Chapitre 32
Lundi 28 Mars 2022, Washington D.C.
00h, chambre de Jude
Ce serait trop facile. C'est ce que se répète Jude, les yeux fixés sur l'écran de son ordinateur. Le dossier de William est ouvert, une liste de vidéos et de traitements de textes. Il en a marre qu'on lui rabâche les oreilles à coup de « écoute les explications de William », « laisse une chance à William ». Lance lui a dit, Andrea, Summer, Naomi. Il n'en peut plus. Et puis la curiosité l'a gagné. Une part de lui, malsaine a envie de savoir pourquoi on le tanne. Qu'est-ce qu'il y a de si important ?
Il tourne en rond dans sa chambre, bouillonnant de rage. Il ne doit rien à William. Seulement, il est assez lucide pour savoir que ce n'est pas uniquement de la curiosité qui le motive. Ce qui l'énerve au plus au haut point. Il peut se persuader autant qu'il veut, d'en avoir rien à faire, ce n'est pas le cas. Il y a toujours une pointe d'espoir, de compter un minimum pour William, mais cette dernière l'a tant fait souffrir durant des années. Il ne veut pas être déçu une nouvelle fois. Cela le détruirait.
Jude s'accroche à son bureau. Il est sûr que lors des premiers interrogatoires, William ne montrera aucune émotion, aucun regret. Inutile qu'il s'inflige cela, qu'il revoit la haine dont il a été le destinataire pendant si longtemps, qu'il laisse William piétiner les débris de son coeur.
Non, il ne visionnera pas les enregistrements vidéos. Ainsi, pas de déception de ne pas voir de grandes déclarations d'amour, comme Lance a pu le faire. Pas d'espoir vain.
Ce dont il est vraiment curieux, ce sont les documents écrits. Ils ne peuvent pas concerner l'enquête, Tay et lui, ont déjà appris tout ce qu'il y avait à savoir sur celle-ci. De plus, Lance n'en avait pas dans son dossier. Il ne tergiverse pas des heures, il s'assoit sur sa chaise et ouvre le premier fichier, pour nom une simple date ; le 22 octobre 2018. Le titre qui apparaît sous ses yeux, le fait froncer des sourcils. Un rapport. Ce n'est pas ce à quoi Jude s'attendait. Il s'empresse de le lire.
« Je soussigné, George Fesman, Guerrier en charge de la surveillance de Monsieur William Olson, déclare le rapport de situation suivant. Depuis le début du mois d'octobre, j'ai pu constater une déclinaison inquiétante de l'état de santé de Monsieur Olson. En voici les faits :
En effet, j'ai été témoin d'un manque de sommeil évident, d'une apathie sévère durant la journée et lors de nos échanges professionnels, d'un manque d'investissement dans son quotidien, ainsi que d'un manque de concentration dans son travail, d'une perte d'appétit importante. Monsieur Olson semble osciller entre de la tristesse et de la rage dirigée à son encontre. Lorsqu'il est seul, j'ai vu Monsieur Olson pleurer à plusieurs reprises. Il est évident que Monsieur Olson ne prend aucun plaisir dans les activités de sa vie quotidienne. Il s'isole volontairement des autres Guerriers. Il passe ses moments libres assis dans son canapé, le regard dans le vide.
Par ce courrier, je voudrais tirer la sonnette d'alarme et vous transmettre mes craintes concernant Monsieur Olson dont la santé physiologique démontre une déficience. »
Perplexe, Jude relit le texte pour être certain de bien le comprendre. Ce n'est pas parce que William a tous les symptômes d'une personne à la dérive, qu'il n'a pas fêté le départ de Jude, du moins au début de leur fuite. Il n'aime pas la façon dont son estomac se noue d'anxiété. Ce qu'il lit, éloigne ce qu'il s'était imaginé sur William.
Les doigts tremblants, il quitte le document, puis ouvre le second daté du 15 novembre 2018. Le libellé de l'hôpital en haut accentue son mal de ventre. Il s'agit d'un autre rapport, du médecin responsable des urgences.
« Monsieur William Olson est arrivé aux urgences ce jour à 9h43 en arrêt cardiaque. Prise en charge immédiate du patient avec réanimation à l'aide d'un défibrillateur. Le coeur est reparti à 9h45, suivis d'un rythme lent, mais régulier.
Ne présente aucun signe de blessures extérieures. Pas de présence de sang sur le corps.
La personne ayant trouvé le patient, nous signale que ce dernier était inconscient et allongé dans son lit, des boîtes de médicaments de tous genre confondus sur sa table de nuit.
