Chapitre 5.
Danvers, 21 mars 2021
11h45, domicile des Geller
Leighton ne peut pas détacher ses yeux de l'appareil. Il ressemble à celui que Phoebe avait dans les mains tout à l'heure. Le jeune homme sursaute lorsque l'objet s'éclaire et que quelque chose apparaît dessus. Il fronce les sourcils, encore plus et se rapproche. D'un seul coup, la lumière disparaît et tout redevient noir. C'est fascinant.
Il veut étudier ce fameux téléphone de plus près. Pas celui d'Asa, non. Asa le paralyse de peur. Il faut dire que l'homme qui lui fait face est impressionnant, pas par sa carrure, mais par l'expression dure de son visage. Sa barbe mal rasée n'arrange rien, elle durcie ses traits et sa mâchoire.
Quand Leighton a émergé, Asa était là, le sorcier a donc essayé d'utiliser son don, mais il était trop fatigué et vu l'énervement de l'autre homme, il a échoué. Asa a employé des jurons, qui en temps normal l'aurait outré, mais ce n'était pas la priorité. Ce qui est sûr, c'est que les infos d'Asa le perturbent et le panique. S'il réfléchit trop, il va refaire une crise d'angoisse. Celle de tout à l'heure était désagréable et douloureuse. Il s'en est sorti grâce à Phoebe. Il suit les instructions qu'elle lui a donné; inspirer puis expirer fortement. Même si son coeur bat, lui aussi, trop vite.
Asa récupère l'objet et le met dans la poche de son étrange pantalon. Il est entouré de nouveauté et elles lui donnent mal à la tête. Il reçoit un surplus d'informations depuis son réveil. Incapable de regarder Asa, il détourne les yeux. Erreur, les meubles sur sa droite lui donne la nausée. Il n'a aucune idée à quoi sert cette pièce. Notamment, ce truc allongé gris qui est énorme, ou encore celui carré, plus petit, enfoncé dans les meubles blancs. D'ailleurs, Leighton n'en avait jamais vu des comme ça.
- Qu'est-ce que c'est ?, s'entend-il demander en murmurant, le doigt pointé sur la pièce.
- La cuisine, lui répond Asa, les yeux fixés sur lui.
- La notre ne ressemble pas à cela.
Leighton regrette ses mots aussitôt sortis. Mais ceci une cuisine ? Ses meubles chez sa mère et lui, sont plus volumineux et en pierre ou en bois. Elle n'a strictement rien avoir avec celle en face de lui. En rassemblant ses pensées, il devine qu'il est à plusieurs centaines d'années de la sienne. Même soixante ans, c'est trop peu pour de telles avancées. Asa va le mettre dehors et il va devoir se débrouiller seul dans cette époque. Asa lui a demandé de lui dire la vérité, mais Leighton ne peut pas.
Il se met à pleurer de désespoir. Comment sa mère a pu lui faire cela ? Sa seule solution est de supplier Asa de le laisser rester chez eux. Pour cela, il doit dire une partie de la vérité. De toute façon, Asa repère facilement lorsqu'il ment.
- Calme-toi Leighton, lui souffle l'autre homme en posant une main sur son poignet par réflexe.
- Valliere, c'est mon nom, avoue-t-il à travers ses larmes.
- D'accord, tu...
- Ne me jette pas dehors ou ne va pas chercher la police, je t'en prie, s'affole-t-il. Je n'ai nulle part où aller. Je n'ai plus de famille, ils sont tous morts.
- Leigh...
Asa est coupé en pleine phrase par la porte d'entrée qui s'ouvre, Phoebe est de retour. En voyant la jeune fille, Leighton s'essuie les joues, mais trop tard, elle remarque son état. Elle court dans sa direction.
- Leighton, s'écrie-t-elle avant de se mettre à genoux devant le concerné. Qu'est-ce que tu lui as fait ?, enchaîne-t-elle en colère, à l'intention de son frère.
- Rien, répondent simultanément les deux hommes.
