Chapitre 18

Dimanche 20 Mars 2022, Washington D.C
8h, salle à manger privée de l'institut

    Tout a un goût amer aujourd'hui, une acidité qui ne veut pas quitter la bouche de Taylor, rendant toute nourriture infecte.

- Tu ne manges pas ?, lui demande sa mère en passant une main sur ses épaules.

- Je n'ai pas très faim.

- Tu es stressé pour tout à l'heure ?

- Oui, ça doit être ça.

    Ce n'est pas la réunion qui l'inquiète, mais la sensation d'avoir merdé alors qu'il n'est pas coupable. Et pourtant, la pointe de culpabilité le pique depuis sa conversation avec Lance. Les aveux du Guerrier, source de son tracas actuel. Il a encore du mal à réaliser, donc les encaisser encore moins. Il n'arrive tout simplement pas à le croire. Tout comme il ne peut pas rester en colère avec le visage dévasté de Lance en tête. Ce qu'il essaye vraiment d'oublier.

    Seigneur Dieu. Lance avait, a toujours semble-t-il, de réels sentiments pour lui. Qui attend quelqu'un pendant treize ans ? Un homme amoureux, visiblement, et demisexuel. Taylor ne s'attendait pas à ça. C'est surprenant et inattendu. Quelque part dans son effarement, il a émis des remords. Lance lui a reproché, très clairement, de l'avoir trompé. Il les considérait comme un couple.

    Un couple bordel ! Ils ne se sont jamais embrassés, hier, c'était la première fois qu'ils se touchaient en treize ans. Taylor aimerait ne pas éprouver de peine pour Lance. C'était plus facile lorsqu'il se persuadait d'être le seul à souffrir. Il s'est planté et en beauté. S'ils faisaient un concours de celui qui a le plus souffert, le Guerrier remporterait la médaille d'or.    

    Merde ! Lance prenait leur contrat de mariage au sérieux. Bon, Taylor aussi avant de partir. C'était également plus simple de s'imaginer que cela n'avait pas de valeur pour Lance, au-delà qu'un devoir imposé par leurs chefs. Il est un peu chamboulé, or, il ne peut pas se le permettre aussi tôt. Il ne peut pas chasser sa vieille amie la colère après tant d'années à cohabiter.

- Ne t'inquiète pas mon fils, l'interrompt son père en face de lui. Nous serons là.

    Ils sont revenus pour leurs parents, le reste n'est pas important. Taylor sourit à son père. Ce dernier le regarde comme s'il ne croyait toujours pas à sa présence ici. Philip et Judith Griffin ont changé, ils ont pris des rides de vieillesse, mais surtout d'inquiétude, aux coins des yeux. Des fils blancs parsèment leurs cheveux noirs. Cela n'enlève rien à leurs beautés, ils font juste leurs cinquante ans.

    La porte de la salle à manger s'ouvre sur les Rhodes. Son oncle et sa tante, ont eux aussi subit les cinq années écoulées. Maryse passe une main dans ses cheveux violets, avant d'embrasser sa joue pour le saluer. Erich tapote son épaule en lui souriant. Jude, après avoir reçu le même traitement de la part des parents de Taylor, s'approche de celui-ci.

- Ça va ?, l'interroge le rouquin en s'asseyant à sa gauche.

- Oui et toi ?

    Réponse simple, mais qui lui vaut un regard septique de Jude. Son meilleur ami le connaît par coeur et lit en lui comme dans un livre ouvert. Taylor lui en parlera lorsqu'ils seront seuls. Il ne va pas balancer devant ses parents que son âme-soeur de vingt-neuf ans est vierge et l'attend depuis treize ans. C'est délicat.

- On va devoir remettre les tenues réglementaires, murmure Jude en grimaçant, dégoûté.

- Oui, je profite de mes dernières minutes avec mon sweat.

- Et moi de mon jean.

