Chapitre 2.

Danvers (anciennement Salem Village), Dimanche 21 mars 2021
6h40, dans la forêt

            Lorsqu'il émerge de son sommeil, Leighton devine que quelque chose ne va pas. L'odeur d'herbe et l'humidité sous son corps, ne lui sont pas familières. De plus, au lieu d'entendre sa mère s'affairer dans la pièce à côté, il perçoit le bruit d'oiseaux au-dessus de sa tête. Il sent un poids sur son ventre. Pris de panique, il ouvre enfin les yeux. Il est entouré d'arbres et de terre. Visiblement, il se trouve dans une forêt.

            Le coeur battant à toute rompe, Leighton se relève. La besace tombe à ses pieds, tandis qu'il tourne la tête dans tous les sens. Ce décor ne lui est pas étranger, il ressemble à celui qui borde sa chaumière, mais en même temps, il n'est pas comme d'habitude. Cette chose marron d'une matière indéchiffrable n'était pas là hier, elle contient des emballages eux aussi inconnus. Leighton en fronce les sourcils d'incompréhension. Sa maison n'est nulle part en vue, ce qui est étrange, car il n'a jamais déambulé la nuit et encore moins sans s'en rappeler.

            Il revient sur ses pas et ramasse le sac, celui-ci appartient à sa mère. Un terrible pressentiment s'empare du jeune homme. Il ouvre la besace et voit en premier une lettre. Il s'empresse de la récupérer, puis de l'ouvrir. Il reconnaît l'écriture délicate de Giles.

« Cher Leighton,

Le temps presse, alors je ferais vite. Ta mère a fait un choix afin de te protéger du procès à venir. Pour cela, elle a utilisé un sort qui t'a permis de voyager dans le futur. Je suis désolé de te le dire comme ça, mais à l'heure où tu vas lire cette lettre, tu es au même endroit qu'hier, mais à une autre époque.

Beaucoup de choses auront changé, t'acclimater à ces modifications sera dur. J'ai confiance en toi, ta mère à confiance en toi. Tu vas réussir. Reste où tu es, quelqu'un va te trouver et il faut absolument que ce soit elle. Ne quitte jamais la sacoche des yeux. À l'intérieur, nous avons rassemblé tous les grimoires que ta mère possédait, toutes les potions et autres ingrédients dont tu pourrais avoir besoin.

Lorsque tu seras à l'abris, dans une maison, cherche Sidney Calvinha, il s'agit de mon descendant, il pourra t'aider. Ne révèle pas qui tu es, tu ne sais pas sur qui tu peux tomber. J'ai parlé avec les esprits, tu vas t'en sortir Leighton. Tu seras forcément déboussolé au départ, perdu dans ce nouveau monde, cela passera. Tu seras aidé.

Surtout, n'oublie jamais que ta mère t'aime plus que tout et c'est pour cette raison qu'elle a utilisé ce sort. Elle voulait te protéger et grâce à cela, tu seras en sécurité. Nous sommes désolés d'avoir pris cette décision sans t'en parler au préalable mais l'heure était à l'urgence.

Pardonne-nous Leighton. Notre rôle est de te protéger, toujours, quoi qu'il arrive et c'est ce que nous avons fait.

Tu as des vêtements de rechange dans le sac.

Giles. »

            Les larmes inondent les joues du jeune homme. Cela ne peut pas être vrai, il n'est pas dans le futur. Complètement paniqué, il fouille dans le sac. Toutes les affaires citées, s'y trouvent. Il tourne en rond, ne sachant pas quoi faire. Pris d'une certaine hystérie, il se met à crier.

- Maman !, hurle-t-il à plein poumon à plusieurs reprises, au bord du désespoir.

