Samedi 12 Mars 2022, Havre, Montana
17h30, dans la ruelle

    Lance ne peut pas décrocher son regard de Taylor. Qu'est-ce qu'il a changé, pas uniquement au niveau physique, qui est plutôt évident, mais dans son comportement. Il se tient droit, ses épaules beaucoup plus développées que dans le passé, en avant. Le pétillement innocent à l'intérieur de ses yeux a disparu, laissant place à de la dureté qui n'a plus rien d'avenant.

    Lorsque son équipe a retrouvé la trace des deux hommes, ils ont visionné les caméras de surveillance de la ville. Ils les ont donc vu avant, mais les observer à travers un écran est complètement différent de les avoir en face. Lance savait donc pour la couleur de ses cheveux, surprenante c'est sûr. Cependant, le violet qui a remplacé le noir, n'est pas aussi déconcertant que la tonne de piercings et de tatouages.

    Les bras de Taylor en sont recouverts. Lance est impressionné et si la situation le permettrait, il laisserait le désir que cette vue lui procure l'envahir. En voyant les mains du brun, il a compris pourquoi ils ont eu autant de mal à les retrouver, malgré l'aide du shaman et de sorcières. Des runes angéliques de protection.

    Lance tremble de tout son soûl. Il n'a qu'une seule envie et il lutte pour se retenir d'enlacer Taylor. Le manque de lui n'a jamais été aussi puissant que de l'avoir si près, mais en même temps si loin. La souffrance endurée durant ces cinq ans, prend tout son sens, elle éclate dans son corps, le faisant presque tomber à genoux tant ses jambes ne le portent plus. Son coeur n'a jamais battu aussi vite. Il a une boule dans la tranchée, qui lui coupe le souffle.

- Nous devrions discuter ailleurs, propose Summer d'une voix hésitante, marchant sur des oeufs.

    Taylor est pris d'un ricanement hautain, comme si la Guerrière venait de dire la blague la plus grotesque qui soit. Son rire ne fait plus envoler les papillons dans l'estomac de Lance, il est mesquin, froid.

- Je crois que j'ai mal compris, dit-il en secouant la tête. Premièrement, je n'irais nulle part avec vous, avec eux.

- Taylor, écoute. C'est imp...

- Je ne parlerais pas à des meurtriers, l'interrompt le jeune homme en haussant le ton.

    À sa droite, William baisse la tête en soupirant, honteux. Être face à la colère et à la froideur de Taylor déstabilise Lance. Il a le souvenir d'un garçon joyeux, souriant. Un sourire qui illuminait la pièce du blond dès qu'il entrait, tel un soleil. Ce garçon-là est bien loin et le Guerrier se demande s'il va le revoir un jour, ou mieux, en être l'origine.

    Naïvement, Lance pensait à des retrouvailles plus émouvantes. C'est vrai, il avoue sans honte, qu'il espérait que Taylor lui saute dans les bras et l'étreint des heures durant, en lui répétant à quel point il lui a manqué. C'est ce que Lance veut faire. Il veut serrer cet homme contre lui, après cinq ans d'attente. Sa simple vue comble le trou béant dans sa poitrine, la main qui serrait son coeur a relâché un peu sa pression.

    L'accusation le blesse, non pas qu'elle soit totalement fausse, il a déjà tué. Seulement, il n'a pas essayé d'assassiner Taylor et Jude. Et que son âme-soeur le croit, n'est certes pas surprenant, mais faux. Il n'a rien avoir avec ça, il n'était même pas au courant pour l'amour du Ciel. Que son âme-soeur le croit capable d'une horreur pareille est... déchirant. D'une façon différente que l'absence de Taylor a créée.

- Je t'assure que nous ne vous voulons aucun mal Taylor, affirme Stanley avec un sourire qui se veut sympathique.

- J'ai déjà entendu ça quelque part et pourtant moins d'un mois après, on essayait de tuer mon meilleur ami, réplique Taylor en regardant William dans les yeux. Alors désolé de pas trop avoir confiance en des Guerriers.

    William déglutit et sa mâchoire se crispe légèrement, un geste discret qui n'échappe pas à Lance. Les réactions du blond en ce qui concerne son âme-soeur sont imprévisibles, surtout lorsque que quelqu'un aborde ce sujet. Tout le monde a changé en cinq ans.

- Avec qui est-il partie ?, demande William.

    Vu l'expression courroucée et furieuse de Taylor, il n'aurait jamais dû poser cette question. Son froncement de sourcils fait ressortir son piercings. Ses yeux sont traversés par une lueur dangereuse, qui Lance l'avoue, le fait flipper. Seigneur, où est passé son mignon et candide âme-soeur ? William n'a pas pu s'en empêcher. À la seconde où Jude a suivi l'autre homme, qui a mis une main sur l'épaule du plus petit, Lance a su que son ami n'allait pas rester calme longtemps.