Après ces informations, nous avons effectué des examens complémentaires, qui ont montré que le patient avait ingurgité une quantité importante de médicaments. Nous avons effectué un lavage d'estomac et posé une perfusion d'hydratation afin d'aider l'organisme à évacuer les dernières molécules des médicaments.
Patient mis sous surveillance en attendant son réveil.
Prévoir la visite du psychiatre.
Diagnostic : tentative de suicide par overdose. »
Les derniers mots clignotent dans l'esprit de Jude, pourtant, il a du mal à les assimiler. C'est impossible. William n'aurait pas... Non, cela ne correspond pas au Guerrier que Jude a connu. La déclaration précédente non plus ne concorde pas avec le si grand William. Lui, avant si fort, si inébranlable, si froid. Non, cela ne colle pas avec la vie de William que Jude imaginait. Pourquoi aurait-il pris des médicaments pour mourir ? Pourquoi le voulait-il déjà ?
L'esprit embrumé par une réalité que Jude ne veut pas admettre, il ouvre le troisième fichier. Encore un autre rapport, daté du 20 novembre 2018, mais cette fois-ci du psychiatre de l'institut.
« Le patient présente des symptômes de dépression sévère, depuis plusieurs mois. Mon diagnostic est confirmé après un entretient avec Monsieur Olson à la suite de son réveil et de son état à ce moment-là.
À la sortie de son coma, Monsieur Olson a eu une crise d'hystérie, avec des propos prouvant un état de détresse extrême, en effet, il a arraché sa perfusion et a tenté de sauter par la fenêtre de sa chambre. Nous avons dû lui injecter un calmant immédiat.
Monsieur Olson a exprimé le souhait de mourir et de ne pas vouloir continuer à vivre dans ces conditions, qui se résume à la disparition et à la perte de son âme-soeur : Jude Rhodes.
Au vu de l'état de santé de Monsieur Olson, je déclare celui-ci être un danger pour lui-même et pour sa vie. Je préconise une surveillance accrue du patient, ainsi qu'un dégagement total d'objets pouvant conduire Monsieur Olson à se blesser lui-même et un suivi psychologique intensif.
À ce jour, Monsieur Olson ne peut être laissé seul. Risque de suicide trop élevé. »
Jude est pétrifié sur sa chaise. Alors c'est réel. William a réellement voulu se tuer. Ses yeux ne cessent de revenir sur la même phrase, la cause de cette tentative. Parce qu'il a disparu. C'est aberrant, pas après les années à dénigrer Jude, à le détester et à commanditer sa mort. C'est tellement grotesque que cela ressemble à une mauvaise blague. Pourquoi William a-t-il changé d'avis aussi radicalement ?
William aurait pu mourir alors que Jude était de l'autre côté du pays. William aurait pu mourir. Cette réalité lui fait monter les larmes. Il voudrait le haïr et camper sur ses positions, c'est-à-dire, son âme-soeur n'a que ce qu'il mérite et en éprouver une certaine satisfaction. La souffrance que William a endurée est moindre comparée à celle que Jude a subie années après années. Seulement, il n'est pas cruel et il est bouleversé par ce qu'il vient d'apprendre.
Même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu retenir ses larmes. Il tourne la situation en boucle de sa tête et il n'en comprend toujours pas le sens. Se joue-t-on de lui ? Pourquoi Naomi, ainsi que les membres du Conseil, désiraient qu'il ait connaissance de cette histoire ? Pour qu'il parle à William parce que celui-ci a tenté de se suicider ?
Seigneur ! Il hoquète à cause des sanglots qui s'étranglent dans sa gorge. Qu'est-ce qui est arrivé à son âme-soeur ? Jude a également touché le fond, mais jamais il n'a été jusqu'à vouloir mourir. Taylor l'aurait empêché. William, lui, n'avait plus personne, tout le monde lui avait tourné le dos.
D'un claquement de doigts, toute sa colère disparaît. Il ne ressent qu'un vide immense. William a trop de pouvoir sur lui, pour simplement ignorer sa tentative de suicide. Une tentative qui aurait pu aboutir si le garde qui surveillait William ne s'était pas inquiété de son silence.
Dans sa tête, tout était simple. William ne voulait pas de leur lien, il lui a toujours fait bien comprendre, il a orchestré son meurtre avec l'aide de ses parents. Par conséquent, il aurait dû être le plus heureux après le départ de Jude, voir potentiellement marié avec des enfants.
