Chapitre 13
Lundi 14 Mars 2022, Havre, Montana
12h, bar où travaille Taylor
Lance bouillonne de rage. Il n'a jamais été aussi en colère de toute sa vie. Vu la tournure qu'on prise les choses, c'est soit ça, soit il se roule en boule pour pleurer. Taylor ne l'a pas regardé une seule fois, pire s'est montré d'une cruauté qui ne ressemble pas au jeune homme qu'il connaissait. Il repousse cette pensée douloureuse.
Les deux amis viennent de partir et Naomi sourit, heureuse, des larmes d'émotions dans les yeux. Elle vient de lui briser le coeur, de lui arracher tout espoir de parler à son âme-soeur, lui prendre son dernier regain d'optimisme. William est rouge d'énervement et fait à nouveau les cent pas dans la pièce. Il va exploser d'une minute à l'autre. Le reste de l'équipe ne sait pas comment réagir, alors ils se maintiennent en retrait.
Quand Donald rend le sourire à sa collègue, cela signe le coup de grâce. Rien dans cette situation n'a de quoi les réjouir. Il se laisse envahir par sa colère.
- Comment avez-vous pu ?, hurle-t-il en se levant.
Il claque ses mains sur la table, faisant sursauter tout le monde. Donald se tourne vers lui, surpris. Naomi perd son sourire et tant mieux. William s'est arrêté et le dévisage. Il s'approche des chefs, qui se sont également redressés. Leurs regards réprobateurs ne l'effrayent pas.
- Vous avez annulé nos accords de mariages sans nous le dire ?, continue-t-il tremblant de fureur.
- Lance, calme-toi. C'est le Conseil qui a pensé...
- Comment le Conseil peut-il décider de ça derrière notre dos ?, interrompt-il Donald.
- Ils décident de tout Lance, déclare Naomi calmement. Surtout quand l'un des deux concernés est responsable de la tentative de meurtre de son âme-soeur.
- J'ai déjà payé pour ça, intervient William.
Ce dernier rejoint son meilleur ami, prêt à faire front commun. Cela est peine perdue, le Conseil ne revient jamais sur une décision. Alors, il n'est plus fiancé à Taylor. Lance pourrait presque croire à l'expression navrée de Naomi, comme si elle pouvait comprendre sa douleur. Il lutte pour chasser la pensée qui le traverse et rejeter la faute sur William. Ils ont dépassé cette rancoeur.
- Ce n'est pas une punition, contre Donald en essayant de prendre un ton apaisant. Le Conseil veut penser à Jude et Taylor avant nos intérêts à tous.
- Depuis quand ? Ce sont des conneries ! Merde !, jure William.
- L'essentiel, c'est qu'ils rentrent à la maison. Vous avez une deuxième chance, plaide Naomi.
- Une deuxième chance de quoi ? Vous m'avez interdit de parler à Jude.
- À juste titre William. Il méritait de poser ses limites et que nous les respections.
Sur ça, Lance est en adéquation avec les chefs. Après ce qu'a vécu et traversé Jude, qui est le principal concerné dans cette affaire, il a le droit d'avoir les pleins pouvoirs. Il est de la responsabilité de William de lui laisser de l'espace, le temps de pardonner ou d'oublier le passé. Il a bien fallu deux ans pour que Lance commence à renouer avec son meilleur ami.
Enfin, c'est facile de dire ça pour les autres, mais il est incapable d'y mettre en application pour lui-même. Son travail auprès de Taylor est différent. Il va devoir prouver au jeune homme qu'il n'y est pour rien et qu'il a regretté chaque jour de son absence.
Donald interrompt la conversation. Ils ne peuvent pas rester ici, car ils ont privatisé le bar uniquement pour la matinée. Lance se mure dans le silence. Leurs chefs sont certes bienveillants, mais ils demeurent des dirigeants de l'Ordre du Temple. Ils sont entraînés pour être obéit et pour commander. Ils n'apprécient pas d'être remis en cause, même s'ils l'ont fait en ce qui concerne l'histoire de Jude et Taylor. Rien ne les fera changer d'avis pour les conditions accordées et c'est normal pour rétablir le climat de confiance. Malheureusement, ce n'est pas en leur pouvoir de réhabiliter leurs contrats de mariage.
De retour à l'hôtel, William part s'isoler dans la cour, suivi par Summer et Andrea, qui ne veulent pas le laisser seul. Les chefs après un dernier regard et une mise en garde de ne pas sortir jusqu'à nouvel ordre, partent dans leurs chambres. Ils vont sûrement appeler les parents des Érudits et avertir l'institut qu'ils reviennent. Lance ne peut pas rester sans rien faire, il va devenir fou. En désespoir de cause, il rejoint son meilleur ami, ses deux autres coéquipiers sur les talons.