- Ça ne te regarde en aucun cas, répond Taylor d'une voix tranchante. Que tu oses même poser la question est une insulte et d'un culot comme j'ai jamais vu. Tu as commandité sa mort !

- Justement, j'aimerais en discuter avec vous, réplique William. J'ai besoin de m'expliquer.

- Non. Il n'y a aucune foutue chance que je te laisse dans la même pièce que Jude.

- Taylor, s'il te plaît, plaide Lance.

    Pendant un court instant, si brève que le Guerrier pense l'avoir imaginé, la colère dans les iris de Taylor vacille, le rendant presque vulnérable. Lance a réussi à toucher son âme-soeur, enfin, pendant ledit court instant, qui a disparu aussi vite qu'il est arrivé. Cet éclat, s'est transformé en rage contre Lance. L'ancien Érudit le fusille du regard, de la pure haine en sort, en s'avançant vers lui. Le coeur du blond est au bord de ses lèvres. Oui, ce ne sont pas du tout les retrouvailles rêvées.

- Ne m'adresse pas la parole, crache Taylor.

    Les yeux marron qui lui font face, qui traduisent toute la haine que leur propriétaire éprouve à l'égard de Lance, lui reprochent tout ce que sa bouche ne dit pas. Tu te tiens à côté de celui qui a voulu tuer mon meilleur ami. Je ne te pardonnerais jamais. Oh, le Guerrier voudrait se mettre à genoux et plaider sa cause. Seulement, ils ont des ordres, un plan à suivre, ce qui inclut devoir repousser ses désirs les plus profonds, pour le moment. Même s'il estime qu'il a été assez patient comme ça.

    Ses émotions personnelles l'empêchent de capter la personne qui s'approche de leur groupe et se place à côté de Lance.

- Accepterais-tu de me parler à moi Taylor ?, s'enquiert Donald.

    Le visage du plus jeune se transforme sous la surprise. Il recule, pris d'un élan de panique. Il se croit en danger, que les Guerriers sont là pour s'en prendre à eux. Cela brise un peu plus le coeur de Lance. Jamais il ne fera du mal, physiquement, à son âme-soeur et il ne permettrait pas que quelqu'un le fasse.

- Taylor, nous ne sommes pas là pour vous blesser ou quoi que tu aies en tête, affirme le chef des Guerriers. Voudrais-tu me parler ? Juste nous deux. En privé.

    L'ancien Érudit se calme, recule et réfléchit à la demande. Donald n'est peut-être qu'humain, mais son aura et sa prestance font qu'il est respecté immédiatement. Il détient un certain pouvoir magnétique sur les autres et visiblement, après tout ce temps, Taylor y est encore sensible.

- Je suppose que si vous êtes là, Naomi l'est aussi, répond Taylor le visage sûr de lui, ne voulait montrer aucune faiblesse.

- Oui, Jude a accepté de parler avec elle.

    Taylor regarde en direction du bar en serrant les dents. Oui, c'était un coup bas de la part de Donald. La cheffe a toujours été le talon d'Achille de Jude, l'une des rares personnes à savoir comment aborder le jeune homme, en dehors de son meilleur ami. Ils savaient tous que Lance et William n'auraient aucun impact sur les deux fugitifs, qu'ils n'arriveront pas à les convaincre, bien au contraire.

    Donald est doué en persuasion. Le sourire doux et rassurant sur son visage, est là pour mettre en confiance Taylor, seulement, elle est brisée et loin. C'est pour cette raison qu'il a appâté l'Érudit avec le seul argument qui pouvait marcher. Jude. Lance déteste devoir rester en retrait, tout comme William partage son sentiment.

- Bien, finit par dire Taylor, la mâchoire si crispée que Lance craint qu'elle se brise.

    Le chef tend le bras en direction du bar, indiquant à Taylor d'avancer. Le jeune homme obéit, en gardant la tête haute, le regard droit devant lui. Donald le suit de près. Lance se retient de toutes ses forces de ne pas en faire autant et vu les poings serrés de William, il en est de même pour lui. Une main sur son épaule le fait sursauter. Stanley s'est déplacé entre eux.

- Désolé les gars, mais ça pouvait difficilement se passer autrement, leur indique-t-il d'une voix compatissante.

- Putain !, explose William en s'éloignant.

    Lance pousse un long soupir. L'adrénaline de leur première rencontre commence à diminuer. Des larmes lui montent aux yeux. Bordel ! Il se retient de pleurer depuis qu'il a revu Taylor, mais là, c'est trop. Il est à deux doigts de craquer. D'une autre façon que William, qui lui laisse exploser sa fureur. Son meilleur ami a plaqué ses mains sur le mur, le dos raide, les membres bandés. Une claque contre les briques résonne, puis une seconde et une troisième. Andrea se précipite sur le blond et tente de l'éloigner.

