Chapitre 24
Jeudi 24 Mars 2022, Washington D.C.
15h, infirmerie de l'institut
Habillé de ses propres vêtements, c'est-à-dire un jogging et un sweat, Lance plie la tenue d'hôpital et la pose sur le lit. Il a hâte de sortir d'ici. Cela lui rappelle de trop mauvais souvenirs. Il veut finir de se reposer dans le calme de sa chambre, avant d'écrire son rapport et de se faire remonter les bretelles.
Moins groggy par les cachets, il a pleine conscience de ses aveux de la veille et de leur ampleur. Il ne les assume pas du tout, même s'ils étaient nécessaires pour réinstaurer un climat de confiance. Ce n'était pas une période plaisante, dont il a toujours un peu honte. Taylor a affirmé qu'il ne le voyait pas différemment et il était là, souriant, à son réveil. Peut-être qu'une fois la nouvelle digérée et assimilée, l'Érudit va faire marche arrière. Lance sait que c'est la peur qui parle à sa place.
Tout est si confus dans sa tête. Il a passé la matinée à réfléchir et à se poser mille questions. La principale est la suivante : est-il stupide de ne pas en vouloir à Taylor, de l'aimer encore et de vouloir le récupérer ? Parfois oui, il se donne l'impression d'être un gros débile, naïf, trop énamouré pour être clairvoyant. Mais il n'a pas envie qu'il en soit autrement. Et il a trop souffert pour renoncer si près du but, il ne le fera pas. Peu importe ce qu'on dit sur lui, si on le pense faible.
Ce qui compte, c'est l'opinion de Taylor. Leur histoire, leur relation, leur lien. Le fait que l'Érudit cherche à regagner sa confiance, qu'il ne soit plus en colère contre lui. Lance mérite ce qu'il désire au plus profond de son coeur.
La source de ses questionnements entre dans sa chambre, après s'être annoncé. Lance met à profit toutes ces années d'entraînement pour rester neutre devant la vision de son âme-soeur si beau dans son costume gris foncé. Il ne connaît personne qui porte aussi bien la veste, qui met aussi bien les épaules de quelqu'un en valeur. Il se prend en pleine face la déferlante de désir qu'il réprime depuis ses dix-huit ans.
- Salut, dit-il d'un timbre un peu trop rauque pour être naturel.
- Salut, répond Taylor en soupirant, ce qui joue sur le palpitant de Lance.
- Tu n'étais pas obligé de venir. Je sais que tu es occupé.
- Pas temps que ça et puis le médecin ne t'autorisait pas à sortir sans être accompagné.
- Merci.
Un autre pas dans sa direction. William aurait pu se charger de cette mission, mais Taylor a insisté. Pour le plus grand plaisir de Lance. Il ne refusera pas de passer une journée entière avec son âme-soeur. Il a cinq ans à rattraper et il veut connaître le nouvel homme face à lui. Même si plus les jours passent et plus il retrouve l'éclat du souvenir de l'ancien Taylor. Non pas que ce soit ce que Lance recherche. Il aime toutes les facettes de sa Destinée.
- Tu as tout ce qu'il te faut ?, lui demande celui-ci.
- Oui, nous pouvons partir.
Après les dernières recommandations du médecin, une boîte d'antalgique pour les migraines et des pansements pour sa plaie, ils quittent l'infirmerie. Le peu de gens qu'ils croisent les regardent d'un drôle d'oeil. Ils ne comprennent pas comment Lance a pu pardonner aussi vite à Taylor. Ce ne sont pas leurs affaires. Il n'a pas à se justifier auprès d'eux. En revanche, il sent le malaise émaner de son âme-soeur, malgré le menton relevé et ses épaules redressées fièrement.
- Tu veux faire quelque chose en particulier ?, demande-t-il pour détourner l'attention de Taylor.
- Tu dois te reposer.
- Je vais bien, je t'assure.
L'Érudit s'arrête en plein milieu du couloir qu'ils traversent et le dévisage, les sourcils froncés. Il est septique et veut en être certain de lui-même. Lance se prête, sans problème, au jeu de l'inspection, si cela tranquillise Taylor alors ainsi soit-il. Après une poignée de secondes, celui-ci hoche la tête avec un son de gorge pour montrer son approbation. Satisfait, Lance sourit.
- Donc ?, insiste le Guerrier.
- Allons à l'extérieur de l'institut boire un café. Au moins là-bas, personne ne nous fixera en se demandant pourquoi tu acceptes d'être avec moi, soupire Taylor en reprenant la marche.
- Quelqu'un t'a fait des réflexions ?
- Non, mais je ne suis pas sourd et certains ne se cachent pas lorsqu'ils murmurent sur mon passage.
Lance est immédiatement inquiet, il ne se laisse pas tromper par le ton désinvolte de Taylor. Ses foutues langues de vipères, il va leur arracher. Il ne tolérera pas que quelqu'un, se mette en travers de son âme-soeur et lui. C'est dans ces moments-là qu'il déplore le manque d'intimité à l'institut. En voyant sa mine renfrognée, Taylor lui assure que ce n'est rien de méchant, ou rien qu'il ne puisse faire face. Lance aimerait qu'il fasse front commun. Même s'ils n'ont rien à prouver, il souhaite montrer qu'ils sont solidaires, qu'ils se soutiennent, comme un couple.
