Chapitre 3

Lundi 22 Mai 2017, Washington
7h, centre de formation des Guerriers

    Le sac de frappe bouge au rythme des coups de poings de William. L'aube s'est levée en même temps que lui. Le sommeil l'a fui une bonne partie de la nuit. Dès son réveil, il a eu le besoin irrépressible de se défouler. Il a donc enfilé une tenue de sport et est descendu dans la salle d'entraînement. Depuis, il s'acharne sur le punching-ball.

    Comme prévu, la culpabilité lui est tombé dessus, brutalement, en voyant la peine sur le visage de son meilleur ami toute la journée de la veille. Ses yeux reflétaient toute sa tristesse et c'est un tableau insupportable pour William. Son égoïsme ne devait pas blesser Lance, ni en faire les frais. Ni forcer deux gars de vingt-et-un ans à fuir leur foyer.

    Il ne voulait pas se marier et encore moins à un homme, mais merde, ça ne l'empêche pas de s'inquiéter de l'avenir des deux amis. Ce qui le rend vraiment hypocrite. Il se donne lui-même envie de gerber. Il n'a aucun droit de se soucier d'eux, il a obtenu ce qu'il voulait. Et pourtant, il est hanté par les iris gris/bleus de Jude.

    Il n'est pas du genre violant, se défouler de ses poings n'a jamais été son truc. La frustration qu'il ressent depuis des années, à besoin de s'évacuer. Peut-être qu'un coin de son cerveau le visualise lui-même à la place du punching-ball, pour se punir.

    Des pas claquent sur le lino de la salle, derrière lui. Sans avoir besoin de se retourner, il reconnaît la démarche de Lance. William ne pourra pas éviter son meilleur ami ad vitam aeternam, surtout pas avec ce que l'on attend d'eux. Il se fait l'effet d'un lâche, ce qui n'est habituellement pas dans son caractère. Sinon, il aurait fait face à Lance, tout de suite.

- C'est là que tu te planques, constate celui-ci à quelques mètres de William.

    Le choix des mots est intéressant et approprié, vu que c'est ce que William faisait. Il est mal à l'aise, parce qu'il a beau ne rien montrer au monde extérieur, garder un visage neutre, son meilleur ami lit en lui comme dans un livre ouvert.

- Je ne t'ai pas vu depuis qu'on nous a sortis du salon, poursuit Lance. J'avais des trucs à discuter avec toi.

    Ses sens se mettent en alerte et ses épaules se contractent d'appréhension. Afin de ne pas paraître encore plus suspect qu'il ne l'est déjà, il pivote d'un quart de tour, montrant uniquement son profil, tandis qu'il retire les bandes de protections sur ses mains.

- De quoi ?, demande-t-il.

- J'en sais rien, de quoi pourraient parler deux potes dont leurs âmes-soeurs viennent de se barrer sans prévenir personne et en faisant exploser une foutue grotte, où était retenu un putain de dragon ?

- Lance, prévient-il en faisant enfin face au concerné.

- Quoi ?, s'écrie ce dernier les yeux fous. Ce n'est pas ce que tu voulais, être débarrassé de Jude ? Félicitations, ton voeu est exaucé !

    William jette les bandes par terre de fureur. Il voulait être débarrassé de leur union, nuance. Le visage défait de Lance coupe ses ardeurs. Il s'attendait à le voir bouleversé mais pas à ce point. D'énormes cernes bordent ses yeux écarquillés et brillants de désespoir. Jamais, William n'a vu pareille lueur chez son ami. Il ne sait pas quoi répondre. Il mérite cette colère, elle est même légitime, puisqu'effectivement, c'est de sa faute.

    Comment peut-il avouer à l'homme qui est à un cheveu de l'hystérie que ses parents, à sa demande, sont responsables ? William ne peut pas. Les mots restent coincés au fond de sa gorge. L'éclat de trahison dans les yeux de Lance lui indique qu'il est déjà au courant. C'est douloureux de contribuer au malheur d'une des personnes que l'on estime le plus sur terre. Il pourrait tout nier, mais il refuse de mentir.

- Je ne voulais pas qu'ils partent, murmure-t-il en se soustrayant du regard de son vis-à-vis.

- Tu ne voulais pas de lui William ! Quel autre choix il avait ? L'accord était signé par tout le monde.

- Un accord Lance ? On nous a jamais demandé notre foutu accord.

- Je ne comprends pas Will, si vraiment tu étais réticent, tu aurais pu le dire à Donald, peut-être que...

