Chapitre 38

Vendredi 8 Avril 2022, Washington D.C.
18h55, entrée de l'Institut.

    Cela fait trente minutes que William attend devant la porte. Tous les Templiers qui l'ont franchi, l'ont dévisagé comme s'il était fou. Il ne l'est pas. Il est juste impatient. Il a un rendez-vous avec son âme-soeur, en plus d'avoir obtenu son numéro de téléphone. C'est sa chance de rattraper toutes les soirées qu'il a sciemment gâchées. Depuis la proposition de Jude, il est intenable.

    Le but des bouquets était de prouver la sincérité de ses intentions, outre que de faire plaisir au jeune homme. La signification cachée des couleurs, devait lui montrer ce qu'il représente pour William. Son message est passé et a été compris. Pour son plus grand bonheur. Mais une invitation à dîner, c'est plus que ce qu'il espérait. Surtout que Jude est prêt à lui parler. Un miracle. Il a été intenable tout l'après-midi, si bien qu'il a eu l'autorisation de partir plus tôt. Le long bain qu'il a pris ne l'a pas aidé à se détendre.

    Il lisse sa chemise, même si elle est parfaitement repassée, cela occupe ses doigts. Il appréhende ce dîner autant qu'il a hâte. Son estomac fait des pirouettes dans son ventre, manquant de se vider. William ne veut pas vomir à quelques minutes de l'arrivée de Jude. Plus il y pense et plus sa nausée prend de l'ampleur.

- Salut, lance une voix qui le fait frissonner des pieds à la tête.

    Le coup au coeur, à la vue de son âme-soeur, ne manque pas de le percuter de plein fouet. Jude est devant lui, dans toute sa splendeur, irradiant de lumière. Il a une aura autour de lui et Will la laisse l'envelopper, le faisant soupirer de bien-être.

    Jude lui sourit, de façon tendre et innocente, comme avant. Will ne laisse pas le bouleversement prendre la place sur ses traits. Il montre juste à quel point il est heureux de le voir. Il avait pensé que les cheveux noirs de son âme-soeur lui manqueraient, mais la couleur caramel lui va si bien. Elle fait ressortir ses yeux gris. Jude est beau dans tous les styles. Celui qu'il aborde ce soir, ne fait pas exception. Il porte un jean légèrement évasé, taille haute ce qui la met en valeur. Elle est fine, faite pour être enlacée par les mains de William. À l'intérieur du pantalon, une chemise blanche et un pull sans manche violet y sont coincés.

- Tu es très élégant, le complimente William, la vision de ses bras autour de Jude en tête.

- Merci. Toi aussi, répond Jude, les joues légèrement rougies. On y va ?

    William acquiesce en souriant encore plus. Pendant un court instant, il a eu peur que son âme-soeur change d'avis. Cependant, Jude enfile son manteau qu'il gardait sur son avant-bras. Le Guerrier en fait de même, puis ouvre la porte en invitant le plus jeune à passer devant lui. Un parfait gentleman, qui a des années à rattraper.

    Le restaurant que Jude a choisi n'est pas très loin de l'Institut, alors ils décident de s'y rendre à pied. Tant mieux, car William est trop nerveux pour conduire. Il l'est déjà trop pour réfléchir. La discussion à venir l'angoisse tellement qu'il n'a pas réussi à établir un plan d'action. Il a les grandes lignes, mais pas les détails.

    Le silence de Jude n'est pas perturbant, au contraire, car il est entrecoupé par sa respiration. Cela permet à William de se gorger de leur proximité, de combler le manque ressenti pendant cinq ans. Marcher aux côtés de son âme-soeur lui semble si naturel. Il aime leurs différences de taille, pas parce que cela lui donne l'impression d'être plus fort, non, son égo n'a pas besoin de ça. Cela n'a rien avoir non plus avec un sentiment aussi futile que de la suprématie. C'est juste que d'une étreinte, il peut protéger Jude, le plaquer contre son coeur. Là où il occupe toute la place.

    Arrivés au restaurant, ils sont immédiatement placés à leur table par une serveuse, qui leur donne une carte. William est trop focalisé sur Jude, à l'admirer, pour prêter attention au menu.

- Qu'est-ce que tu prends ?, lui demande Jude après s'être raclé la gorge.

- Heu..., bafouille-t-il en baissant les yeux sur la carte, un verre de vin rouge.

    Il n'avait pas remarqué que la serveuse est revenue prendre leurs commandes de boissons. Il choisit le premier vin qui est proposé, tandis que Jude demande un Coca. Une fois l'employée partie, William cherche comment démarrer la conversation. Ses doigts se mettent à taper sur le bois de la table.

