Chapitre 7 - Révélation et Accusation [Réécriture]


Entre ses mains, le mage de Sora faisait tourner la petite pierre bleue, le regard dans le vide face à sa fenêtre. Le retour des deux héros au château l'intriguait... Était-ce un signe ? Il ne pouvait nier la coïncidence étrange que cela représentait. Sûrement, avait-il été trop aveuglé par ses craintes... trop aveuglé au point de ne pas faire confiance aux élus, désignés par les dieux eux-mêmes. Cela ne pouvait être qu'une deuxième chance offerte par la déesse des elfes. Le mage scrutait l'horizon, les étendues vertes de Sora, la lisière de la forêt obscure comme si la réponse à toutes ses questions se cachait entre les branches entrelacées des vieux chênes ancestraux.

Faisant voltiger la pierre dans sa paume, il referma son poing délicat autour de l'artefact et d'un pas décidé, il s'engouffra dans les couloirs du château à la recherche d'Athèlme. Il fallait qu'il lui raconte tout ce qu'il savait. La démarche pressée, il se dirigea d'abord vers la bibliothèque. Les habitudes du soldat n'avaient plus de secrets pour lui. Alors qu'il s'apprêtait à prendre le dernier virage en laissant voltiger sa tunique derrière lui, il faillit percuter l'objet de ses recherches.

Regardant le bout de ses pieds, Athèlme n'avait pas vu Moïe arriver précipitamment et seul son instinct lui permis d'éviter une collision douloureuse. Esquivant d'un bond preste sur le côté le demi-elfe, il releva sa tête, agacé.

— Moïe, ça va pas de prendre les virages aussi serrés ?

— Athèlme, mon garçon, viens avec moi. J'ai à te parler ! s'enquit Moïe sans même faire mine d'avoir sursauté.

Moïe, comme toujours lorsqu'il était sous le coup de l'excitation, parlait d'une voix dynamique en tremblant presque d'impatience alors qu'il livrait l'introduction de son récit. Il termina à peine sa phrase que déjà, il s'était retourné et engouffré dans une des nombreuses salles du château. Curieux, comme à chaque fois que la moitié humaine de l'elfe se révélait, Athèlme le suivit, espérant que ce qu'il avait à lui dire lui changerait les idées. Il s'était forcé à laisser sa sœur seule avec Luvac, mais cela n'était pas pour le rassurer.

Moïe attendit en piétinant que le jeune homme le suive à l'intérieur de ce qui ressemblait à une salle de bal et prestement, il tourna le verrou d'un geste vif. Courant pratiquement au centre de la pièce luxueuse, faisant claquer le sol de marbre blanc sous ses pieds, il s'arrêta dans la voltige des tissus de sa robe et commença à psalmodier un sortilège de discrétion. Un fin filet d'énergie rosée jaillit de ses mains dressées dans les airs et s'en alla dégouliner sur les tapisseries de soie et les lustres d'or qui ornaient l'espace. Intrigué par ce manège inattendu, Athèlme observait son mentor sécuriser l'environnement avec intérêt. Quand il eut fini, qu'il ramena ses bras le long de son corps et qu'il rabaissa ses yeux sur lui, le général s'approcha.

— Qu'est-ce que tout ça signifie Moïe ?

— Bien, nous voilà tranquille pour un moment. Je dois absolument te parler de quelque chose Athèlme. Je n'ai... comment dire ? Je n'ai pas été entièrement honnête avec toi...

Si Athèlme avait eu des oreilles d'elfe, il les aurait immédiatement rabattus en arrière en signe de suspicion. Comme il n'était qu'un humain, il se contenta de pincer les lèvres et de plisser ses yeux d'émeraude qui disparurent sous ses sourcils broussailleux.

— Je t'écoute, siffla-t-il entre ses dents.

Il essayait de garder son calme, mais cette simple phrase suffisait à le mettre hors de lui. La rage faisait déjà tambouriner son cœur qui menaçait de s'extirper de sa poitrine. Comment Moïe se permettait-il de lui avouer avec tant de légèreté qu'il n'avait pas été honnête ? Avec lui, l'enfant arraché à sa famille qui avait voué son existence à s'entraîner pour contrer une prophétie que lui-même avait déchiffrée ?

— Athèlme, je vois déjà que tu commences à t'énerver alors que je n'ai pas commencé. Calme-toi et écoute-moi, je t'en prie.

