Vendredi 22 Avril 2022, Washington D.C.
22h, grotte de l'Institut

    En moins d'une seconde, le monde de Jude bascule. Deux coups de feu éclatent. Il ne se préoccupe que de celui qui fait chanceler William.

- Non !, hurle-t-il en se levant.

    Il se précipite sur son âme-soeur, sans se soucier de Chelsea, il le rattrape, mais le poids de Will les fait s'écrouler au sol, contre le flanc de Sora. Un liquide visqueux coule sur ses doigts. Avec horreur, ses yeux se posent sur une tache de sang qui inonde le pull du Guerrier, ainsi que sa main.

- Will, murmure-t-il la gorge douloureuse.

- Tu n'as rien ?, lui demande le blond en le regardant.

- William !, s'écrie Lance.

    À travers ses larmes, qu'il n'avait pas conscience jusqu'à maintenant, il perçoit Donald menotter Chelsea face contre terre. Lance et Taylor sont accroupis devant eux, en train de leur parler. Il ne les entend pas, tant son sang pulse dans ses tempes. La seule chose dont il est capable, c'est d'appuyer sur l'impact de balle, dans une vaine tentative de stopper l'hémorragie. De son autre main, il caresse le front de son âme-soeur repoussant ses cheveux blonds.

- Ça va aller, dit-il en désespoir, pour se rassurer lui-même.

- Vous allez bien tous les deux, prononce William, la respiration saccadée.

- Pourquoi tu as fait ça ?

- Parce que c'est évident.

    William sourit en levant un bras tremblant. Il passe son index sur la joue mouillée de Jude, dans un doux effleurement.

- Je t'aime, avoue le Guerrier d'une voix tendre.

- Non, ne dis pas ça maintenant, je t'en prie. Tout va bien se passer.

- Oui. Je ne vais pas t'abandonner alors que je t'ai retrouvé. Je t'aime Jude, depuis que je t'ai vu assis en train de lire dans la bibliothèque. C'était il y a dix ans. Tu étais si beau.

- Will, pleure le rouquin de plus belle.

- Je suis désolé d'avoir mis si longtemps à le réaliser, mais je t'aime.

    En prononçant ses mots, pour la troisième fois, William fixe Jude droit dans les yeux. Le coeur de l'Érudit bat si fort, qu'il craint de le voir sortir de sa poitrine. Il a rêvé à de nombreuses reprises d'entendre ses paroles, mais pas dans ces circonstances. Pas alors que son âme-soeur se vide de son sang à l'intérieur de ses bras. C'est un cauchemar. Tout allait bien, ils passaient une excellente soirée tous ensemble et leur moment parfait a explosé.

    La gorge de Jude est trop obstruée pour répondre. Il voudrait exposer tous les sentiments qu'il garde prisonnier, mais il en est incapable. Dès qu'il ouvre la bouche, il hoquète à cause de ses sanglots. William lui sourit toujours, comme si Jude était son bonheur personnifié.

- Tu es la plus belle chose qui me soit arrivé et j'ai tout gâché, dit Will.

- On va tout réparer, je te le promets, parvient à répliquer Jude, en haletant.

    Le sourire s'agrandit sur le visage de plus en plus pâle de William, ses lèvres commencent à devenir bleues. La peau sous les doigts de Jude, est anormalement froide. La balle a traversé son ventre, à gauche du nombril, mais il n'a aucune idée de quels organes elle a perforé et où elle s'est logée. Derrière eux, Sora gémit, car elle sent la détresse de ses deux maîtres.

    Il y a du mouvement autour d'eux, mais Jude est accaparé par le corps de William qui s'affaisse contre lui. Ses paupières ne cessent de cligner.

- Reste avec moi, le conjure Jude en le secouant légèrement.

- Le médecin arrive, intervient Lance qui n'a pas bougé depuis tout ce temps. Tiens bon.

    Des dizaines de personnes entrent dans la grotte. Un groupe s'occupe de Chelsea qui a été blessée à l'épaule par Donald. Jude ne s'y intéresse pas plus que ça, il est trop absorbé par le second groupe qui vient vers eux. Il sait qu'ils vont lui arracher William et il refuse catégoriquement de quitter son âme-soeur. Ce qu'il répète à ceux qui veulent le faire reculer. Dans un coin de sa tête, sa rationalité lui hurle que ces personne sont là pour soigner William. Il entend ce qu'on lui demande, mais il ne peut se résoudre à se lever.

