Chapitre 10.

Salem, vendredi 28 mai 2021
15h, commissariat de police

Affaler contre le mur, Sidney reste abasourdi par ce qui vient de se produire. Son mari vient-il réellement de partir en le laissant dans cet état-là ? Vu qu'il est seul, que ledit mari a quitté la pièce en claquant la porte, il en déduit que c'est bien réel. Essoufflé, en tachycardie et le sexe tendu comme un arc, il insulte Alistair de tous les noms. Bien sûr, il comprend pourquoi son fier de mari a reculé, s'il n'avait pas eu cette lueur dans les yeux, celle de la vengeance.

En colère et frustré au possible, il court à la poursuite d'Alistair. Il le retrouve devant la cellule du chasseur, que Gordon vient de refermer. L'attitude nonchalante de son mari qui le regarde avec un sourire condescendant, agrandit sa fureur. Il s'apprête à lui dire sa façon de penser, mais ses yeux tombent sur le chasseur, au fond de la cage. C'est la douche froide.

Il est face à l'homme qui a participé à la torture de son âme-soeur. Il le toise et pendant une fraction de seconde, il regrette de les avoir interrompu. Au-delà de ce fait, il repense aux trois corps qu'il a autopsiés. Les images de leurs mutilations lui brûlent la rétine. Il ne faut pas être sain d'esprit pour faire ainsi du mal aux autres. Sidney est certain que ces gens sont des psychopathes. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont dangereux.

L'humeur de Sidney change du tout au tout. Il revoit son mari, les bras pendus, le corps rué de blessures et traversé de décharges électriques, et surtout, le chasseur en face de lui, arracher les ongles d'Alistair, puis lacérer son torse avec un fouet imprégné d'aconit tue-loup. Sa conscience est divisée en deux. D'un côté, une partie qui lui souffle que cette vendetta est justifiée. Tandis que l'autre, plus raisonnable, lui rappelle les risques qu'encourt Alistair s'il tue ce gars.

Non, ils doivent laisser la justice surnaturelle faire son boulot. Ils ne laisseront pas ses crimes impunis. Cela n'empêche pas à Sidney d'être partagé. Il n'est pas contre quelques entailles profondes. Encore une fois, son inutilité à protéger son mari lui saute au visage. Il ne sert à rien pour les vivants. D'ailleurs, il n'y a que les morts qui viennent lui parler, comme maintenant. Les esprits ne cessent de lui murmurer de partir, que les prisonniers sont des gens ignobles, cruels, ils lui montrent d'autres atrocités qu'ils ont commis. Sidney doit s'éloigner au plus vite.

- Viens, lui dit Alistair en prenant sa main. On se tire de là.

Il le suit en silence, enfin autant que peut l'être l'existence d'un shaman. Finalement, il laissera les fantômes, victimes des chasseurs, se venger et les hanter. Une maigre satisfaction. Afin d'être seul avec son époux, il érige les barrières, bloquant son esprit à son pouvoir. Il ne voit pas des spectres tout le temps, mais lorsqu'il est avec Ali, il préfère prendre ses précautions.

Le loup-garou les emmène jusqu'à un bureau privé, au même étage que les cellules, ainsi, ils ne seront pas vus ni dérangés par leurs collègues. Alistair referme la porte à clé derrière eux, sans lâcher ses doigts.

- C'est à toi d'être en colère, remarque le noiraud.

- Comment ne pas l'être face à ces individus ?

- Fallait pas m'interrompre alors, ronchonne Ali.

- Oh mais bien sûr monsieur l'alpha et une fois au chômage, qu'est-ce que tu aurais fait ?, demande Sidney agacé.

- Comme tu le soulignes si bien bébé, je suis un alpha, je me serais débrouillé.

- Foutu fierté d'alpha.

Sidney n'en oublie pas pour autant le coup bas de tout à l'heure. Maintenant, il est en colère contre deux personnes, plus toute la clique de chasseurs. Sa libido en mal d'amour de son âme-soeur, le rend rancunier. Sur ce point aussi, sa raison se déchire. Il voudrait avoir la patience d'attendre de répondre à ses questions avant qu'ils ne fassent l'amour, mais il ne l'aura pas. Chaque jour est plus dur que le précédent.

Outre le fait qu'il se sent humilié par leur intermède et sa vaine tentative de séduction, il s'est quand même frotté contre la cuisse de son mari, il... Non, le problème vient de là. De sa propre dignité bafouée. Alistair lui fera payer la distance qu'il a instaurée  entre eux, continuellement. Il voudrait juste une petite étreinte. Certes, ce n'est pas judicieux au vu de leur situation actuelle, mais il est désespéré. Bien entendu, le sexe ne réglera pas le conflit.

- Je peux savoir à quoi tu penses pour que ton pouls s'emballe comme ça ?, questionne Alistair, un rictus moqueur sur les lèvres.

- Tu le sais très bien, alors ferme-là !

