Chapitre 42

Samedi 23 Avril 2022, Washington D.C.
11h, chambre de William

    Bizarrement, c'était la première fois que William se prenait une balle. Il a été blessé, par des créatures, durant ses trois années à l'armée, mais jamais à cause d'un coup de feu. C'est une expérience très déplaisante. Outre la douleur brûlante, fulgurante et persistante, bien sûr. L'après n'est pas mieux, il se sent fatigué. Son corps pèse une tonne. Son cerveau se remet petit à petit à fonctionner.

    Il se souvient de Sora, assommée, une aiguille plantée sous son aile. De Chelsea arrivant et pointer un canon devant Jude, William le protégeant. Ses yeux s'ouvrent brusquement, ses tripes se serrant d'angoisse. Où est son âme-soeur ? Il a le souvenir d'avoir été dans ses bras, mais le reste est flou. Pris de panique, il ouvre les yeux.

    Il n'est pas étonné de voir le décor d'une chambre d'hôpital. Comparé à la dernière fois où il s'est réveillé ici, il ne souhaite pas se rendormir pour toujours. Il veut sortir pour retrouver son âme-soeur.

- William, l'appelle la voix la plus douce de l'univers.

    À ce moment-là, il se rend compte que les doigts de sa main droite sont entrelacés avec d'autres. La texture de la peau qui le touche le fait frissonner et accélérer les battements de son coeur. Il se tourne vers la provenance de cette voix merveilleuse et a le bonheur de tomber sur Jude, debout à côté de son lit.

- Tu vas bien ?, demande-t-il d'un ton éraillé par sa gorge sèche.

    Jude le regarde comme s'il était fou, avant de rire, ses épaules se secouant de nervosité.

- C'est toi qui a pris une balle, finit par répondre le rouquin, pour nous protéger Sora et moi.

    À l'entente de son prénom, la dragonne fait savoir sa présence. Elle remonte le long du torse de William et va lécher sa joue. Il la cajole de sa main libre, heureux de constater qu'elle n'a pas de séquelles. Il a réussi sa mission.

- Nous allons bien tous les deux, grâce à toi, poursuit Jude en caressant sa paume.

- C'est tout ce qui m'importe.

- Will, soupire-t-il en s'asseyant au bord du matelas, au niveau de son bassin, tu m'as fait peur.

- Je suis désolé. Moi aussi, j'ai eu peur, je... je ne pouvais pas prendre le risque que tu sois blessé. Je préfère moi plutôt que toi.

    Il est plus que sincère, même si les yeux gris de son âme-soeur le dévisagent, désapprobateur. Il donnerait sa vie pour Jude, sans hésiter et sans regret. Jude ne réplique pas, car ce serait une discussion infinie, même s'il n'est clairement pas d'accord avec le Guerrier. William n'allait pas rester inactif pendant que l'homme qu'il aime, se faisait tirer dessus.

    Son attention est attirée par les lèvres que le rouquin mordille. Un flash lui apparaît. Jude se penchant vers lui. Un baiser déposé sur ses lèvres. Se sont-ils embrassés ? Ou son cerveau à moitié dans les vapes a imaginé cette scène ?

- Tu m'as gardé dans tes bras, confirme-t-il à la place.

- Bien sûr ! Tu venais de te prendre une balle qui était destinée à Sora et tu te vidais de ton sang. Évidemment que je n'allais pas te lâcher.

- Tu es en colère contre moi ?

- Non, soupire Jude en posant leurs mains enlacées sur sa cuisse. J'ai eu si peur que j'ai du mal à me calmer.

    Il y a une vague de détresse qui émane de Jude et de supplications silencieuses, qui frappent Will en pleine poitrine. Les protestations de son corps lorsqu'il essaye de bouger l'empêchent de se redresser.

- Viens par-là, dit-il en tirant sur la main tremblante du rouquin.

    Jude ne résiste pas, il se laisse entraîner vers Will. En prenant soin de ne pas toucher sa blessure, l'Érudit pose sa tête sur son torse, la respiration rapide, mais ses muscles se détendent. William tente de ne pas trop s'emballer. Non pas que ses sentiments soient un secret, il les a exprimés très clairement. Ça, il s'en rappelle.

    Pendant une seconde, les problèmes de Will disparaissent, bercés par l'odeur de Jude. Rien ne peut leur arriver s'ils sont ensemble et il ne laissera plus rien se mettre en travers de leur route. Plus important encore, il passera le reste de son existence à protéger son âme-soeur, rien ne le retiendra. Hier, c'est ce qu'il a fait et cela lui donne l'impression d'être légitime dans son rôle de Destinée, d'enfin le mériter. Plus il sent le souffle de Jude sur sa peau et plus la culpabilité et les regrets qui le collaient diminues. Parce qu'il n'y a rien de plus juste au monde que de câliner Jude.

