Chapitre 15

Jeudi 17 Mars 2022
13h, dans les airs

    Donald les a installés sciemment à l'autre bout de l'avion, sur les sièges les plus éloignés de Taylor et Jude. Ils ont pleine vue sur eux, même s'ils sont partiellement cachés. Ils parviennent à voir leurs profils quand ils bougent, leurs bras entre les accoudoirs. Ils les ont entendu rire avec Naomi, vu Jude enlevé le pull de Taylor pour exposer ses tatouages. William aurait tout donné pour être avec eux. C'est une torture d'être assis là à les regarder de loin. Surtout en étant témoin de la proximité des deux amis. Il en ressent de la jalousie. Lui aussi aimerait être proche de Jude et que celui-ci le touche.

    Dans une heure, ils arriveront à Washington D.C. Ils seront séparés et William ne sait pas quand il pourra revoir Jude. Les deux Érudits seront occupés, ils n'auront pas une minute à eux. Et si par chance, ils parviennent à s'en octroyer, ils ne l'accorderont pas à leurs âmes-soeurs. Rien que l'idée de ne plus apercevoir le rouquin, le ventre du blond se contracte d'angoisse. Il essaye de garder ses bonnes résolutions en tête. Il a passé le trajet à modifier son plan et à envisager différents scénarios et comment y faire face.

- Ça me tue, murmure Lance à sa droite.

    Il se force à détourner les yeux sur son meilleur ami et cela lui demande toute la volonté du monde de quitter Jude. Lance fixe Taylor, les traits tirés en une mine contrariée.

- J'ai vu Naomi dire plusieurs fois mon prénom durant leur conversation, poursuit Lance.

- T'as capté autre chose ?, demande William sincèrement concerné pour son ami.

- Il me semble qu'elle lui a dit que je n'y étais pour rien et que je ne savais rien.

- C'est plutôt une bonne chose non ?

- Je sais pas, c'est à ce moment-là que Taylor s'est renfrogné et que Jude lui a parlé à l'oreille, lui, il avait l'air content.

    Il a remarqué cela également. Enfin, juste la partie qui concerne Jude. Il ne fait pas attention aux autres. Ils ont appris à lire sur les lèvres, c'est au programme de leur formation. Donc cela ne l'étonne pas que Lance l'ait fait pour suivre, comme il peut, la conversation des Érudits. Pour William, c'était plus compliqué, car Jude est de profil ou camouflé par son siège.

- Qu'est-ce qui t'inquiètes alors ?, questionne-t-il perdu.

- C'est plus que je lutte pour ne pas courir et plaider ma cause auprès de lui.

- Je te comprends, mais on ne nous laisserait pas faire.

- J'espère que ça jouera en ma faveur, soupire Lance en croisant les bras sur sa poitrine.

    William ne peut pas s'empêcher d'envier son ami. Lui, personne ne risque de prendre sa défense. Il chasse cette pensée obscure, puisque c'est ce qu'il avait prévu de faire. Donc il l'espère pour son meilleur ami. Il tente de lui sourire afin de le rassurer. Après tout, Taylor ne peut pas rester indéfiniment en colère contre Lance. Il ne le pourra encore moins, une fois rentrer et que tout le monde confirmera l'innocence de son âme-soeur.

    Les hauts-parleurs de l'avion s'enclenchent et la voix du commandant résonne, les prévenant que l'atterrissage va commencer. Il leur demande de retourner à leurs sièges et de s'attacher. Il les préviendra lorsqu'ils pourront bouger et que les hôtesses de l'air les exhorteront à l'extérieur.

    Automatiquement, les yeux de William se posent sur Jude. Le jeune homme est agité et sa main agrippe celle de son meilleur ami. Le Guerrier aimerait être près de lui pour le calmer. Il se force à ne pas être trop impatient. En attendant d'obtenir la place de soutien de son âme-soeur, il est obligé de la céder à Taylor. Même si cela le tue.

    Il soupire en bouclant sa ceinture. Il ne lui reste qu'une poignée de minutes pour profiter de la vue de Jude. Après, eh bien, il lui sera arraché, encore. Ils auront un comité d'accueil sur le tarmac. Les parents des deux amis voudront être là, à leur arrivée, ce qui est normal. Eux aussi, ils attendent ce jour depuis cinq ans. Honnêtement, il a hâte de voir les deux familles réunies.

    De loin, parce que les Rhodes n'ont jamais voulu adresser un mot à William, il les a vu se morfondre, tomber dans la dépression, sans leur fils. Ça l'a littéralement foutu en l'air d'en être témoin. C'est un privilège d'assister à leurs retrouvailles. Un peu comme s'il réparait sa faute et qu'il leur ramenait Jude. Ce n'est pas grâce à lui qu'il rentre, mais c'est lui qu'il l'a retrouvé. Personne n'était au courant de la raison du départ des Guerriers, pour ne pas créer de faux espoirs.

    L'avion se pose sur la piste d'atterrissage, secouant ses passagers. Ils sont tous fébriles et inconsciemment, ils observent les Érudits. Naomi se penche vers eux, puis prend leurs mains liées, elle leur parle et William déchiffre ses mots « Tout va bien se passer ».

