Chapitre 31.

Baton Rouge, samedi 17 avril 2021
17h, maison de Virginia

            Recroquevillé dans le fauteuil du salon de Virginia, Leighton ne cesse de pleurer depuis la veille. Son coeur est brisé en mille morceaux. Il a mal, tellement mal qu'il a l'impression d'en mourir. Il se sent éteint, comme si son âme s'était enfermée, loin, très loin, au plus profond de lui. Il est vide, dépossédé de tout ce qu'il a, la seule chose qu'il ressent, ce sont les débris de son coeur.

            Comment après une nuit d'amour parfaite, il peut être aussi malheureux ? Il croyait qu'Asa et lui avait commencé une vraie relation. Son mari a piétiné ses espoirs dès le lendemain avec une cruauté innommable. Les mots utilisés résonnent dans sa tête en boucle. « mariage bidon; tout ça, c'est de ta faute; nous nous en sortions mieux avant que tu débarques dans nos vies et que tu nous apporte que des emmerdes ». Chaque mot prononcé par Asa, est comme un coup de couteau, le tuant progressivement.

            Cette douleur est insupportable. Si puissante, qu'elle l'empêche de tenir debout, ses jambes ne le portent plus. Sa respiration est laborieuse, il a la sensation que quelqu'un lui serre la gorge. Un trou immense a pris place dans sa poitrine, qui saigne abondamment. Il pensait que peut-être, Asa était tombé amoureux de lui. Quel naïf il a été.

            Il ne sait pas quoi faire à part pleurer. Il n'a pas la force de faire autre chose. Il n'a même pas l'envie de bouger de ce fauteuil, juste laisser son chagrin l'envahir et s'y noyer. Il n'a rien avalé depuis son repas de midi, la veille. Toutes nourritures lui donnent envie de vomir. Virginia a essayé de lui parler, de lui proposer de manger, en vain. Son stock de larmes semble inépuisable.

            Il a espéré que ce moment atroce ne soit qu'un rêve, mais non, il ne s'est jamais réveillé dans les bras aimants d'Asa. Les yeux de son mari traduisaient une telle colère que Leighton s'en est retrouvé anéanti, déboussolé. Par les paroles d'Asa, il a compris que celui-ci désirait le voir disparaître de leur vie. C'est donc ce qu'il a fait, au sens littérale du terme.

            Quelles autres options il avait ? Asa a certifié que Phoebe et lui étaient mieux avant, alors Leighton est tout simplement parti. Asa ne veut pas de lui, en vérité, il n'a jamais voulu de lui. Leighton s'est laissé aveugler par l'amour et le lien d'âme-soeur. C'est ce fourvoiement qui est le plus douloureux.

            Durant ses dix-neuf dernières années, il est tombé amoureux qu'une seule fois, qui plus est de l'homme qui lui est destiné. C'est ce même homme qui aujourd'hui l'a brisé. Triste ironie. Sa mère avait tort, l'amour n'est pas le plus beau sentiment du monde. Là tout de suite, c'est le pire.

            Après avoir utilisé le sort de disparition, il a entendu Asa l'appeler, désespérément, mais le mal était fait. Leighton ne voulait pas accéder à cette demande, cela aurait été trop facile. À chaque fois que son mari s'en est pris à lui, il lui a pardonné. Jeudi, ce n'était pas possible, Asa a dépassé les limites.

            La tête enfouie entre ses genoux, il sent quelqu'un lui tirer son pantalon. Il sort de sa coquille, juste en redressant le menton. Il tombe sur la fille de Virginia, Zoey, âgée de quatre ans. Il n'a pas hésité lorsque la sorcière lui a proposé de venir chez elle, le temps de s'éloigner. Par chance, il n'a pas rencontré le clan, uniquement le mari et la fille de Virginia.

- Tu fais quoi ?, lui demande-t-il de sa voix d'enfant, son doudou dans une main.

- Je médite, répond-il après avoir reniflé et s'être éclairci la gorge.

- Pourquoi ?

