Chapitre 4.

Danvers, 21 mars 2021
11h, domicile des Geller

Asa est surpris de constater que la porte d'entrée est déverrouillée. Il donne un léger coup de pied dedans afin de l'ouvrir, ayant les mains prises par des sacs. Il dépose son chargement dans le hall.

- Tu es déjà rentrée Phoebe ?, interroge-t-il.

Personne ne lui répond, mais il entend du bruit provenant du salon. Avant d'aller vider le reste du coffre, il veut s'assurer que sa soeur soit bien chez eux. Il avance de quelques pas, car le mur l'empêche de voir la pièce à vivre. Il s'arrête, stupéfait par ce qui se trouve sous ses yeux.

- Qu'est-ce que...

- Tu es rentré, l'interrompt Phoebe en se levant du canapé à toute vitesse.

Son regard dérive une nouvelle fois sur le gars assis, à côté d'Estelle qui baisse la tête. Asa ne reconnaît pas cet homme, il refait face à sa soeur, qui danse d'un pied à l'autre, visiblement mal à l'aise. Il prend une fraction de seconde pour bien réaliser qu'un étranger est chez lui, et il n'y a pas une minute, était entre deux filles de quatorze ans. Asa sent la fureur s'emparer de lui. Phoebe est complètement inconsciente ou quoi ? D'ailleurs, il lui pose la question d'une voix dure, bourrée de colère. À ce reproche, Phoebe se ratatine sur elle-même, il ne le voit pas, mais Estelle aussi.

- Avant de t'énerver, laisse-moi t'expliquer, le supplie sa soeur.

- C'est trop tard pour ça Phoebe. Je peux savoir qui est ce gars putain ?

La jeune fille sursaute au gros mot, son frère jure très rarement. Preuve qu'il est en train de perdre son sang-froid. Elle tourne la tête en direction des deux personnes assissent, Leighton est toujours semi-inconscient. Estelle tente de lui sourire afin de la soutenir. Asa suit son regard et une lueur de rage passe dans ses yeux. Le fait que l'inconnu soit à moitié dans les vapes, ne l'émeut pas une seule seconde. Il est prêt à appeler les flics.

- Asa, s'il te plaît, implore Phoebe, la voix chevrotante.

Seulement son frère ne se laisse pas amadouer par son ton cassé, qui laisse présager des larmes. Il la presse de lui expliquer la situation. Sa patiente arrive à échéance. Avant que Phoebe ouvre la bouche, un grognement les fait pivoter vers le canapé.

- Leighton !, s'écrie Estelle tandis que le concerné ouvre les paupières.

- Tu es réveillé, enchaîne Phoebe en accourant devant lui.

Asa est abasourdi par ce comportement. Est-ce que Phoebe se rend compte qu'elle joue avec sa vie ? Elle l'a ignoré. Cette fois s'en est trop, son vase déborde. D'un pas rageur, il rejoint sa soeur, qui s'est accroupie face à l'homme. Il attrape son bras, en prenant soin de ne pas lui faire mal et la relève. Phoebe se retient de protester, elle sait qu'elle ne doit pas jouer avec le feu. L'expression de fureur présente sur le visage de son frère, lui bloque la parole. Malgré tout, son instinct la pousse à protéger Leighton. Son frère si aimant d'habitude, va forcément ressentir ce qu'elle-même a senti chez l'homme. Phoebe appréhende la suite, un noeud à l'estomac.

Planté devant l'autre homme, Asa le détaille. Sa colère resurgit en voyant la tenue du mec. Il jure qu'après avoir réglé le problème, Phoebe ne quittera pas sa chambre, sauf pour aller en cours et en ressortira à sa majorité. Les lèvres pincées, ainsi que la mâchoire, il fixe le dénommé Leighton. Il fait fi des yeux éberlués et du visage paniqué de son vis-à-vis. Asa plonge dans ses yeux brillants. Un frisson remonte le long de sa colonne vertébrale, qu'il met de côté.

- Qui t'es ?, l'agresse-t-il.

Phoebe fait un pas et rentre dans le champ de vision de son frère, mais celui-ci lève la main, lui intimant de ne pas bouger et surtout de ne pas parler. Estelle lui envoie un sourire désolé à son amie, enfin il veut aussi dire : « je t'avais prévenu qu'Asa péterait un câble ». L'ainé du groupe bout à l'intérieur, il ne supporte pas que l'autre homme garde le silence. Il remarque ses yeux devenir larmoyant et sa bouche entrouverte sans qu'aucun son en sorte. Asa n'a pas envie de s'attarder sur sa réaction, qui traduit sa peur.

- Je te parle bordel !, hurle-t-il, ce qui fait sursauter les trois autres personnes.

Leighton ne retient plus ses larmes qui se mettent à couler abondamment sur ses joues. Il bégaie, incapable de parler. Il se recroqueville sur lui-même, comme s'il souhaitait se fondre dans le canapé. Un élan de culpabilité étreint Asa, qui s'intensifie lorsque sa soeur se place face à lui et dos à Leighton. Phoebe fronce les sourcils et elle n'a pas besoin d'utiliser de mot pour lui reprocher son attitude. C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

- Il s'appelle Leighton, réplique la jeune fille. Ne lui parle pas sur ce ton !