Ce n'est pas juste un simple instinct de protection envers la personne qu'il aime, de toute façon, Taylor n'a besoin de personne pour se protéger. C'est plus philosophique que ça. Lance a ce désir de se sentir relié à son âme-soeur, de savoir qu'ils peuvent compter l'un sur l'autre. Un jour, il sait qu'il obtiendra ce qui lui est si cher à son coeur.
- Tu connais un endroit sympa ?, le questionne Taylor, tandis qu'ils arrivent à l'extérieur de l'institut.
- Oui, viens.
Un jour, il tiendra la main de Taylor pendant qu'ils marcheront. En attendant, il se contente d'être à ses côtés et de le conduire dans le lieu où il se réfugiait la première année de la fuite des Érudits. Ce n'est pas plus mal d'aller dans un endroit neutre. Lance pourrait se rendre n'importe où avec le tatoué. Taylor aurait pu simplement l'accompagner jusqu'à sa chambre, mais il a accepté de rester avec lui ailleurs qu'à l'institut. Le Guerrier essaye de ne pas voir ça comme un rencard.
Ils arrivent à destination, en silence. À cette heure de l'après-midi, l'établissement n'est pas bondé. Ils peuvent donc s'installer où ils veulent. Ils choisissent une petite table de deux, près de la fenêtre. Ils attendent qu'un serveur prenne leur commande avant de lancer une discussion. En dépit du calme très différent des salons privés de l'institut, Lance a une impression de déjà-vu.
- Si tu es fatigué ou quoi, tu me préviens et on rentre, exige Taylor, les doigts enroulés autour de sa tasse chaude.
- Oui. Merci d'être là.
Taylor lui répond par un sourire, qui se reflète dans la brillance de ses yeux. Quand l'Érudit a exposé sa condition d'annuler leur contrat de mariage, Lance a eu le coeur éclaté, maintenant, il comprend ce que voulait dire Summer. Il va conquérir son âme-soeur parce qu'il l'aime, faire les choses par eux-mêmes, sans pression de la part de l'Ordre.
Le plan est là, prêt à être mis en place. Il reste à Lance, à dépasser ses peurs, sa timidité que suscite Taylor, ainsi que son manque de confiance. Il a conscience que sa nervosité émane de lui par vague, ses gestes en attestent. Il triture tellement le sachet de sucre, non utilisé, qu'il va finir par le déchirer.
- Lance, l'appelle doucement Taylor, ce qui lui fait lever les yeux pour le confronter. Il y a un point que j'aimerais éclaircir avec toi.
- Lequel ?
- Comment tu as réussi à pardonner à William ?
La question de Taylor est légitime, puisqu'il doit se demander pourquoi Lance est toujours ami avec l'homme qui les a tous trahis. Il mérite d'avoir la réponse. Seulement, il s'agit du secret de William. Lance est partagé. Il ne peut pas dévier la vérité, elle est brute. Le mensonge n'est pas une option, tout comme celle de refaire les mêmes erreurs. S'il connaît l'histoire, Taylor sera plus enclin à pardonner à son tour. Lance l'espère.
William et lui avaient parlé de cette possibilité, de révéler leurs périodes sombres à leurs âmes-soeurs si l'un d'entre eux le demandait. Ils avaient tous les deux donné leurs accords. Avoir l'autorisation de son ami, enlève un poids sur son estomac. Il ne sait pas trop comment procéder, mais il n'y a pas trente-six façons de le faire.
- La première année, nous ne nous adressions pas la parole, commence-t-il. Après sa dénonciation et sa mise à l'épreuve non plus. J'essayais de lutter contre ma dépression qui venait juste d'être diagnostiquée, pendant sa mise à pied. Je ne savais pas qu'il sombrait aussi.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?, s'intéresse Taylor d'une voix douce.
- Lui aussi, était sous anxiolytiques. On ne se voyait pas, j'étais à l'infirmerie et lui sous surveillance par le Conseil. Et puis un jour, il est arrivé à l'hôpital.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il a essayé de se suicider.
Une boule grossit dans la gorge de Lance. Les souvenirs affluent. Il revoit William, allongé et inconscient, le médecin et des infirmières autour de lui, essayant de le réanimer. Son teint était si blanc, on aurait dit un fantôme. Il ne respirait plus, son coeur ne battait plus. Lance se rappelle s'être levé et de s'être approché, complètement tétanisé. Le personnel soignant n'arrêtait pas de hurler : « on le perd. Aucun signe de fréquence cardiaque », accompagné de : « qu'est-ce qui s'est passé bordel ? ». C'était presque irréel. Il n'y avait pas de sang et pourtant, William était en train de mourir. Lance avait toujours cru qu'en tant que Guerrier, ils mourraient sur le terrain.