- Je ne veux plus lutter, murmure le rouquin contre son coeur. C'est douloureux de constamment lutter.

- Alors ne le fais plus mon ange.

    La masse de cheveux recouvre le visage de Jude, mais Will devine les larmes qui y coulent, car se chemise s'humidifie. Il passe ses doigts libres dans les mèches rousses. Leur propriétaire à besoin de se confier.

- Je t'ai aimé pendant si longtemps, espéré que tu m'aimes en retour, que ça m'a complètement vidé. Mon coeur a fini en morceaux. J'ai cru que je ne me relèverais jamais.

    Il faut à William une volonté de fer pour ne pas rebondir. Dès qu'il émet un son de gorge, le rouquin le retient de parler d'une pression sur ses doigts. Jude s'accroche à lui, serrant ses derniers pour s'ancrer dans la réalité.

- Quand nous avons fui, nous sommes restés un an avec un couple de chasseurs, sans Taylor pour me soutenir, je me serais effondré. J'étais tellement malheureux. Je n'avais plus confiance en moi, en personne à vrai dire, sauf Tay.

- Je suis désolé Jude, murmure-t-il, la gorge nouée.

- Taylor m'a donné une raison de me battre, je lui devais bien ça, poursuit le rouquin perdu dans ses souvenirs. Il y a des jours où le désespoir de ne rien valoir aux yeux des hommes étaient si grands que j'avais besoin de me prouver que je pouvais plaire à quelqu'un.

    L'aveu est trop douloureux à entendre pour que William pense à être jaloux. Il n'a rien à envier à des relations qui se sont déroulées pour ces raisons et dans ces conditions. Au contraire, il a le coeur brisé que Jude, à l'âme si pure et belle, ce soit résolu à ça dans le but de regagner un peu de confiance. Par sa faute. Avant, il a minimisé les répercutions de son attitude sur l'esprit du rouquin. Il se rend compte, avec horreur, qu'il a créé des traumatismes chez l'homme qu'il aime.

    Il se rappelle de ses mots, de sa façon de dénigrer son âme-soeur pour refouler ses sentiments. De toutes ces fois où il a critiqué son physique trop petit, trop frêle, sa santé trop fragile. À l'époque, le connard qu'il était a fait exprès d'appuyer là où ça ferait mal. Sachant qu'aujourd'hui, l'homme qu'il est devenu, vénère toutes ces petites choses. Peut-il réparer ce qu'il a détruit ?

    Il a envie de pleurer. Il savait, mais il refusait de penser aux conséquences invisibles de ses actes. Dans ce contexte, il est très dur de ne pas ressasser le passé. Chacune de ses actions lui revient en pleine figure, comme des coups de couteaux dans son coeur. Il ne peut pas les chasser avec ses bonnes résolutions.

- Ça n'aidait pas, reprend Jude d'une voix lointaine. Ni sur le moment et encore moins après. Je me sentais si mal, parce que ça l'était. Ma tête n'était jamais présente. Ils n'étaient pas toi.

    William ne peut que comprendre, car il a vécu la même chose. À la différence, c'est que lui n'a jamais voulu l'admettre. Cela le mettait encore plus en colère et lui aussi, il se sentait comme une merde après, en total désaccord avec son subconscient. Cette lutte entre son corps et son esprit, était épuisante, déchirante. Cela a joué un rôle énorme dans sa descente aux enfers.

    Jude l'achève d'une dernière phrase :

- Je voulais tellement tomber amoureux à nouveau, de quelqu'un d'autre.

- Je ne veux pas que tu tombes amoureux de quelqu'un d'autre, suffoque-t-il à cause de la douleur que cette pensée lui procure.

    Il peut supporter beaucoup de choses, mais pas de perdre Jude de cette façon. Il ne s'en remettrait pas. Leur lien, c'est tout ce qui lui reste.

- Ça m'est impossible, répond Jude.

    L'Érudit se redresse et plante ses yeux dans ceux de William. Brut, déterminés, fougueux. La poitrine du Guerrier bat plus fort. Tellement, qu'il a l'impression que le bruit résonne autour d'eux. Les lèvres de Jude se transforment en un sourire tendre, comme il avait, avant que Will ne lui retire son innocence et sa joie.

- Le seul homme dont je souhaite tomber amoureux, c'est celui qui m'a offert des fleurs, chaque jour de la semaine. Celui qui m'emmène au restaurant. Celui qui me regarde comme si j'illuminais sa vie dès qu'il me voit.

- Tu illumines ma vie dès que je te vois, confirme Will. Cet homme que je suis devenu, ce n'est pas qu'une façade.