- Et bien je...

- Pourquoi tu pleures toi ?, poursuit-elle avec une moue songeuse.

- Laisse Leighton tranquille ma chérie, intervient Virginia.

            La sorcière récupère la main de sa fille et l'éloigne, lançant un regard désolé au brun. Zoey demande une nouvelle fois pourquoi elle ne peut pas rester. Un pincement de nostalgie lui serre le coeur. Dorothy aussi était dans sa période « pourquoi ». Penser à la petite fille, lui rappelle à quel point sa famille lui manque. Ne pas savoir ce que sa mère aurait dit de son mariage, le tue.

            Virginia revient au salon, après avoir demandé à sa fille de jouer dans sa chambre. La cheffe sourit en regardant son portable. Leighton a laissé le sien à Danvers et il ne s'en porte pas plus mal. Il n'aurait pas supporté de surveiller toutes les secondes si Asa l'a contacté ou pas. La sorcière pose son téléphone sur la table basse, puis s'assoit sur un autre fauteuil, à côté de Leighton.

- Je comprends ce que tu ressens, lui dit-elle. Lorsque Niall a su qui j'étais, nous nous sommes disputés et il est parti.

            Ne sachant pas quoi répondre, il hoche la tête pour montrer à Virginia qu'il l'écoute.

- Il est revenu, c'est excusé et nous avons parlé. Les humains ne sont pas comme nous, ils ne réagissent pas de la même manière.

- Je sais, réplique-t-il en soupirant, résigné. J'ai senti une grande tristesse et une grande colère chez Asa dès notre rencontre.

- Je l'ai senti également, lui avoue-t-elle songeuse. Alistair aussi, mais ça n'a rien à voir avec toi, ne t'inquiète pas.

- Je ne sais pas comment l'aider et cela me peine. C'est mon âme-soeur, je devrais être capable de l'aider et il devrait pouvoir se reposer sur moi.

- Soit patient Leighton, votre relation est récente. Il faut que tu laisses le temps à Asa de s'acclimater à sa nouvelle vie.

            Le sorcier acquiesce. C'est ça le problème, il est trop impatient. Parfois, il oublie qu'en trois semaines, Asa a appris que le surnaturel existe et il s'est retrouvé marié avec un homme qu'il connaît à peine. Cela rendrait fou n'importe qui. Malgré leur nuit, Asa a peut-être besoin d'encore un peu de temps. Mais cela justifie-t-il sa cruauté ? Leighton n'en est pas sûr.

- Il m'a fallu un sacré paquet de mois pour bien assimiler que je sortais avec une sorcière, qui plus est, la future cheffe de clan, intervient Niall en souriant tendrement à sa femme.

- Tu as failli tomber dans les pommes la première fois que tu m'as vu utiliser le sort ménagé, se moque la concernée.

- Ça m'a un peu surpris d'arriver chez toi et de voir des tonnes d'objets voler à travers la pièce.

            Le couple rigole au souvenir de cette journée. Leighton esquisse un sourire mi-attendri, mi-crispé. Il ne peut pas s'empêcher d'être jaloux de la complicité entre Virginia et Niall. Il aurait aimé partager la même avec Asa. Il se rappelle le soir où son mari l'a vu confectionner ses potions, il l'a regardé faire, les yeux plein de fierté. Leighton donnerait tout ce qu'il a pour revenir à ce jour-là.

            Sentant le malaise grandir chez le sorcier, Virginia détourne la conversation. Ils sont interrompus par la sonnette de la maison qui retentit. Niall se lève, après avoir lancé un clin d'oeil à sa femme, celle-ci, sourit de toutes ses dents. Elle sort du fauteuil, puis se place devant Leighton.

- Ça va aller, lui dit-elle en tapotant son genou.

            Elle quitte la pièce pour se diriger vers les escaliers. Le sorcier sent son coeur battre plus vite, sa peau le picote. Lorsque Niall revient, il sait qui se trouve derrière lui, avant même de le voir.