Le jeune homme tenta tant bien que mal de s'apaiser. Il chassa les idées furieuses qui l'envahissaient, l'idée que sa sœur était en ce moment même seule avec un homme en qui il n'avait aucune confiance... et se rappela que le demi-elfe avait toujours été là pour lui. Il entendit Malvina lui murmurer à l'oreille de se détendre, d'imaginer un voile de soie lui recouvrir progressivement les épaules puis le corps... de sentir la douceur et la légèreté du tissu...

— Je t'écoute, Moïe. J'attends aussi les justifications à ce manque de confiance.

Prenant sa respiration comme avant chacun de ses monologues, Moïe commença son récit.

— Athèlme, la pierre que tu as découverte n'est pas un simple minéral...

— Je le savais ! Athèlme avait pratiquement bondi à cette idée, fière d'avoir su déceler la puissance de l'objet malgré les contradictions de Moïe.

— ...Comme je le disais, il s'agit en réalité de la Pierre d'Imalt. Ce que tu as déniché est un puissant artefact. Nul n'a jamais su où il se cachait bien que nombreux furent les chasseurs de trésor et de puissance qui partirent à sa recherche.

Moïe leva un bras calmement pour prier Athèlme au silence tandis que le guerrier menaçait de le couper dans son explication.

— Athèlme, il faut que tu comprennes... Cette « pierre » est une bénédiction des dieux ! Elle a été cachée, après le décès de son créateur, par nos divinités. Certains pensaient qu'elle n'était qu'un mythe, d'autres prétendent encore qu'elle n'est destinée à retrouver la surface qu'a l'appelle de son digne héritier.

Athèlme observait Moïe avec attention. Il n'était pas certain de comprendre tout l'enjeu auquel le mage tentait de le sensibiliser. C'était de toute évidence un artefact très rare et un fort beau caillou... Mais tout de même, en voilà beaucoup de paroles pour si peu ! Pourquoi, par Mélak, Moïe semblait aussi préoccupé de savoir l'objet entre ses propres mains ?

— C'est un don qui exige une immense responsabilité, ponctua finalement Moïe qui se rendait bien compte qu'Athèlme ne semblait pas comprendre toute la finesse de la situation.

Le jeune homme, calmé après son éclat de satisfaction, récupéra, à ces mots, son fidèle masque de méfiance.

— C'est-à-dire ? Tu me l'as confisqué, ne croyant pas que je serais capable d'endosser cette soit disante responsabilité ? accusa-t-il son professeur d'un ton dur.

— Plus ou moins, oui, admit ce dernier de la manière la plus honnête qu'il soit. J'ai pris la décision de garder la pierre au moins jusqu'au moment d'être capable de t'expliquer ce qu'elle implique. Ne crois pas que ce fut une décision prise à la légère, Athèlme. Je ne l'ai pas fait de bonté de cœur et te cacher quelque chose, à toi, était ce que j'ai connu de plus difficile depuis longtemps...

Cette fois, le jeune homme ouvrait de grands yeux intéressés, avide de connaître l'étendue des pouvoirs mystiques de sa découverte. Si le demi-elfe avait placé tant d'importance et de réflexion sur ce petit morceau de roche bleu, c'est que son secret devait être extraordinaire ! Conforté par ce changement de comportement, Moïe reprit :

— Cette pierre est tout d'abord un accès direct à la forêt d'Imalt, Athèlme. Elle est la clef, la formule, la continuité même de la barrière qui protège cette terre sacrée. Tu dois comprendre qu'elle doit pour le moment demeurer ainsi, protégée des mortels. Voici ta première grande responsabilité. Tu es, désormais, le nouveau gardien de la Forêt d'Imalt !

— Très bien, je m'en souviendrais, répondit Athèlme visiblement désenchanté.

En voilà tout un galimatias pour rien ! Athèlme avait cure de cette Forêt et était bien d'accord qu'elle se porterait bien mieux sans une foule de visiteurs... Mais de là à considérer cela comme une responsabilité divine ! Il tâchait plus mal que bien de cacher sa déception, mais c'était clairement un échec cuisant. Cette histoire ne lui apporterait donc rien de plus, il resterait faible, incapable de défendre sa sœur... C'était pour lui un nouveau revers tandis qu'il avait imaginé toutes sortes de théorie sur les capacités de l'objet mystique.

Posant sa main sur l'épaule du jeune homme pour attirer son attention, Moïe reprit :

— Tu dois aussi savoir, mon garçon, que, loin d'être une des reliques que nous recherchons, c'est tout de même un objet de pouvoir d'une grande puissance.