- Je te crois. Ce que je veux te dire, c'est qu'on a des tonnes de problèmes à régler toi et moi. Nous avons un lourd passé, mais combien de temps nous allons le laisser nous mettre des bâtons dans les roues ?

- Tu penses que c'est ce que nous faisons ?, s'étonne Will, les sourcils froncés.

    Son premier réflexe est de nier en bloc. Ils ne se sabotent pas intentionnellement. Ensuite, il prend le temps de réfléchir. Jude n'a pas tort. À chaque fois que Will fait un pas en avant, il en recule de dix l'instant d'après à cause de leur passé. À chaque action qu'il fait, il songe à toutes les mauvaises décisions qu'il a prises. Ils ne peuvent pas l'ignorer, mais ils ne sont pas concentrés sur le présent, sur apprendre à connaître ce qu'ils sont devenus. Les douleurs sont constamment là, au-dessus de leurs têtes.

    L'expression de Jude change, plus indulgente, mais avec toujours une pointe de tendresse. Il avance son index vers le front de Will afin de dégager une mèche blonde. Le Guerrier fond sous ce geste.

- Je pense que nous devons arrêter de nous cacher derrière parce que nous avons peur, déclare Jude.

- Je sais de quoi j'ai peur, de ne pas mériter ton amour, de ne pas en être digne, avoue-t-il sans honte.

- Et moi, j'ai peur de te faire confiance et que tu me brises le coeur. Nous devons aller au-delà de nos peurs Will.

- En serons-nous capables ? Après tout ce qui nous est arrivé ?

- Oui, si on s'en donne la peine, assure Jude avec une détermination sans faille. L'homme qui est en face de moi en vaut la peine.

    Le sourire de William fait écho à celui du rouquin. Ce dernier lui offre une seconde chance sur un plateau, il serait bien ridicule de la refuser par crainte. Il est touché que son âme-soeur croit à leur histoire, soit prêt à le pardonner, à se lancer dans une relation.

    La terrible vérité, c'est que tout est de sa faute et il n'a pas d'excuses, à part avoir été un connard. Il ne peut pas se justifier autrement. Ce qui est minable. Il est minable, parce que maintenant, il rampe aux pieds de Jude, la queue entre les jambes. Alors que le rouquin soit celui qui le relève est inespéré. C'est à son tour de vider son sac.

- J'étais sincère dans la grotte, commence-t-il en prenant la paume de Jude dans la sienne. Je t'aime. Plus jamais je ne te briserais le coeur, que je sois damné si c'est le cas.

    Le visage de Jude ne fléchit pas, mais ses prunelles se mettent à briller de bonheur. Will veut observer cette lueur tous les jours, en être la cause. Il n'y aurait rien de plus beau que de rendre son âme-soeur heureux. Celui-ci se rapproche, jusqu'à ce que son visage soit au-dessus du Guerrier.

- Je vais faire fi de ma peur, murmure l'Érudit d'une voix chargée d'émotions, et te dire que je n'ai jamais cessé de t'aimer.

    Will fait taire la sienne et accepte les paroles de Jude pour le cadeau qu'elles sont. Il ouvre la bouche, mais elle est capturée par sa moitié. Il hoquète de surprise, puis de soulagement.

    Embrasser Jude est la meilleure sensation qu'il a vécue de sa vie. Leurs lèvres s'emboîtent à la perfection, bougent ensemble comme si elles se connaissaient depuis des lustres. Elles sont faites pour se connecter. Quand c'est au tour de leurs langues de se rencontrer, c'est une explosion de sensations et de sentiments, tous plus merveilleux les un que les autres. Tout son corps tremble, traversé par une chaleur qui vient se loger sur son palpitant affolé.

    L'un de ses bras s'enroule autour des épaules de Jude pour le maintenir à sa place. Il ignore le tiraillement de sa blessure, pour agripper le biceps du rouquin de sa main gauche. Ils halètent tous les deux, gémissant de bien-être, se dévorant comme s'il n'y aurait pas de lendemain.

    Il comprend toutes les légendes sur les âme-soeurs qu'il a pu lire. Ce n'était pas exagéré, ni romancé dans le but d'aliment les esprits fantasques. C'était vrai. Il n'y a rien de plus juste, de plus bon, de plus beau, que d'échanger des baisers avec sa Destinée. C'est puissant. Un pouvoir l'irradie complètement. Il se sent si bien qu'il ne veut pas arrêter. Il n'y a rien de comparable. C'est comme si tout ce qu'il aimait avait été regroupé en une seule et même chose.

    Il lèche, embrasse et mordille les lèvres de Jude, priant pour le faire tous les jours, pour le reste de son existence.

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