Chapitre 11.
Danvers, 22 mars 2021
15h, domicile des Geller
Cela fait trente minutes qu'Asa a raccroché, apparemment son portable n'avait plus de batterie. Leighton n'a aucune idée de ce que ça signifie. Tout ce qu'il sait, c'est que depuis, il se sent seul. Ce matin, Phoebe lui a dit qu'elle rentrait à 15h30, alors il attend que les minutes restantes s'écoulent. Il a passé sa journée, assis sur le canapé. Il n'a bougé qu'au moment du repas. Il a aimé discuter avec le plus vieux, même si parfois il y avait des blancs. Lors de cette conversation, il a pu mettre des mots sur ce qu'il ressent.
Quels genres d'avancées a t-il eut pour qu'une définition soit créée, pour ce qu'il est ? Gay. Ces trois lettres résonnent dans sa tête depuis qu'Asa les a prononcé. Il a toujours cru avoir une tare, parce qu'il n'était pas comme les autres garçons de son âge. Il pensait qu'il n'était pas normal, allant jusqu'à chercher une potion afin de le guérir. En vain, aucun remède existait. Après quelques années à souffrir en silence, il apprend qu'il n'est pas tout seul dans ce cas-là et surtout qui rien ne cloche chez lui. C'est libérateur. Le destin l'a propulsé en 2021 parce qu'il pourrait y être lui-même.
Maintenant qu'il sait que ses pensées ne sont pas impures et qu'il n'est plus obligé de se flageller mentalement à cause de celles-ci, il voit les choses d'une autre manière. Il n'a plus à avoir honte des fantasmes, ni de ses rêves. Asa aussi est attiré par les hommes. Cette information perturbe un peu trop le sorcier. Aujourd'hui, il a le droit de dire qu'il trouve beau un autre garçon et son hôte l'est. À la dérobée, il a déjà observé ceux de son village, mais aucun n'arrive à la cheville d'Asa. Cela vient peut-être de la coiffure, des vêtements plus modernes. Il rougit de ses constatations.
Il secoue la tête, il ne peut pas parler d'Asa de cette façon. La télé s'est éteinte, il y a plusieurs minutes et il ne se rappelle plus comment l'allumer, alors il a tout le loisir de gamberger. La fratrie Geller est devenue son point d'ancrage et il a peur de devoir les quitter. Peur que si il dort, il voyage à nouveau dans le temps. Il ne peut s'attacher à eux, même si c'est trop tard. Son coeur ne se remettra pas d'une autre séparation. Son seul espoir reste la lettre de Giles et ces mots « tu vas t'en sortir Leighton. Tu seras aidé ».
Il sursaute lorsqu'il entend un bruit de clé provenant de la porte d'entrée. Il se relève du canapé, le coeur pulsant à toute vitesse. Quelqu'un pénètre dans la maison.
- C'est moi !, hurle la voix de Phoebe.
Leighton soupire de soulagement. Perdu dans ses pensées, il avait oublié le retour de la jeune femme. Elle arrive devant lui, un sourire immense sur les lèvres, qu'il s'empresse de lui rendre. Il est heureux de la revoir. Elle se débarrasse de son manteau et de ses chaussures, avant de le rejoindre au salon.
- Ça va ?, lui demande-t-elle joyeusement. Ta journée s'est bien passée ?
- Oui, très bien merci. Asa est resté au téléphone avec moi toute la journée.
- C'est vrai ?, s'exclame-t-elle, ce à quoi il acquiesce. C'est trop génial et très gentil de sa part.
Sans savoir pourquoi, ses joues se mettent à chauffer. Pour son plus grand bonheur, Phoebe n'y fait pas attention et l'emmène à la cuisine. Elle sort des placards de quoi leur préparer un goûter digne de ce nom. Comme il n'a jamais mangé ce qu'elle sort, il se fait une joie de déguster. Phoebe lui étale une pâte marron sur une tranche de brioche, en lui assurant que rien n'est meilleur que ce combo. Dès la première bouchée, il admet que la jeune femme a raison. Il en demande une deuxième.
Pendant cet intermède, il s'intéresse à la journée de Phoebe et ce qu'elle a fait au collège. Ce qu'il apprend est fascinant. Les filles et les garçons sont ensemble lors des cours. Ils étudient la même chose de façon égale, sans discrimination de classe sociale. Elle l'informe que son établissement scolaire propose des activités, comme la musique, le théâtre, la peinture, le sport. Phoebe fait partie du club de danse, ses leçons se déroulent le mardi et le vendredi, à la fin de ses cours. Du coup, elle rentre plus tard ses deux jours.
- En parlant d'école, soupire Phoebe, je dois faire mes devoirs avant qu'Asa rentre.
- Je peux t'aider, lui dit-il sans conviction.
Elle lui sourit, n'y croyant pas non plus, mais elle ne veut pas être méchante en lui faisant remarquer. Une fois leurs ventres bien remplis, ils débarrassent la table. Ils se sont préparés un vrai buffet. Leighton avait faim, il n'a mangé que la boîte laissée par Asa et n'a pas osé lui demander ce qu'il pouvait prendre d'autre. Il aide Phoebe à tout ranger et a nettoyer. Puis la jeune femme sort ses cahiers. Il s'assoit à côté d'elle et feuillette un livre.