- Vous pouvez détacher vos ceintures et vous levez, annonce le pilote dans les haut-parleurs.

    William s'exécute immédiatement. Donald lui lance un regard d'avertissement. Il doit laisser les Érudits sortir les premiers, puis son chef, ses coéquipiers, puis Lance et lui fermeront la marche. Il brime ses instincts et envies pour rester en arrière, les yeux rivés sur son âme-soeur, qu'il ne quittera pas d'une semelle, temps qu'il le peut encore. Lance est aussi tendu que lui à ses côtés.

    Taylor aide Jude à mettre son sac-à-dos. Ce dernier n'arrête pas de jeter des coups d'oeil à la porte de l'avion. Sa nervosité est palpable. Naomi tente de le rassurer une seconde fois. Dès que le tatoué a les mains libres, il entoure le visage du rouquin. William ressent une autre pointe de jalousie. Il détourne les yeux, n'en pouvant plus de s'infliger une telle vision.

- Tout est prêt, vous pouvez sortir, annonce l'une des hôtesses en ouvrant la porte.

    La poitrine de Jude s'affole et cela demande à William toute sa volonté pour ne pas le rejoindre. Taylor est plus à même de l'aider, mais c'est douloureux de ne rien pouvoir faire, d'être simple spectateur de la souffrance de son âme-soeur. Comment a-t-il fait pendant huit ans ? Sa stupidité passée lui fout une claque mentale en pleine gueule. Il a déjà mis Jude dans cet état. Il ne veut pas y penser maintenant.

    Les deux amis s'enlacent, pendant que les Guerrier se mettent en place. Lorsqu'ils se relâchent, la respiration de Jude s'est calmée. Il hoche la tête et indique à Naomi qu'ils peuvent sortir. La dragonne se faufile dans la poche de son maître, ce qui semble être sa place favorite. Il vaut peut-être mieux ne pas confronter les membres de l'institut, tout de suite, avec un dragon.

- Allons-y, ordonne gentiment Naomi face à la porte, un bras tendu vers l'extérieur.

    Jude déglutit fortement en s'accrochant à Taylor. Ils avancent enfin, passent devant leur cheffe qui les encourage. Les Guerriers se mettent en formation. De là où il est, William ne voit plus le rouquin. Il déteste sa place que ces anciennes actions l'ont fait avoir. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

    Le silence les encercle, tout comme le stress des deux Érudits. William sait qu'ils ont avancé, car il entend des bruits de pas sur l'escalier en métal. Arrivée en haut des marches, il a pleine vue sur ce qui se passe en contre-bas. Les Rhodes et Griffin sont là, face à leurs fils qui se sont arrêtés après leur descente. William focalise son attention sur Maryse, qui elle, fixe Jude. Le temps se suspend, durant ce qui semble une éternité.

    Enfin, il y a du mouvement. Jude se précipite vers ses parents. Ce qui lance le départ des Griffin vers Taylor. Le rouquin se jette dans les bras de sa mère. Tandis que Judith en fait de même avec son fils. Erich, le père de Jude, entoure sa femme et son fils. William voit Philip faire la même chose. Il y a des pleurs bien sûr, de longues étreintes, des mots échangés. Ce sont les retrouvailles espérées.

    William est bouleversé par ce spectacle. Il ravale la boule coincée dans sa gorge. C'est tout ce qu'il souhaitait pour commencer à se pardonner. Ramener Jude à ses parents. Maryse s'écarte, souriant comme elle ne l'a plus fait depuis cinq ans. Elle répète à quel point son fils lui a manqué, paroles confirmées par Erich. Elle passe ses mains dans les mèches rousses en certifiant qu'il est beau. William est d'accord avec ça. Jude n'a jamais été aussi beau.

    Après un autre câlin, les Rhodes se tournent vers Taylor. Les deux couples échangent leurs enfants. Ils se considèrent tous comme une famille. Alors les Griffin sont heureux de retrouver le garçon qui est leur neveu de coeur. Le seul regret de William, d'être trop loin pour entendre clairement ce qu'ils disent.

    Naomi et Donald restent en retrait, leur donnant le temps et l'espace qui leur est nécessaire. Il n'y a personne d'autre sur le tarmac. C'est un moment trop précieux et intime pour être partagé. Taylor et Jude n'avaient pas besoin de voir tout l'institut, tout juste débarqués.

- J'aurais aimé être avec eux, murmure Lance. Ce n'est pas Judith et Philip qui m'en empêcheraient.

- Et au lieu de ça, on est bloqué ici, sans avoir le droit d'intervenir, répond William d'un ton agacé, mais peiné.

    Leurs collègues sont sur la terre ferme, autour les Érudits afin de les protéger. Lance a gardé le contact et de bonnes relations avec les Griffin, il aurait sa place avec eux. C'est William qui n'est pas désiré et qui a reçu l'ordre de rester loin des Rhodes.

