Chapitre 10.
Salem, 22 mars 2021
11h, Hôtel de ville, service archives
Susann reste silencieuse longtemps, trop aux yeux d'Asa. Elle a posé sa tête sur son poing fermé, puis elle finit par la hocher.
- Tes parents, surtout ta mère, auraient fait la même chose, dit-elle en souriant. Ils seraient fiers que tu aides cet homme.
Le coeur d'Asa pulse dans sa poitrine, les mots de son amie le touchent au plus haut point. Il appréhendait sa réaction et qu'elle le traite d'inconscient. Son sourire est rassurant. Son avis est primordial pour Asa, pas uniquement parce qu'elle est sa seule amie, mais parce qu'elle connaissait ses parents, mieux que la plupart des gens. Ça lui fait du bien de savoir que son choix approuvé.
- Je ne pense pas que Leighton soit Amish, enchaîne-t-elle. Ils doivent inscrire les naissances dans le registre. Hors là, il n'y absolument rien sur lui ou sur sa mère.
- Il vient bien de quelque part, il n'a pas atterri dans la forêt par magie.
- Je vais éplucher toutes les archives, décrète Susann en voyant le désarroi de son collègue. On va finir par trouver, ne t'inquiète pas.
Asa la remercie avec un soulagement non feint. Même si Susann le soutient, il se rassure encore et lui demande si il doit héberger Leighton pour un temps indéterminé. Sans grande surprise, elle lui affirme que oui et propose son aide au besoin.
- Merci Susann, lui dit Asa avec une telle sincérité, qu'elle lui fait monter les larmes aux yeux.
- De rien mon chéri, c'est normal.
Elle ponctue sa phrase en posant sa main sur celle d'Asa. Entendre ce surnom affectif l'émeut. Cela fait longtemps que quelqu'un ne l'a pas appelé ainsi. Sa mère le faisait. Il a beau avoir vingt-cinq ans et avoir mûri plus vite que son âge l'exige, cette marque d'affection le touche en plein coeur.
Avant leur pause de midi, ils se sont réparti les tâches, Susann se concentre sur les recherches concernant Leighton et Asa sur leur boulot. Il consiste surtout à la demande de documents. Ils ne voient pas beaucoup de monde, alors ils sont assez libres de leurs mouvements. Asa revient sur la boîte mail, prêt à s'acquitter de sa tâche. Ses yeux se posent sur son portable toutes les secondes.
- Rappelle-le, lui conseil Susann qui n'est pas dupe sur les regards de son collègue.
Asa se sent rougir, pris sur le fait. Cela fait presqu'une heure que lui et Leighton ont raccroché. Depuis c'est silence radio. Après tout, avant de couper leur communication, il lui a dit qu'il le rappellerait plus tard. Vu le caractère de son invité, il n'ose pas le faire et attend qu'Asa lui téléphone. Muni de ses airsPods, il comporte le numéro de chez lui. Une pointe d'inquiétude ne quitte pas sa poitrine et ce, depuis son arrivée à la mairie.
- Asa, s'exclame Leighton en décrochant. Tu as tenu ta promesse.
- Oui. Tu sembles surpris ?
- Non, je suis heureux que tu l'aies fait.
Cet aveu le déstabilise un peu et le fait sourire. Afin de se détourner de ce sentiment, il détourne la discussion. Il interroge Leighton sur cette dernière heure écoulée. Celui-ci lui avoue qu'il l'a passé à regarder la télé. Il entreprend de raconter la série à Asa, choqué par ce qu'il a vu. Le plus vieux ricane, imaginant très bien la tête de Leighton à ces moments-là. Plus il entend la voix de son invité et plus Asa veut lui demander la vérité. L'impatience, ainsi que la curiosité, sont ses principaux défauts.
Il remarque, une fois encore, que le timbre de Leighton est enfantin et laisse apparaître toute la douceur de l'homme. Comme un cinquième sens, Asa est persuadé que c'est quelqu'un de bien. Phoebe a vu juste dans son analyse. Asa aurait pensé que ce serait gênant de parler avec un mec qu'il connaît depuis vingt-quatre heures, mais en fait non. Leighton se transforme en vrai moulin à paroles lorsqu'il est stressé. Par ces descriptions, Asa devine qu'il est devant « Gossip Girl » Au moins la série va l'aider à comprendre le fonctionnement des portables.
- Je peux te poser une question ?, lui demande le brun avec timidité.
- Bien sûr.
- Tout à l'heure, dans la télé, ils ont utilisé le mot gay, je ne l'ai pas saisi. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Le plus vieux ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Il s'attendait à des interrogations suites à ces découvertes bien entendu, seulement pas à celle-ci. Il avait oublié que le petit frère de Serena est gay et dans une saison, il sort avec un gars. Asa se racle la gorge, appréhendant la réaction de Leighton. Quelqu'un qui vit éloigné de la technologie, est forcément étranger au concept de la communauté LGBT. Il est même persuadé que c'est prohibé.
- Alors, commence-t-il incertain, être gay c'est aimé une personne du même sexe.
