Chapitre 9 - Échappée Belle aux portes de la guerre [Réécriture]
-3 ans avant ADLP- (saison des brumes)
— Holf regarde ! C'est la tour de jade dont je t'ai parlé ! s'émerveilla Kilna.
Relevant la tête, le mérolt observa dans la direction que pointait le petit doigt fin de sa compagne. Il en resta bouche bée... Durant les quelques jours passés à bord du Blubice Enchanté et pendant leur périple, Kilna avait pris un plaisir non feint de lui décrire sa vie à Sora. Elle lui avait dressé des descriptions très précises des paysages à venir, des monuments d'exception, et de ses connaissances en commençant par le roi qu'elle servait fidèlement. Holf, les yeux écarquillés, se perdaient dans la contemplation de la tour de Jade. La brume s'enroulait autour de ses façades, luisantes sous les délicats rayons de soleil qui parvenaient à percer le ciel opaque. Une flèche de pureté au beau milieu de la frontière de Creïka.
— Quelles autres merveilles recèle ton pays, Kilna ?
Saisissant l'invitation à se livrer plus encore, la domestique lui parla de la sublime bibliothèque de Sora, de la tour de pierre d'écume du mage et de la grande cours de marbre blanc qui prenait place au centre du château.
— Si tu restes assez longtemps avec nous, je saurais te faire découvrir nos terres !
Holf savoura le fait que Kilna ne puisse pas voir son visage rougir, s'enflammer comme il venait de le faire. Cette nouvelle proximité entre eux le réjouissait au plus haut point. Grâce à une belle nuit passée sous les étoiles à se raconter leurs histoires, sa belle servante s'était rapprochée de lui, poussée par le froid. Il avait alors pu profiter de son doux contact en l'entourant de ses bras protecteurs. Les deux jeunes gens avaient ainsi surmonté la nuit, se rapprochant plus qu'ils n'auraient pu l'imaginés.
— Regarde, voilà les remparts du château ! J'ai tellement hâte que tu le découvre. Notre roi sera ravi de t'accueillir, sans compter que tu as sauvé une de ses domestiques !
— Ne penses-tu pas qu'ils se seront inquiétés pour toi ?
— Ne raconte pas de bêtises. Nous sommes bien trop nombreux pour que quiconque remarque notre absence. Nous travaillons tous dans l'ombre, fiers de servir notre roi. Il n'est pas rare que certains s'en aillent par la suite, fonder leur propre vie dans les campagnes du royaume, des fois à l'insu de tous.
Holf réfléchissait à ses paroles, pleines de loyauté. Il entendait l'écho de la satisfaction qu'elle ressentait à servir ce seigneur dont il ne connaissait rien. Quel souverain pouvait-il être suffisamment exceptionnel pour que ses serviteurs soient si dévoués, au point de travailler sans relâche sans aucune reconnaissance ? Holf avait entendu bien des histoires sur Sar Ier, Le Justicier. Il se rappelait les récits que sa mère lui faisait de son enfance et les temps d'autrefois étaient bien moins prospères. Tous s'accordaient à dire que le fils du roi fou avait pacifié le continent, rétabli les communications et les échanges. Une œuvre titanesque au vue de la situation passée et des tensions qui régnaient à chaque frontière. Il lui tardait de rencontrer cet homme d'exception.
Kilna, loin de vouloir s'inquiéter, ne put s'empêcher de remarque l'absence d'animation à l'extérieur des remparts. Les étals de marchands, habituellement noyées sous la foule, était belle et bien envolée. Le doux brouhaha de la vie du château ne résonnait pas et les premières habitations qui bordaient le palais étaient closes. Alors qu'ils approchaient du pont, la voix des gardes qui hurlait leur arrivée retentit, accompagnée des cloches de la vigie.
Le cœur palpitant, Kilna attendit patiemment que le pont s'abaisse, surprise qu'il ne soit pas ouvert aux visiteurs comme à son habitude. Lorsqu'il fut finalement à plat, permettant ainsi le passage, c'est une garnison d'hommes armés qui les rejoignit au pas de course.
— Descendez de votre monture. Tout de suite ! ordonna un des hommes d'un ton peu engageant.
— Que se passe-t-il ? Je suis une des servantes du château et je...
— Nous avons ordre d'arrêter les mérolts. Celui-ci ne fera pas exception, la coupa un des gardes.
Le cœur de Kilna rata un battement. Elle n'eut pas le temps de consulter Holf du regard que déjà, trois des hommes le saisirent et le forcèrent à descendre. Sans autres formalités, ils l'emmenèrent dans l'enceinte du château avec brutalité. Kilna hurla son nom, couru jusqu'à eux, se jeta à leurs pieds et supplia les gardes de ne pas blesser son sauveur. Elle implora à genou qu'on lui fournisse des informations sur ce qu'il venait de se passer. Rien de tout cela n'avait de sens. Sora, d'habitude si accueillante, semblait s'être transformée en poste de guerre. Elle remarqua au loin le chef des armées, qui observait la scène d'un air tendu. Kilna se redressa vivement et vola auprès d'Athèlme, ignorant les injonctions de s'arrêter.
