Chapitre 15.

Danvers, 29 mars 2021
10h, domicile des Geller

Assis en tailleur sur le canapé, Leighton observe Asa faire le ménage. Il lui a proposé d'utiliser la magie, mais l'aîné a refusé, ne voulant pas choisir la facilité. Même si le sorcier est subjugué par l'aspirateur, ce n'est pas une activité qui semble amusante. Après leur réveil et un double café, Asa s'est lancé dans cette tâche, il a passé plus d'une heure à récurer l'étage. Pour le brun, cela est une perte de temps, en un claquement de doigt, il aurait pu faire briller la maison entière. Il maîtrise les sorts ménagé à la perfection.

- Tu es sûr que tu ne veux pas de mon aide ?, répète Leighton pour la énième fois.

- Non, t'inquiètes, je vais laver par terre et après j'ai fini. Je te rejoindrais sur le canapé.

Le sorcier acquiesce en soupirant. À deux ils iraient plus vite, même sans magie, Asa est si têtu. Leighton est heureux d'avoir pu mettre les choses à plat avec le noiraud, celui-ci s'est excusé pour sa réaction de la veille. Il n'en espérait pas plus. Seulement, une part de lui se demande si Asa est sincère et qu'il n'est pas en train de mettre des barrières en eux.

Pourtant, Leighton avait l'impression qu'ils s'étaient rapprochés tous les deux, grâce à ses révélations et qu'Asa n'était plus constamment en colère contre lui. Et puis cette nuit, il l'a gardé dans ses bras. Cela veut bien dire quelque chose, non ? Le brun se sent en sécurité avec Asa, mais peut-être est-ce une simple illusion. Il a tant besoin de cette sécurité, que sa famille lui apportait autrefois, qu'il l'a retranscrit sur son hôte.

Leighton regarde son compagnon s'activer à ce qu'il appelle « laver par terre ». Son coeur bat anormalement vite, à tel point que ce n'est pas agréable, son visage est en feu, il a chaud. Il n'aime pas ce phénomène que produit son corps dès qu'Asa est dans la même pièce que lui. D'ailleurs, celui-ci arrive vers le canapé, il place le balai contre le mur et s'assoit à côté de Leighton.

- C'est bon, soupire le noiraud essoufflé.

Il le trouve beau ainsi, le visage rougit par l'effort, sa poitrine qui monte et descend à vive allure, ses cheveux ébouriffés, sa barbe taillée. Leighton met cette pensée dans un coin reculé de son esprit. La seule qu'il s'autorise, c'est qu'il aime cette époque, les gens se prennent moins la tête avec tout un tas de protocoles. Avant, jamais un gentleman ne se serait montré devant autrui avec un accoutrement aussi négligé.

Leighton se tord les doigts durant de longues secondes, stressé. Hier soir, allongés l'un contre l'autre, Asa lui a chuchoté qu'ils parleraient le lendemain. Le moment est venu. Asa a respecté son besoin de pleurer sa famille défunte, de connaître le traitement qu'ils ont reçu. Au fond de lui, il le savait très bien, la pendaison était ce qui était réservé aux personnes accusées de sorcellerie, mais cela n'en reste pas moins dur à lire. En revanche, Giles a été torturé jusqu'à ce que mort s'en suive. Il ne peut pas accepter cela, son âme pleure, complètement brisée.

- Hey, l'interpelle Asa en posant une main sur la sienne ( geste qu'il fait trop souvent au grand damne de Leighton ). Ça va ?

- Mmmh, acquiesce-t-il d'une voix rauque. Pardon, je pensais à...

- Ta famille, finit le noiraud à sa place.

Ses yeux se posent sur la pile de papiers qu'Asa a imprimé pour lui. Pendant que celui-ci faisait le ménage, Leighton s'est plongé dans l'histoire du procès de Salem, puis comment son village s'est transformé en Danvers. Son ventre est toujours noué par sa lecture. Il ressent le besoin d'en parler, parce qu'il connaissait ses gens, il les croisaient au marché, certain venait chez sa mère boire le thé. Des enfants ont été tués en toute impunité. Cela le révolte, car jamais Samuel Parris n'a été jugé pour avoir condamné et ordonné la mort de ces personnes innocentes. Il tente de contrôler sa colère, s'il la laisse exploser, elle pourrait faire des dégâts.

- Je suis outré que la maison de Jonathan Corvin soit un musée. Cet homme est... il a envoyé des gens à l'échafaud. Tu parles d'un juge, s'écrie-t-il. Tout ce qu'il a fait, c'est se ranger au côté paranoïaque de la population ! C'est ni plus ni moins qu'un couard !

- Je ne peux pas comprendre ce que tu traverses Leighton, mais ne t'énerve pas, tes mains tremblent.