    Les pupilles de Will se connectent aux siennes. Elles sont presque vides de vie, ce qui décuple l'inquiétude de Jude. Le Guerrier est en train de perdre connaissance. L'un des Érudit, certainement le médecin, lui hurle de lâcher William. Il sait qu'il doit le faire, mais ses membres ne répondent pas. Une main attrape son poignet, celui posé sur la blessure.

- Jude, mon ange, l'appelle Taylor.

    Il faut toute la volonté du monde pour que Jude tourne la tête vers son meilleur ami. Ce dernier le regarde avec tant de douceur qu'il se remet à pleurer. Il devine les mots qui vont lui être adressés.

- Je sais que c'est dur, mais Jude, tu dois laisser le médecin prendre William en charge.

- Non, je..., bégaye-t-il en secouant vigoureusement la tête.

- Jude, il est vital pour William qu'il soit soigné. Il a perdu trop de sang. S'il te plaît, tu le retrouveras après, je te le promets.

    C'est de ça dont a le plus peur Jude, de justement, ne pas revoir son âme-soeur. S'il le laisse partir, quand est-ce qu'il va le retrouver ? Une chose est certaine, s'il ne s'écarte pas, il n'aura jamais la possibilité de le revoir, car il va le perdre pour de bon. Ça, c'est hors de question. William ne va pas mourir dans ses bras, pas après tout ce qu'ils ont traversé, pas de cette façon, pas alors qu'il vient de recevoir la déclaration tant attendue. Leur histoire ne finira pas ainsi.

    Il reprend ses caresses sur le front de William et plonge ses yeux gris dans ceux marron, encore à moitié ouverts.

- Bats-toi pour moi, le supplie-t-il, je t'interdis de me quitter.

    William tente un sourire, mais ses lèvres s'étirent à peine. Jude ne réfléchit pas à son prochain geste. Il se penche et embrasse son âme-soeur. Ce n'est pas un baiser romantique, loin de là, il est désespéré, trempé par ses larmes, leurs bouches restent immobiles. Lorsque l'Érudit se recule, les paupières de William demeurent closes.

    Le coeur déchiré en mille morceaux, il enlève ses mains. Immédiatement, William est basculé sur un brancard au sol. Jude est tiré par Taylor, mais il est trop faible pour se mettre debout. Impuissant, à genoux sur les pierres froides, il est simple spectateur de ce qui se déroule. Des Érudits s'affairent autour de Will, d'autres sur Sora. À un moment, Naomi les rejoint. Tout est trop, trop de bruits, de gens, de stimulations. Son cerveau n'est pas en capacité de le supporter. Avant de s'en rendre compte, il tombe dans les pommes.

    Il est groggy. C'est tout ce qui lui vient dans son esprit embrumé. Cela, et qu'il a un poids sur les jambes et la poitrine. Il finit par ouvrir les yeux, mais il réalise qu'il n'a pas ses lunettes, tout est flou. Malgré sa vue déplorable, il distingue la silhouette de Sora, allongée sur lui. Il croit reconnaître une chambre d'hôpital.

- Jude ?, murmure la voix de son meilleur ami. Tu es réveillé ?

- Hum.

    Il y a du mouvement au-dessus de lui, Taylor pose ses lunettes sur son nez. C'est tout de suite mieux. Sa langue est sèche, ce qui l'empêche de parler. Pendant une seconde, il est perdu, ne se souvient de rien. Puis tout lui revient en mémoire. Sora s'agite, lèche son visage. Il la calme, heureux de la voir si en forme et guérit. Il veut s'assurer que la deuxième personne qu'il a failli perdre va bien.

- Où... où est William ?, demande-t-il, la voix déformée par sa gorge en feu.

- Il va bien Jude. Il a été opéré, la balle n'a pas touché d'organes vitaux.

- Oh mon Dieu.

- Il va s'en sortir, lui affirme Taylor.

- Je veux le voir.

    Il commence à se redresser, mais son meilleur ami le retient, la paume appuyant sur son thorax pour qu'il se recouche. Taylor lui rappelle son malaise et que par conséquent, il doit voir un médecin avant de bouger. Jude n'en a rien à faire, ce n'est pas sa priorité. Il essaye de sortir ses jambes du lit, cependant, Sora les ramènent sur le matelas en grognant.

- Jude, le réprimande Taylor avec douceur, crois-moi, je sais que tu veux le rejoindre et tu iras. Après avoir vu un médecin.

- Je vais bien, c'était un malaise à cause de l'émotion et l'adrénaline que je n'ai pas su gérer.