« Mon garçon »... Moïe n'utilisait ce genre d'attendrissement que lorsqu'il cherchait à éveiller la partie sensible et affectueuse de son élève. Rien de très rassurant en soit pour le soldat qui présageait déjà une forte colère arriver, mais le sens de la conversation prenait une tournure qui ne le laissait pas incurieux. L'éclat dans les yeux d'émeraude qui lui faisaient face n'avait pas échappé à Moïe lorsqu'il avait mentionné le « pouvoir » de la Pierre d'Imalt. Il décida alors de renforcer encore un tant soit peu la sensibilisation sur laquelle il travaillait.

— Athèlme, mon enfant ... Écoute-moi quand je te dis que tu devras utiliser avec précaution la force de cette relique. Aucun mortel ne devrait être en droit de posséder une telle puissance, est-ce que tu m'entends ?

Athèlme observait son maître sans savoir dissimuler tout l'intérêt qui le gagnait. Finalement, sa découverte n'était peut-être pas si anodine, semblerait-il... Mais pourquoi sentait-il alors gronder en lui un vent de colère ?

Sans se douter des pensées de son élève, Moïe continuait son exposé de son habituel calme imperturbable, mais sa voix et ses intonations ne laissait pas place à la légèreté ni à l'amusement.

— La pierre t'a choisie, ce qui signifie que l'esprit même d'Imalt t'a élu pour bénéficier de son pouvoir.

Le demi-elfe observa un silence théâtral avant de reprendre en agitant l'artefact sous les yeux du guerrier.

— Cette pierre, Athèlme, permet de contrôler un élément supplémentaire tout en augmentant ses propres capacités. Elle est une source inépuisable de magie, un calice qui renferme un élémentaire. Choisi avec sagesse lorsque le moment sera venu. Le choix sera crucial et il ne te sera jamais possible de revenir sur ta décision !

Athèlme avait continué d'écouter le récit avec attention, enregistrant les informations avec difficulté. Moïe, la main incertaine, présenta la petite pierre bleue à Athèlme, paume ouverte. Lorsque celui-ci tenta de s'en emparer, le demi-elfe referma sa prise délicatement et plongea son regard de cristal dans celui du garçon.

— Dis-moi que tu as bien compris à quoi tant de puissance t'engage, demanda-t-il sévèrement. Jure-moi faire bon usage de ce présent des dieux, de ne jamais l'utiliser à tes propres fins, de respecter son créateur, ses valeurs... Promets-moi que ton seul objectif restera toujours de porter secours, d'aider, de faire prospérer la paix sur le continent et, qui sait, sur le reste du monde.

Athèlme inclina la tête en signe d'acquiescement et Moïe lâcha la pierre non sans crainte. Se plongeant dans la contemplation de l'objet, le soldat releva la tête et fixa son professeur froidement. Le vent de colère qu'il avait ressenti auparavant venait de se transformer en ouragan. Son sang bouillait dans ses oreilles, son pouls s'accéléra et il sentit une vague enflammée embraser son crâne. La réalité le frappa d'un coup, un coup d'une violence inouïe, un coup qui lui fit perdre toute son estime pour son professeur, pour sa quête !

— Tu nous as laissé partir en quête des reliques en nous privant de ce que les dieux nous ont offert ? Comment as-tu pu faire ça, Moïe ? cracha le jeune homme tel un venin mortel.

— Athèlme, je ne voulais pas. J'aurais voulu t'expliquer ces engagements avant, mais je vous ai fourni les amulettes et...

— Que Mélak les emporte tes amulettes, Moïe ! Si nous n'étions pas rentrés, jamais tu ne nous aurais offert la pierre ! Tu nous aurais laissés sans défenses ! Tu m'aurais laissé livré à moi-même avec mes maigres capacités, incapable de porter secours à qui que ce soit !

— J'avais prévu d'envoyer Tikou... Il peut se déplacer très vite et transporter de lourds objets... Mais j'aurais dû t'en parler avant. Je ne trouvais pas le moment, les mots... le courage.

— Si Malvina avait dû en souffrir, sache-le, Moïe, que tu en aurais été le principal responsable.

La mine déconfite du mage ne parvint pas à calmer Athèlme. Il se retourna sans un mot et quitta la pièce. Avant que la porte ne se referme dans un claquement, Moïe lui hurla tout de même de n'en parler à personne. Le mage resta seul au milieu de la salle de bal, les yeux levés au ciel. Il priait la déesse Kirïa.