- C'est un bon restau, dit-il bêtement et il a envie de se frapper la tête face à l'absurdité de sa phrase.

    Vu le sourire en coin amusé de Jude, il pense pareil. Il tente de le camoufler en passant sa langue sur sa lèvre inférieure. William retient un grognement animal et totalement déplacé. Il ne contrôle pas la vague intense de plaisir traverser son corps. Qu'est-ce qu'il aimerait goûter cette bouche.

- Oui, je me suis dit que ce serait une bonne idée, comme tu aimes bien la viande, répond le jeune homme d'une voix indulgente.

- Merci beaucoup Jude, c'est gentil.

    Il est agréablement surpris et touché par l'initiative de Jude. C'était à lui de prendre soin de son âme-soeur, pour lui prouver sa sincérité. En même temps, c'est agréable de constater que malgré tout, Jude lui accorde de l'attention. Et se souvient de ce qu'il aime.

    La serveuse les interrompt une nouvelle fois. Pour faire honneur au rouquin, Will jette son dévolu sur une pièce de boeuf et des frites. Jude est plus raisonnable avec une salade composée. Enfin seuls, William se concentre sur son âme-soeur. Il remercie toutes les divinités possibles pour la réalisation de son voeu le plus cher. Il se pince la cuisse pour être sûr de ne pas rêver. Il est toujours là, assis devant la personne la plus importante de sa vie.

- C'est bien réel ?, questionne-t-il à toi basse. Ton retour ? Nous ici ?

- Oui, c'est réel William. Maintenant, dis-moi comment tu es passé de me détester à... ça ?

    Le direct de la question prend William de court. Il se tortille sur sa chaise en attendant de trouver les bons mots. Il ne sait pas si ses explications vont excuser son attitude de connard pendant treize ans. Ou si Jude va les comprendre.

- Je suis désolé tu sais, d'avoir mis si longtemps à réaliser que..., commence-t-il sans parvenir à finir sa phrase.

- Je te crois William. Je sais que tu le regrettes.

- Je ne voulais pas d'un homme pour âme-soeur, ça me dégoutait, avoue-t-il honteusement et la douleur perceptible dans son ton.

    Lorsque Jude hoche la tête, il n'y a aucun jugement, que de la compréhension. Son regard est doux, ce qui rassure William, même s'il ne le mérite pas. Quand le rouquin reprend la parole, elle n'est que tendresse.

- Je comprends, dit-il et Seigneur, cela soulage Will de l'entendre. L'Ordre n'aurait jamais du nous imposer notre sexualité sans notre consentement, alors que nous ne la connaissions pas. C'était une énorme erreur de leur part.

    Son âme-soeur, tellement indulgent, sans trace de rancune envers William, malgré toutes les raisons qu'il a d'en éprouver. Bien au-delà de ce que l'Ordre leur a foutu sous le nez, c'était inenvisageable pour lui. À un point si extrême qu'il a rejeté cette possibilité et donc Jude. C'est de cette façon qu'il tente de se justifier auprès du rouquin. Il a commencé à l'accepter durant sa suspension, grâce au manque. Il a honte de son comportement, de son entêtement qui les a détruits à petit feu.

- Je ne sais pas pourquoi mon cerveau a mis autant de temps à s'accorder avec mon coeur, poursuit-il après avoir été coupé par la venue de leurs plats. Ni pourquoi il a autant réfuté cette idée et à devoir prouver que j'étais hétéro. C'était ridicule, je n'avais pas à te le faire payer. Tu étais innocent.

- Will, intervient Jude en posant sa main sur celle du Guerrier, ce qui le calme instantanément.

    Ses yeux se posent sur leur toucher. Une chaleur l'irradie, qui traverse ses veines. Leur premier contact. Il en tremble de plaisir. La peau de Jude est chaude, douce, elle donne envie à William de s'y blottir et de la garder contre lui. Elle va le marquer au fer rouge. Il savoure cette sensation.

    Jude lui affirme qu'aujourd'hui il comprend. Il lui a fallu longtemps pour se mettre à la place de William et imaginer ce que lui, pouvait ressentir. Depuis que Lance lui en a parlé, il y a beaucoup réfléchi.

- J'étais un véritable connard arrogant à l'époque, le contre Will ne supportant pas que Jude le défende. Je n'arrivais pas à exprimer ce que je ressentais, pas même à mon meilleur ami. J'ai retranscrit ma colère sur toi. C'était injuste.

- Ta colère m'a fait du mal et m'a détruit.

- J'en ai conscience Jude et je n'aurais pas assez d'une vie pour me faire pardonner.

- Les fleurs étaient un bon début, lui répond le rouquin en souriant avec tendresse.