            Sa voix résonne à travers la forêt, bien entendu personne ne lui répond et surtout pas sa mère. Pourtant, cette fatalité ne l'arrête pas, il crie a en avoir mal à la gorge. Après plusieurs minutes à s'égosiller, il admet que cela est peine perdue. La vérité l'assène d'un seul coup et il s'effondre sur le sol. Les mots de Giles tournent en boucle dans sa tête, en particulier le mot futur. Tous les indices sont là, confirmant qu'il est bien dans une autre époque, mais Leighton reste dans le déni.

- Maman, couine-t-il assis par terre, les bras autour de ses jambes. Pourquoi tu as fait cela ?

            Sa voix n'est qu'un murmure, complètement brisée par ses pleurs. De façon incontrôlable, son corps bascule d'avant en arrière. C'est un cauchemar dont il va bientôt se réveiller. C'est impossible pour Leighton de se dire qu'il est assis là où se trouvait sa chambre et que sa maison entière a disparue. Tremblant de tout son être, il se relève tant bien que mal et récupère la sacoche, avant de reprendre la même position, mais contre un arbre cette fois-ci.

            Leighton pleure de plus belle, recroqueviller sur la besace. Il a froid, seulement vêtu de sa chemise et d'une culotte longue, qu'il utilise pour dormir. L'air passe à travers ses vêtements. Il n'a pas le courage, ni la force de récupérer ceux dans le sac. Il est incapable d'esquisser le moindre geste. Il se sent perdu, abandonné, son coeur est brisé en mille morceaux. Un vide énorme s'empare de lui.

             Mille questions fusionnent dans la tête du jeune homme. Comme l'époque à laquelle il se trouve. Que sont devenus les membres de son clan ? Pourquoi sa mère a-t-elle pris une décision si drastique ? Giles a écrit que c'était pour le protéger du procès et de la potence, mais ce n'est pas ce que souhaitait Leighton. Si on lui avait laissé le choix, il serait resté auprès de sa famille, quitte à mourir avec eux. Il n'a jamais voulu se retrouver seul, séparer des gens qu'il aime par des centaines d'années.

            En rassemblant les indices, il se rend compte que cela faisait quelques jours que sa mère se comportait de façon suspecte. Giles était quant à lui, souvent dans ses pensées connecté avec les esprits. Inconsciemment, Leighton savait qu'ils préparaient un plan, mais il était loin de se douter qu'il en était l'origine, ni la tournure que celui-ci prendrait.

            D'ailleurs, Leighton n'avait jamais entendu parler d'un sort qui permet de voyager dans le futur. Lors de ses cours, sa mère n'a pas abordé une seule fois cette possibilité. Pourquoi n'est-elle pas venue avec lui ? En revanche, si il y a bien une leçon qu'il a retenue, c'est de toujours croire un shaman et d'avoir une totale confiance en eux. Ils sont les protecteurs des clans. Donc, si Giles, lui dit qu'il est dans le futur, alors c'est la vérité. Si il lui ordonne de rester là où il se trouve, car une personne va tomber sur lui, alors il obéit. De toute façon, Leighton ne saurait pas où aller. Il ne veut surtout pas partir à la découverte de son nouveau monde, cela deviendrait réel et il n'est pas encore prêt à l'affronter.

            La tête baissée sur ses genoux, il prie. Premièrement, pour qu'on lui vienne en aide et deuxièmement, pour que les propos de Giles se réalisent au plus vite. Abattu, il continue de pleurer. Peut-être que si il souhaite son retour auprès de sa mère assez fort, le sortilège va s'inverser. Il sait pertinemment qu'il se fourvoie. Il connaît, enfin pensait connaître, sa mère par coeur, comme elle a voulu le protéger, elle n'aurait pas pris le risque que Leighton puisse revenir en arrière. Alison est, ou était, très précautionneuse, ne laissant rien au hasard.

            Une profonde solitude s'abat sur le jeune sorcier. Il ne se sent pas idiot de pleurer en appelant sa mère dans un murmure. Il ne se rend pas compte non plus, que quelqu'un pourrait le voir dans cette position et surtout dans cette tenue, pour le moins étrange. Il est complètement démuni et ce sentiment l'empêche de s'inquiéter de ce détail non-négligeable.