- Que rien du tout, interrompt-il son ami. Gentiment, mais sûrement, on m'aurait obligé à me marier avec lui.

    Il ne souhaitait pas donner cette intonation agacée et aigrie à sa voix. Les épaules de Lance s'affaissent. Il passe d'énervé à dépité en une seconde. Lui aussi, a connu ce sentiment d'injustice, qu'on forçait le destin, mais il a réussi à l'accepter. Avec le temps, il en était même content, satisfait. William n'a pas pu s'y résoudre. Faut-il le blâmer pour ça ? Il ne peut pas forcer ses sentiments, ni à être quelqu'un qu'il n'est pas.

- Je ne comprends pas, répète Lance d'une voix déchirante.

    Si ce n'était pas complètement le cas, maintenant ça l'est; William se dégoûte. Il est un putain de lâche. Il n'a jamais osé confronter son chef et lui dire qu'il était hors de question qu'il épouse un homme. Avant aujourd'hui, il n'en avait rien à foutre des conséquences, tant qu'il échappait au mariage. Un putain d'enfoiré.

    Le résultat : quatre parents brisés, en pleurs et morts d'inquiétudes. Pire que toute, son meilleur ami le coeur déchiré en deux.

- Je ne sais pas quoi te dire, soupire-t-il en baissant la tête, honteux. Je suis désolé Lance.

- En fait, je préfère que tu ne le dises pas à voix haute. Je...

- Lance, je suis...

- Tais-toi Will, juste tais-toi, l'implore son ami, las.

    Ce dernier lui tourne le dos en passant une main dans ses cheveux blonds coupés court. William ne sait pas appréhender l'humeur actuelle de son meilleur ami. En général, Lance est la maîtrise incarnée, le genre de gars à ne jamais se laisser aller, submerger par les sentiments et l'armée a renforcé cela.

- Je vais tout faire pour les retrouver, le prévient-il.

- Je sais et...

- Oh non !, s'écrie Lance en se retournant, furieux. N'aie même pas le putain de culot de proposer ton aide. J'en veux pas.

    William retient la première réponse de connard qui lui vient. S'il ne se met pas à contribution des recherches, il va éveiller les soupçons sur lui. Bordel, même lui, n'arrive pas à croire que ce soit sa principale crainte. Soutenir le regard accusateur, écoeuré, trahi et meurtrit de son meilleur ami devient impossible. Il se laisse tomber au sol et remonte les jambes contre son torse, enserrant ses genoux. Une position vulnérable, qu'il n'a eu avec personne. Il ne sait pas s'il peut sauver son amitié avec son partenaire de toujours, mais il peut essayer de sauver les meubles. Cela ne réparera pas ce qui a été brisé.

- Je ne suis pas comme toi Lance, souffle-t-il pour commencer. Je ne peux pas ignorer les regards en coin, les moqueries sur mon passage parce qu'un shaman affirme que mon âme-soeur est un homme. Je ne suis pas gay merde !

- Il n'y a pas besoin d'être gay pour être attiré par un homme, le contre Lance en fronçant les sourcils, agacé par la remarque.

- Mais je ne suis pas attiré par les hommes et encore moins par Jude, tu l'as vu ?

- Ne sois pas insultant envers l'homme qui a failli mourir à cause de toi. Jude a certes des particularités, mais il n'est pas dégueulasse non plus.

    De toute façon, Lance est trop en colère contre lui pour être objectif. Cependant, il a raison. C'est misérable, voir répugnant, de parler ainsi de Jude, deux jours après sa fuite. Cela enfonce bien le couteau dans le dégoût de soi-même.

    Le problème étant, Jude a des « particularités », comme le dit si bien Lance, qui vont au-delà du physique. La santé du jeune Érudit est fragile, à l'opposé de la force attendue des Guerriers. Il est asthmatique, tombe malade pratiquement toutes les semaines, il bégaye tel un gamin trop timide, à une vue déplorable qui l'oblige à porter des verres de lunettes plus épaisses que lui. Ses mains sont toujours en train de trembler d'angoisse et de stress.

    Après l'annonce de leur lien, les gens se sont mis à commérer. Les Guerriers d'années inférieures ont parlé avec ceux plus vieux. Ainsi les templiers qui connaissaient Jude, ont tout balancé. William est devenu l'âme-soeur de l'Érudit raté. Une image dont il n'a jamais pu se défaire. Jude ne faisait pas non plus d'efforts pour démentir les racontars. William n'a pas supporté de voir sa réputation être entachée de la sorte par un gamin inutile.