Explication claire et nette, qui est suivi d'un silence. Si il avait utilisé le terme « attiré », il n'est pas sûr que cela aurait éclairé Leighton, c'est trop vague.
- Comme un homme qui aime un autre homme ?, finit-il par lui dire.
- Oui. Ou une femme qui aime une femme.
- Oh, souffle-t-il d'une voix bizarre. C'est possible en 2021 ?
- Et oui. Il y a toujours eu des personnes gay, mais maintenant on a le droit de l'exprimer, de se marier même si on veut.
- Vraiment ?, s'étrangle Leighton et Asa percute qu'il retient un sanglot.
- Oui, Dieu merci le monde a évolué. Chaque série doit avoir un personnage gay, tente de rigoler le noiraud.
Il entend la respiration du brun s'affoler en murmurant des mots. Asa parvient à déchiffrer la phrase « je n'avais pas le droit », ce qui le fait froncer les sourcils. Il le laisse digérer la nouvelle, qui semble le perturber. Le plus vieux n'a pas poussé le vice jusqu'à lui dire qu'il est gay. Un scoop à la fois. Il ne veut pas déclencher une crise cardiaque à Leighton. Le pauvre n'est pas ménagé depuis son arrivée.
- Je crois que c'est ce que je suis, chochotte le brun à voix tellement basse qu'Asa n'est pas sûr d'avoir bien entendu.
- Quoi ?, s'étonne-t-il.
- Gay. J'ai toujours pensé que je n'étais pas normal parce que je ne suis pas émoustillé par l'apparence des femmes. Rien que de le penser était un blasphème. L'église n'acceptait pas ce genre de comportement. Ils m'auraient fait brûler sur la place publique.
- Leighton, respire, le coupe Asa sentant que le jeune homme est en train de paniquer. Personne ne te brûlera parce que tu es gay.
En toute honnêteté, Asa ne s'attendait pas à une telle révélation de la part du plus jeune. Il est à deux doigts de s'étouffer avec sa propre salive. En général, Leighton est si timide, peut-être qu'après toutes ces années de silence, il a besoin d'extérioriser ce secret. Mais merde, on ne dit pas ça comme ça, surtout à un quasi-étranger, sans savoir comment cette personne va réagir. Enfin, le jeune homme n'a pas conscience de l'homophobie présente en 2021.
Asa se rappelle de son annonce à ses parents. Il avait seize ans et au moment de leur avouer, il pleurait toutes les larmes de son corps. Sa mère lui tenant la main et son père s'était levé pour le prendre dans ses bras. Il avait eu tellement peur de les décevoir, qu'ils aient honte de lui. Finalement, il avait eu tout faux. Ses parents étaient des gens formidables, qui ne pouvaient que soutenir leur enfant. Alors ça lui fait de la peine que Leighton n'avait personne à qui se confier. À une époque, l'homosexualité était vue comme une maladie mentale et certain le croit toujours. Asa n'ose pas imaginer ce que vivaient ou ressentaient les gays des siècles précédents.
- J'ai le droit d'avoir ce genre de pensées ?, s'assure Leighton une nouvelle fois.
- Oui. Tu as le droit d'aimer un homme et de le montrer.
- Je ne te dégoûte pas ? Tu ne trouves pas que je suis aliéné ?
- Oula non ! Ne t'inquiète pas, lui répond-il avant d'hésiter à dire la suite. Sinon je le suis aussi.
- Pourquoi tu serais aliéné ?
- Parce que je suis gay.
Le brun lâche une exclamation bruyante qui perce le tympan d'Asa. Il trouve que c'était équitable de lui dire également. De toute façon, Leighton l'aurait su à un moment ou un autre. Après sa confidence, Asa ne se voyait pas garder le silence, cela n'aurait pas été juste. Il cherche une alternative à cette situation gênante, si bien qu'il sort la première blague qui lui vient.
- Je ne te draguerais pas.
- Hein ?, s'étonne le brun, la surprise de l'annonce passée.
- Je... laisse tomber, ce n'était pas drôle.
- Donc, poursuis le plus jeune. Ce n'est pas proscrit de courtiser un homme ?
- Non ça ne l'est pas. Vaut quand même mieux s'assurer que le gars en question est gay, sinon tu peux te prendre un pain.
- Oh, d'accord.
Courtiser. Asa n'a jamais entendu un jeune de dix-neuf ans utiliser ce verbe. Ses grands-parents disaient « fréquenter » au lieu de sortir ou flirter. Cette appellation date d'un autre temps, ce qui est en raccord avec le rester chez Leighton. Où est-ce qu'il vivait ? Asa se demande sérieusement, s'il n'a pas grandi dans une communauté qui a choisi de vivre à la manière de l'ancienne époque. Comme ses férus d'histoire qui reproduisent la guerre de sécession, ou s'habillent à la mode du 18e siècle. Ces gens-là, ne sont-ils pas sensés laisser le choix à leurs enfants de rester ou pas ? Il y a des délires qu'Asa ne comprend pas. Ça le fatigue d'imaginer tous les scénarios possibles concernant son invité.