- C'est mon manuel de math, lui dit-elle. Il nous aide pendant les cours et nos exercices sont à l'intérieur.
- Oh, souffle-t-il.
Il touche les pages et les trouvent plus fines, plus douces. L'écriture est plus petite, moins élégante aussi. Il ne comprend pas les symboles retranscrit, mais en lisant, il remarque que les mots sont différents. Visiblement, il n'y a pas que la technologie qui a évolué, la façon d'écrire aussi. S'il demande à Phoebe de lui expliquer ou de décoder les mots, il va passer pour un illettré.
Il ne perd pas une miette de ce que fait Phoebe. À son époque, les maths étaient beaucoup plus faciles, enfin ce que sa mère lui apprenait. C'est-à-dire la base des calculs, afin de bien préparer les potions, peser les ingrédients, en rajouter, en enlever. Il passe ses doigts sur la reliure, elle est souple et il ne saurait pas dire en quelle matière elle est. De ses livres à lui, sauf ceux avec des illustrations de plantes, il n'y avait pas de tels dessins, ni de couleurs.
- Bon, soupire Phoebe presque en colère. Je n'y capte que dalles, je vais attendre Asa. Il est plus doué que moi en math.
Leighton hoche la tête. Il n'a pas trop saisit les paroles de son hôte, mais par déduction, il comprend qu'elle n'arrive pas à faire ses exercices. Il n'aime pas la voir perdre son sourire et ne pas pouvoir l'aider. Il se sent inutile et stupide. Un sentiment qu'il a en horreur. Vu l'intitulé du prochain manuel « Grammaire et orthographe », cela va continuer. Son manque de confiance revient au galop. Phoebe ne lui en tient pas rigueur, mais elle est si concentrée qu'elle l'ignore. Il ne s'en vexe pas et profite juste de sa présence à ses côtés. Il n'est plus seul.
Avec nostalgie, il songe aux devoirs que lui avait. Ils consistaient à réviser les sorts, retenir par coeur les composants d'une potion, l'ordre exact dans lequel il fallait les mettre. Il adorait les leçons de sa mère, raconter avec une telle passion. Apprendre les origines des sorcières et de sa famille. Il lui restait tant de choses à découvrir. À travers les livres que sa mère lui a laissés, il aura l'impression de revivre ces instants.
Il fait abstraction de ses souvenirs et de ce pincement à la poitrine. Il garde le silence le temps que Phoebe finisse, ce qui prend pas mal de minutes.
- Ça y est, j'ai terminé, soupire-t-elle de soulagement.
- Tu en avais beaucoup, lui fait-il remarquer.
- M'en parle pas. Qu'est-ce que c'est chiant, mais bon pas le choix.
Leighton tique à l'injure. En 1692, si une jeune femme était surprise en train de dire une grossièreté, elle était sévèrement punie. Asa ne va pas se fâcher contre sa soeur et la battre ? Les hommes peuvent jurer comme des charretiers, mais pas les femmes. Du moins à son époque, à l'heure d'aujourd'hui, rien n'est sûr. Après tout, les gens ont le droit d'aimer quelqu'un du même sexe. Plus rien ne peut le surprendre.
- Aller, s'écrie-t-elle en tapant dans ses mains. Place à la détente maintenant.
- D'a...d'accord
- Je vais te faire écouter de la musique. En fait, Estelle m'a demandé de tes nouvelles.
- C'est gentil.
Tout en parlant, Phoebe pianote sur son portable. Il a déjà assisté à un concert à Salem lorsqu'il était plus jeune, mais il se doute que la musique est différente en 2021, comme tout le reste. D'un seul coup, un son étrange sort du téléphone. Il se penche dessus et voit des images qui bougent de la même façon que la série qu'il a regardée ce matin. Finalement, il revient sur sa parole, l'évolution de la technologie ne cesse de l'épater.
- C'est un clip, intervient Phoebe, répondant à son interrogation silencieuse.
Le terme ne l'aide pas plus à comprendre. C'est fascinant qu'un si petit objet puisse émettre de la musique. Il n'a aucune idée de la façon dont cela fonctionne et ses lacunes l'énervent profondément. C'est normal bien sûr, mais très frustrant. Phoebe est loin d'être dupe, alors elle lui montre la manière dont elle s'y prend, grâce à l'application youtube. Il a l'impression qu'elle lui parle une autre langue. Tout ça le dépasse et son cerveau n'est pas conditionné pour retenir autant d'infos.
- Je vais te faire découvrir Stray Kids, j'adore ce groupe, lui dit Phoebe.
Leighton la laisse faire et la seconde d'après, les premières notes remplissent la pièce. Il admet que la chanson a un rythme entraînant qui donne envie de bouger. La jeune femme sourie de toutes ses dents et balance sa tête, les yeux fermés. Le sorcier ne peut pas s'empêcher de reproduire le même mouvement, mais en gardant les paupières ouvertes. Phoebe soulève les siennes et le regarde, heureuse de la voir s'abandonner un peu.