Asa écarquille les yeux, persuadé d'avoir mal compris l'ordre de sa soeur. Au vu de ses bras croisés sur sa poitrine et de son visage sévère, visiblement, il a bien entendu. Asa n'en revient pas. Phoebe n'est pas en position de protester, ni de demander quoi que ce soit. C'est un comble. En revanche, il n'est pas sans coeur et sait reconnaître quand quelqu'un est effrayé. Ce qui est le cas de ce Leighton. Il prend une grande inspiration afin de se calmer. L'inquiétude le fait agir méchamment, ou comme toute personne normale dans ce genre de station. Si ses parents étaient là, ils seraient touchés par l'air perdu de Leighton. Ils étaient bien trop gentils et serviables.

Phoebe remarque tout de suite le changement chez son frère, car son visage se détend et s'adoucit. Cependant, la jeune fille ne crie pas victoire trop vite. Elle comprend la fureur d'Asa, celle-ci est justifiée, mais Phoebe devine qu'elle diminue au fur et à mesure que les minutes s'écoulent. La bataille n'est pas encore gagnée. Elle va défendre son choix jusqu'au bout.

D'un geste de la tête, Asa lui demande de se décaler, ce que Phoebe consent à faire. Asa est plus calme, il ne s'en prendra plus à son protégé. Les pleurs silencieux de Leighton lui brisent le coeur. Son teint livide réveil son angoisse. Elle croise les doigts pour que son frère fasse preuve de compassion envers l'autre homme et le laisse rester chez eux.

Asa se racle la gorge mal à l'aise de constater l'état dans lequel il a mis Leighton. La culpabilité revient au galop, il déteste faire pleurer les gens. Ce n'est pas son genre d'être aussi désagréable, même s'il a des circonstances atténuantes. Mettant dans un coin de son esprit la petite voix qui hurle d'être plus méfiant face à un inconnu assis sur son canapé. Il finit par poser ses fesses sur le bord de la table basse, devant Leighton.

- Pardon de t'avoir parlé sur ce ton, lui dit-il en reprenant les mots de Phoebe. J'ai un peu perdu mon sang-froid en découvrant un mec que je ne connais pas, entouré par deux ados. Mettez-vous à ma place tous les trois, c'est déroutant comme situation.

Leighton hoche la tête en s'essuyant la joue, d'un revers de la main. Asa attrape son poignet pour observer la paume de plus près. D'ailleurs, la peau du plus jeune est très froide sous ses doigts. Ce geste fait trembler Leighton, sous sa crainte, Asa se précipite de s'expliquer.

- Ta main est toute écorchée, en parlant, il examine la deuxième et constate qu'elle est abîmée aussi. Phoebe, tu peux aller me chercher la boîte à pharmacie s'il te plaît ?

Soulagée par l'attention et la sollicitude d'Asa, Phoebe s'empresse de répondre à sa demande. Lorsqu'elle revient, les mains de Leighton sont posées sur ses cuisses, paumes en l'air. Elle regrette de ne pas avoir vu plus tôt les blessures de son compagnon. Elle tend la boîte à son frère, celui-ci lui sourit en la remerciant. La pression présente dans ses épaules s'évapore d'un seul coup. Elle savait qu'Asa finirait par se ranger de son côté, qu'il ne pourrait pas résister à la bouille attendrissante de Leighton.

- Pendant qu'on discute, je vais nettoyer tes plaies, d'accord ?, le préviens Asa avant de récupérer le sérum physiologique et des compresses.

Il commence par verser le liquide sur les carrés puis doucement, il en fait glisser une sur la peau de Leighton. Il reproduit le même geste avec une autre compresse. Le plus jeune, le regarde faire, complètement subjugué et Asa ne saisit pas le pourquoi. Il remarque à peine Estelle se lever et rejoindre Phoebe.

- Donc, les filles t'ont trouvé où ?, le questionne-t-il et d'un coup d'oeil, il fait bien comprendre que c'est à lui de répondre et non aux deux amies.

- Dans la forêt... un peu plus loin, finis par prononcer Leighton, la voix tremblante, pleine de timidité.

Asa sent son coeur se pincer en entendant ce timbre brisé et en voyant cette expression perdue. Le visage de Leighton est blanc comme sa tenue et surtout, il est épuisé. La posture qu'adopte son corps semble être faite pour le protéger. Pendant une fraction de seconde, Asa se demande si son vis-à-vis ne subit pas des maltraitances. Est-ce la raison pour laquelle il était dans la forêt ? Bien plus curieux que Phoebe, il n'hésite pas à lui poser la question. Un élan de panique traverse les yeux de Leighton.

- Alors pourquoi te cacher dans la forêt de Danvers ?, lui demande à nouveau Asa.

- Dan...Danvers ?, prononce-t-il comme si il n'avait jamais entendu ce nom.