Taylor le regarde, les yeux écarquillés et la bouche ouverte de stupeur. Les paupières de Lance se remplissent d'eau, mais il les retient de couler. Il ne va pas pleurer dans un lieu public.
- Seigneur, Lance, je..., murmure Taylor avant de s'interrompre et de poser une main sur celle de Lance.
- Ce n'était pas un appel à l'aide, reprend-il, désireux de tout raconter maintenant qu'il est lancé. Ni parce que la culpabilité était trop forte. Quand il s'est réveillé de son coma, il était abattu d'être en vie. Il m'a dit qu'il préférerait mourir que de vivre sans Jude. Il a été encore plus surveillé après ça.
- Comment a-t-il... ?, demande le tatoué sans parvenir à finir sa phrase.
- En prenant un cocktail de médicaments.
- Je... putain ! Je ne m'attendais pas à ça.
- Moi non plus, chuchote-t-il en agrippant les doigts de Tay. Tu sais, avant, j'étais comme toi, je pensais qu'il s'en foutait de Jude. Puis, il m'a expliqué les choses et je les ai plus ou moins comprises.
- Tu veux bien me les expliquer ?
Lance acquiesce sans réfléchir. Peut-être qu'au bout de trois ans, il a également besoin d'en parler, autre qu'avec sa psychologue. La présence rassurante de Taylor, ainsi que ses doigts chauds, qui n'ont pas quitté les siens, le calme. De sa main libre, il prend sa tasse afin de boire son café et ainsi, hydrater sa bouche trop sèche. Même si William ne verrait aucune objection, c'est gênant de parler derrière son dos. Lance n'est pas très à l'aise de le faire. C'est pour la bonne cause. Voir les personnes qui comptent le plus dans sa vie, réunis autour de lui, son voeu le plus cher.
- Avant de te rencontrer, je ne connaissais pas ma sexualité, avoue-t-il en reposant sa tasse vide sur l'assiette. William se pensait 100% hétéro et il n'a pas supporté qu'on lui impose un autre choix. Ce n'est pas vraiment Jude qu'il repoussait, mais ce qu'il représentait.
- Il n'a pas supporté aussi bien que nous, d'être attiré par un homme, devine Taylor, le visage crispé.
- Il ne s'est pas autorisé à l'être. Jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Il a eu une longue thérapie et je ne sais pas tout, mais quand il s'est enfin autorisé à s'ouvrir à ce qu'il ressentait pour Jude, il n'a pas supporter son absence.
- Je ne pensais pas qu'il pourrait aller aussi loin.
- Moi non plus. Le voir aussi dévasté, ça m'a achevé. Ma rancune ne l'aidait pas, au contraire, il avait besoin de moi, alors je l'ai mise de côté pour le sauver.
- Mon Dieu Lance, je suis tellement désolé pour tout ce que tu as dû traverser, souffle Taylor, la voix enrouée de sanglots contenus.
- Ça va maintenant. Je vais mieux, William aussi et vous êtes rentrés.
Taylor échappe un léger rire nerveux, tandis qu'une larme s'échappe de son oeil. Poussé par une profonde envie, Lance se penche et récolte la goutte d'eau sur la joue de son âme-soeur. Ce dernier bascule la tête contre la paume qui reste sur son visage. Ils frissonnent tous les deux à leur contact prolongé. Lorsque leurs yeux se plongent dans celui de l'autre, le ventre de Lance se serre de désir. Il pourrait se noyer dans les deux orbes Whisky qui le fixent.
Lance a l'âme d'un romantique, mais il est également un homme. Se retrouver en face, toucher, sentir sa peau sur la sienne, de la personne qu'il aime et qui est le seul à lui déclencher du désir, bouleverse ses émotions. Ses envies se bousculent et il a de plus en plus de mal à les réprimer. Quand Taylor n'était pas là, c'était différent, il pouvait contrôler ce qu'il éprouvait. Surtout, il a besoin de présence physique pour ressentir du désir sexuel. Ce qui est le cas aujourd'hui et toutes ses années d'attente lui explosent à la figure.
- Tu es si beau, échappe-t-il dans un murmure.
Le souffle de Taylor se coupe, puis un sourire mi-timide, mi-heureux prend place sur ses lèvres. Lèvres que Lance souhaite ardemment embrasser. Elles auraient le goût du café que leur propriétaire vient de boire. Le Guerrier serre ses cuisses. Il ne peut pas avoir une érection, sa première depuis longtemps, dans un bar. Il n'arrive pas à se concentrer sur autre chose que les picotements que lui procure l'épiderme de Taylor.
- Tu aimes ce que je suis devenu ?, l'interroge le tatoué avec une expression vulnérable qui touche le coeur de Lance.
- J'aime chaque partie de toi, que ce soit avant ou maintenant.
Le sourire de Taylor est si lumineux que Lance manque de vaciller tant il est ébloui. La lueur qu'il perçoit dans le regard de l'Érudit est celle de l'homme dont il est tombé amoureux.
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