    Il est vrai que William ne s'est pas évertué à apprendre à connaître Jude, encore moins à lui parler. Durant leurs rendez-vous obligatoires qu'on leur imposait une fois par semaine, ils n'échangeaient pas un mot. L'ainé prenait grand soin à ne pas ouvrir la bouche. Du départ, il a mis tout en oeuvre pour repousser le plus jeune.

    D'un point de vue extérieur, il gagnerait sans aucun doute la médaille d'or du connard arrogant et superficiel. Parce qu'à l'époque, il n'en avait rien à foutre, ni de Jude, ni de ses sentiments, ni de comment il pouvait vivre ce rejet. William ne pensait qu'à lui et c'est toujours le cas. Sinon, il aurait empêché ses parents d'attenter à la vie de l'Érudit.

    Il est stupéfait lorsque Lance s'assoit en face de lui, toute trace de colère envolée. Ce n'est pas comme si se battre allait faire revenir Jude et Taylor. Le pragmatique Lance ne s'abaisserait pas à utiliser ses poings pour résoudre ses problèmes.

- Qu'est-ce que tu vas faire alors ?, demande ce dernier.

    Non, Lance est du genre à frapper en plein coeur directement. Il sait appuyer là où ça fait mal. Donne matière à réfléchir, à se remettre en question. Oh, ce serait trop facile si en quelques heures, William aurait acquis une conscience.

- Je ne vais pas me mettre à l'apprécier ou je ne sais quoi parce qu'il a dû partir par ma faute, dit-il, mais poursuit immédiatement en constatant l'expression courroucée de Lance. Je regrette la façon dont ça s'est passé.

- Tu peux, réplique son ami avec véhémence. Jude n'a pas fui seul, mon âme-soeur l'a suivi.

- Je suis désolé, vraiment. J'aurais voulu que les choses se déroulent autrement.

- Une enquête est ouverte pour déterminer s'ils sont des traites ou s'ils ont fui et pour quelle raison.

- Je...

- Mais toi et moi, nous savons qui sont les vraies traites.

    C'est encore plus douloureux qu'un coup en pleine face. C'est un uppercut direct qui bloque la respiration de William et lui piétine les entrailles. La réflexion est amplement méritée. Si William était un homme digne de ce nom, il endosserait ses responsabilités et irait se dénoncer. Ce qui entraînerait ses parents dans sa chute. Il doit penser à sa survie et à son avenir, au détriment de celui qu'il a arraché à Jude.

- Ne dis pas que tu es désolé, le devance Lance alors qu'il ouvrait la bouche. Ça ne les ramènera pas.

- Tu me pardonneras un jour ?, s'inquiète-t-il d'une petite voix timide.

- Non. Parce que là, je sais qu'en dépit de tout, tu es content d'être libéré de ce poids et honnêtement Will, tu as beau être mon meilleur ami, je te déteste pour ça.

    Décidément, ses paroles sont pires que des coups et William les encaisse avec beaucoup de difficulté. À la fin, il finira au sol. Lance se relève sur ses pieds, prêt pour le round final. Il a récupéré son visage dur de Guerrier, impassible, le rendant dangereux dans ses manoeuvres. Il enfonce ses mains à l'intérieur des poches de son survêtement, habit qu'il porte uniquement pour les entraînements.

- J'espère qu'un jour, tu auras honte en te regardant dans un miroir, poursuit Lance, les yeux devenus noirs. Et ce jour-là, ce sera trop tard pour regretter tout le mal que tu as fait, y compris à toi-même.

    À ce moment précis, William baisse la tête, se sentant comme une merde, un moins que rien. Les yeux de son meilleur ami lancent des éclairs, le mitraillant sur place. Il ne s'attendait pas à une autre sentence.

- Je ne te dénoncerais pas auprès de Donald, non, assure Lance. Je veux que tu vives et que tu constates tous les jours, que tu sois obligé d'affronter quotidiennement les gens que tu as blessé.

    Les paupières de William se remplissent d'eau, il ravale sa salive, dans l'espoir que cela chasse les sanglots qui menacent de s'échapper de ses lèvres. Lance commence à avancer, puis au bout de quelques pas, pivote vers lui.

- Tu n'aimais peut-être pas ton âme-soeur, mais ce n'était pas mon cas, lui balance-t-il avant de définitivement quitter la pièce.

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