Chapitre 7.

Danvers, 21 mars 2021
18h30, domicile des Geller

- Aller, on remballe, déclare Asa en se levant. Tu vas prendre ta douche avant de manger Phoebe.

- Ça marche.

La jeune fille acquiesce et sort de la table, ses affaires en main. Elle salue les deux hommes et disparaît à l'étage. Asa récupère la tasse vide, puis à son tour quitte la salle à manger. Ne sachant pas quoi faire, Leighton le suit. Cet après-midi a été riche en annonces et surtout en découvertes. Au moins, maintenant il est fixé sur l'année où il a atterri. L'air de rien, Asa lui a donné l'info, au détour d'une conversation. 

Leighton a besoin de s'occuper, sinon il ne va pas cesser de cogiter sur les centaines d'années qui le séparent des gens qu'il aime. Il savait qu'il s'était réveillé dans le futur aussi éloigné. Là, il s'agit de trois-cents vingt-neuf ans. Leighton sent la tête lui tourner, il tangue dangereusement.

- Hey, ça va ?, s'écrie Asa inquiet, une main sur la hanche droite de son invité, l'autre sur son épaule gauche.

Par réflexe, le sorcier se rattrape aux bras d'Asa. Il était à deux doigts de faire un malaise. Il ferme les yeux quelques secondes, le temps de reprendre contenance. Mais lorsqu'il réalise leur proximité, il s'écarte le visage rouge de gêne.

- Tu veux t'asseoir un moment ?, lui propose Asa d'une voix tendre.

- Non. Je te remercie. Je voulais t'aider.

- Là, j'ai surtout l'impression que tu vas t'écrouler et Phoebe me ferait la misère. Va te mettre sur le canapé.

Le sourire d'Asa finit de le décider. Et puis Leighton n'est pas contrarient de nature. Il n'aime pas les conflits et ne sait pas les gérer, cela le met dans l'embarras. Il les évite au maximum, quitte à passer pour une personne ayant peu de caractère ou peu de personnalité. Une faiblesse que beaucoup ont jouée à Salem Village. Le tout agrémenté d'une timidité maladive. Il n'arrive même pas à se réjouir du fait qu'il ne verra plus ces individus.

Assis, comme la bienséance l'exige, il ne lâche pas Asa des yeux, observant chacun de ses faits et gestes. Il n'a pas compris ce que Phoebe est allée faire. Sa gêne l'empêche d'interroger Asa à ce propos. Il va encore passer pour l'homme étrange. Chacune de ses questions prouve qu'il ne vient pas de cette époque et le trahit. Il ne peut pas se faire démasquer à peine quelques heures suivant son arrivée. Il a très bien remarqué les regards d'Asa. Celui-ci n'est pas dupe et a deviné que Leighton n'a pas dit l'entière vérité. Cela effraye le sorcier. Il doit garder son secret sain et sauf. À partir de maintenant, il ne montrera plus son étonnement face aux découvertes qu'il fera.

- Salade composée et escalope milanaise, ça te vas ?, s'assure Asa en lavant la laitue.

- Oui, merci, répond Leighton, même si il ne connaît pas ses plats.

Ce serait extrêmement impoli de dire à son hôte qu'il ne veut pas manger le repas préparé. La nourriture est trop sacrée pour être gaspillée. Sa mère et lui, vivaient modestement, afin de ne pas être repéré par les autres habitants. Il ne sait pas si c'est toujours le cas, mais en mille-six cent quatre-vingt-douze, les familles titrées étaient au coeur de toutes les attentions. Comme ils ne pouvaient pas se le permettre, ils possédaient une petite demeure, sans personnel et au marché, ils achetaient que le strict nécessaire. La maison d'Asa et de Phoebe est immense, digne des bourgeois que lui connaissait. À la seule différence, le frère et la soeur n'ont pas de domestiques, ce qu'apprécie Leighton.