Là, ces nouvelles données, envoient tout valser et violemment. Mais il ne peut pas songer à en parler avec William. Non, pas après ce qu'il a enduré par sa faute. Ce n'est pas parce que Taylor a accordé une seconde chance à Lance, et inversement car Lance avait plus de raison d'en vouloir à son âme-soeur, que Jude doit en faire de même. Leurs situations et histoires sont différentes. Jude a pardonné, encore et encore, pendant neuf longues années.
Et si finalement, après tout ce temps à espérer, William avait changé d'avis sur Jude ? Si par miracle, il s'était rendu compte qu'il avait des sentiments pour l'Érudit ? Non, Jude secoue la tête, il ne doit pas se bercer d'illusions. William, celui dont il se souvient, était si ancré dans ses certitudes que jamais il n'aurait pu commencer à l'apprécier. Mais en même temps, le William d'avant n'aurait jamais sombrer dans une dépression aussi sévère. Et voilà que l'espoir renaît et lui fait avoir des pensées dangereuses.
Il sursaute lorsque la langue fraîche et rugueuse de Sora effleure sa joue mouillée. Elle gémit, affolée par ses pleurs. Il profite de sa présence rassurante et de son réconfort, d'un bras autour de son cou. Il lui reste un peu de courage pour ouvrir l'avant-dernier document, daté du 20 décembre 2018.
Il s'agit d'un énième rapport sur l'état de santé de William, de sa dépression qui nécessite une prise en charge dans l'aile spécialisée de l'hôpital, car il ne peut pas être laissé seul dans sa chambre. Le risque suicidaire est encore élevé. Il maintient des propos allant dans ce sens. Il répète qu'il ne peut pas vivre sans Jude et avec tout ce qu'il a fait à son âme-soeur. C'est d'ailleurs la première fois qu'il qualifie Jude ainsi. Cette fois, le psychiatre utilise les termes « détresse émotionnelle ». Il explique le traitement antidépresseur administré à William, qu'il est toujours un danger pour lui-même.
Décidément, Jude ne s'attendait pas du tout à cela. Il a la tête qui tourne. Il est tellement nauséeux, tremblant, qu'il ne parvient pas à ouvrir le dernier document. Les larmes qui ne cessent d'accroître dans ses yeux lui brouillent la vue.
Le problème, c'est que Jude est incapable de ressentir de la rancoeur. Il est trop sensible, émotif et compatissant pour ça. Ce n'est tout simplement pas dans son ADN. Beaucoup le pensent crédule, mais il ne l'est pas. Il estime juste qu'il y a trop de haine dans ce monde pour en éprouver également. Les émotions négatives le font se sentir mal. Il n'aime pas être dans cet état.
Il n'est pas naïf au point de ressortir tous ses sentiments envers William, qu'il garde enfermé au fin fond dans son coeur. Il doit se protéger. Il ne peut pas s'empêcher de se demander ce que son retour provoque chez son âme-soeur. Ce dernier avait semblé consterné lorsqu'ils ont appris que leurs contrats de mariage avaient été annulés.
Et puis ses pensées reviennent constamment vers les mots qu'il a lus. Suicide. William mort et lui n'en sachant rien. Les larmes redoublent. Qu'est-ce qu'il est censé faire maintenant ? Il a besoin de sa bouée de sauvetage.
Depuis son retour à l'institut, c'est comme s'il avait tout mis de côté pour ne plus rien ressentir. S'il prétendait que tout allait bien, alors ce serait le cas. La découverte qu'il vient de faire, à ouvert les vannes. Il ne peut pas rester seul, au risque d'être submergé par sa crise d'angoisse, car il la sent arriver.
Sora l'aide à se mettre debout, elle garde sa tête contre le flanc de Jude, le soutenant pendant qu'il marche. Il a juste quelques pas à faire, ce n'est pas le bout du monde. Plus il songe à William et plus la boule dans son estomac grossit. Il a envie de vomir, il lutte de toutes ses forces pour ne pas régurgiter son repas.
Il se retrouve devant une porte. Celle de Taylor, car en bonne dragonne, Sora l'a conduit à leur refuge. Il n'a pas conscience de frapper contre le bois, puis après un temps qu'il est incapable d'estimer dans le coton qu'est son cerveau, son meilleur ami se tient face à lui.
C'est la voix de Taylor l'appelant, qui le fait émerger. Il prononce les terribles mots qui font saigner son âme.
- William, il a tenté de se suicider.
Si les bras de son meilleur ami ne l'avaient pas retenu, il serait tombé au sol.
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