesse, il n'en mérite pas. Il a besoin d'un bon secouage de plume, ce que lui apporte l'elfe, avec diplomatie.

Swann et lui se sont vus deux fois. Avant aujourd'hui, ils ne s'étaient jamais parlé. Le père de Swann fait partie du Conseil, il est l'elfe représentant. Ils n'avaient pas encore eu l'occasion de discuter. Vu ce que Sidney sait sur son futur, c'est peut-être le moment d'apprendre à le connaître. Il se sent presque mal vis-à-vis de l'elfe et de ce qu'il va endurer.

Comme s'ils avaient entendu le court de ses pensées, ses deux acolytes fantômes refont leur apparition. Ils secouent la tête de gauche à droite, l'interdisant d'aller plus loin. Sidney n'a pas le droit de faire office de voyant, à titre personnel, auprès des créatures surnaturelles. Il ne peut pas avouer à Swann son avenir, quand bien même il en meurt d'envie.

- Tu es tiraillé par quelque chose qui n'a rien avoir avec notre conversation, lui dit l'elfe avant de boire son café.

- C'est plus facile de s'occuper des problèmes des autres que des siens, fait-il remarquer.

- C'est moi le problème maintenant ?

- Non Swann ! Je pensais juste à...

- Ce que tu as vu sur moi, mais que tu ne peux pas me dire, le coupe Swann, ce à quoi Sidney écarquille les yeux. Ne fais pas cette tête, je ne t'en veux pas.

Le shaman sourit, soulagé. Il ne souhaite pas offenser un futur ami. Lui qui a toujours été entouré de femmes, à l'exception d'Ali et de Riley plus tard, ça lui change d'avoir des amis hommes. Ces derniers temps, leur cercle s'agrandit, au rythme de leur vie qui évolue. C'est une aubaine pour lui qui a passé son existence enfermée dans sa bulle.

Finalement, Sidney continue son petit-déjeuner, en suivant les conseils de Swann. Il réfléchit par lui-même. Il sait le premier point qu'il va régler, après son repas. Rien qu'en élaborant son plan, son coeur s'allège. Il prend la bonne décision, la meilleure pour lui. Il sera plus serein.

Sidney termine son plateau, jus d'orange compris, tandis que Swann écrit sur un bout de papier. La seconde qui suit, il lui tend.

- Tiens, si tu as mon numéro, ce sera plus simple pour que nous puissions se plaindre mutuellement de nos oppresseurs de pères, l'informe Swann avec un sourire.

- Merci beaucoup, répond-il en prenant le morceau de feuille.

Il s'empresse de sortir son portable et de créer un nouveau contact au nom de Swann puis de rentrer le numéro. Swann est un allié de taille, enfin il va le devenir. Viendra le moment où Sidney pourra lui rendre la pareille de tous ses conseils. À son tour, il se montrera à la hauteur. Ce n'est que partie remise. Ils échangent un sourire entendu, ils se comprennent.

Malheureusement, Swann doit partir s'il veut être à l'heure à l'université de Boston. Ils quittent le restaurant ensemble, Sidney raccompagne l'elfe à sa voiture. Alors que celui-ci met son sac de cours sur le siège passager, il se tourne vers le shaman.

- La dernière phrase que je te dirais c'est celle-ci, demande à Alistair pourquoi il t'a soutenu lors de tes études si ce n'est pas ce que tu voulais faire, lui dit-il.

- Parce qu'il pensait que je le souhaitais, réplique Sidney, sûr de lui.

- Tu crois ? C'est un loup-garou et ton âme-soeur, il sait lire dans ton coeur mieux que personne. Pose-lui la question.

- Heu... oui, d'accord, abdique-t-il septique.

Il est très dubitatif sur la demande. Swann se trompe, si Alistair avait su qu'il n'avait pas envie de devenir légiste, il l'aurait empêché. Son mari veut son bonheur et il a toujours veillé à ce qu'il le soit. Mais par acquit de conscience, il va vérifier, et puis la consigne vient d'un elfe, ça vaut le coup d'approfondir. Il le fera ce soir, en même temps que le reste.

- Ravis de t'avoir rencontré Sidney, avoue sincèrement Swann. À bientôt et tout va bien se passer.

- Moi aussi, je suis content. À bientôt.

Ils échangent un signe de la main et un sourire, puis Swann monte dans sa voiture et sort de sa place de parking. Sidney regarde le véhicule s'en aller. La journée ne fait que commencer et pourtant, il a déjà effectué une avancée énorme. Il sursaute lorsque deux spectres font leur apparition. Mme Baker et Mr Lebois sont de retour.

Décidément, il n'est pas très doué pour mettre en pause son pouvoir. En réalité, il aime la compagnie de ces deux esprits. La solitude n'est pas faite pour lui, il en a peur.

- J'apprécie ce jeune homme, annonce la femme, le visage tourné vers l'endroit où a disparu la voiture de Swann.