William est appuyé contre un mur, les mains autour de son crâne. Dieu merci, il a les cheveux court, sinon, il les arracherait. Andrea tente en vain de le calmer. Lance connaît son ami, c'est son moyen pour gérer ses émotions, celles qui habituellement, il déteste ressentir.
- Hey, lui murmure Summer lorsqu'il arrive à ses côtés.
Les yeux de sa collègue lui posent une question silencieuse qu'elle n'ose pas prononcer à voix haute. La réponse est évidente. Non, ça ne va pas. Il a mal au coeur, a envie de se rouler en boule pour pleurer. Taylor ne lui a jamais autant manqué que maintenant.
- Les gars, je vous en prie, souffle Andrea tendrement dans le but d'apaiser les tensions. Ne vous mettez pas dans cet état. Ne baissez pas les bras aujourd'hui.
- Andy a raison, réagit Stanley en apportant des cafés chauds. Bordel, au bout de cinq ans, vous les avez retrouvés.
- Je sais, mais je..., commence Lance peu sûr de lui. Je ne m'attendais pas à ça.
- Je ne crois pas que ce soit une fin, dit Summer. C'est un renouveau, un moyen de ré-écrire votre histoire et de faire les choses bien. Et si vous vous mariez un jour, c'est parce que vous le voulez tous les quatre, pas parce qu'un bout de papier le dit.
En gros, ils se mariaient par amour. De son côté, c'était déjà le cas. Lance est tellement défaitiste qu'il ne voit pas le bout du tunnel. Ils ne vont pas abandonner si près du but. C'est juste que le Taylor qu'il a découvert là, est si éloigné de l'homme dont il est tombé amoureux, qu'il n'est pas sûr de pouvoir le reconquérir.
Après, lui n'a pas reçu l'ordre, ni des chefs, ni de Taylor, de rester loin de son âme-soeur. Bon, c'est atrocement égoïste, mais au point où il en est... Il est putain de désespéré, que cinq ans ont mis au fond du gouffre.
- Tout a changé, eux comme vous, poursuit Summer. C'est normal que les choses se soient déroulées ainsi les gars. Soyez patients. Je sais que vous voulez tout, tout de suite, mais cela ne marche pas comme ça.
- Nous vous laissons digérer, propose Andrea. Ça fait beaucoup à encaisser.
Lance hoche mécaniquement la tête. Qu'est-ce qu'il peut faire de plus ? Aller à l'appartement de Taylor ? Cela serait inefficace. Regarder les vidéos de caméras de surveillances de la ville en espérant l'apercevoir ? Cela fait un peu trop psychopathe. Il sait que la prochaine fois qu'il verra le jeune homme, ce sera dans l'avion quand ils rentreront à Washington D.C.
Andrea presse l'épaule de William, Summer celle de Lance. Puis ils partent tous les quatre, laissant les deux amis ensemble. Ils soupirent de concert, las et fatigués. William passe une main sur son visage, qui se transforme en une expression déchirante. Lance s'assoit et cale son coude sur la table, puis pose sa tête sur son point.
- Quelque part, ils ont raison, je le sais, déclare William. Je voulais que ce soit facile pour ne pas avoir à faire face aux conséquences. Je ne méritais pas que Jude me saute dans les bras, mais toi, tu le méritais.
- Avant, je ne comprenais pas ce que j'avais vu dans le regard de Taylor, le dernier jour où nous nous sommes vus. Maintenant oui. C'était de la déception parce qu'il pensait que je l'avais trahi.
- On va arranger ça Lance. On ne va pas baisser les bras, bordel ! J'ai merdé pendant huit ans avec Jude, je l'ai fait souffrir et aujourd'hui, plus que jamais j'en ai été témoin. Je veux le retrouver.
- Et moi donc, souffle Lance en reniflant. Ils ont tant changé.
- Mais comme l'a souligné Summer, nous aussi. Nous avons appris de nos erreurs.
Les erreurs que Lance a comprises, c'est qu'il s'est laissé guidé par l'Ordre dans sa relation avec Taylor. Il n'a jamais pris d'initiatives, n'a jamais montré à son âme-soeur qu'il tenait vraiment à lui, qu'il était vraiment amoureux de lui. C'est pour cela que Taylor n'a pas sollicité son aide.
William a mis longtemps à les réaliser et à les accepter. Il n'a pas tout avoué à Lance, par pudeur et honte. Un jour, il lui a dit que la dernière image qu'il avait de Jude, c'était le jeune homme en train de sourire pendant qu'il lisait un livre. Parce que William n'avait jamais été le destinataire d'un tel sourire, lui n'avait droit qu'aux lueurs tristes.
