Chapitre 9.

Danvers, 22 mars 2021
7h40, domicile des Geller

Le sorcier écoute religieusement son hôte. Il ne retiendra pas tout. Les choses se corsent lorsqu'Asa allume ce qu'il appelle la télé. Leighton n'arrive plus à détacher ses yeux de ce rectangle d'où les images proviennent. Si bien qu'il n'entend pas le reste des explications. L'essentiel, c'est qu'il sache comment réchauffer son assiette pour midi. Il ne se servira pas de la cafetière, trop dangereux. D'ailleurs, il ne touchera à rien, il ne veut prendre aucun risque.

- Ça, poursuit Asa en revenant à côté de lui, un petit objet en main. C'est le téléphone fixe, tu peux l'utiliser pour m'appeler ou moi, je peux te joindre.

- Je ne comprends pas, avoue Leighton en détournant le regard de la télé.

- Je vais te monter. Tiens, prends-le.

Le jeune homme récupère le téléphone et suit les instructions d'Asa. Il appuie sur la touche avec l'espèce de carnet dessus et le prénom du plus vieux apparaît, il presse ensuite le bouton vert. Il entend un son, avant qu'une musique s'élève dans la pièce. Asa sort son portable et lui montre l'écran. Le mot « maison » est affiché. L'ainé s'éloigne et ordonne à Leighton de placer le combiné contre son oreille. Il s'exécute, peu de temps après, la voix d'Asa résonne dans son tympan. Il sursaute, les yeux écarquillés.

- Comment est-ce possible ?, souffle le sorcier.

- La magie du téléphone, rigole Asa avant de raccrocher.

Leighton tique au terme utilisé. La magie ne peut pas créer une telle chose. C'est impossible que la sorcellerie soit devenue monnaie courante. Il doit forcément s'agir d'une expression du XXIe siècle. Asa ne semble pas avoir perçu son changement d'attitude, car il continue à lui donner des instructions. Comme appuyer sur le téléphone rouge une fois la conversation terminée. Ensuite, Asa effectue le même procédé, mais de son propre portable, afin que Leighton sache décrocher. Pour le moment, ce n'est pas très compliqué, il réussit l'exercice.

- On va le refaire pour être sûr, dit Asa après les manoeuvres finies. Comme ça, si tu as le moindre problème, tu pourras m'appeler et moi aussi je pourrais le faire et m'assurer que tout va bien.

Les voilà repartis chacun dans une pièce. Ils reproduisent les deux processus. Leighton est assez fier de lui, il a compris comment cela fonctionne. Il aborde un sourire satisfait, tandis qu'Asa le félicite. Cet appareil est vraiment pratique pour communiquer à distance et beaucoup plus rapide que les lettres, que lui a connu. Ce siècle promet d'être interessant.

Asa doit partir. À son tour, il met des chaussures et un manteau. Il informe son invité qu'il fermera la porte à clé, par sécurité. Leighton le suit dans le hall, il ne veut pas qu'il parte, mais il n'a pas le choix. Les deux hommes se regardent, ne sachant pas quoi dire.

- Bon, lance Asa incertain. N'hésite pas à m'appeler d'accord ? J'ai mon portable constamment sur moi.

- Oui.

- Ok. Donc heu... j'y vais.

Le visage de Leighton le supplie de ne pas franchir la porte. Il ne veut pas être seul, mais après un dernier sourire, Asa sort de la maison. Le sorcier reste figé à la même place de longues minutes. Un bruit étrange lu parvient de l'extérieur. Il sent les larmes lui monter, mais se refuse à les laisser couler. Le téléphone en main, il hésite à appeler Asa. Il ne peut pas déjà le faire, il va passer pour un faible et le déranger pendant son travail. Leighton réalise qu'il ne sait pas où est parti son hôte, ni quel est son métier.

Ne pouvant pas rester planté ici toute la journée, le sorcier retourne au salon. Il voit les fenêtres et hésite à observer l'extérieur. Si quelqu'un le remarque, il peut le prendre pour un voleur et avertir la police. Il ne veut pas attirer d'ennuis à Asa. Il abandonne donc cette idée. À la place, il retourne dans la chambre où il a passé la nuit.

Il appuie sur le bouton, à côté de la porte et s'émerveille lorsque la lumière apparaît. Il ne fait pas la même erreur qu'hier, il ne regarde pas l'ampoule au plafond. Il s'amuse à l'éteindre et à l'allumer plusieurs fois, si il n'était pas un sorcier, il trouverait cela magique. En un pressement de doigts, on peut éclairer une pièce entière et ce grâce à un petit objet en verre. Il y a beaucoup de choses révolutionnaires en 2021.

Est-ce que les gens de cette époque s'en rendent compte ? Comme ce frigo qui permet de conserver les aliments au frais. La douche qui est tellement plus rapide que de faire chauffer l'eau sur un feu et de remplir une cuve. Sans parler du téléphone ou de la photo.