Boudeur, Sidney retire sa main et s'éloigne de quelques pas. La frustration et le manque lui donnent envie de pleurer. Il se tend lorsque son mari se place derrière lui. Il perçoit sa chaleur, sa respiration, son corps, la prestance qu'il dégage. Il a presqu'envie de hurler qu'il a répondu aux questions qu'il se pose, seulement, ce serait un mensonge. Ali le devinerait. Foutus pouvoirs surnaturels.

- Avant, j'avais la prétention de te connaître par coeur, réplique Alistair à voix basse. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce n'est plus le cas.

Sidney déglutit difficilement suite à cet aveu. Il ferme les yeux pour refouler ses larmes. Il est à fleur de peau et blessé par les propos de son mari. Cela dresse un triste constat sur leur couple, après vingt-huit ans à vivre ensemble, ils ne se comprennent plus. Il ravale la boule logée dans sa gorge.

- Avant, tu ne m'aurais jamais planté dans une pièce, comme tu l'as fait plus tôt, rétorque-t-il accusateur.

- Non c'est vrai, mais avant nous formions un couple et nous ne faisions pas une pause.

- Oui, mais nous sommes toujours mariées et âme-soeur, alors pourquoi...

- Stop Sidney, le coupe Ali d'un ton autoritaire. Pourquoi d'un coup tu tiens tant à ce que nous faisions l'amour ?

Il ouvre la bouche, prêt à se défendre, seulement, il ne sait pas quoi dire. Alistair a raison, pourquoi c'est si important ? Il désire son époux, il a envie de lui c'est évident. Le sexe avec son mari, c'était une autre dimension, même si c'était plus spirituel que ça. Leur lien explosait, leur amour était plus puissant que jamais, il le ressentait jusqu'au tréfonds de son âme. Il se sentait l'être le plus important. C'est tout cet ensemble de sentiments qui lui manquent.

Son souffle se bloque lorsque les deux bras d'Alistair l'encerclent et le serrent contre son torse musclé. Sidney se laisse aller. Il renifle discrètement.

- Tu n'as pas besoin de ça pour savoir que je t'aime, et ce, pour l'éternité, lui chuchote le noiraud.

- Tu lis dans mes pensées maintenant ?, répond Sidney, la voix tremblante d'émotions.

- Non, mais dans ton coeur oui.

Sidney a eu tort. Alistair le comprend encore, c'est lui qui ne se comprend plus lui-même. C'est assez déroutant. Là encore, son mari le guide sur le chemin de ses réponses. Décidément, il ne sait rien faire seul. Est-ce qu'Ali réalise qu'en l'aidant constamment, il renforce cette sensation de nullité ? Ou qu'il s'est trompé sur toute la ligne. Ce qui du point de vue de certains, est le cas.

Comme à son habitude, Alistair ne le laisse pas se noyer dans ses réflexions. Il colle Sidney contre lui et pose sa joue sur sa tempe. Depuis mars, ils passent leur temps à souffler le chaud et le froid l'un envers l'autre.

- Donc, reprend Alistair. En mettant de côté mon amour éternel pour ta personne, il me semblait qu'il y a douze ans nous nous étions mis d'accord pour ne pas agir comme les loups-garous des romans d'adolescents prépubères.

Sidney s'esclaffe à la comparaison. Il se souvient parfaitement de ce jour-là. Ils étaient jeunes et ne savaient pas contrôler leurs hormones en ébullition, ni leur lien charnel. Ils passaient leurs journées à se toucher et à faire l'amour, de façon bestiale, sans aucune retenue. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas continuer ainsi. Puis un jour, Sidney a dit qu'ils se comportaient de la même manière que les âmes-soeurs dans les romances surnaturelles. Cela a tout de suite coupé l'élan d'Alistair, qui déteste être comparé aux personnes de ces histoires, qu'il qualifie de grotesques. Fierté des alphas, qui elle, est assez correcte et bien représentée.

- Excuse-moi, réplique Sidney en retenant le rire qui veut franchir ses lèvres. Pas de comportements d'ados prépubères.

- Ok, alors tu vas garder en mémoire que je t'aime pendant que j'essaye de faire les choses bien pour nous.

- C'est à moi de bien faire les choses pour sauver notre mariage, rectifie-t-il.

- Tu te trompes bébé, c'est à nous deux de le faire fonctionner. Tu te concentres sur ton objectif et moi, je fais en sorte que l'on garde l'esprit clair.

- En nous privant de sexe ?

- Hey ! J'ai attendu mes dix-sept ans pour que tu m'embrasses et mes dix-neuf pour qu'on fasse l'amour, donc tu peux patienter quelques semaines de plus.

Sidney ronchonne une fraction de seconde, avant de perdre son sérieux et de rigoler. Alistair ricane lui aussi, la bouche contre sa peau. Là, à l'intérieur des bras d'un mari qui ne demande rien de lui, surtout pas une baise rapide dans le but de calmer sa colère, il prend conscience d'être l'homme le plus chanceux du monde. De toute manière, il n'a pas le choix que d'accepter la proposition qui n'en est pas vraiment une.

Il préférerait que cette fois Ali ne fasse pas preuve de maîtrise. Oh non ! Il préférerait que son sexy de mari le déshabille et le prenne sauvagement sur cette table ou contre le mur.