Phoebe redescend au moment où Asa allait s'occuper de la viande. Leighton retient une exclamation, il a compris le sens du mot « douche ». Si il se fit aux cheveux mouillés de la jeune femme et à son changement de tenue, elle est allée se laver. En général, les filles de bonnes familles ne se montrent pas après leurs bains. Il faut croire qu'en deux mille vingt-et-un, on ne s'embarrasse plus des convenances. Peut-être que c'est lui, qui vivait dans un monde régit de protocoles. Il y en avait pour tout et n'importe quoi.

- Tu peux mettre la table Phoebe s'il te plaît, lui demande Asa.

Leighton commence à se lever pour aider sa sauveuse, mais elle l'arrête d'un mouvement. Asa lance un sourire si tendre à sa soeur que cela serre le coeur du sorcier. Il est fils unique, alors il ne connaît pas ce lien fraternel, ni cet amour. Quand Dorothy est née, il a reporté ce besoin sur elle. Il l'a aimé et considéré comme sa soeur dès la naissance. Après tout, c'est à cela que sert le clan, à donner une famille.

L'image de la fillette apparaît dans son esprit. Petite Dorothy, avec ses boucles blondes, si pétillantes, pleine de joie. Qu'est-elle devenue ? Sa mère était l'une des premières accusées. Le révérend Parris n'est pas cruel au point de s'en prendre à une gamine de quatre ans. Enfin, il l'espère. Dorothy... Pourquoi ne l'ont-ils pas emmené avec lui dans le futur ? Il aurait pu s'occuper d'elle. Il sent les larmes lui monter aux yeux. Il ne peut pas s'empêcher de visualiser le corps de Dorothy pendu à un arbre. Depuis son réveil, Leighton fait tout pour ne pas penser à cela. Sa mère a fait en sorte qu'il échappe à la potence.

Le rire d'Asa le ramène au moment présent. Leighton frotte ses joues et inspire profondément. Il attendra d'être seul pour craquer, c'est indécent de pleurer en société. Il ne veut surtout pas avoir de témoins lorsqu'il s'adressera aux esprits. Il se sent de trop au milieu de Phoebe et Asa. Il n'oublie pas les instructions de Giles, mais peut-être que si il leur disait la vérité, cela permettrait à la fratrie de mieux le comprendre. Non, il n'a pas envie d'être pourchassé par un autre Samuel Parris ou enfermé dans un établissement pour fou.

Leighton croise le regard d'Asa, celui-ci fronce les sourcils posant une question muette. Le sorcier lui sourit afin de le rassurer. Il est de plus en plus sûr que Phoebe est la personne qui devait le trouver. Giles lui a affirmé qu'il serait aidé. Maintenant, il sait que cela ne serra pas uniquement par Sidney. Il a hâte de rencontrer le descendant du shaman. Quelqu'un qui est familier avec l'univers de la sorcellerie, avec qui échanger et surtout qui le comprendra.

- C'est prêt, à table, les prévient Asa en tenant un plat.

Il pose le saladier, ainsi que le plateau de viande au centre de la table. Leighton les rejoint et attend de savoir où s'asseoir, c'est Phoebe qui le guide sur la chaise à côté de son frère. La jeune femme est installée en face d'eux. Asa fait le service, en commençant par leur invité. Leighton découvre ce qu'est une salade composée et une escalope milanaise. Il n'a pas l'habitude des plats si élaborés.

- Bon appétit, lance joyeusement Phoebe.

- Bon appétit, répondent les deux hommes en coeur.

Avant de manger, Leighton regarde comment la fratrie procède. Il mémorise les mouvements, puis les reproduits. Il s'en sort plutôt bien. C'est délicieux, il complimente Asa sur la qualité des plats, c'est la moindre des politesses. Il n'avait jamais goûté à ces associations d'aliments.

- Tu as préparé ton sac pour demain ?, s'intéresse Asa en versant l'eau dans les trois verres.

- Oui.

- Parfait. Il restera de la salade, je te fais une lunch box ?

- Oui. Ça ira très bien.