- Dans ce cas, le médecin va s'en assurer.

    Résigné et parce qu'il rencontre deux obstacles de taille, Jude pousse un long soupir en retombant sur ses oreillers. Taylor a une moue contrite, s'excuse silencieusement de la situation. Ce n'est pas sa faute. Jude s'accroche à l'affirmation de son meilleur ami, William est vivant. Il a besoin de le confirmer par lui-même. Plus vite le médecin aura donné son feu vert, plus vite il pourra le rejoindre. Ça, il le sait.

    Le chef de l'infirmerie vient quelques minutes plus tard, accompagné d'une infirmière. Ils lui prennent ses constantes, lui posent des questions sur son état physique et psychologique, lui font une prise de sang pour confirmer s'il s'agissait bien d'un malaise isolé et non dû à un problème de santé. Santé qui a toujours été fragile chez Jude.

- Je préconiserais que vous restiez allongé et ne bougiez pas le reste de la nuit, commence le médecin, ce à quoi Jude s'apprête à protester, mais il est stoppé, vous avez été inconscient trois heures Monsieur Rhodes.

- Mais je me sens mieux, objecte-t-il pitoyablement.

- Je comprends que vous vouliez voir votre âme-soeur, mais il sort tout juste de chirurgie.

- Ne me demandez pas d'attendre ici, alors que William a failli mourir dans mes bras.

    Il ne le supportera pas. Il veut être là pour son âme-soeur, c'est un besoin viscéral d'être à ses côtés. Le médecin échange un regard avec sa collègue. Cette dernière finit par hocher la tête.

- Je vous conduirais jusqu'à la chambre de Monsieur Olson, dit-elle avec indulgence, presque avec pitié.

- Je viens avec vous, décrète Taylor à son tour.

    Jude se retient d'en pleurer de reconnaissance. Son coeur est douloureux et il ne pourra s'apaiser qu'en présence de sa deuxième moitié.

    L'infirmière et Taylor l'aident à s'asseoir malgré ses protestations. Il n'est pas impotent. Il se sent assez stable pour tenir debout et marcher seul. Il est soulagé de voir que Sora a complètement repris de son attaque. Elle est capable d'adopter sa forme de lézard et de se mettre sur son épaule.

    Dans le couloir, ils retrouvent Lance qui se jette sur eux, inquiet. Jude le rassure et l'informe de son intention. Cette fois, son âme-soeur ne se réveillera pas seul après avoir frôlé la mort. Il sera là pour lui, c'est son rôle. Devant la chambre, il est surpris de constater qu'il tremble.

- Monsieur Olson vient juste d'être installé dans sa chambre, les prévient l'infirmière. Ne soyez pas brusque.

    Jude ne prévoit pas de secouer son âme-soeur dans l'immédiat. Peut-être plus tard, pour lui avoir fait la peur de sa vie. La soignante ouvre la porte et il s'empresse d'y entrer.

    Comme attendu, William est allongé sur le lit, les yeux fermés, le teint pâle, mais à part ça, il semble paisible. Jude s'approche à petit pas, craintif de le réveiller. Timidement, il touche les doigts de son âme-soeur, ils sont moins froids qu'ils n'y paraissent.

- Quand va-t-il se réveiller ?, demande-t-il en chuchotant à l'infirmière derrière lui.

- Lorsque les effets de l'anesthésie se seront dissipés. Cela peut prendre plusieurs heures.

    Il acquiesce pour montrer qu'il a entendu la réponse, mais il ne peut pas décrocher son regard du visage endormi de William. Sora pousse un cri de tristesse, puis descend le long du bras de Jude et va se coucher sur la poitrine du Guerrier. Elle est aussi désemparée que son maître.

- On vous laisse, l'averti Lance en pressant l'épaule que Sora vient de libérer. Appelle-nous quand il y aura du changement.

    Nouveau hochement de tête. Jude a conscience du baiser que Taylor dépose sur sa tempe et de la porte qui se referme, mais il est trop amorphe pour réagir. Il veut que William ouvre les paupières et le regarde comme tout à l'heure dans la grotte. Il caresse ses doigts, rêvant de les sentir courir sur sa peau. Ils sont forts, rugueux et pourtant d'une extrême douceur.

- Tu dois émerger, chuchote-t-il. Crois pas que tu vas te défiler aussi facilement après m'avoir dit les mots fatidiques.

    Pris d'une audace et par l'espoir, il se penche afin de murmurer à l'oreille de William.

- Parce que je dois te les dire aussi.