- Il faut que tu laisses la musique pénétrer ton corps, puis te lâcher complètement. Ça libère, lui conseille-t-elle. Je te montre.
Phoebe se lève et s'écarte de la table, avant de s'agiter dans tous les sens. Leighton explose de rire. Ce n'est pas vraiment ce qu'il appellerait de la danse, mais sa sauveuse y met tout son coeur. Elle s'approche de lui, les mains tendues et un sourire espiègle sur le visage.
- Viens danser aussi, lui ordonne-t-elle en agrippant ses doigts.
Elle tire sur ses mains afin de le redresse, ce qu'il fait sans rechigner. Elle lui balance les bras, tout en bougeant son corps. Leighton essaye de la suivre, mais il se sent ridicule. La danse n'a jamais été son point fort, il ne sait pas coordonner ses mouvements sur la musique et avec ses pensées. Celles qu'on a tenté de lui apprendre étaient plus sophistiquées. Ce n'est pas une pratique avec laquelle il est à l'aise. Il faut dire qu'il n'a pas l'habitude de relâcher toute la pression. Pour faire plaisir à Phoebe, il se prête au jeu.
Leighton doit bien avouer que les musiques sont entrainantes et joyeuses. Ils finissent par danser n'importe comment tous les deux. Ils rigolent et le sorcier en pleurait presque de soulagement. Il n'a pas laissé ses émotions sortir depuis des années, qu'est-ce que c'est libérateur. Ne plus être dans la retenue, ne plus être sur ses gardes à chaque action. Il comprend pourquoi Phoebe aime autant ce sport.
Ils sont tellement dans leur bulle qu'ils n'entendent pas Asa rentrer, ils ne le voient pas non plus. L'ainé s'appuie contre le mur du salon et les regarde, une main devant la bouche, pour s'empêcher de rire. Il ne s'attendait pas à cette scène à son retour à la maison. Il a l'habitude des folies de sa soeur, en revanche, il ne pensait pas que Leighton possédait la même frivolité.
À la fin de la chanson, il se fait remarquer en se raclant la gorge. L'effet est immédiat. Les deux acolytes s'arrêtent net et poussent un cri de peur.
- Ça va ?, leur demande Asa l'air de rien.
Il avance dans la pièce et va poser son sac sur le plan de travail à la cuisine. Leighton a les joues rouges et fuit son regard, gêné. Phoebe, elle, n'est pas perturbée le moins du monde d'avoir été surprise. Elle sourit à son frère, le souffle saccadé par l'effort.
- Ça roule et toi ?, lui rétorque-t-elle.
Elle sautille jusqu'à Asa et embrasse sa joue. Elle déborde d'énergie, trop pour une fin de journée. Leighton les observe du salon, un pincement au coeur. Il se contente de faire un signe de la main à Asa. Après leurs révélations, le sorcier est embarrassé de voir son hôte. Ses joues le cuisent. De plus, il a été pris en flagrant délit de danse loufoque. Un gentleman ne se comporte pas de façon aussi dépravante, surtout en compagnie d'une adolescente. Fu un temps où cela aurait crée un scandale.
- Ta journée s'est bien passée ?, questionne Asa.
- Nickel. La routine, lui dit Phoebe en haussant les épaules. J'ai besoin de toi pour mes maths, je n'ai rien compris.
Son frère ricane, mais acquiesce. Il nettoie en vitesse ses affaires et celles de Phoebe. Leighton reprend sa place sur la chaise, sans prononcer un mot. La fratrie Geller s'installe également autour de la table. La jeune femme sort ses cahiers et les revoilà partis dans les exercices.
Le sorcier est de nouveau perdu. C'est le retour des émotions négatives pour lui. Il n'ouvre pas la bouche une seule fois. Du coin de l'oeil, il observe Asa. Sans nul doute, c'est un bel homme. Sa barbe noire encadre sa mâchoire à la perfection et lui donne un aspect négligé tout à fait charmant. Leighton est sûr que c'est l'effet souhaité. Ses cheveux, aussi sombres que ses poils de visage, sont mi-courts et parfaitement coiffés. Il est grand, un peu plus que lui, son corps est plus développé que le sien. La preuve, les vêtements que lui a prêté Asa sont trop larges. Le brun l'imagine dans les habits nobles du 17e siècle, il en rougit. Parce qu'il sait qu'Asa serait magnifique. Il dégage un charisme fou, qui déstabilise Leighton.
- Je hais les maths !, râle Phoebe, ce qui le fait sursauter.
Il écarquille les yeux, se rendant compte de ses pensées. Elles sont totalement déplacées et lui font chauffer les joues. Asa se met à rire, puis il tente de consoler sa soeur. Leighton trouve qu'il a un joli rire. Ça suffit maintenant, il s'interdit ce genre de réflexion. Il n'est pas là pour cela. Mais quand l'ainé se tourne vers lui, et lui sourit, son coeur n'est pas d'accord avec cette idée.
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