****

Malvina était assise sur des couvertures au coin du feu. Elle priait Saruïa de toutes ses forces, que les dieux lui laissent son père encore un moment avant de le rappeler à eux.

« ... vous avez déjà rappelé ma mère à un jeune âge. Je suis à présent adulte, je n'ai pas un besoin vital de mon dernier parent, mais laissez-le moi, je vous en prie. Laissez-moi mon père, j'ai besoin de son amour, j'ai besoin de ses embrassades, de ses conseils... J'ai besoin de l'entendre rire à nouveau ! Laissez mon père à sa femme. Miranda est une femme forte, mais elle a déjà subi la perte de son mari, on lui a enlevé son fils bien trop jeune, laissez-la se reposer dans les bras de l'homme qu'elle aime, je vous en supplie. Laissez-nous notre Edwinn, notre père, notre mari, notre homme... »

Des pas derrière elle retentirent, frappant le sol d'un pied dur et violent. Elle se retourna vivement dans un sursaut, inquiète d'avoir été entendue dans sa prière – les dieux n'aimaient pas qu'on écoute leur message - mais sa pression retomba aussitôt lorsqu'elle découvrit le sourire charmeur de son ami.

— Ma Dame... heu Malvina. Est-ce que je peux me joindre à vous ?

Déjà rougissante à l'entente de sa voix grave et posée, elle s'écarta un peu, laissant plus de place sur la couverture et tapota à côté d'elle du plat de la main pour inviter Luvac à s'installer. Il ne se fit pas prier et dans un geste souple, la rejoignit.

— J'ai passé bien du temps dans la bibliothèque de ce château, et je dois admettre que le lieu est vraiment apaisant. Je comprends à présent pourquoi elle est devenue votre destination favorite au général et vous-même, entama-t-il pour lancer la discussion.

— Oui, c'est vrai que cette pièce a quelque chose de... surprenant, confirma Malvina en relevant la tête, observant les hauts plafonds sculptés de l'endroit.

— J'en ai profité pour bouquiner et me renseigner sur toute sortes de choses, déclara-t-il en plongeant son regard merveilleux dans les yeux noisette de la jeune femme.

À présent, Malvina sentit que ses joues n'étaient plus la seule partie de son corps à s'enflammer. Elle baissa timidement le menton, gênée. Le contact de la cuisse de Luvac contre la sienne suffisait à embraser celle-ci, et laissait remonter une douce chaleur qu'elle peinait à oublier depuis ce soir...

— Eh bien, vous ne vous demandez pas ce que j'ai pu y découvrir ? rebondit-il abruptement, la forçant à sortir de ses pensées lascives.

La question était étrange et elle ne manqua pas de faire relever sa tête à la guerrière. Elle observait à présent Luvac avec curiosité. Il semblait déchirer dans un combat intérieur violent. Ses yeux iridescents semblaient l'observer avec tendresse, avec une passion dévorante qui ne pouvait laisser personne indifférent. Mais le reste de son visage et de sa posture était froid et implacable, presque accusateur. Décidément, quelle bien étrange personne...

— Suis-je censée connaître l'objet de votre découverte, Luvac ? répondit-elle d'un ton légèrement pincé. Je ne pense détenir la connaissance absolue de votre savoir ni de tous les secrets que recèle cette bibliothèque, la liste risquerait d'être longue...

— Malvina, nous avons eu le temps de faire connaissance vous et moi. Vous avez pu comprendre que je ne suis pas homme à me laisser transporter par les sentiments, dit-il d'une voix qu'il voulait convaincante, mais qu'il ne put empêcher de faiblir.

— Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous voulez me faire dire, Messire Luvac. En fait, je ne suis pas sûre de comprendre quoi que ce soit à votre petit théâtre.

Cette fois, Malvina s'était un peu reculée, presque effrayée par la voix trop calme de son interlocuteur. Mais surtout, elle était particulièrement agacée de ce comportement plein de fiel gratuit.

— Très bien, si vous voulez jouer à ce jeu-là, alors je vais être plus clair : Pourquoi lorsque je vous vois, mon cœur palpite-t-il plus fort ? Expliquez-moi pourquoi mon esprit manque de vivacité lorsque je pense à vous. Et pourquoi diable mes forces semblent à la fois décuplées et mes membres engourdis lorsque je me tiens près de vous ? Pourquoi, alors que des affaires de grandes importances m'appellent aux quatre coins du continent, suis-je obligé par mon corps à vous retrouver ? Donnez-moi la raison de l'appel sans pitié que votre chaire exerce sur moi, de la douce euphorie dans laquelle me plonge votre parfum, de ce besoin constant de vous toucher, de vous caresser les cheveux. Pourquoi la plus belle mélodie pour mes oreilles demeure dans les intonations de votre rire et dans le son de votre voix ?