- Où est-ce que tu vas demain ?, lui demande Leighton paniqué de perdre son repère.

- Au collège, l'informe-t-elle. Je pars à 7h30 et rentre à 15h30.

Il hoche la tête, alors qu'à l'intérieur, il a mille interrogations. Apparemment, en 2021, les filles ont droit à l'éducation. De son temps, seul les garçons avaient ce privilège. Soit en allant en internat, soit par l'aide d'un percepteur. La plupart du temps, il s'agissait des nobles. Lui, c'est sa mère et Giles qui ont joué ce rôle. Les filles avaient des cours, mais sur comment devenir des femmes respectables. Certaines avaient l'autorisation, pas leurs pères, d'acquérir une culture générale. En 1692, il ne fallait surtout pas qu'une femme soit plus intelligente qu'un homme. Elles n'avaient pas accès aux études supérieures.

Leighton trouve cette évolution géniale. Chez les sorciers, se sont les femmes qui dirigent. Déjà, parce qu'elles détiennent le pouvoir. Il n'a jamais rencontré d'hommes sorciers, sa mère lui a souvent dit qu'il était exceptionnel.

- D'ailleurs demain, je bosse, enchaîne Asa. Je pars de la maison à huit heures.

- Oh. Est-ce que tu veux que je m'en aille ?, lâche Leighton, appréhendant la suite.

- Je suis peut-être complètement dingue, mais non. Sans vouloir être méchant, tu n'as nulle part où aller.

- Merci, soupire le sorcier.

- Alors Leighton va rester tout seul à la maison ?, s'inquiète Phoebe.

- Je ne vois pas d'autre solution. Je ne peux pas t'emmener au bureau avec moi, dit Asa en se tournant vers le concerné.

Leighton comprend tout à fait, même si il aurait préféré le contraire. Il ne veut pas rester seul, cela l'angoisse. Il ne veut plus ressentir le désarroi de ce matin lors de son réveil. En dix-neuf ans, il n'avait jamais été seul. Ce n'est pas un sentiment qu'il souhaite revivre. C'est douloureux. Asa lui assure que tout ira bien et qu'il lui expliquera ce qu'il a besoin de savoir demain, avant de partir. Est-ce que son hôte est en train de lui tendre un piège ? C'est trop beau pour être vrai ? Aucune personne saine d'esprit accueillerait un inconnu chez lui, l'hébergerait pour la nuit et le laisserait rester la journée. Non, c'est impossible. Personne n'est aussi gentil, quoi que cela frôle l'inconscience.

À la fin du repas, Leighton aide à débarrasser la table et a nettoyer la cuisine. Une fois encore, il est émerveillé par l'évier. C'est tellement révolutionnaire d'avoir de l'eau qui coule d'un robinet, en accès direct. Lui, il devait aller au puits ou à la rivière avec une grande bassine pour en avoir. Ils étaient obligés de la mettre sur un feu afin d'avoir de l'eau chaude. Alors que là, il suffit de tourner la poignée sur la couleur rouge et hop, l'eau chaude coule directement. Si il n'était pas un sorcier, Leighton trouverait cela magique. Ce mécanisme le fascine.

Asa et Phoebe le conduisent à la chambre qu'il occupera cette nuit. Elle ressemble à celle de son hôte, mais elle ne possède pas toutes les photos. Leighton a l'impression d'être dans une chambre royale et encore, celles qu'il a vu sont moins belles. La parure de lit est magnifique et la couche semble plus confortable que la sienne. Asa se dirige vers la fenêtre et appuie sur un bouton, se trouvant à côté, une sorte de rideaux se baisse, plongeant la pièce dans le noir. La seconde d'après, elle s'éclaire de nouveau, Asa a utilisé le même système que pour la salle à manger, tout à l'heure, grâce à un petit objet en verre au plafond. Comment une si petite chose peut produire tant de lumière ? D'ailleurs, à force de la regarder, Leighton a les yeux qui brûlent, il est obligé de cligner les paupières à cause de sa vue vacillante. Il ne recommencera plus, cela fait mal.