- Il me parlait de sa famille, reprend Asa.
Phoebe lance un regard compatissant à Leighton. Il aimerait tellement que sa mère soit avec lui, là maintenant et le serre dans ses bras. Elle lui soufflerait des mots doux. Il ne peut pas demander à Asa de le réconforter et encore moins à la jeune fille, cela serait indécent. Il a souvent entendu, par les habitants de Salem Village, qu'il était trop fragile, trop sensible, pas assez virile, trop couvé par sa mère. Un peu honteusement, il avoue qu'il a besoin de contact et de chaleur humaine. La personne qui le faisait n'est pas là.
- Je n'appellerais pas la police, annonce Asa. Pour le moment, je vais te prêter des vêtements plus chauds parce que tu es gelé.
Phoebe a dû mal à cacher son sourire satisfait. Asa l'aide à se relever, grâce à une main sous son coude. Leighton suit le mouvement, tout en prenant sa besace qu'il colle contre sa hanche. Asa l'interroge d'un regard, le sourcil remonté.
- Je ne dois pas m'en séparer, explique-t-il avant de détourner les yeux.
Il ne dit pas un mot de plus et emboîté le pas de son hôte. Ils montent des escaliers et traversent un couloir. L'aspect des murs, ainsi que la décoration, sont si différents de son époque. En mille-six-cent quatre-vingt-douze, il n'y avait que les châteaux et les maisons bourgeoises qui possédaient ce genre de revêtements muraux, qui était en général des tapisseries. Leighton effleure la paroi, elle semble recouverte d'une drôle de substance.
Si une maison abrite tous ses changements, alors quand est-il de l'extérieur ? Leighton ne veut pas le savoir et encore moins le découvrir. Pour cela, il doit absolument convaincre Asa de l'héberger. Il ne survivra pas dans ce nouveau monde. De plus, il a besoin d'Asa pour trouver l'homme dont Giles lui a parlé.
Au moment où Asa ouvre une porte, Leighton remarque que Phoebe ne les accompagne pas. La pièce qui apparaît semble être une chambre, si le sorcier se fit au lit de roi qui est placé au centre. Sa couche, enfin son ancienne, n'a pas du tout cet aspect. Déjà, elle est hyper lumineuse, grâce à la grande fenêtre. Leighton a aussi constaté ce point à l'étage inférieur. Sa maison à lui était beaucoup plus sombre. Était, parce que sa demeure n'existe plus.
- Tu peux entrer, l'invite Asa en voyant le jeune homme figé dans l'encadrement.
En silence, Leighton avance de quelques pas. Jamais il n'aurait cru qu'il serait convié dans la chambre d'un autre garçon, cela ne se fait pas. Cette pièce est trop intime. Il sent ses joues chauffer. Elles rougissent d'autant plus lorsqu'Asa se dirige vers un placard et en sort des vêtements.
- Tiens, je t'ai pris un survêt', un T-shirt et un pull, lui annonce l'ainé en lui tendant la pile d'habit.
Leighton ne connaît aucun des termes utilisés, mais il récupère les vêtements, les mains tremblantes. Asa le prévient qu'il l'attend derrière la porte, pendant qu'il se change, le sorcier est soulagé.
Il déplie le premier linge. Il n'a jamais vu cette coupe, il est habitué aux chemises en lin, à manche longue. Il retire son haut et enfile celui d'Asa. La sensation est étrange, le tissu est léger, Leighton n'aime pas trop avoir les bras nus. Il se dépêche de prendre le « pull » Qu'est-ce que c'est que cela ? Le sorcier trouve ce vêtement hideux. Qu'elle est cette chose qui pend à l'arrière ? Il ne se fera pas à cette nouvelle mode. Il parvient tant bien que mal à mettre le pull. Même si celui-ci est moche, Leighton admet qu'il est chaud et confortable. Il ne reste que le pantalon. Là aussi, le jeune homme est surpris. Il est doux au toucher. Cependant, il rencontre un problème. Si il enlève son caleçon, l sera nu sous l'habit et c'est inconcevable. Tant pis, il décide de garder sa culotte de nuit. Hors de question qu'il emprunte un caleçon à Asa.