Tout du long de son monologue, Luvac n'avait cessé de gesticuler, de mimer, de se lever, de se rassoir, de lui prendre les mains sans logique apparente... Il semblait être saisi de démence !

Cette fois, Malvina aurait juré que ses oreilles fumaient. Elle ne savait plus où se mettre et tentait malgré tout de résister à l'envi de fuir tout en gardant une contenance. Elle ouvrit la bouche, priant pour ne pas bégayer.

— Si c'est une déclaration d'amour... p-permettez-moi de vous d-dire qu'elle est é-étrange, messire.

Raté, elle avait bégayé plus que jamais. Ne se laissant pas démonter pour autant, elle garda ses yeux rivés dans ceux de Luvac, les lèvres tremblantes, l'esprit embrumé, le corps enfiévré.

— Par Mélak ! rugit Luvac dans un éclat qui fit sursauter Malvina. N'allez-vous donc jamais admettre que vous m'avez ensorcelé ? J'exige que vous rompiez ce sort, Ma Dame ! Je suis on ne peut plus sérieux !

Le teint cramoisi, la sueur au front, il ne faisait plus aucun doute que la folie s'était emparée de lui. Envers et contre tout, décidée à trouver une explication, Malvina prit son temps pour comprendre la situation. Lorsque ce fut fait, sa réaction ne fut pas du tout celle escomptée par le jeune homme. Elle partit dans un fou rire à s'en tenir les côtes et alors qu'elle observa à nouveau la mine sérieuse de son interlocuteur, elle s'esclaffa de plus belle !

— Êtes-vous sérieux, messire ? reprit-elle, essuyant les larmes qui ruisselaient de ses joues. Sinon, je dois vous remercier car je ne pensais pouvoir rire autant en ce jour sombre.

— On ne peut plus sérieux, Ma Dame. Cessez immédiatement votre enfantillage ! Je n'en démordrais pas ; Tant que ce sortilège ne sera pas rompu, je m'engage à vous poursuivre jusqu'à la mort, entendez-moi bien.

Dans cette déclaration trop théâtrale pour être sincère, il abaissa le doigt accusateur levé sur Malvina avec insolence et il s'en alla. La porte claqua violemment derrière lui comme si elle était de mèche avec cette étrange scénette. L'hilarité avait laissé place à l'incompréhension puis à la fureur dans l'esprit de Malvina.

— Quel goujat ! Comment ai-je pu imaginer qu'il changerait ! cracha-t-elle à la face des deux chevaux de pierre qui décoraient la cheminée.

Quand elle pensait à présent avoir offert son corps et sa vertu à cet homme sans scrupule, incapable de reconnaître un sentiment aussi simple que l'amour... elle lui avait laissé le bénéfice du doute, l'avait soutenu en toutes occasions, l'avait plaint et admiré. Elle lui avait offert son cœur !

— J'espère que tu ne parles pas de moi ? répondit une voix à laquelle elle ne s'attendait pas.

Athèlme était entré après le départ de Luvac et il l'observait avec un sourire en coin. Surpassée par les émotions, Malvina ne sut que faire ni que répondre. Finalement, elle décida de vider son sac et expliqua les accusations qui lui avaient été portées. Le visage d'Athèlme s'empourpra et il n'y avait plus aucune place sur ses lèvres pour un quelconque sourire. Toutefois, il ne pouvait s'empêcher d'apprécier l'idée que sa sœur se détachait de cet homme.

— Mina, malheureusement ce genre de chose peut arriver. Viens, allons nous reposer. Moïe va s'occuper de ton père, tout ira bien je te le promets.

Tandis que Malvina se redressait, il la prit dans ses bras et déposa un baiser sur son front. Elle avait entendu la manière qu'avait eue Athèlme de prononcer le nom du mage, mais elle mit cela sur le compte de ses émotions.

— Tu penses que Luvac va comprendre que je n'ai rien fait ? demanda-t-elle d'une petite voix, ses yeux suppliants une réponse réconfortante.

— Il t'a vraiment dit tout cela avant son étrange conclusion ? tenta le jeune homme, incertain de la conduite à suivre.