- Même s'ils me le demandent, Taylor va refuser que je m'approche d'eux, enchaîne Lance, la voix vibrante d'émotions.

- Au moins, nous avons le droit d'être là aujourd'hui et d'assister à leur retour.

    Une consolation un peu maigre, mais à laquelle il s'accroche. Maryse et Erich ne lui pardonneront pas, en revanche, ils accepteront peut-être de lui parler. Judith redresse la tête dans leur direction, les mots qu'elles prononcent sont clairs : « merci ». C'est déjà un bon début. Lance est ému par sa gratitude. Il ferme violemment les yeux, pour refouler ses larmes.

- C'est incroyable à voir, confirme Lance en rouvrant les paupières.

    Et ce n'est pas fini. Maryse reprend son fils contre elle et l'embrasse sur ses joues. Pour une mère, il n'y a rien de pire que de perdre son enfant. William s'en voudra toute sa vie d'avoir créé autant de malheur. Il ne sait pas si un jour, il aura des enfants, mais si c'est le cas, il ne pourrait pas vivre ce que les Rhodes ont vécu. Ses bonnes volontés s'effritent. Le passé est encore trop présent pour aller de l'avant. Ou il ne pourra pas le faire tant que toutes ses erreurs ne seront pas réparées. Super ! Lui aussi, a la subite envie de pleurer.

    Il n'a pas le temps de s'appesantir dessus, car Erich propose à sa femme et aux Griffin de rentrer. Naomi valide ce choix et les conduit à l'intérieur de l'institut. C'est la dernière fois que William pourra voir Jude. Machinalement, il descend les marches, dans l'optique de suivre le groupe des Érudits, mais il est intercepté par Donald. Il est focalisé sur son âme-soeur qui s'éloigne de plus en plus. Il perçoit vaguement la voix de son chef. Il veut juste cinq minutes de plus.

    Les Érudits passent la porte d'entrée. À partir de là, William n'a aucune idée où sera emmené Jude. Naomi ne l'a pas informé de cette partie du plan. Non, lui, il est venu uniquement pour qu'on lui arrache le coeur et qu'on le piétine.

- Donald, laisse-moi juste..., plaide William en agitant les bras.

- Non, tranche le chef. Les conditions de Jude, tu te rappelles ?

- Mais je...

- Non William. Ses parents sont prioritaires. Vous les laissez tranquilles.

    Tout en parlant, Donald pointe William et Lance tour à tour. En ce moment, il ne fait que de leur donner des mises en garde et des instructions. Ce qui est frustrant. Souvent, Will a l'impression qu'ils ont servi uniquement à retrouver Jude et Taylor. Maintenant que c'est chose faite, ils sont mis sur la touche. La lucidité reprend le dessus. Son chef a raison. Il doit prendre son mal en patience, encore.

    Le téléphone de Donald sonne, interrompant la conversation. Il se contente de répondre par oui et d'accord. Cela doit être important pour qu'il soit sollicité, alors que tout l'institut savait qu'il revenait aujourd'hui. Il n'avait pas précisé quand. Il raccroche la mine sérieuse, le regard intransigeant du Guerrier.

- Je suis attendu en salle de débrief, annonce-t-il à ses membres. Vous venez avec moi.

    Dire non n'est pas une option. William lève les yeux au ciel, mais abdique. Au moins, s'ils ont une mission, cela les maintiendra occupé. Il préfère ça que de tourner en rond dans sa chambre, à cogiter. Il en deviendra fou. Sa mission qui lui a pris presque quatre ans, chaque seconde de son temps libre, est terminée. Bon, une autre l'a remplacé.

- Visiblement, nous n'avons pas le droit à une pause, soupire Lance à sa droite, à voix basse.

    William a besoin d'action pour ne pas sombrer et garder sous contrôle ses émotions, ainsi, elles ne le dominent pas. Au contraire de Lance qui a besoin de calme pour les dompter et les trier. Ce qui devra attendre plus tard.

    Lorsqu'ils pénètrent dans l'institut, il n'y a pas un bruit. Donald les fait traverser les couloirs sans que William ne puisse entendre des voix. Il se doute que les Érudits ont été emmenés dans un salon privé. Mais lequel ? Il y en a à tous les étages. Ils sont au centre de l'institut. Le quartier des Érudits est sur leur gauche, celui des Guerriers à droite. Il sera à l'opposé de Jude. S'il se balade par ici, tout le monde va savoir ce qu'il vient y chercher et ils vont l'en empêcher.

    Il va devoir choisir un autre subterfuge. En passant par les Érudits avec lesquels ils font équipe ? Mais comment ? En faisant en sorte qu'ils parlent de lui ? Il s'entend assez bien avec eux, il peut leur demander leur aide.

    C'est un début. Bizarrement, il se sent soulagé, comme si un poids avait disparu de son estomac, en sachant Jude ici. Il ne s'était jamais senti aussi léger de toute sa vie, à vrai dire. Le shaman l'avait prévenu, il commencerait à aller mieux quand Jude serait de retour. C'est le cas, il a l'âme d'un conquérant.

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