— Mon général ! s'écria-t-elle en se jetant à genou une nouvelle fois. Je vous en prie, nous arrivons avec des informations extrêmement importantes ! Je dois absolument voir le roi.
Athèlme reconnu immédiatement Kilna et un sourire éclaira son visage, rapidement chassé par la mine désespérée de son amie. Il la connaissait depuis son premier jour au château, elle avait subi ses farces mais également son amour. Kilna avait été comme une mère pour lui lorsqu'il en avait eu besoin. Jamais elle ne l'avait dénoncé quand il commettait ses nombreuses bêtises et qu'il pillait les cuisines, prise d'affection pour le petit homme turbulent qu'il était alors. Et voilà des jours qu'il ne l'avait pas aperçue...
— Kilna ! Mais où étais-tu donc passée ? Je pensais que tu étais partie sans dire au revoir et...
— Mon général, le coupa-t-elle dans un souffle, je ne comprends rien de la situation actuellement mais j'ai été enlevée par un ennemi de Sora. Je dois impérativement voir le roi. Si Holf, le mérolt que vos hommes sont en train de brutaliser, n'avait pas été là, je ne serais peut-être plus ici pour vous en parler ! Laissez-le partir, nous devons voir le roi, je vous en supplie !
Athèlme ne pouvait rester indifférent face à temps de détresse. Son cœur battait plus fort, oppressé par l'impuissance qui le tenaillait. Les yeux d'azur de Kilna étaient si profondément plongés dans les siens qu'il ne pouvait plus réfléchir calmement. Des perles de ciel, embrumée par des larmes invisibles, discrètes, qui jamais ne tomberont retenue par une fierté indestructible et une détermination sans faille. Il était troublé.
— Bien je vais voir ce que je peux faire, articula-t-il avec peine. Suivez-moi. Concernant votre ami, je ne peux cependant pas intervenir pour le moment. Merïa est accusée de haute trahison envers les terres de Brazla.
Sur ses talons, Kilna lança un dernier regard plein de soutient à son ami toujours maintenu par les soldats. Le roi l'écoutera elle en était sûre. Elle ignora son sang qui bouillait dans ses veines et son cœur qui se trouvait au point de rupture... Qu'avait-il bien pu se passer pendant son absence.
— Kilna, je dois te prévenir qu'un premier régiment est déjà parti à l'aube en direction du palais du seigneur Dal'Aqual, afin de le faire répondre de ses actes, l'informa Athèlme avec compassion.
Kilna ne sut quoi répondre, mais elle apprécia que le général prenne la peine de l'informer de la situation. Elle ne savait toutefois toujours pas pourquoi Merïa était à présent devenu ennemi d'état. Elle se contenta donc de baisser la tête, abattue. Sar saurait l'écouter, tout espoir n'était pas perdu pour Holf !
***
— Moïe ? Qu'est-ce que ça donne ?
Malvina et le mage, trop absorbés par leur mission, ne s'étaient même pas donné la peine de s'intéresser aux nouveaux venus. Ils n'avaient pas quitté leur place, impatients de libérer enfin le pauvre lion.
— Ça y est ! S'écria le demi-elfe sur un air de victoire ! Approche toi de la cage veux-tu ?
Malvina obtempéra, mais avant elle ferma les yeux et tenta de percevoir les filets d'énergies vitales émis par le lion. Et elle les trouva ! Rouvrant ses grands yeux en amande, elle s'approcha sereinement de l'animal, qui cette fois, ne broncha pas. Son cœur battait la chamade sous l'intensité de sa joie et elle devait déployer tous les efforts pour ne pas fondre sur la cage. La bête l'observait de ses yeux d'or, plus calmement que jamais. Malvina atteint finalement le bord des grilles de métal et posa sa main contre les barreaux. Le lion, confiant, se releva finalement et vint poser son museau dans la paume de sa sauveuse. Elle lisait dans son regard toute la gratitude d'une bête retenue trop longtemps par un sortilège invisible.
— Moïe on a réussi ! Il est sauvé ! Alors, d'où provenait cet envoûtement ?
— C'est difficile à expliquer. Il semblerait qu'il ait été produit par une créature dont je ne connais pas l'existence. J'y perçois beaucoup de vices, de mal ... le sort a été lancé depuis Merïa, mais certainement pas par un mérolt !
Rassurée d'entendre cela, Malvina ne se préoccupa pas de ne pas avoir plus d'information. Son professeur venait de lui donner raison. Elle ouvrit immédiatement la cage du lion et demanda à un serviteur de venir le nourrir. L'heureux élu blêmit en observant la bête qui le fixait, grande, sauvage et surtout griffue. Malvina ne remarqua même pas la crainte du pauvre homme, déjà elle filait en direction des appartements de son roi.