Leighton arrête de jouer avec la lumière et se dirige vers le lit. Accroupi devant celui-ci, il murmure un sort qui révèle sa besace. Il la récupère avec précaution. Il n'a pas trouvé de meilleures solutions pour la dissimuler de la vue de ses hôtes. Il n'ose pas imaginer ce qui se passerait si Asa ou Phoebe tombent dessus.

Il pose son sac sur le matelas et l'ouvre les mains tremblantes. Il en vide le contenue, afin d'en faire l'inventaire. Sa mère ne s'est pas contenté de lui mettre ce dont il aurait besoin. Elle a mis tout ce qu'elle possédait. Les grimoires de sortilèges, ceux sur les potions, les plantes, les animaux, les créatures. Toute leur bibliothèque est là. Il prend chaque livre, un par un et le range dans la besace. Malheureusement, aucun de ses ouvrages ne l'aidera à comprendre la technologie.

Les fioles de potions, étiquetées bien sur, sont alignés dans des caisses en bois. Il y en a pratiquement pour tout. De même que pour les grimoires, aucune ne lui donnera la connaissance absolue. Détenir les trésors de son clan l'angoisse. Il est censé être en apprentissage. Que se passerait-il si il se sert mal d'une potion ou se trompe sur un sort ? Sa mère ne sera pas là pour rattraper son erreur. C'est trop de responsabilités. Il n'aura personne pour le superviser.

Leighton veut pleurer, encore. Mais cette fois, Asa ne pourra pas le réconforter. Malgré que cela soit inconvenant, surtout entre deux hommes, être aux creux des bras du plus vieux, lui a fait un bien fou. Pas uniquement à cause de ce qu'il cache et il continuera à le faire, coûte que coûte. Personne ne doit le découvrir.

Il secoue la tête, ne voulant pas penser à cela. Il place les caisses à l'intérieur de la sacoche, puis la remet sous le lit et la fait disparaître à l'aide d'un sort. Il ne la touchera plus. Le sac regorge de souvenirs qui lui brisent le coeur. Il entend la voix de sa mère lui apprendre comment confectionner une potion, la façon de lancer un sortilège, ses sourires encourageant, ses mots d'amour.

Il ne perd pas de temps à réfléchir et redescend au salon, là où il a laissé le téléphone. L'appareil entre les mains, il appuie sur le bouton, comme lui a montré Asa. Le combiné contre l'oreille, il attend.

- Leighton, résonne la voix du plus vieux. Tout va bien ?

- Je..., hésite-t-il avant de se rappeler pourquoi il l'a appelé. Non, ça ne va pas.

Il ne sait pas ce que fait Asa au travail, ni même si il peut garder son portable avec lui. Leighton ne connaît pas les coutumes de ce siècle. Cela l'accable encore plus. Il sanglote en se laissant tomber sur le canapé. L'odeur qui en émane est rassurante, de même que d'entendre la respiration d'Asa. Il se sent déjà un peu moins seul.

Salem, 22 mars 2021
9h30, hôtel de ville, section archive.

Au moment où Asa s'apprête à parler à Susann, son portable se met à sonner. Il fronce les sourcils en voyant le mot s'afficher. Déjà ? Il attrape ses écouteurs sans fil, sur son bureau, et s'empresse de les mettre, avant de décrocher. Quand Leighton lui avoue qu'il ne se sent pas bien, il s'éloigne au milieu des étagères. Son amie lui lance un regard interrogatif, auquel il répond par un geste de la main, qui signifie « je t'expliquerais après » .

- Ne pleure pas Leighton, le supplie-t-il en l'entendant. Je suis là.

Son invité renifle doucement. Asa savait qu'il ne supporterait pas la solitude, ni le silence. Il ne va pas endurer la journée entière. L'ainé, ferme les yeux et pose sa tête sur le métal du rayon. À toute vitesse, il réfléchit à une solution. L'avantage de son service, c'est qu'il ne bosse qu'avec Susann. Ils doivent gérer des coups de fil, des demandes de dossiers par mail, mais en soit, il peut rester en communication avec Leighton. Il devra juste trouver du temps libre pour parler à sa collègue.

- Je ne voulais pas te déranger, couine Leighton.

- Ne t'inquiète pas pour ça.

- Tu es au travail et moi, je...

- Je t'ai dit de m'appeler si tu avais besoin, le coupe Asa d'une voix tendre.

- Tu n'es pas fâché ?

- Pas du tout. Tu as bien fait.

Même si son correspondant ne peut pas le voir, Asa sourit, par pur automatisme. Il entend Leighton prendre une grande inspiration, afin de l'aider à se calmer, il lui demande ce qu'il faisait. Un long silence lui répond. Finalement, le jeune homme lâche un « rien » qui sonne faux. Asa n'insiste pas. Il retourne à son bureau, sous le regard attentif de Susann.