            Leighton fixe son mari, la bouche ouverte, complètement tétanisé. À sa grande honte, ses yeux s'humidifient. Il ne s'attendait pas à ce qu'Asa fasse le trajet jusqu'en Louisiane. Virginia revient, accompagnée de sa fille, toutes les deux sont vêtues de leurs manteaux.

- On vous laisse discuter en privé, dit-elle, alors que son mari met lui aussi un blouson.

            Il a envie de hurler non, il ne veut pas que la famille parte, ni être seul avec Asa. Paradoxalement, il veut sauter dans les bras du noiraud et ne plus les quitter. Avant de sortir, Virginia se tourne vers Leighton et lui sourit. Le bruit de la porte qui se referme derrière la famille, résonne dans toute la maison. Les jeunes époux se retrouvent seuls. Le sorcier refuse de fixer son mari plus longtemps. Il ravale ses sanglots et pose son regard sur la télé éteinte.

- Salut, chuchote Asa, en se dandinant d'un pied à l'autre, mal à l'aise.

            Leighton préfère garder le silence. Ce serait trop facile si d'entrer de jeu, il craquerait. Non, il va laisser le noiraud ramer. Il est à des années lumières de se douter de la détermination d'Asa. Celui-ci s'avance prudemment, puis s'agenouille devant lui. Il a beaucoup de mal à rester neutre face à la présence et à l'odeur de son mari. Il ne fondra pas contre ce corps qui lui a manqué. Il ne sera pas aussi faible. Ça ne l'empêche pas d'observer Asa du coin de l'oeil. L'attraction est plus forte que sa volonté. Déjà que son coeur est en train de le trahir, il bat tellement fort qu'Asa est obligé de l'entendre.

            Les mains hésitantes, le noiraud finit par les placer sur les genoux de son mari. Le souffle de Leighton se coupe. Il se déteste d'avoir des réactions aussi vives.

- Je sais qu'un simple « je suis désolé » ne suffira pas, commence Asa d'une voix douce. Il ne va pas te faire oublier les mots horribles que je t'ai dits.

            Le sorcier se mord la langue, afin de ne pas briser sa promesse et de répondre à son mari. Il perçoit le soupir discret d'Asa. D'ailleurs, lui aussi semble au bout du rouleau, fatigué, si Leighton se fit aux cernes immenses sous ses yeux. Il ne tire aucune satisfaction à voir son mari dans cet état, mais il n'ira pas le réconforter. Il garde la même position et tend une oreille pour écouter les explications. Secrètement, il doit bien avouer qu'il est touché, heureux et bouleversé de voir Asa, surtout en sachant le trajet qu'il a effectué.

- Mon principal défaut, c'est que je suis trop impulsif, continue le noiraud. Parfois, ça me fait dire des choses que je ne pense pas, comme jeudi. Je sais que ça n'excuse pas mes propos. Ma colère n'était pas dirigée contre toi, enfin elle n'aurait pas dû l'être, tu n'y es pour rien.

            Leighton retient un ricanement. Pourtant, Asa a affirmé le contraire. Il est responsable de tous leurs malheurs. Néanmoins, il sent de la sincérité chez son mari, avec du regret. Il pourrait confirmer son impression, en fouillant son aura, mais il refuse d'espionner Asa sans son consentement. Il ne lui a pas parlé de ce pouvoir particulier que possèdent les sorciers, hommes. Il n'aidera pas Asa à se faire pardonner, il va lui rendre la tâche difficile.

- Je sais que tu m'en veux Leighton, mais dis quelque chose, s'il te plaît, n'importe quoi, enchaîne l'humain.

            Le brun inspire avant de faire face à l'objet de ses tourments. Il écarquille les yeux en constatant de plein fouet le visage anéanti d'Asa. Il ne doit pas se laisser amadouer. Lui, n'a fait preuve d'aucune clémence lorsqu'il lui a balancé ses horreurs, quand bien même Leighton le suppliait d'arrêter. Alors à son tour, il dit la seule chose blessante à laquelle il pense :

- Tu as dit que Phoebe et toi, vous étiez mieux sans moi, plus en sécurité, plus heureux, donc je suis parti.