    William a toujours su qu'il ne méritait pas cet homme, cela se confirme après cette conversation. Peut-être qu'une part de lui aurait voulu que Jude soit exécrable envers lui, qu'il lui fasse payer au centuple ses actions passées. Mais son âme-soeur n'est pas quelqu'un de méchant. Il n'est que bonté.

    C'est pour cette raison que William s'en est pris à Jude dès leur rencontre, parce qu'il savait que ce serait facile. Ce qui fait de lui l'homme le plus ignoble qui soit. Les sentiments de puissance et de contrôle que cela lui apportait sur ses émotions, semblent bien dérisoires maintenant.

- J'étais trop immature pour accepter ce que je ressentais pour toi, murmure-t-il en effleurant les doigts de Jude des siens.

- Qu'en est-il aujourd'hui ?, demande le rouquin d'une petite voix chevrotante.

- Je les accepte. Quand tu es parti, c'est comme si les barrières que je m'étaient imposées, c'étaient écroulées. Je... je ne l'ai pas bien supporté.

- Je suis au courant.

    Le ton timide du jeune homme apprend à William tout ce qu'il a besoin de savoir. Il n'est pas embarrassé que son âme-soeur sache pour sa tentative de suicide. En revanche, il est gêné de l'aborder face à Jude. Lui qui aime avoir la maîtrise, est incroyablement vulnérable en cet instant. Est-il nécessaire d'en parler ? Après tout, Jude a lu les rapports sur la clé USB, il sait absolument tout. Donc Will se contente d'avoir un sourire penaud.

    Un froid immense le traverse lorsque la main de son âme-soeur le quitte. Il le regarde, l'expression dévastée, avant d'entendre la serveuse leur proposer de débarrasser leurs assiettes et de leur remettre la carte des desserts. Il se retient de lui grogner après pour avoir coupé leur lien. Les yeux que Jude posent sur lui, éloignent son irritation. Ils sont une lueur d'amusement, mais aussi d'affection. L'estomac de Will fait un salto, tandis que des picotements le dévorent. Cette façon de se relâcher en présence de Jude le fait se sentir si bien, si serein, c'est si naturel.

    Il se perd dans la contemplation de son âme-soeur, encore. Depuis l'ouverture de ses sentiments pour Jude, ils ne lui ont jamais paru aussi merveilleux, aussi apaisant, tout cela grâce à sa présence. Parce qu'il peut les savourer pleinement. Il les laisse prendre possession de tout son être.

    Il remarque à peine qu'on leur apporte leurs desserts. Il est focalisé sur l'énorme coupe de glace que Jude a prise.

- Tu aimes toujours le sucré, dit-il pour lui-même.

    Avec une expression attendrie, il se rappelle le dévolu avec lequel le rouquin se jetait sur tout ce qui était sucré lors de leurs rendez-vous. Avant, il voyait ça comme de la gaminerie horripilante. Ce n'est plus le cas. L'homme qu'il est devenu se demande quel goût auront ses lèvres, tentantes, après la glace qu'elles ont touché.

- Oh que oui, rit Jude en prenant une cuillère de sa coupe pour la glisser dans sa bouche.

    Will se mord la langue afin de ne pas gémir face au tableau que lui renvoi le geste du rouquin. Par contre, il ne peut pas empêcher son sexe de gonfler. Il désire tellement cet homme qu'il en perd la raison. Cette fois, il l'accueil avec un plaisir incommensurable.

- William, l'appelle Jude, tuant dans l'oeuf ses pensées lubriques.

- Heu... oui ?, bégaye-t-il, le rouge lui montant aux joues d'avoir été pris sur le fait.

- J'avais l'habitude de faire face à la haine dans ton regard, lorsque tu le posais sur moi.

- Jude, souffle-t-il douloureusement en sentant son coeur se briser. Je...

- Là, je suis un peu déstabilisé par ce nouveau regard.

- Désolé, je...

    La grimace joueuse de Jude lui fait arrêter ses excuses pitoyables. La prochaine phrase de son âme-soeur, le laisse essoufflé sur sa chaise, le rythme cardiaque fou et des palpitations jusqu'aux bouts de ses orteils.

- Je n'ai pas dit que ça me dérangeais, seulement que je n'ai pas l'habitude que tu me dévisages avec cette envie au fond du regard.

    Il est encore plus surpris des mots qui sortent de sa propre bouche en fixant le jeune homme droit dans ses prunelles grises/bleues.

- Elle est partout dans mon corps, pas que dans mon regard.

    La peau claire de Jude se recouvre de rouge, de son cou à la pointe de son crâne. Pourtant, à la façon dont ses lèvres s'incurvent, William devine que son âme-soeur n'est pas aussi innocent qu'il paraît.

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