Malvina lui répondit d'un petit hochement de tête et le fixait de ses grands yeux noisette, plein d'espoir. La mâchoire crispée, Athèlme lui répondit finalement par l'affirmative, peut satisfait qu'elle s'en soucie à ce point. Le saut dans ses bras qu'effectua sa sœur avec tendresse fini cependant par l'assurer qu'il avait trouvé les bons mots. 

***

Luvac frappait le sol froid de sa chambre avec véhémence, laissant claquer ses bottes de cuir sur la pierre. L'écho régulier contre les murs le calmait, le canalisait tel le « Tam-Tam » des tambours de guerre des cavaliers Creïs. Une rage profonde et dévorante s'était répandue en lui, alimentée par un sentiment amoureux puissant dont il ne pouvait se dépêtrer. Un visage angélique, entouré de soyeuses boucles blondes hantait son esprit. Il ne pouvait effacer ce sourire étalé sur des lèvres roses et pleines, ces yeux, remplis d'étoiles, rehaussés par quelques pattes d'oie que la fraîcheur de la vie avait creusées... L'illusion flottait dans son crâne, obsédante, envahissante, elle éclipsait tout le reste !

— Allons-y, Luvac ! Concentre-toi !

Se donnant quelques claques dans l'espoir de secouer les méandres de son âme, le jeune homme s'installa sur sa couche et inspira plus d'air que ses poumons pouvaient permettre. Au point de rupture, il expira d'un coup sec et sans attendre, il disparut dans un éclat.

— Mais ne serait-ce pas là notre cher Luvac qui vient nous rendre visite ?

La voix, sensuelle à en rendre jalouse la nymphe de l'amour elle-même, résonna aux oreilles de Luvac tel un appel à la langueur... Son esprit embrumé, il se retourna de toute sa fierté pour admirer la beauté de son hôtesse. Ebe l'observait de toute son élégance, fière, le menton haut, ses yeux d'acier rivés dans les iris chatoyants de son invité. Luvac ne put que remarquer la finesse de son cou, mise en valeur par une chevelure relevée en un chignon serré, laissant échapper quelques mèches rebelles dans une fausse négligence.

La gorge sèche devant ce spectacle, Luvac balbutia une forme de salutation peu formelle avant de redresser un dos qui s'était laissé accabler par les émotions. Regagnant en dignité, le jeune séducteur suivit le Premier Messager d'un pas leste et assuré. Revoir Ebe avait au moins une utilité pour lui ; le visage illuminé de Malvina n'avait plus sa place dans son imaginaire !

— Luvac, je t'en prie, parle-moi un peu de tes dernières aventures ! Il me tarde de t'entendre tes dernières histoires ! S'exclama Ebe d'un air enjoué, les yeux pétillant d'une curiosité enfantine.

Surpris par cet excès d'humeur pour le moins inhabituel, Luvac obtempéra, hypnotisé par le regard envoûtant de la demoiselle.

— Eh bien ! Je commencerais par annoncer que le Prisme à fort bien travaillé dernièrement, commença-t-il sur le ton de la flatterie. Les deux prodiges ont pris récemment le chemin de leur quête, mais il ne fallut que d'un arrêt pour les voir repartir en direction du château de Sora. Le mal que vous avez lancé à ce pauvre Edwin Pal'Ka a été foudroyant et porteur de succès !

Ebe, ravie de ces dernières nouvelles, se rapprocha de Luvac tout sourire, laissant son parfum entêtant envoûter plus encore son partenaire. Ce dernier sentit la tête lui tourner, mais trop fier pour laisser paraître quoi que ce soit, il continua son récit sur la même intonation grave et affirmée.

— Ainsi, le Prisme vient de gagner un temps précieux sur la recherche des reliques ! La jeune Malvina ne se remet toujours pas du mal qui ronge son père, elle est également dans l'incapacité de le soigner grâce à ses dons de guérison. Le général Athèlme est quant à lui en mauvais terme avec le mage de Sora, ce qui ne peut qu'être bénéfique au Prisme.

— Allons ! Allons ! « NOUS être bénéfique », Luvac ! Vous faites partie intégrante de notre communauté, vous le savez très bien. Je ne saurais comment me passer de vous, finit-elle par murmurer dans un sourire félin.