Vêtu de ses nouveaux habits, il se tourne vers un grand miroir, posé sur le placard. Leighton ne se reconnaît pas. Ce style est tout sauf élégant, le noir est une couleur de deuil, pas de tous les jours. C'est sûr que les gens de cette époque, passent moins de temps à s'habiller et s'encombrent de moins d'apparat. Il doit bien admettre qu'il est plus à l'aise dans ses mouvements, même si la tenue est moche. Les gens se baladent vraiment fagotés de la sorte ? Enfin, vu comment étaient habillées Phoebe et Estelle, des jeunes filles, plus rien ne peut l'étonner, vestimentairement parlant bien sûr.
Leighton s'observe à travers la glace. Il n'a plus rien de l'homme qu'il était hier soir en se couchant. Il ne le sera plus jamais. Il n'a pas la puissance de sa mère, il n'est pas capable d'utiliser le sort pour faire le chemin inverse, jusqu'en 1692. Il doit se résigner à faire ses adieux à son ancienne vie, mais pas tout de suite, c'est encore trop tôt.
- Leighton, tout va bien ?, l'appelle Asa derrière la porte, ce qui le fait sursauter.
- Oui pardon. J'ai fini.
À peine a-t-il achevé sa phrase, que le noiraud rentre dans la pièce. Il sourit à Leighton, avant de le détailler. Ses yeux s'arrêtent sur les pieds nus du plus jeune. Il va lui chercher une paire de chaussettes. Le sorcier s'empresse de les mettre, ça il connaît. Tant mieux, Asa ne le verra pas hésiter à se vêtir, comme un imbécile. Ce qui a été le cas pour les autres vêtements. Heureusement, qu'il était seul pour ceux-là.
- Tu as moins froid maintenant ?, s'inquiète Asa.
- Oui, merci.
- Super. On peut redescendre, sinon Phoebe va monter et s'assurer que je ne t'ai pas fait de mal ou attacher en attendant que les flics arrivent, rigole l'ainé.
- Quoi ?, s'affole le brun. Mais tu as dit que...
- C'était une blague. Elle n'était pas très drôle.
Leighton secoue la tête de gauche à droite. En effet, l'humour ne semble pas être le point fort d'Asa. Ils sortent tous les deux de la chambre. En face de la porte, le sorcier remarque des petites peintures encadrées. Curieux, il s'en approche. Il est impressionné par le réalisme. Sur l'une des représentations se trouvent ses hôtes, avec deux autres adultes, sûrement leurs parents. Qu'est-ce que c'est beau.
Il colle presque son nez au cadre, il veut détailler ce travail d'orfèvre. De plus près, il constate qu'il n'y a pas les coups de pinceaux habituelles et les couleurs ne semblent pas être faîtes de peintures. C'est comme si quelqu'un avait immortalisé la scène et l'avait directement transmise sur ce cadre.
- Qu'est-ce que c'est ?, demande-t-il à Asa, qui se trouve derrière lui.
- Une photo.
- C'est beau. Je n'en avais jamais vu, souffle-t-il si subjugué par ladite photo, qu'il ne fait pas attention à ce qu'il dit. Quel genre de peinture est-ce ?
- Ce n'est pas une peinture. La photo se réalise avec un appareil, puis on l'imprime.
- Je ne comprends pas les mots que tu utilises, avoue Leighton en regardant les autres cadres accrochés au mur.
Le jeune homme ne peut pas détacher ses yeux des photos. C'est vraiment magnifique. Il n'a plus qu'une idée, étudier cette méthode et voir comment elle fonctionne. Timidement, il fait cette remarque auprès d'Asa, celui-ci accepte, une drôle d'expression sur le visage. Il sort de sa poche le fameux téléphone, qu'il lui a montré tout à l'heure. Il le lève devant sa tête et lui demande de sourire. Leighton ne saisit pas la raison, mais il s'exécute. Il entend un bruit et la seconde d'après, Asa s'approche et lui montre.