    Jude adore les bas amples, vintages. Il va détester porter un pantalon à pinces tous les jours et toute la journée. Les Érudits ont un uniforme, au même titre que les Guerriers. L'enfiler va vraiment rendre leur retour réel, leur rendre leurs places au sein de l'institut. Taylor ne pensait pas aborder de nouveau le blason des Templiers. Le faire le laisse partagé. Impatience ou appréhension.

    Plus vite qu'il ne l'espérait, Jude et lui se retrouvent à la lingerie de l'institut. Si le rouquin a conservé sa taille, ce n'est pas son cas. Dans la cabine d'essayage, il se tient droit, face à son reflet du miroir. Il en a lui-même le souffle coupé. Il ne se reconnaît pas. La chemise blanche sculpte son corps musclé, tandis que la veste bleue met ses épaules en valeur. Le pantalon cintré souligne ses hanches et moule ses fesses de façon tout à fait agréable. Avec une certaine humilité, Taylor se trouve beau et le costume, parfaitement ajusté à sa morphologie.

    Derrière la cabine, sa mère le presse de sortir, encouragée par Maryse. Le bois fin qui les sépare, permet à Taylor d'entendre le soupir résigné de Jude. Il a un pincement au coeur. Il aurait aimé, pour son ami, qu'on leur laisse un peu plus le temps de s'acclimater, avant de leur revêtir les costumes. On leur a demandé de les porter pour leur introduction de tout à l'heure. Ils savent tous les deux qu'ils ne peuvent pas se présenter devant les membres de l'Ordre en civil.

- Ce que tu es beau !, s'exclame sa mère lorsqu'il ouvre la porte.

- Toi aussi, mon chéri, approuve Maryse les yeux rivés sur son fils. Magnifique.

    Taylor se tourne vers Jude. Il en a le souffle coupé. S'il pensait que la tenue lui rendrait justice, c'est encore plus vrai pour le rouquin. La couleur bleue, ce qui n'est pas surprenant, met absolument tout en valeur chez ce dernier. En commençant par ses deux yeux incroyables. Sa posture gênée ne gâche en rien ce tableau. Pour détendre son ami, Taylor siffle d'admiration. Jude répond par une grimace et une tape sur le bras.

    Leurs mères s'étranglent d'émotions. La poitrine de Tay se serre. Judith le regarde de haut en bas, comme s'il était l'une des merveilles du monde. À chaque fois que sa mère l'observe ainsi, il se prend en pleine face le malheur qu'elle a subi par son absence. Il manque de reculer lorsque dans son esprit, le visage dévasté de Lance se superpose à celui de sa mère. Il chasse cette image.

- Je pense que ce sont les bonnes tailles, dit sa tante en examinant son fils sous toutes les coutures.

- Mm. Si Tay prend une taille en dessous, les boutons de sa chemise vont exploser, grommelle Jude.

    Le concerné éclate de rire, en même temps que sa mère. C'est un peu exagéré. Taylor est certes musclé, mais pas au point de déchirer sa chemise trop petite.

    Ce détail étant réglé, ils commandent une série de costumes dans leurs tailles respectives. Sans lui demander son avis, Taylor choisit des nuances de bleu pour Jude et de gris pour lui. Décision validée par leurs génitrices. Ils quittent la lingerie, sous l'émerveillement de Naomi qui les attend à l'entrée.

    Ce matin, tout l'institut, Guerrier et Érudit, ont reçu une note d'information sur le retour des deux amis. Ils ne souhaitaient pas de cérémonie officielle devant tout le monde. Alors ils ont opté pour cette solution de communiqué. En revanche, ils ont rendez-vous avec les plus hauts placés de l'Ordre qui procèdent à leur réhabilitation et ce sont eux, qui leur remettront le blason qui ornera leurs vestes. Avec cinq ans de retard.

    Plus ils progressent et plus les deux amis angoissent. La respiration de Jude s'affole, sa mère lui frotte le dos, tandis que Taylor agrippe ses doigts. Leurs pères sont devant la porte. Ils ne disent rien, mais leurs yeux étincelants parlent à leur place. Après une rapide étreinte, ils entrent tous.