En effet, ses membres sont pris de soubresauts, ce qu'il n'avait pas remarqué. Ses yeux le brûlent. Dieu du ciel, il ne peut pas... pas maintenant, pas devant Asa. Quand bien même celui-ci sert ses doigts entre les siens et caresse ses paumes. Il ne peut pas perdre le contrôle de sa magie, c'est ce qui est en train de se produire, la lumière du salon qui clignote en est la preuve. Plus il panique et plus il perd pied. Sa mère n'est pas là pour l'aider à garder la tête froide.

Sa mère. Dans ses moments de faiblesses, elle lui disait, en le serrant contre elle, de fermer les yeux et de se concentrer, d'invoquer du calme, qu'il devait prendre le dessus sur les émotions négatives, qu'il ne devait pas se laisser submerger. Le stress augmente son état de panique, il doit en faire abstraction. Il clôt les paupières et pense à la voix de sa mère, si douce, presque comme si elle chantait.

- Tu peux le faire mon fils, lui dirait-elle. Tu es fort.

Par-dessus le timbre d'Allison, il perçoit un murmure qui répète son prénom. La voix d'Asa. C'est une mélodie délicieuse à ses oreilles. Une main d'homme se pose sur sa joue, fraîche, elle lui fait du bien. Il ne pense plus qu'à cette peau contre la sienne. Il respire calmement et se focalise sur cette sérénité que lui apporte la présence d'Asa. Il ne perdra pas son sang froid, il ne l'a plus fait depuis ses cinq ans et ce n'est pas aujourd'hui que cela se produira. Sa mère serait fière de lui, petit à petit, il réussit à repousser sa bulle de colère. Le feu finit par s'estomper.

Leighton garde les yeux fermés, le temps de reprendre ses esprits. À l'odeur qui lui titille les narines, il devine qu'Asa s'est rapproché, ses doigts continuent d'effleurer sa joue. Inconsciemment, il penche sa tête contre la main de son hôte et soupire de bien-être. Ce qui est assez paradoxal vu la peur qu'il vient de vivre. Il préfère ne pas penser au désastre que cela aurait été s'il avait laissé explosé sa fureur. Est-ce qu'Asa va prendre peur et le chasser ?

Le sorcier ne s'est pas rendu compte que le noiraud a attrapé ses deux mains dans la sienne. Ses émotions font une chute phénoménale et il se met à pleurer. Asa l'attire contre son corps sans hésiter. Leighton voudrait se fondre en lui, de cette façon, il sera toujours protégé, toujours en sécurité.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?, lui demande tendrement l'aîné.

- Je..., commence-t-il incertain, mais après réflexion, il décide d'être honnête. J'étais en colère et je l'ai laissée m'envahir. Tout va bien maintenant.

- D'accord. Tu avais l'air en transe et que ça te faisais souffrir.

- C'était le cas. Quand je suis en colère, ma magie se rassemble en une boule dans mon ventre, qui grossit, qui brûle, mais je suis parvenue à la faire disparaître. Cela n'arrive pas souvent, c'est même extrêmement rare, s'empresse-t-il d'ajouter afin de ne pas effrayer Asa.

- L'essentiel, c'est que tu ailles mieux et que cette boule a disparue.

Il hoche la tête tout en affirmant qu'il n'en reste plus une trace. Néanmoins, Asa la garde contre lui, un bras autour de son épaule et ses mains toujours emprisonnées dans les siennes. La concentration dont il a dû faire preuve l'épuise, il a envie de dormir. Entendre le coeur d'Asa battre sous son oreille ne l'aide pas à lutter, au contraire, ce son le berce. Il se cale plus confortablement, un soupire de bien-être lui échappe.

- Leighton ?, l'appel son hôte. Tu étais en colère à cause de la maison de Jonathan Corvin ?

- Pas que, marmonne-t-il alors que le sommeil lui tombe dessus.

- Pour quoi d'autre ?

Apparemment, Asa ne veut pas le laisser faire une petite sieste. Résigné et parce que c'était convenu qu'ils discutent tous les deux, il rouvre les yeux. Il ne peut pas espérer que l'aîné le comprenne s'il ne lui explique pas son point de vue.

- Ce que vous appelez le « grand procès de Salem » et que le monde moderne a rendu célèbre, vous vous en servez pour accueillir des touristes. Des gens sont morts, ma famille, des gens que j'aimais, personne ne se souvient d'eux à part moi, personne ne pense à la souffrance qu'était cette période, tout ce que vous voyez, c'est le tourisme que l'événement apporte, donc l'argent qu'il suscite.

- Tu as raison, mais...

- Non laisse-moi finir, le coupe Leighton même si c'est impoli. Un hôtel a été bâti sur l'ancienne maison de Samuel Parris, sais-tu combien cet homme était cruel ? Le nombre de personnes qu'il a torturé, tué ? Des touristes vont dans cet hôtel parce qu'il serait soit disant hanté et qu'ils veulent des sensations fortes. Ils veulent ressentir des frissons, mais ils n'auraient pas tenu deux minutes en 1692.