- Il aura beaucoup de chance.

- Mr Lebois, intervient Sidney d'une voix dure, mettant en garde le français, car le « il » ne désigne pas l'elfe.

- J'ai hâte de voir la tête de son père, réplique Mme Baker.

- Cela va être drôle.

Ce point de vue diffère selon les protagonistes concernés. Il est probable que Swann trouvera la situation amusante, ça c'est certain. Son père en revanche, risque de faire une syncope. Cette bataille ne sera pas plaisante à observer. Chaque chose arrive à un moment précis, dicté, guidé par le destin. Sidney n'a pas le droit d'intervenir. Dans la mesure du raisonnable et que les esprits ne lui interdisent pas.

Sidney coupe les fantômes dans leurs spéculations. Il a du boulot à abattre aujourd'hui. Son plan est clair, il va récupérer son mari. Pour cela, il sait par quoi commencer. Son coeur bat tellement fort, qu'il va s'échapper de sa poitrine. Ses mains tremblent, tandis qu'il récupère son portable. Ce qu'il s'apprête à faire, il aurait dû s'en occuper plus tôt.

Il colle le téléphone contre son oreille en attendant que son correspondant prenne l'appel. Son souffle se bloque, lorsque la voix de Riley résonne dans le combiné. Il se retrouve intimidé par son ami. Malgré ce sentiment et cette vulnérabilité, il formule sa demande au phénix. Celui-ci se contente de répondre un simple « oui », avant de raccrocher.

- Je suis fier de vous, lui confie Mme Baker, émue.

- Oh ma chère, vous n'allez pas pleurer, réplique le français, un brin amusé.

- C'est si romantique.

- J'espère que ça suffira, soupire Sidney.

- Bien sûr, il va être aux anges, assure la vieille femme en posant une main réconfortante sur son épaule.

Sidney acquiesce. Madame Baker confirme ses dires en lui affirmant que ses aïeuls et ceux d'Alistair sont heureux de cette décision. Pour l'heure, il n'a plus grand chose à faire, si ce n'est attendre des nouvelles de Riley. Ce qui peut prendre la journée ou au mieux plusieurs heures. Il va devoir faire preuve de patience, ce qui n'est pas une de ses vertus en ce moment.

La phase d'accablement s'abat sur lui tel un coup de massue. Il veut voir Alistair, le supplier de le reprendre, lui parler de ce qu'il a entrepris avec Riley. Il ne veut pas attendre. Il le fait depuis des semaines, il arrive à saturation. Et voilà, le bénéfice de ce début de matinée, ainsi que l'effervescence d'une nouvelle amitié créée, s'évaporent. Ses épaules s'affaissent, sous le poids de la tristesse qui l'enveloppe. Il a envie de rentrer chez lui et de se cacher dans son lit.

- Oh non !, s'exclame Mme Baker en colère. Certainement pas jeune homme. Vous allez vous ressaisir. Ne laissez pas ce sentiment négatif prendre le dessus.

- J'essaye, mais c'est dur, se plaint Sidney, les yeux plein de larmes.

- Comme l'elfe vous l'a dit, tout va bien se passer, votre ami Riley va faire ce que vous lui avez demandé et Alistair vous pardonnera.

- Et cela sera suffisant, intervient Mr Lebois.

- J'espère que vous avez raison.

Il pourrait utiliser son pouvoir afin de vérifier si tout le monde dit vrai, mais il refuse. Ce serait trop facile et il a juré de ne pas s'en servir à des fins personnelles. Comme pour avoir les résultats d'un examen, ou les numéros du loto. C'est grâce à cette pureté du coeur, cet altruisme qu'il a hérité du don de shaman. Avant, à cause de son père, il en avait presque honte.

Non, il ne se laissera pas dominer par cette foutue dépression. Il secoue la tête et prend une grande inspiration. Il va occuper son esprit jusqu'à ce que Riley le contacte. Il sait comment il va se divertir. Il se sent tout de suite mieux, soulagé. C'est plus serein qu'il avance pour rejoindre la supérette de son quartier. Il récupère un panier à l'entrée, puis déambule dans les rayons.

Il va concocter le meilleur repas pour son mari, avec tout ce qu'il aime, de l'apéritif au dessert. Si la soirée se déroule comme il espère, elle marquera un tournant crucial, positif. Pas uniquement parce qu'il va avouer tout ce qu'il cache à Ali. Il paye ses courses le coeur léger.

Il pénètre dans son appartement les bras chargés de sacs, qu'il dépose sur la table de la salle à manger. Il range ses achats, un sourire aux lèvres. Une fois cette tâche accomplie, il envoie un message à Ali, lui proposant de venir dîner avec lui ce soir. La réponse arrive dans la foulée, il accepte. Alistair sera là ce soir. Sidney se retient de sauter de joie. Il ressemblerait à un enfant le matin de Noël.

Il élabore le menu et se met au travail.

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