Luvac déglutit pour la cinquième fois en beaucoup trop peu de temps... Cette femme lui faisait-elle vraiment la cours ? L'idée était loin de lui déplaire, bien qu'audacieuse, mais les sourires carnassiers qu'elle lui offrait avait le don de corrompre toutes ses valeurs - si tant est qu'il en ait. De ses yeux de chat, Ebe se rapprocha une fois encore de lui, se rapprocha encore, toujours plus près, jusqu'à ce que ses lèvres frôlent son oreille. Luvac ne put, cette fois, réprimer un frisson brûlant lui parcourir tout le corps et se perdre dans son échine.

— Vous ne m'abandonneriez pas, n'est-ce pas, Luvac ? Siffla-t-elle sensuellement, son souffle chaud allant se perdre dans la nuque du jeune homme.

Sa voix était porteuse de toutes les promesses qu'un homme souhaiterait entendre, annonciatrice d'un bonheur sans limite, d'une extase éternelle... Mais, loin dans son esprit embrumé, une part de raison demeurait telle une étincelle brillante, bagarrant les ténèbres. Son prénom avait le gout de miel lorsque prononcé par Ebe, il avait sa douceur, sa rareté... mais aussi son sucre. Un sucre addictif, trop attirant pour être bon, trop dégoulinant pour être pur. Se jouait-elle de lui ?

— Ô grand jamais je ne vous laisserais voyons ! Veuillez excuser mes égards de langage, ce n'est qu'une malheureuse formulation de ma part, répondit-il sur le même ton suave, mais cette fois, toute raison bien conservée.

Satisfaite, le Premier Messager reprit sa marche vers le centre de la clairière, ses pas frôlant à peine le sol. Elle semblait glisser sur l'herbe sans en bouger un brin, sans en déplacer une seule graine. Luvac la suivait mais avec méfiance cette fois. Ses idées étaient obstruées lorsqu'il se trouvait au côté de cette femme et il n'aimait pas du tout cela. Aucune comparaison n'était possible avec sa passion pour Malvina, pour qui il se sentait capable de ramener le trône de Pashad en personne si elle le lui demandait. D'ailleurs, l'image de Malvina se floutait quand il était ici, elle disparaissait progressivement de ses souvenirs, s'éloignait de son âme et de son cœur et il n'aimait pas du tout cela.

Luttant envers et contre tout pour rester maître de ses pensées, Luvac arriva auprès du reste des membres du Prisme. Les éclats des lames qui résonnaient contre les troncs d'arbre finirent de le ramener à la raison. Charb était en pleine démonstration face à ses pierres, dans un combat qu'il savait rendre plus vrais que nature. Sa victime se défendait tant bien que mal, son bras trop faible levé devant elle. Luvac cru reconnaître le jeune Joack sur la piste. Si c'était bien lui, Charb avait su opérer des changements significatifs sur la recrue. Les épaules larges, le dos droit, la peau parsemée de cicatrices superficielles... il n'en restait cependant pas moins maigrichon et pâlot. Pas étonnant que le capitaine Yal Rez'Tan ne l'ai jamais envisagé comme successeur à ses fonctions...

— Luvac ! Que nous vaut le plaisir de ta visite, s'écria une voix grave et tonitruante derrière lui.

— Tourma ! Eh bien, je viens aux nouvelles bien sûr ! J'ai appris par Ebe le succès de notre dernière mission, félicitation !

Tourma lui serra le bras au-dessus du coude à la manière des Creïs, faisant blanchir la peau sous la forte pression.

— N'est-ce pas ? C'était une véritable idée de génie que nous a proposée Obsi !

— A propos d'Obsi, avons-nous plus d'informations sur le billet que je vous ai ramené dernièrement ?

— Personne ne sera mieux placé pour t'en parler que lui-même, répondit Tourma dans un sourire rayonnant qui faisait étinceler ses dents au soleil.

De toute évidence, l'elfe avait su déchiffrer les inscriptions antiques, comme son expression victorieuse le laissait penser alors qu'il se rapprochait d'eux.

— J'ai entendu mon nom, j'espère que vous ne faites pas de vilaines messes basses vous autres ! Ironisa-t-il, plus jovial que jamais.

— Que Mélak me bannisse si j'ose un jour proférer de mauvaises paroles à ton encontre, Obsi ! lâcha Tourma avec une affection non dissimulée.