    Cinq ans pour ce résultat. C'est triste.

    Taylor marche, des bourdonnements dans les oreilles, le coeur martelant sa poitrine et les doigts tremblant. Sa respiration est hachée, laborieuse et il fait de son mieux pour la contrôler. Lance est là. Juste derrière lui. Seigneur, sa voix n'a pas changé, elle est toujours rauque, grave et même s'il déteste ça, elle lui déclenche encore des frissons. Un noeud se forme dans sa gorge. Son estomac est lourd.

    Sa colère était là, il l'a laissé sortir, mais pas autant qu'il aurait voulu. S'il s'était écouté, il aurait frappé les deux Guerriers encore et encore. Il a du mal à croire que William ait osé montrer de l'inquiétude et limite de la jalousie envers Hunter. Quel putain d'hypocrite !

    Lorsqu'ils entrent dans le bar, il remarque son meilleur ami et son collègue derrière le comptoir qui l'interroge silencieusement du regard. Taylor tentera comme il peut de lui expliquer la situation. La priorité, c'est Jude, qui l'observe un air coupable sur le visage. Tay prend une grande inspiration. La personne dos à lui, réveille de vieux souvenirs et une émotion qu'il avait scellés au fin fond de son âme. C'est comme revoir sa mère. Après tout, Naomi avait presque cette place.

    La détresse de Jude le fait bouger. Il s'assoit sur la banquette à gauche de son meilleur, puis lui prend la main sous la table et serre ses doigts. Ça va aller, temps que nous sommes tous les deux. Taylor redresse la tête et confronte son ancienne cheffe.

- Bonjour Taylor, dit-elle d'une voix émue, les yeux larmoyants.

- Bonjour.

    Donald s'installe à côté de sa consoeur. Hunter leur apporte des boissons chaudes, apparemment, une commande avait été faite en amont. La peau moite de Jude atteste de son stress qui grandit, son poing qui se referme sur les doigts de Taylor, indique que ses barrières s'élèvent. Son angoisse prend le dessus et il n'arrivera pas à parler. C'est donc à Taylor de mener cette confrontation.

- Comment vous nous avez trouvés ?, interroge-t-il.

- Nous avons remonté votre trace depuis votre ancienne ville, Lander, leur apprend Donald.

- Nous aimerions que vous rentriez à la maison, déclare Naomi. Nous sommes désolés pour ce qui vous a obligé à fuir, mais vous n'êtes pas fautifs et nous...

- Savez-vous la vérité ?, l'interrompt Taylor. Pourquoi nous avons dû fuir ?

- Oui, Randy et Donna ont avoué ce qu'ils ont fait.

- Ils payent pour ce crime, affirme Donald. Ce n'est pas à vous d'en subir les conséquences.

    Et pourtant, c'est ce qu'ils ont fait malgré tout. Leur ancienne cheffe a beau leur dire qu'ils sont les bienvenues à l'institut de l'Ordre, que c'est là-bas leur place, qu'ils sont les victimes dans l'histoire et s'excuser, Taylor et Jude ne sont plus des Érudits. Ce n'est plus leur maison. Naomi peut les supplier autant qu'elle veut, ça ne comblera pas ce qu'ils ont perdu, ni n'effacera les années écoulées. Ils n'ont aucune idée de ce qui a pu se passer pour que les parents de William avouent leur tentative de meurtre, si c'est au bout d'une enquête ou non, mais cela importe peu.

    Taylor reste méfiant. Peut-être que c'est une fausse proposition et un piège pour mieux les manipuler. Ils ont fui l'Ordre durant cinq ans, eux aussi, vont devoir rendre des comptes. Sont-ils considérés comme des traîtres ? Naomi tient un discours tout autre, mais sait-on jamais. Il n'a plus confiance en l'Ordre.

    Avec Jude, ils n'avaient pas parlé de la possibilité de retourner à Washington et de reprendre leur vie là où ils l'avaient laissé. Ni si cette proposition leur était faite, est-ce qu'ils l'accepteraient ? Cependant, il y a un poids non-négligeable dans la balance, leurs parents. Avant de décider quoi que ce soit, ils doivent s'assurer qu'ils ne risquent pas de finir enfermés dans une prison de l'Ordre, pour avoir potentiellement dévoiler des secrets, avoir sympathisé avec des chasseurs et avoir libéré un dragon.

- Qu'est-ce qui s'est passé avec Randy et Donna ?, demande Jude d'une petite voix timide.

    Les yeux que Naomi pose sur l'ancien Érudit sont déchirants et ne peuvent être feints. Elle était sincèrement inquiète pour eux.