Contre toute attente, c'est Leighton qui lance la conversation, en lui demandant où il travaille et en quoi cela consiste. Asa se fait un plaisir de tout lui expliquer. D'ailleurs, tout en parlant, il pianote sur son clavier et ouvre le logiciel des registres de naissances. Dans la barre de recherche, il rentre le prénom, le nom et la ville de naissance de son invité. Il fronce les sourcils lorsque le carré affiche « aucun résultat ». Il change les données pour celle de la mère de Leighton. Résultat similaire.

Aucun Leighton ou Alison Valliere est né à Salem. Il ne laisse rien paraître de son désarroi au concerné. Il note les deux identités sur un post-it et le tend à Susann. Comme c'est la responsable du service, elle a un accès plus large aux archives. Son amie comprend ce qu'elle doit faire, car elle acquiesce et tape sur son clavier.

- Asa, tu es encore là ?, s'inquiète le plus jeune.

- Oui, pardon. Je répondais à un mail, ment-il sans vergogne.

- Un quoi ?

- Un mail, je t'expliquerais ce que c'est plus tard.

- D'accord. La télé c'est fascinant, comment des images, avec du son, peuvent bouger sur un objet si fin et si vite ?

- C'est compliqué et je ne saurais même pas te l'expliquer clairement, mais c'est grâce à l'électricité déjà. Qu'est-ce que tu regardes ? Tu peux changer de chaînes en appuyant sur les numéros de la télécommande que je t'ai montrée.

- Je vais laisser sur cette... chaine. J'ai peur de faire une bêtise sinon.

L'ainé ne parvient pas à retenir son ricanement. Il ne se moque pas non, il est juste attendri par la voix gênée de Leighton. Ce matin, il a allumé la télé sur un canal qui diffuse des rediffusions de séries. Pas sûr qu'elles soient au goût de son invité. Il va être plongé dans un vrai choc des cultures, mais peut-être que cela va répondre à des questions que Leighton n'ose pas poser et l'aider à comprendre plus de choses.

Asa lui propose de se faire un thé, vu qu'il n'aime pas le café. Il lui répète tout le déroulement du procédé et où trouver le sachet. Pendant la préparation, Leighton le questionne sur ce qu'apprend Phoebe à l'école. Il le renseigne avec plaisir. Sa curiosité est mignonne et à un côté enfantin. Asa le trouve beaucoup plus loquace qu'hier ou ce matin. L'angoisse lui délie la langue, visiblement. Mine de rien, il aborde un sourire au coin des lèvres.

- Tu as quel âge ?, lui demande Leighton après l'avoir informé que son thé est prêt.

- Vingt-cinq ans.

- Tu es plus vieux que moi alors.

- Oui, rigole Asa, amusé.

Susann tapote son bras, il la regarde, elle tourne l'écran de son ordi vers lui. Aucune information de son côté aussi. Elle effectue un geste de la main, qui veut clairement dire « c'est quoi ce bordel ? ». Là ce n'est pas normal. Est-ce que les Amish déclarent leurs naissances ? D'ailleurs, est-ce que cette communauté est fichée ? Il pensait avec des renseignements grâce à la basse de données de la mairie. Il est frustré et presqu'en colère contre le jeune homme qui refuse de lui dire la vérité.

- Je vais devoir te laisser un moment, le prévient Asa en essayant de ne pas être trop sec.

- Déjà ?, soupire Leighton déçu.

- Je te rappelle dès que je peux, d'accord ?

- Promis ?

- Promis. À tout à l'heure.

Il raccroche et range ses écouteurs dans leur boîte. Il se rapproche de sa collègue afin d'examiner l'écran. Le logiciel n'a rien trouvé sur Leighton et Alison Vallière. C'est complètement vide.

- Il faut que tu m'expliques là, lui ordonne Susann en le fixant.

- Alors ne t'énerve pas avant que je finisse et ne m'interrompts pas.

- Ça ne me dit rien qui vaille.

L'un des points qu'il apprécie le plus chez son amie, c'est qu'elle veille sur lui sans jamais s'immiscer dans sa vie. Elle a cinquante ans et pourrait être sa mère, mais c'est l'une des personne qu'il aime le plus. Sans elle, il aurait sombré à la mort de ses parents et serait sans boulot. Si il y a bien quelqu'un à qui il peut se confier en toute confiance, c'est Susann.

Alors, prenant son courage à deux mains, il raconte toute l'histoire. Au fur et à mesure, plusieurs émotions traversent le visage de son amie. Il n'omet aucun détail en relatant les faits depuis hier matin. Quand il finit de parler de sa rencontre avec Leighton, il confit ses doutes sur les origines du jeune homme, à cause de son manque de connaissance du monde moderne et de sa tenue.

À la fin de son récit, il est essoufflé. Encore une fois, il se rend compte de l'absurdité de la situation.

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