    Les six membres sont assis d'un même côté de la grande table au centre de la pièce, face à eux. D'un seul mouvement et en parfaite synchronisation, ils se lèvent. Donald s'approche d'eux et leur fait signe de s'asseoir.

- Bienvenue chez vous Messieurs, déclare la représente ultime des Érudit, spécialiste des Légendes.

- Merci, répond timidement Taylor.

    Jude se contente d'un hochement de tête. C'est tout de même impressionnant d'être face à ces gens et inquiétant. Car au bout de cinq ans de cavale, et ce, malgré le courrier qu'ils leur ont adressé, ils vont devoir répondre à leurs questions. C'est ce qu'ils font durant la prochaine heure. L'Ordre écoute le témoignage des deux amis. Ensemble, ils retracent l'enquête. On leur donne à chacun une clé USB contenant tous les détails, toutes les preuves, toutes les pièces à convictions.

    Vient ensuite l'interrogatoire sur l'après-fuite. Jude et Taylor se prêtent au jeu, en répétant le scénario qu'ils avaient préparé. On leur assure une nouvelle fois protection. On leur accorde les mêmes conditions que Naomi et Donald avaient déjà accepté. À la stupéfaction de Taylor, ils reçoivent des excuses de la part de tous et à voix haute. Apparemment, leur version des faits les satisfait.

- Maintenant Messieurs, il est temps de réparer une erreur, déclare l'un des deux chefs de l'Ordre.

- Naomi, à vous l'honneur, annonce le deuxième.

    L'homme confie à la cheffe deux boites en velours. C'est à elle que revient la tâche d'épingler le blason sur leurs vestes. Elle se lève, un immense sourire aux lèvres. À droite de Taylor, son père l'encourage à la rejoindre. Jude et lui, se redressent, puis vont se planter devant Naomi. Ils tremblent, mais tentent de le camoufler.

- C'est effectivement un honneur de vous rendre ce qui vous revient de droit, dit la cheffe avec émotion.

    Elle ouvre l'une des boîtes et en sort la broche en argent. Celle-ci se compose d'un bouclier sur lequel repose la croix des Templiers, aux quatre branches égales, en son centre est gravé la lettre E en écriture calligraphique. Naomi avance la main vers la poitrine de Jude, qui est le premier à recevoir le blason.

- Jude Rhodes reçoit l'étendard et ainsi, entre chez les Érudit, récite-t-elle la voix vibrante.

    Taylor voit son meilleur ami déglutir tandis que la main de Naomi se pose sur son coeur. La cheffe est aussi fébrile qu'eux, lorsqu'elle accroche l'épingle à son tissu, au-dessus de son coeur. Cela fait, elle a du mal à contenir son émotion. Elle étreint Jude avec amour. Le rouquin se tourne et passe derrière Taylor pour lui céder sa place.

    Leurs regards se croisent. Si Jude reste pudique, ses réactions corporelles attestent de son état. Son cou et ses joues sont rouges, ses iris brillants, sa poitrine monte et descend rapidement, mais son sourire est crispé. Cette cérémonie le laisse mitigé. Il ne montrera rien de plus, pas devant Taylor afin de ne pas lui faire de peine ou  de lui faire avoir des regrets. D'une démarche un peu raide, il va se planquer derrière les larges épaules de son ami.

    C'est au tour de Taylor. Sa respiration aussi s'affole. D'un coup d'oeil, Naomi le rassure. Au moment où les doigts de la cheffe touche sa veste, la gorge du tatoué se serre et son ventre se tord.

- Taylor Griffin, reçoit l'étendard et ainsi, entre chez les Érudits, répète Naomi.