Au bout du fil, il perçoit la respiration lente de Leighton, qui semble songeur. En vérité, il digère ce qu'il vient d'apprendre. Asa ne sait plus quoi dire afin de combler le vide. Le mieux est peut-être de ne pas prononcer un mot. Le brun a un côté spontané assez étonnant. Comme quoi, il faut se méfier des apparences.
Grâce au silence, Asa entend sa collègue s'acharner sur son clavier et la souris. Elle a les sourcils froncés, ainsi que la mine concentrée. Il ne souhaite pas la déranger lorsqu'elle aborde cette expression. Cela ne servirait à rien, elle est dans sa bulle. Il freine son envie de jeter un coup d'oeil à l'écran d'ordinateur.
- Je me sens soulagé d'un énorme poids, lui dit subitement Leighton.
- Je te comprends. Tu n'as jamais pu en parler, même pas à ta mère ?, s'intéresse Asa, touché.
- Non. J'avais bien trop peur et je ne voulais pas que la honte s'abatte sur maman.
- Tu n'as plus à te cacher.
- Je me sens enfin en adéquation avec moi-même.
- Je comprends, répète Asa, étant passé par cette étape également.
Finalement, se confier à un inconnu est plus facile que de le faire auprès des personnes aimées et familières. Surtout en prévision des conséquences que cela allait amener. Asa le plaint. Pour lui, ce point commun ne change rien, son comportement ne se modifiera pas. Il se sent juste plus proche de Leighton, même si c'est stupide de l'être pour cette raison. Asa n'a jamais apprécié ou comprit le fait d'être solidaire avec tous les gays, comme si c'était un pacte entre eux. Qu'on soit homo ou hétéro, il y a des gens qu'on ne peut tout simplement pas se blairer. Partager une orientation sexuelle n'empêche pas ce sentiment et n'oblige pas une entraide.
Avec Leighton, c'est différent, il avait déjà décidé de le soutenir, avant de savoir qu'il est gay. Il ne le fait pas parce qu'il est forcé, mais parce qu'il en a envie. Il se souvient qu'en terminal, ses profs lui avaient collé le nouvel élève dans les pattes, un connard de première, pour seule raison son homosexualité. Là, il n'avait pas eu le choix et ce jour-là, il a compris qu'une sexualité ne rapprochait pas les gens. Il avait eu envie de frapper ce gars toute la journée. Les expériences forgent la vie, bonnes ou mauvaises.
Bref, il s'égare et le silence qui s'éternise le met mal à l'aise. Il sait que Leighton a le téléphone contre son oreille, car il l'entend. Il a besoin que le brun parle, même si c'est pour dire n'importe quoi.
- Leighton ?, l'appelle-t-il enfin.
- Oui, je suis là.
- Qu'est-ce que tu faisais ?
- Je réfléchissais. Ce n'est pas un hasard si j'ai atterri ici et j'ai de la chance, cela aurait pu être pire.
- C'est sûr, répond Asa mécaniquement.
En vérité, Asa ne comprend pas trop ce que Leighton veut dire. Si Danvers ou Salem, restent des villes tolérantes, il y en a qui le sont beaucoup plus. Le must du must reste Los Angeles, c'est vrai que la Californie est à l'autre bout du Massachusetts, soit plus de cinq mille kilomètres. Ça fait un peu loin et très long pour faire le trajet dans la nuit. Si Leighton vient bien de Salem, il a parcouru neuf kilomètres. C'est léger comme distance. En voiture, Asa met quinze minutes pour rejoindre la ville et vint-cinq jusqu'à la mairie.
L'alarme signalant leur pause déjeuner, retentit. Susann est tellement prise dans ses recherches qu'elle ne percute pas. Asa est obligé de secouer son bras. Il met son téléphone dans la poche de son jean et garde ses AirsPods sur les oreilles. Il essaye de capter le regard de sa collègue, mais elle s'obstine à le fuir. Il verra plus tard, quand elle voudra lui parler, elle le fera.
Il prévient Leighton qu'il va manger, mais qu'il reste en ligne pendant ce temps-là. Il lui propose de pendre lui aussi son déjeuner, comme ça, il pourra lui expliquer en direct le fonctionnement du micro-onde. Il sourit, en entendant le brun s'émerveiller à nouveau.
- C'est si pratique, lui dit le plus jeune. Il n'y a pas besoin de feu pour réchauffer les plats.
- Non, rigole Asa. Évite de foutre le feu à notre maison.
- Je ne ferais pas de bêtises, jure Leighton d'une voix solennelle.
Le noiraud ricane discrètement. Il ne souhaite pas attirer l'attention sur lui. Il pose sa gamelle sur la table, qu'il partage avec Susann. Ils ne sont pas très sociables tous les deux, donc la plupart du temps, ils mangent en tête-à-tête. Il envoie quand même un message à Phoebe pour s'assurer que tout va bien, petit rituel du midi. Lorsque Leighton le prévient que la boîte est chaude, il pique dans sa salade.
- J'ai trouvé des trucs bizarres, intervient Susann, la mine soucieuse. Je dois peaufiner mes recherches.
Asa acquiesce, ne sachant pas trop comment prendre cette nouvelle. Son amie ne rajoute rien, ne s'explique pas.
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