Le soignant improvisé percute qu'effectivement, Leighton ne feint pas sa réaction. Il répète le nom de la ville, de façon presque inaudible. Il ne la connaît pas, pire, ce nom lui est inconnu. Asa fronce les sourcils, même en n'étant pas un féru de géographie, tout le monde connaît Danvers, la ville la plus populaire du Massachusetts, après Salem et Boston.

- Je ne suis pas à Salem Village ?, s'étonne Leighton paniqué.

- Quoi ?, s'exclame Asa, stupéfait par ces mots. Non, nous sommes à Danvers. Heu... Salem village a disparu en 1752.

Les yeux de son interlocuteur s'ouvrent en grand, ils se remplissent d'eau. Ses pupilles naviguent de gauche à droite. Les dernières barrières d'Asa s'effondrent face à la détresse évidente de Leighton. Celui-ci s'enfonce dans ses pensées, qui paraissent bouleversantes, mais Asa ne comprend pas pourquoi. Sa soeur se racle la gorge, il se tourne vers elle et saisit le mot qu'elle murmure, « amish ». Ouais, ça pourrait coller. Asa est septique. Les amish savent bien que Salem Village a laissé place à Danvers au milieu du dix-huitième siècle.

Asa se fige lorsqu'une larme roule sur la joue de Leighton. L'homme marmonne des chiffres, complètement perdu dans une bulle imaginaire. Asa est obligé de tendre l'oreille pour les discerner, « 1692, 1752, 60 ans ». Alors là, l'ainé est paumé, il ne comprend rien à ce charabia.

- Phoebe, raccompagne Estelle chez elle s'il te plaît, ordonne-t-il gentiment à sa soeur.

- D'accord, accepte-t-elle, ne souhaitant pas polémiquer avec lui.

- Et ne ramène personne sur le chemin, ne peut-il s'empêcher de lui dire.

Phoebe lève les yeux au ciel, avant de les poser sur son frère et Leighton. Dans ceux d'Asa, elle traduit une phrase qui lui donne envie de combler la distance qui les sépare, et de le serrer dans ses bras. Parce qu'elle lit : « Tu as bien fait, il est au bord de la rupture ». Peut-être qu'au fond, c'est plus malsain et que c'est plus une curiosité maladive qui motive Asa. Cette éventualité le fait pâlir. C'est beaucoup moins altruiste et cela décevrait Phoebe.

Il attend que les deux filles soient sorties pour poursuivre la conversation. Avant, il doit ramener Leighton dans la réalité. Machinalement, il pose une main par-dessus celle du plus jeune. Ce contact fait sursauter le concerné. Asa a l'impression d'être face à une biche prise entre les phares d'une voiture.

- Leighton, tu peux me dire d'où est-ce que tu viens ?, tente Asa avec une intonation douce.

- Je...je, panique-t-il.

Ok, visiblement, Leighton ne veut pas parler de ses origines, pourtant il va le falloir, parce qu'hors de questions qu'Asa reste sans réponse. Si ça se trouve, des gens sont en train de le chercher et Asa ne peut pas se permettre de s'attirer des ennuis. Il pourrait perdre la garde de Phoebe, ou ses grands-parents pourraient en profiter pour la redemander et l'obtenir. Asa secoue la tête, il ne doit pas penser au pire et ce concentrer sur ce qui se passe dans son salon. Il va gérer problème par problème. La priorité c'est de découvrir qui est Leighton.

- C'est quoi ton nom de famille ?, questionne Asa et il le voit réfléchir à toute vitesse.

- Lawens, répond-il après une hésitation.

- Tu mens et tu le fais très mal.

- Non... je... c'est...

- C'est un mensonge. Tes pommettes sont rouges et tes pupilles partent sur la gauche, constate l'ainé en ne pouvant s'empêcher de sourire.

Cette tentative de mensonge l'amuse plus que ça ne l'agace. Elle est attendrissante, mais en même temps inquiétante. Elle signifie que Leighton ne désire pas dévoiler son identité, ce qui n'est pas surprenant vu le contexte. Asa ne va pas lâcher l'affaire, il ne prendra aucun risque. Après tout, Phoebe peut avoir raison sur son hypothèse, mais Leighton peut être aussi bien un meurtrier recherché, un gars qui s'est échappé d'un hôpital, les possibilités sont immenses.

- Je veux la vérité Leighton. Ne m'oblige pas à appeler les flics, le prévient Asa gentiment.

- À appeler qui ?, demande-t-il en tournant sa tête dans tous les sens.

- La police.

- Comment tu peux l'appeler ?

- Avec un téléphone, répond Asa de plus en plus septique.

- Un quoi ?

- Un téléphone.

Tout en parlant, l'ainé sort son portable de sa poche et le met sous le nez de son vis-à-vis. Leighton écarquille les yeux sans oser prendre l'appareil dans ses mains. Il se penche dessus, afin de l'observer de plus près. Asa est bien obligé d'admettre, une fois encore, que Leighton ne feint pas, il n'avait jamais vu de téléphone. C'est vraiment bizarre, mais l'idée de Phoebe se fortifie.

Parce qu'à part le fait que Leighton soit Amish, rien n'explique ce manque évident de connaissances.

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