Leighton s'essuie la joue d'un geste rageur. Il continue en expliquant qu'il trouve ignoble de visiter le cimetière où seraient enterré les victimes, chose que personne ne peut ou ne veut confirmer. Si sa famille repose réellement dans ce lieu, il ne veut pas que des étrangers en bafouillent le sol. Et puis un musée des sorcières ? Lui qui en est un, rêve d'aller voir tous ces imposteurs et de leur cracher son venin. Ils parlent d'un sujet dont ils ignorent tout, ils n'étaient pas là et l'histoire peut être trafiquée, modifiée. Les survivants, les juges, les officiers de l'époque ont pu retourner la situation en leur faveur, écrire ce qu'ils voulaient. Il a l'impression que l'on souille la mémoire des siens.

La preuve en est, les noms des trois premières accusées sont juste, mais pas leurs biographies. Ils ont justifié comme ils pouvaient les arrestations. Seulement, Sarah Good n'était pas une mendiante, Sarah Osborne n'était pas une vieille femme alitée (elle avait d'ailleurs à peine trente ans). La liste des autres noms donnés par Betty Parris et Abigail Williams est fausse. C'est le reste du clan qui a été condamné. Du mois, c'est ce que Giles a dit lors de la dernière réunion et Giles ne se trompe jamais. Quelle est l'excuse pour avoir pendu une fille de quatre ans ? Beaucoup de récits sont un tissu de mensonges.

- Tu as raison, Salem a construit sa répulsion et est connu pour ce procès, réplique le plus vieux la gorge serrée. Excuse-moi, je ne me suis pas mis à ta place, ni comment tu pouvais te sentir en lisant ces feuilles.

- Cela me brise le coeur. Si je vais là-bas, je serai considéré comme un touriste, pas comme le fils d'une des victimes. Peut-être suis-je trop naïf, mais pour moi, on ne crée pas un circuit touristique autour de la mort des gens, c'est irrespectueux. Ces lieux ne sont même pas considérés comme des lieux de cultes, ce qu'ils devraient être.

Leighton est révolté. La ville de Salem s'enrichit sur la mémoire de sa famille. C'est désolant de voir que l'argent dirige toujours le monde. Asa remonte sa main, puis ses doigts passent dans les cheveux de brun. Instantanément, celui-ci se sent mieux, ce geste l'apaise, il pourrait en ronronner de plaisir si ce n'était pas indécent. Bien sûr, il garde une pointe d'amertume et de rancœur, mais Asa n'en est pas responsable.    

Leighton apprécie que le noiraud garde le silence, il n'y a rien qu'il puisse dire, qui le consolerait. De longues minutes s'écoulent ainsi, sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Le sorcier essaye de digérer ce qu'il a lu, pendant qu'Asa caresse son crâne. Il se sentirait hypocrite d'aller se recueillir dans ce cimetière, mais où d'autre pourrait-il aller ? Il ne pense pas être assez fort moralement pour se rendre à l'endroit exact des exécutions. Il est fort probable que l'arbre ait disparu ou pire, qu'un bâtiment soit à sa place.

Une information qu'il a découverte n'arrête pas de traverser son esprit. Qu'est-il arrivé à Lilas ? D'après internet, elle aurait fui le village avant le procès. Est-ce vrai ? A-t-elle vraiment abandonné et trahi le clan ? Peut-être a-t-elle mal pris le fait qu'Alison utilise le sort de voyage sur son fils afin de le faire partir loin de Salem Village.

- Asa, est-ce que je peux te demander un service ?, supplie Leighton au concerné.

- Bien sûr, dis-moi.

- Est-ce qu'aux archives, tu peux chercher une femme du nom de Lilas Mantion s'il te plaît ? En 1692, elle avait trente-et-un ans.

- Je me renseignerais, oui.

- Merci. Elle était dans le clan, mais elle serait partie avant le procès. J'aimerais connaître la réponse.

- Tu l'auras.

Leighton lui sourit soulagé. Maintenant, il est curieux à propos de tout. Il veut savoir ce que sont devenus, après son départ, les habitants, les accusatrices, les juges, Samuel Parris, tout le monde. La rancune qu'il voue à ces gens lui serre l'estomac. Il aimerait que le destin se soit retourné contre eux. On ne peut pas faire du mal aux autres impunément. Ces gens-là avaient leur place en enfer à l'instant même où ils ont prononcé la sentence de sa famille. Et il espère que le Diable leur fait payer cette injustice et ces horreurs. Tout se paye un jour.

La sonnette qui retentit dans la maison, le fait sursauter et crier de peur. Avec la plus grande délicatesse, Asa l'enlève de ses genoux, puis le pose à ses côtés. Fronçant les sourcils, il se lève. Leighton le suit du regard, lorsque le noiraud ouvre la porte, il ne voit pas qui se trouve derrière.

- Heu...Bonjour, dit Asa méfiant.

- Bonjour, je suis Sydney Calvinha. Je crois que Leighton Valliere est ici.

Le sorcier ouvre la bouche en grand, tandis qu'Asa se tourne vers lui, aussi stupéfait. Ses prières ont été entendues et exaucées.

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