            Il ferme de nouveau les yeux et repart dans ces prières. La seule chose qui le retient de sombrer. Si il s'écoutait, il utiliserait un sort afin de fusionner avec l'arbre et de disparaître. Mais il n'en a pas le courage. Silencieusement, il compte les secondes, cela occupe son esprit et repousse les images de sa famille, qui le hante.

            Après un temps indéterminé, il perçoit le bruit de pas et des voix de filles. Inquiet, effrayé, il relève la tête. Deux silhouettes féminines se trouvent non loin de lui et discutent autour d'un buisson. Il fronce les sourcils en remarquant leurs tenues.

            Diantre, que c'est indécent ! L'une d'entre elles porte une sorte de pantalon bleu - un modèle qu'il n'avait encore jamais vu - et l'autre une jupe qui se termine un peu au-dessus du genou, les jambes couvertes pour des bas noirs. Qu'est-ce que c'est que ces chaussures affreuses et totalement inappropriées pour des jeunes filles ? Quelle est cette chose en guise de manteau ? Et quelle coiffure étrange !

            La panique s'empare de son corps, dans quelle époque est-il tombé ? Cela devient réel, il en a la preuve sous les yeux. Personne ne peut le voir dans la tenue que lui porte, c'est plus qu'inconvenant. Là tout de suite, il regrette de ne pas avoir récupéré les vêtements que sa mère et Giles ont glissés dans la besace.

            Le bruit de son corps qui bouge sur le sol, alerte les deux filles, puisqu'elles tournent leur tête dans sa direction. Le coeur de Leighton s'arrête de battre tant il appréhende. Les filles cessent de parler et le regardent, une expression de frayeur sur le visage. Effectivement, il doit faire peur à voir, assis de cette façon, vêtu de la sorte, ses joues ravagées par les larmes qui y ont coulées et ses yeux rouges d'avoir trop pleuré.

            L'une des jeunes filles, celles aux cheveux noirs se détache de l'arbuste et s'approche de lui, tandis que son amie tente de la retenir. Leighton se pétrifie sur place. Est-ce la personne dont lui parlait Giles ?

- Bonjour, lui lance-t-elle avec un sourire, une fois devant lui.

            La voix du sorcier se bloque dans sa gorge. À première vue, la fille ne doit pas avoir plus de quinze ans. Elle tient dans sa main un objet qu'il ne parvient pas à identifier. L'expression de l'adolescente est bienveillante.

- Je m'appelle Phoebe, poursuit-elle.

- Phoebe, s'exclame son amie en courant vers elle.

            Arrivée à sa hauteur, elle pose une main sur son bras et tente de faire reculer son ami. Leighton l'entend la réprimander de parler et de se présenter à un inconnu. Il inspire profondément avant d'utiliser l'un de ses pouvoirs, réservé aux hommes sorciers. Celui qui permet de connaître les sentiments d'autrui ainsi que l'aura de la personne. Il l'a très peu exploité et n'est pas sûr de réussir.

            Persuadé de son échec, il est surpris de recevoir l'aura de la petite Phoebe de plein fouet. Ses sentiments sont emplis de gentillesse, son aura lui hurle qu'il peut avoir confiance en elle. Alors à son tour, il lui partage ses sentiments, peur, solitude, désespoir, tristesse. Cela semble fonctionner, car les épaules de la fille s'affaissent et ses yeux se mettent à briller.

- Phoebe allons-nous s'en, réplique son amie d'un ton grave. Si ton frère sait que nous sommes ici, il va nous tuer et encore plus s'il apprend que tu as parlé à un inconnu.

- Est-ce que tout va bien ?, lui demande-t-elle en ignorant son amie. Tu as besoin d'aide ?