- C'est faux !, s'écrie Asa mortifié. Nous n'étions pas mieux sans toi. C'est tout l'inverse. On est heureux depuis que tu es arrivé parmi nous. Leighton, tu es ce qui est arrivée de mieux dans notre vie.

            Le coeur du sorcier est prêt à sortir de sa cage thoracique. Il ne peut pas lutter contre l'émotion de joie qui l'enveloppe. Asa lui dit la vérité, il la ressent jusque dans ses tripes. Son mari avance sa main vers son visage, hypnotisé, il le laisse faire. Malgré sa peine, il a besoin de ce contact. Les doigts d'Asa effleurent sa joue, puis dégagent une mèche de cheveux de son front. Ils finissent par serrer les siennes. Toutes les réticences du sorcier s'évaporent. Il baisse la tête lorsqu'une larme s'échappe de son oeil. Il ne peut pas lutter contre l'attraction que dégage Asa.

- Tu m'as brisé le coeur, avoue-t-il la gorge enrouée de ses pleurs.

- Je sais et...

- Non, tu ne sais pas, le coupe-t-il en relevant la tête, prêt à faire face à son mari. Tu l'as littéralement brisé. Je ne méritais pas ta colère, même si oui, mon arrivée vous a mis en danger. Nous venions de passer une merveilleuse nuit tous les deux, mais le lendemain, tu l'as jeté aux oubliettes. Tu as dit que notre mariage est bidon. Je sais qu'on nous a forcés la main pour nous marier, mais après notre nuit, je pensais que tu étais moins navré de notre union. À tort, je pensais que tu en étais même heureux.

            Après sa tirade, Leighton reprend son souffle, sous le regard abasourdi d'Asa. Il avait besoin de prononcer ses mots, afin que le noiraud comprenne son mal-être. Asa resserre sa prise sur ses doigts, il lui fait d'ailleurs un peu mal. Les larmes continuent de couler sur son visage. Les mains emprisonnées dans celles de son mari, il ne peut pas s'essuyer les joues.

- Je n'ai jamais été navré de t'épouser, lui assure Asa. Tu as raison, je suis heureux de l'avoir fait. Pour moi aussi, notre nuit était merveilleuse, la meilleure de toute ma vie et tu ne peux pas savoir comme je m'en veux de l'avoir gâchée le lendemain. Pardonne-moi Leighton.

- Tes paroles étaient si douloureuses, couine le sorcier. Elles le sont encore. J'ai l'impression que tu ne t'es jamais intéressé à moi, ni à ce que j'étais.

- Tu te trompes. Je n'ai pas pu décrocher mon regard de toi, et ce, dès le premier jour de notre rencontre.

- Tu ne l'as jamais montré, le contre-t-il sur un ton de reproche.

- Tu n'aimes ni le coca, ni le café, tu adores le thé, commence à énumérer Asa, avec un sourire amusé. Ta couleur préférée est le vert, couleur de ton élément. Ton plat préféré est la pizza, tu n'aimes pas trop les burgers parce que tu ne les trouves pas pratiquent à manger. Ton dessert fétiche, les donuts au chocolat. Tu affectionnes les vestes plus que les pulls, sauf les miens que tu me piques le soir pour te réchauffer.

            Leighton le fixe la bouche ouverte, stupéfait qu'Asa ait remarqué toutes ces petites choses chez lui. Comme le fait qu'il travaille plus les potions que les sorts, que son expression favorite est sapristi, que chaque soir, il adresse une prière aux esprits, qu'il préfère utiliser sa potion pour se laver la bouche et les dents, plutôt que de ce les brosser.

- Tu sais pourquoi je fait attention à tout ce que tu fais ?, lui demande-t-il, ce à quoi Leighton secoue négativement la tête. Parce que tu es mon âme-soeur et parce que je t'aime.

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