***
Sar Ier était occupé devant une carte du continent. Vidé de son énergie, ses bras étaient appuyés sur la grande table de bois, comme pour le retenir de tomber. Jamais il n'avait encore dû lancer d'assaut au cours de son règne. Il ne comprenait pas la décision des mérolts de porter atteinte à cette paix durable qu'il avait su instaurer. Loin de ressembler à son père, un homme tyrannique et assoiffé de pouvoir, il avait au contraire immédiatement fait signer des traités de paix avec les royaumes voisins. Il avait prêté le serment de défendre cette paix au prix de sa vie et de la survie de Sora.
Creïka avait récupéré ses terres, les esclaves mérolts avaient été libérés et les elfes avaient été soulagés de leurs tributs infondés. Brazla tout entière avait été pacifiée et les peuples apprirent à mieux s'accepter avec le temps. Même les nains avaient fini par quitter leurs montagnes et regagner les plaines du nord, acceptant de marchander leurs produits d'exception avec le reste du continent. Ils restaient un peuple très en retrait, mais Sar Ier ne pouvait leur en vouloir. Ils restaient ceux qui avaient le plus souffert du règne de son père. Il ne se rappelait encore que trop bien les nains en cage qui ornaient chacune des pièces du château, trophée morbide d'un roi à l'esprit malade.
Perdu dans ses pensées, et anxieux pour l'avenir, Sar fut bouleversé par le tambourinement qui retenti à sa porte. Presque soulagé de pouvoir cesser ses cogitations moroses, il alla ouvrir le lourd battant.
— Mon roi, je suis navré de vous importuner, mais cette jeune femme dit avoir de graves nouvelles à vous rapporter, l'informa Athèlme, protocolaire.
— Bien, entrez dans ce cas. C'est vous qui êtes responsable du remue-ménage que l'on entend dans la grande cours ?
Honteuse et impressionnée, la servante baissa son petit minois, laissant ses boucles brunes recouvrir son visage.
— Je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise, s'excusa le roi. Je vous en prie, exprimez-vous.
Athèlme remarqua avec soulagement que son roi semblait à nouveau calme et réfléchit. Peut-être allait-il pouvoir le conjurer de retirer ses troupes...
Ne sachant par où commencer, Kilna prit un petit instant de réflexion sous le regard patient du roi. Quand elle prit la parole, s'était d'une voix assurée et elle exprima ses idées avec beaucoup de soins. Elle raconta sa rencontre avec cette chose invisible et gluante, son envole jusqu'à l'océan Falïal et sa survie miraculeuse. Enfin, elle intégra Holf à son récit et la vaillance dont il avait fait preuve pour la ramener jusqu'à chez elle.
Tout du long, le roi l'avait écoutée avec intérêt, brossant d'une main sa barbe dans un mouvement perpétuel.
— Une chose invisible, volante, et gluante vous dites ? Je n'ai jamais entendu parler de telle créa...
La porte retentit à nouveau d'un tambourinement familier.
— Décidément, il semblerait que mes appartements deviennent aussi fréquentés que la salle des banquets, grommela le roi, avant d'inviter les nouveaux arrivants à entrer.
Une bourrasque blonde s'engouffra dans la pièce, brisant le calme, remuant sol et murs, suivit par Moïe et son flegme imperturbable. Malvina ne se formalisa pas de voir du déjà du monde dans le grand bureau, mais se rasséréna un peu tout de même.
— Il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à avoir de grandes nouvelles, ironisa-t-elle à l'intention du mage.
Sar Ier les invita à les rejoindre et récapitula ce que la servante venait de lui apprendre. Malvina avait écouté le récit, vibrante d'impatience de pouvoir raconter le sien.
— Mon seigneur, cela ne peut être une coïncidence ! L'envoûtement que Moïe a brisé a été jeté depuis Merïa mais pas par un mérolt ! s'écria la guerrière en se levant d'un bond.
— Bien, je conçois qu'il y a eu erreur... Athèlme, réuni quelques hommes de confiance et rattrape les soldats que nous avons envoyés aux portes du roi Dal'Aqual. C'est une urgence, alors part immédiatement et prend Luvac avec toi. Moïe va voir le camarade de Kilna et libère ce héros. Malvina évidemment tu vas avec Athèlme, je vous rejoins dès que possible, faites apprêter ma monture.
A peine les ordres terminés d'être énoncés, tout le petit monde s'éclipsa, abandonnant Kilna sur place.
— Allez donc rejoindre votre ami. Je vous recevrais à notre retour de Merïa afin de discuter plus calmement de vos aventures, la congédia le roi.
Athèlme redoutait de devoir emmener sa nouvelle et prétentieuse recrue, mais l'heure n'était pas aux négociations. Il retrouva Luvac sur le terrain d'entraînement et lui ordonna d'aller chercher son cheval, sans autres explications. Malvina alla prestement enfiler son armure et rejoignit l'escouade prête à partir. Le pont levis s'abaissa au moment où le roi arrivait et c'est au grand galop que tous prirent la direction des plages de Merïa.
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