- C'est comme ça que tu patientes ?, le réprimande gentiment Ali.

- Pardon. J'ai peur que tu te détaches de moi si on ne fait plus l'amour, finit-il par avouer.

- Je sais, d'où ma déclaration d'amour éternel. Bébé, toi et moi, on partage un lien que rien ne peut détruire.

- Ma peur est irrationnelle alors ?

- Non, mais injustifiée oui.

- C'est la première fois que je ressens ça, murmure Sidney en lovant contre le visage d'Alistair.

Il soupire d'extase tandis que les lèvres du loup-garou déposent un baiser sur sa joue. Tout est inédit ces derniers temps. Il se tortille entre les bras puissants qui l'entourent et se retourne. Le nez enfui contre le tee-shirt d'Ali, il le serre de toutes ses forces. Son front effleure l'alliance que son mari dissimule sous le vêtement. La sienne est à son annulaire gauche. Il ne l'a jamais retiré depuis le jour où Alistair lui a glissé, cinq ans plus tôt. Et jamais il ne s'y résoudra.

Sidney se laisse bercer par son unique amour. L'étreinte qu'ils partagent lui fait un bien fou. Petit à petit, ils avancent. Ils ont enfin retrouvé un semblant de relation. Délicatement, Ali embrasse sa joue à plusieurs reprises.

- Je pense que tes craintes sont liées à tes insécurités que tu ressens en ce moment, lui dit Alistair.

- Je suis d'accord, mais je n'avais jamais eu besoin que tu me prouves ton amour, même avec ce qu'on traverse.

- Ça va avec tout le reste bébé.

- Avec ma dépression.

- Oui.

C'est la première fois qu'il met un mot sur sa maladie face à Alistair. Jusqu'à présent, il avait trop honte de lui avouer le mal qui le ronge, il avait tort. De toute évidence, son mari le sait. Les doutes constants, le manque de confiance, la paranoïa, les angoisses perpétuelles, le mal-être peu importe où il se trouve, l'impression de rater tout ce qu'il entreprend. Ce sont les symptômes de la dépression, il a dépassé le stade du burn-out.

- Je suis désolé de ne pas avoir su plutôt combien tu allais mal, chuchote Ali.

- Ce n'est pas de ta faute. C'est mon cerveau qui disjoncte et je te vois venir, ne me sors pas de phrases toutes faites, genre que rien ne cloche chez moi ou que je suis parfait.

- Bon très bien, soupire le loup-garou. Je ne le dirais pas.

- Est-ce que les bisous sont interdits eux aussi ?, demande innocemment Sidney.

Le rire d'Alistair secoue le shaman. Il tressaille lorsqu'une main de son mari remonte le long de son dos. Puis les doigts baladeurs attrapent son menton et relèvent sa tête. Leurs regards se figent l'un dans l'autre. Sidney a l'impression qu'Ali essaye de lire ses pensées. S'il y arrive, il aura de la chance.

Finalement, le noiraud se penche et capture ses lèvres. Il échange un baiser doux, tendre, bien loin de celui de tout à l'heure. Sidney s'accroche aux hanches de son mari, il se concentre afin de rester stoïque. Plus de frottage animal. Cette transmission d'amour suffit à rallumer une étincelle à travers la noirceur qui l'habite. Embrasser l'homme de sa vie est la meilleure sensation au monde.

Au bout de plusieurs minutes de cajoleries, Alistair le libère, sans le relâcher pour autant. Il le comprime contre lui. Même si cela bloque la respiration de Sidney, il se laisse faire. Il ne sera jamais assez près de son mari. Le noiraud faiblit sa prise autour du shaman.

- Donc, maintenant que nous avons réglé ma dévotion éternelle pour toi, si tu me disais ce qui te tracasse ?, lui demande Ali.

- Comment tu sais que...?

- Bébé je t'en prie, c'est insultant envers mes compétences d'alpha.

- T'es chiant, râle Sidney, accompagné d'une tape sur l'épaule du vantard. Plus jamais je ne veux t'entendre te plaindre des pouvoirs de Riley.

Il n'est pas vraiment étonné qu'Alistair ait vu clair dans son jeu. Après tout, il le connaît mieux que personne. Ils voulaient tous les deux oublier leurs problèmes et faire passer leur rage dans les bras l'un de l'autre. Dieu merci, ils n'ont pas cédé à leurs pulsions, grâce à Alistair.

- Bébé ?, le presse celui-ci. Si tu me le disais avant qu'un collègue ne débarque, ou pire Gordon.

- Mes parents seront là dimanche matin, dit-il à toute vitesse.

- Quoi ?

- Mes parents ont su pour mon arrêt ce matin. Ils arrivent dimanche matin.

- Et merde !, s'exclame le loup-garou.

La bonne humeur de Sidney s'écroule à la seule évocation de la visite à venir. Il appréhende et frémi de terreur rien qu'en imaginant les réprimandes de son père. Il est trop faible pour leur faire face sans le soutien d'Alistair.

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