    Elle épingle la broche. Le monde de Taylor s'arrête. Il avoue, sans plus aucune restriction, qu'il rêvait de vivre cela. Son coeur, qui bat la chamade, est soulagé d'une charge énorme. On lui rend ce qui lui a été si injustement retiré et ce pourquoi il est né. Enfin. Une joie incommensurable l'enveloppe. Il lutte contre ses larmes.

    Au bout de cinq ans, l'emblème des Érudit est sur lui, accroché fermement et pour le restant de ses jours. Cette fois, personne ne pourra lui reprendre. Il sent le poids du métal reposer sur sa poitrine. Il est presque comblé.

    Naomi l'attire dans ses bras, tandis qu'il a encore l'esprit embrumé par le bonheur. Il répond machinalement aux poignées de mains des représentants qui les félicitent, en leur affirmant qu'ils pourront reprendre leurs postes lorsqu'ils seront prêts. C'est beaucoup d'effervescence et il n'a pas le temps de profiter vu qu'il est sollicité de partout.

    Il finit contre sa mère dont les larmes mouillent son cou. À son tour, il laisse ses sentiments s'exprimer et pleure sur l'épaule de sa génitrice. Il rend également à ses parents ce qui leur revient. Leur fils, la fierté de recevoir la broche des Érudits.

    Tout est en train de rentrer dans l'ordre. Presque, mais il ne s'attarde pas sur la dernière chose. Il ne veut pas gâcher cet instant. Chaque jour à sa résolution d'un problème. Aujourd'hui, est réservé à la célébration de leur retour auprès des personnes qui compte le plus pour eux.

    Des heures plus tard, alors que la nuit est déjà tombée, Taylor rejoint Jude dans sa chambre. Il a troqué son costume pour un survêtement et un pull. Son épingle patiente sur sa table de nuit, en attendant d'être remise le lendemain. Il est si euphorique grâce à ce petit objet. Il a un sourire béat depuis qu'il l'a reçu.

    Il toque à la porte et entre directement. Jude est allongé dans son lit, sur les couvertures en train de caresser Sora qui est couchée sur ses jambes. Le rouquin tourne la tête vers lui, l'expression fatiguée.

- Tu étais resplendissant, lui confie Jude. C'était tellement toi.

- Merci. Toi aussi tu l'étais.

    Jude hausse les épaules, n'y croyant pas trop. Taylor s'allonge à ses côtés et gratte le ventre de la dragonne. Son meilleur ami lui a confié qu'il n'était pas sûr de vouloir devenir un Érudit et qu'il ne s'est jamais senti à l'aise dans ce groupe.

- Hey, l'interpelle Jude en prenant sa main, ce qui te rend heureux, me rend heureux. Tu te souviens ? Et Seigneur Tay, tu l'étais tout à l'heure. Ça m'a comblé de bonheur de te voir recevoir ta broche.

- Tu le seras aussi demain et les jours suivants ?, s'assure-t-il en jouant avec les doigts de son ami, anxieux.

- Je le serais chaque fois que je te verrais porter fièrement la broche.

    Un petit rire ému s'échappe des lèvres de Taylor. Il attire Jude dans une étreinte. C'était ce qu'il craignait, leurs aspirations divergent. Jude sacrifie une part de son bonheur pour satisfaire celui des autres. Ils s'étaient promis de ne pas tomber dans cet engrenage de culpabilité, il y en a assez eu. Le rouquin claque un baiser sur sa joue.

- N'y pense même pas à le regretter, le somme son ami. Aller ! Voyons ce que contiennent ses clés USB.

    Jude sort du lit et connecte l'appareil à sa télé. Ils ont lu les rapports papiers de l'enquête, mais pas les vidéos des interrogatoires. La curiosité les a poussés à les regarder ce soir. Il y a plusieurs dossiers. Bien sûr, Jude choisit celui intitulé « Lance ». Taylor a une grimace mécontente et un pseudo-regard noir, qui ne fonctionne pas. Le rouquin lui lance un sourire arrogant en reprenant sa place sur le matelas et démarre la première vidéo.

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