Luvac observait le Prisme sous un œil nouveau. Il observait ces habitants de Brazla, issus de tous horizons, échanger des foutaises comme n'importe qui d'autre. Ils lui avaient toujours paru si dénués de sentiments... C'est à vrai dire ce qui l'avait poussé à les suivre dans leur quête obscure - en plus de la forte corrélation avec son propre objectif ; l'amplification maximum de ses pouvoirs. Ils n'étaient à présent pour lui que de simples êtres vivants, sans autres ambitions que de satisfaire un dieu quelconque qui ne leur avait jamais ni rien promit, ni rien offert... La désillusion fut brutale, fracassante, mais il se devait de garder le voile intact. Bien qu'insignifiants, ils restaient très nombreux et donc dangereux. Il détenait par contre une nouvelle certitude : Cette bande de camarades ne lui apporteraient jamais ce qu'il recherchait. A lui maintenant de savoir tirer leur foi à son avantage ...

— Alors, Obsi ? Est-ce que nous faire vibrer d'impatience au point de creuser le sol de nos rebonds n'est pas suffisant ? Faut-il que les dents nous tombent d'excitation pour que tu te décides à parler ? charriât Luvac, se joignant à leur ambiance bon enfant avec une habileté effrayante.

— Il n'y a que toi qui perce le sol, Luvac. Tous les membres ici présents sont déjà bien informés des futures marches à suivre !

Voilà une information qui ne l'arrangeait pas... Non seulement il devait se rendre à une triste évidence, il avait besoin d'eux, mais en plus, ils pouvaient tout à fait refuser de lui communiquer des éléments clés de sa quête ! Il s'imprégnât plus encore de son masque jovial et sympathique, prêt à tout pour glaner le maximum de ses compères.

— Je comprends ainsi mieux cette forme d'euphorie générale, alors ! s' exclama-t-il.

— Obsi, ne laisse pas attendre notre ami davantage, ricana Tourma. Après tout, le billet lui revient !

Le géant creï passa un bras massif au-dessus de ses épaules, plein de reconnaissance. Il lui donna une tape amicale qui faillit lui déboîter l'épaule, mais, surpassant la douleur, Luvac se contenta de lui rendre son accolade bestiale. Obsi ne semblait quant à lui pas si enclin à livrer ses secrets. Il dû cependant s'y résoudre sous le regard insistant de Tourma.

— « Dans les méandres obscures, le second est caché. Le sang du ciel coule sur le sol sacré. La roche s'ouvrira à l'appel du maître. »

Un silence pesant suivit l'énonciation mystique d'Obsi. Chacun semblait attendre la réaction de Luvac. Aucun ne se doutait que tout ce galimatias n'avait fait que le bercer... Homme d'action, il aurait préféré mille combats qu'une seule devinette.

— Je demande traduction, se résolut-il a proclamer alors que personne ne semblait vouloir lui apporter le moindre éclaircissement.

— Eh bien, c'est pourtant simple ! s'exclama Obsi, visiblement vexé. Le second, le sang, l'appel du maître... Luvac, fais un effort !

Le jeune homme sembla entre apercevoir une idée grâce à cette petite synthèse. Ainsi présentée, la prophétie venait de se révéler telle une évidence.

— Vous voulez dire que... Mélak aurait un deuxième héritier ?

Il avait terminé sa phrase sur le ton de la confidence, encore incapable de croire à ses propres mots. Il ne connaissait que trop bien l'histoire de Mélak et des dieux de Brazla. Sa famille adoptive n'avait cessé de lui raconter les mythes et légendes des plaines astrales, si bien qu'il n'avait jamais su trop en démêler le vrai du faux. Mais ce qui avait toujours été sûr, c'est que Mélak avait simplement eu une fille. Elle était encore enfermée pour ses crimes d'ailleurs et ne risquait pas de sortir des profondeurs abyssales de sitôt ! Et pour cause, les dieux ne pouvaient avoir qu'un seul héritier vivant en même temps... Ce n'était que foutaise de pouvoir imaginer un deuxième enfant, inconnu de tous.

— Eh oui mon garçon, affirma Tourma. Il n'y a pas d'autres explications possibles. Nous avons envisagé toutes les possibilités, une seule reste viable envers et contre tout. Mélak aurait eu un deuxième enfant, et cet enfant serait au moment où je te parle sur les terres de Brazla !

Luvac ne parvenait pas à en croire ses oreilles ! Si vraiment cet être existait, il se devait de le trouver. Son pouvoir devait être au-delà de toutes espérances ; un enfant divin qui défie les lois de la création elle-même... Pour Luvac, la situation était à présent très claire: un nouvel objectif venait de surpasser tous les autres, et même le charme envoûtant d'Ebe ne saurait l'en détourner. 

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