- Je vais te prêter un pyjama, lui annonce Asa sans pouvoir cacher son sourire amusé. Tu veux prendre une douche.

- Oui, je veux bien. Merci.

- Viens, je t'emmène à la salle de bain.

- Bonne nuit les gars, leur lance Phoebe en les croisant au milieu du couloir.

Elle embrasse son frère sur la joue et il fait de même. Leighton est surpris de recevoir cette marque d'affection à son tour. Il est ému et se sent faible par ce simple geste, qui lui rappelle sa propre mère. Elle aussi, déposait un baiser sur sa peau avant d'aller se coucher. Il ne doit pas laisser les émotions le submerger, pas tout de suite.

- À demain, poursuit Phoebe.

- À demain. Dors bien ma puce, réplique Asa.

Leighton se contente d'un signe de main, il a la gorge trop nouée pour parler. La jeune femme disparaît derrière une porte, certainement sa chambre. Asa lui indique que la salle de bain se trouve sur sa gauche. Lorsqu'il entre à l'intérieur, il est surpris par le style et par les meubles. Il tente de camoufler sa réaction, mais ce n'est pas évident. Asa lui explique comment fonctionne la douche, lui donne un gant de toilette et une brosse à dents. Il lui montre où se trouve tout ce dont il pourrait avoir besoin. Leighton essaye de tout retenir.

- Je te laisse deux minutes, je vais te chercher des vêtements pour dormir, lui dit Asa.

À peine la porte fermée, le sorcier se tourne vers ce qu'Asa a appelé W.C. À en juger par sa forme et à sa ressemblance avec des latrines, il pense que cela sert à faire ses besoins. Il doit absolument vider sa vessie. Tant pis, si cela n'a pas cette fonction, il avisera plus tard. Au fond, il y a de l'eau, ce qui confirme son idée. Une fois soulagé, il inspecte le fameux W.C. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne peut pas le porter pour le vider à l'extérieur. Sur le dessus, il y a un rond gris, pendant une fraction de seconde, Leighton songe à la manière dont Asa a fermé le rideau. N'ayant rien à perdre, il presse le bouton. Il sursaute lorsque de l'eau jaillit sur les parois. Son urine a disparu.

Par chance, Asa n'a pas été témoin de cela. Il revient peu de temps après, avec une nouvelle tenue. Ensuite, il laisse Leighton seul. Il se déshabille et rentre dans la douche. C'est la première fois qu'il va se laver de cette façon. Il suit les instructions d'Asa et enclenche le robinet. L'eau qui sort du pommeau le surprend, elle tombe comme la pluie. Il retient un cri, mais recule afin de ne plus recevoir d'eau. Il tourne la poignée du côté rouge, elle devient plus chaude. C'est agréable. Leighton voudrait rester des heures dans cette douche. Où est-ce que l'eau est puisée ? Vont-ils être à court d'eau ? Malgré ce pur moment de détente, il n'oublie pas de se savonner.

C'est avec beaucoup de regret qu'il coupe le robinet. Il récupère la serviette, donnée par Asa, et s'enroule dedans. Il s'essuie rapidement. Sur la pile de vêtement, il y a un autre caleçon, cette fois, il n'a pas le choix de le mettre. Il enfile le reste du pyjama. Se brosser les dents, est une autre paire de manche. D'habitude, il utilise une potion. Ce n'est pas une technique qu'il connaît. Leighton prend le dentifrice, montré par Asa, puis en met sur les poils. Il place la brosse contre ses dents et essaye tant bien que mal de les laver. Le résultat n'est pas concluant.

- C'est tout bon ?, lui demande Asa, à sa sortie.

- Oui.

- Si tu as besoin d'un truc, tu m'appelles.

- Oui. Merci Asa.

Leighton part dans sa chambre et se glisse sous les draps. À peine sa tête touche-t-elle l'oreiller qu'il se met à pleurer toutes les larmes de son corps.

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