- Putain ouais !, finit par s'exclamer Lance. On n'a pas passé ses cinq dernières années à les chercher jour et nuit pour se morfondre une fois fait.
- Exactement. On va récupérer nos âmes-soeurs.
- Ça risque d'être le plus dur de nos jobs.
- Mais on aura la plus belle récompense, expose William, un rictus sur les lèvres.
Le Guerrier se décolle du mur et s'assoit en face de Lance, qui est amusé par l'élan de romantisme de son meilleur ami. C'est comme si Jude avait appuyé sur un interrupteur, après sa fuite, et fait surgir des émotions inconnues et insoupçonnées chez William.
- L'un de mes plans était de parler à Taylor pour lui expliquer toute l'histoire, explique Will. Lui dire que c'est entièrement ma faute que tu n'y es pour rien. Réparer une partie de ce que j'ai cassé.
- Ouais, alors, c'est gentil, mais sans vouloir te vexer, Taylor semble te détester encore plus que moi.
- Oui, c'est pour ça que mon plan initial est tombé à l'eau.
- Je suis quasiment sûr que Naomi et Donald leur ont déjà tout dit, lui fait remarquer Lance.
- Alors battons-nous.
Non loin d'ici, dans leur appartement, Taylor et Jude commencent à emballer leurs affaires. Lance ignore qu'il a un allié dans sa bataille, car le rouquin a démarré le travail dès qu'ils ont passé les portes du bar. Il a vu les regards du Guerrier sur son meilleur ami. Le problème ? Et bien, ledit ami s'est enfermé dans le silence, parce qu'il sait où Jude veut en venir. Il refuse de l'admettre.
Taylor va se barricader dans sa chambre sous prétexte de s'occuper de ses vêtements. Ce sont eux qui ont le choix pour la date du départ donc techniquement, ils ne sont pas si pressés que ça. Pas de là, à le faire à peine rentré. C'est juste une diversion et en moyen pour lui de rester occupé. Jude opte pour une autre tactique, une plus neutre, qui n'inclus pas leurs âmes-soeurs.
Il caresse le ventre de Sora, qui est allongée sur le canapé, la tête pendante, puis va rejoindre Taylor. Les gestes de ce dernier sont fébriles, ses doigts tremblent. Jude a encore en mémoire ses larmes de samedi. Tout le corps de son meilleur ami traduit ce qu'il veut, ou ne veut pas dans ce cas présent. Ne pas faire de débrief sur leur conversation de tout à l'heure.
- Je me disais qu'on devrait appeler Spencer pour le prévenir, propose-t-il en s'appuyant contre le chambranle de la porte.
- Il va certainement nous engueuler et nous dire qu'on fait la plus grosse connerie de notre vie.
Jude hausse les épaules. Il n'en sait rien, mais ils ne le sauront pas s'ils ne le font pas. C'est la moindre des choses. Tay continue à plier ses pulls, Jude s'approche et lui prend les mains pour le tourner face à lui. Il aborde un sourire tendre.
- Viens.
Il les conduit jusqu'au salon et récupère son portable. Il appelle l'ancien chasseur, même si Tay reste absent. Ils ont besoin d'une distraction.
- Allô ?, répond Spencer après plusieurs sonneries.
- Salut, comment ça va ?
- Vous êtes dans la merde ? Parce que vous m'appelez que quand vous êtes dans la merde.
- C'est faux !, rétorque Jude offensé.
- Un peu quand même, admet Tay, sortant de sa léthargie.
- Alors qu'est-ce qui se passe les gars ?
- On rentre à Washington.
L'aveu de Taylor est accueilli par un long silence. Jude le dévisage, il n'avait pas prévu de le balancer aussi brutalement. Ils entendent Spencer dire à quelqu'un qu'il sort dehors, probablement son âme-soeur, une porte claquer, puis de nouveau sa voix.
- C'est une bonne chose les gars. Je ne suis pas un grand fan de l'Ordre, mais il était temps pour vous de rentrer.
- Ils sont là aussi, dit Tay, la voix vacillante.
- Je ne suis pas vraiment surpris, ils vous cherchent depuis cinq ans, becs et ongles. Ça va aller les gars.
- Ouais, mais on va moins pouvoir communiquer, ils vont nous surveiller, informe Jude, peiné par cette idée.
- On trouvera une astuce. Je dois vous envoyer le faire-part de mon mariage.
Les deux amis poussent une exclamation étonnée, mais joyeuse. Spencer leur apprend qu'il a demandé Swann en mariage et que ce dernier a accepté. Ils le félicitent, sincèrement heureux pour lui. À leur plus grande stupeur, l'ancien chasseur les soutient et est d'accord avec leur décision. Un jour ou l'autre, il faut cesser de fuir, affronter ses peurs et se battre pour sa vie et pour son bonheur.
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