            Il ne s'offusque même pas de la familiarité avec laquelle Phoebe s'adresse à lui. Il a compris que les manières de vivre et de s'habiller, visiblement, sont différentes. Il ne contrôle pas le hochement de sa tête. Oui, il a besoin d'aide. Phoebe s'accroupit devant lui et le détail, la mine inquiète.

- Comment tu t'appelles ?, l'interroge-t-elle d'une voix douce.

- Lei...Leighton, prononce-t-il la gorge nouée.

- Tu es perdu ?, enchaîne-t-elle, ce à quoi il acquiesce. Où est-ce que tu habites ?

            Leighton sent les larmes lui monter à cette question. Il serait tenté de lui dire qu'il habite là où se tient son amie, mais que sa maison a disparue. Malgré ses efforts, une larme s'échappe de son oeil. Il n'a plus de foyer, plus de famille. Il n'a aucune idée de l'endroit où il va aller à présent. Tout ça, il ne peut pas l'avouer à voix haute.

- Tu as quelqu'un à qui on peut téléphoner ?, poursuit Phoebe.

            Télé... quoi ? Leighton n'a jamais entendu ce mot. Qu'est-ce qu'il veut dire ? En revanche, il sait qu'il n'a plus personne alors il secoue négativement la tête. La vérité sort de ses lèvres et celle-ci l'achève, comme un coup de massue.

- Ma famille est morte, murmure-t-il.

- Oh mon Dieu, s'exclame la jeune fille.

            L'injure de Phoebe lui fait relever la tête. Vient-elle vraiment de jurer de la sorte ? Une fille n'est pas censée utiliser un terme pareil et en plus devant un homme. C'est la pire de toutes les inconvenances. Il a déjà entendu Tituba dire ce genre de mot, voir des pires, mais l'Amérindienne n'est pas connue pour faire dans la délicatesse. En pensant à elle, d'autres larmes menacent de couler. Il doit se reprendre.

- Qu'est-ce que tu fais là ?, lui demande-t-elle. Tu vas attraper froid.

- Je... Je n'ai nulle part où aller, lui dit-il résigné à passer ses jours contre l'arbre.

- Tu veux venir chez moi ?, lui propose-t-elle, devant les yeux écarquillés de son interlocuteur, elle s'explique. Je ne peux pas te laisser là tout seul. Tu vas finir congelé.

- Phoebe !, s'écrit son amie horrifiée par cette idée. Ton frère va péter un câble !

            Phoebe foudroie son amie du regard, lui intimant de se taire. Elle ne peut pas faire demi-tour en abandonnant ce garçon perdu et malheureux comme la pierre. Elle ne ce le pardonnerait pas. Elle a senti tout son désespoir et ce besoin d'être secouru. Il la regarde avec une expression à la fois surprise et reconnaissante. Puis ses yeux se baissent sur sa tenue à lui, il semble réaliser quelque chose, car il tente de se cacher le corps et ses joues se colorent. C'est vrai que Phoebe a rarement vu une tenue comme ça, toute blanche.

- Je... je...

- Viens chez moi, au moins pour te réchauffer, mon frère ne dira rien, dit-elle avec un sourire encourageant.

            Leighton pèse le pour et le contre. Qu'est-ce qu'il à perde en acceptant la demande Phoebe ? Rien, il a déjà tout perdu. Et puis il a confiance en elle, l'aura ne ment jamais, tout comme Giles. Il lui avait dit de rester là, que quelqu'un le trouverait il qu'il fallait absolument que ce soit elle. Elle, une personne féminine. Phoebe est cette personne. Leighton décide de suivre son instinct, son pouvoir ne le trahirait pas.

- Oui, souffle-t-il.

- Super, viens.

            Phoebe se relève et tend une main pour l'aide à faire de même. Gêné de se montrer en tenue de nuit devant une jeune fille, il plaque sa besace sur son bassin et accepte les doigts tendus. Silencieusement, il fait ses adieux à sa mère, à ce lieu qui chérissait tant. Il se laisse guider par Phoebe, sous le regard meurtrier de son amie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top