- Oh, s'exclame-t-il stupéfait.
C'est lui sur le téléphone, dans la position exacte qu'il était. Comment est-ce possible ? Avant pour une telle représentation, il fallait attendre, statique, pendant des heures, le temps que le peintre fasse son travail. Là, il a suffi d'un quart de seconde à Asa. Incroyable. Leighton veut essayer.
- La photo sert à immortaliser un moment, une personne ou un paysage, comme ça, tu peux la revoir quand tu veux, explique Asa d'une voix tendre.
- Cela n'existait pas à mon..., commence le brun avant de se rendre compte de ce qu'il allait dire.
- Quoi ?
Leighton se mord la langue. Il s'est laissé emporter par l'adrénaline de la découverte. Il était à deux doigts d'avouer qu'il venait d'un temps passé. Vu la manière dont Asa le fixe, il attend la fin de la phrase, mais le sorcier ne la donnera pas. Il esquive les yeux interrogatifs de son ainé, en descendant les escaliers. Il peut sentir l'esprit du plus vieux marcher à toute vitesse, s'imaginant ce que Leighton a avorté.
Il faut qu'il trouve un moyen subtil de découvrir l'année dans laquelle il se trouve. Rien que d'y penser, il a une boule à l'estomac. Son autre préoccupation, c'est de savoir ce qui est arrivé à sa mère et à son clan. Est-il le dernier héritier ? Cette question l'effraye.
Leighton se fige en sentant la main d'Asa se poser sur son coude. Décidément, les coutumes diffèrent des siennes. On ne touche pas les gens de façon aussi intime, surtout un inconnu. Il n'a pas l'habitude d'être si proche d'un homme. Il a toujours pris soin de ne pas le faire, afin de ne pas se trahir. Il ne veut pas penser à cela. Phoebe le sauve en arrivant à leur sauter. C'est officiel, la jeune fille est sa sauveuse.
- Vous en avez mis du temps, s'indigne-t-elle.
- Leighton a découvert la photo, il ne connaissait pas, lui explique Asa en retirant sa main, pour le plus grand soulagement du sorcier.
- Quoi ?, s'écrie Phoebe sans pouvoir cacher sa surprise.
- Oui, murmure le concerné, un peu embarrassé.
- Viens, je vais tout te montrer.
- Phoebe..., l'appelle son frère exaspéré, mais elle l'ignore.
Leighton se laisse emmener dans le salon. Ils s'installent autour de la table basse. Sa sauveuse sort un téléphone, assez similaire à celui d'Asa. Le sorcier la regarde appuyer sur la vitre, il est fasciné par ce mécanisme. Tout en écoutant Phoebe, il détaille sa robe. Elle est beaucoup plus simple et plus courte que les filles qu'il a côtoyé. Apparemment, elles ne s'encombrent plus de toutes ses étoffes. Celle de Phoebe aborde un imprimé étrange, avec des dragons et le tissu n'est pas épais. Il est gêné de baisser le regard sur les jambes de Phoebe, même si elles sont couvertes par des bas noirs, c'est très indécent de les montrer. C'est une mode de maintenant, sinon Asa n'aurait pas laissé sa petite soeur s'habiller de la sorte.
- Heu, excusez-moi de vous déranger, dit le noiraud avec une pointe d'ironie. Mais il faut qu'on parle de la suite. On ne va pas faire comme si cette situation était normale.
Le brun sent son coeur battre à toute rompe. C'est le moment ou l'autre homme va le mettre dehors. Au moins, il aura des vêtements chauds pour affronter l'extérieur. Il déteste sa fragilité, à l'instant où il sent les larmes pousser derrière ses yeux. Même la présence rassurante de Phoebe ne fait pas diminuer son angoisse.
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