Chapitre 7 - Découvertes et Duperies [Réécriture]

-3 ans avant ADLP- (saison des brumes)

Une fois les présentations faites avec sa jument Galia, Malvina prit immédiatement la direction de la grande cours. Elle ne savait pas où se trouvait Luvac, mais elle allait le trouver et vite. Alors qu'elle finissait de passer la dernière allée de jardins, un brouhaha de gloussement attira son attention. Pressant le pas, elle atteint rapidement l'origine de cette cacophonie. Une horde de domestiques entourait le nouveau venu, faisant voler leurs jupons et agitant leur chevelure sous le nez de leur proie. La jeune femme ne put retenir un soupir de satisfaction en observant le Don Juan faire usage de toutes les ruses pour s'extirper de ce mauvais pas. Savourant un instant de plus la scène, Malvina décida enfin d'aller porter secours à l'homme submergé et s'activa à faire fuir les dindes qui se pavanaient sans retenue.

— Mesdemoiselles, s'il vous plaît on m'a fait prévenir que vous êtes toutes attendues dans les cuisines. Cela avait l'air urgent, annonça-t-elle l'air faussement sérieuse.

A contre cœur, jupes et uniformes s'en allèrent, non sans jeter des regards lascifs en arrière.

— Vous venez de me sauver d'une mort certaine Ma Dame.

Luvac avait user d'une voix douce, pleine de reconnaissance et de fragilité feinte. Il observait Malvina sans ciller, la déshabillant habillement du regard, de toute évidence fier de sa réplique. Mais briser la glace ne serait pas aussi simple qu'il le pensait, malgré son sourire plaqué sur son visage d'apollon. Aussi, prit au dépourvu, il ne put retenir un sursaut devant la réaction de la guerrière.

— Cessez donc vos « Ma Dame » avec moi je vous prie ! Vous n'êtes qu'un mufle et un rustre. Si je vous ai libéré ce n'est que pour vous cracher vos quatre vérités à la figure !

Le teint cramoisi de la jeune femme éveillait une légère vague de crainte dans son estomac, sans qu'il ne sache pourquoi. Redressant la tête afin de conserver fière allure, Luvac s'avança imperceptiblement de sa proie et adopta un comportement de prédateur, contrastant avec sa parole.

— Je vois... Et quelles sont-elles dans ce cas, ces quatre vérités, Ma Dame ?

Luvac regardait la jeune femme avec une intensité surfaite. Son regard aux teintes si particulières semblait percer son esprit. Loin de se laisser déstabiliser, Malvina reteint un tic à l'entente du « Ma Dame » provocateur et redressa le menton pour adopter son expression la plus princière.

— Vous n'avez aucune politesse. Vous ne prêtez que guerre attention à ce qui vous entoure, seule votre petite et insignifiante personne compte. Et de toute évidence, vous n'avez aucun sens de l'honneur, préférant l'abandonner pour quelques satisfactions personnelles. Luvac, vous êtes grossier et...

L'intéressé observait la petite furie, encaissant les coups sans broncher. Il gardait son allure si fière et prétentieuse, la fixant d'une moue trop parfaite, sur un visage trop parfait. Elle ne pouvait continuer en le regardant si elle ne voulait pas perdre pied.

— Et ? Vous disiez ?

Son cœur s'emballait. Ses joues la brûlaient. Ses jambes tremblaient. Jamais Malvina n'avait été autant en colère contre son corps, ce traître !

— Et..., Malvina détourna imperceptiblement le regard pour continuer, la bouche pâteuse. Et vous êtes arrogant... et...

— Continuez...

A chaque morceau de phrase, l'homme semblait se rapprocher un peu plus d'elle, félin, sauvage. Bien que furieuse, Malvina savait qu'elle ne garderait pas la face longtemps. Mais l'avait-elle encore ? Elle commençait à sentir son parfum envoûtant, la chaleur de son souffle, charnelle. Il se rapprochait encore jusqu'à pratiquement la toucher, son nez effleurant le sien, son torse frôlant sa poitrine et elle sentit toute sa détermination fondre comme neige au soleil. La température était à son paroxysme et malgré la brume épaisse, jamais le soleil n'avait autant brillé en elle.

— Luvac, je vous cherchais, veuillez me suivre dans l'armurerie, ordonna Athèlme d'un ton plus autoritaire que jamais.

Personne ne l'avait entendu arriver et Malvina ne put retenir un soupir de soulagement, qui trouva son écho dans un grognement imperceptible de Luvac. Le général arrivait à point nommé, elle ne savait pas comment elle s'en serait tirée sinon. L'effet que cet étranger lui faisait était au-delà de tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Se croyant à la hauteur pour l'affronter, elle n'avait pas songé à ses nombreuses capacités surhumaines. Il la caressait constamment de ses prunelles irisées, chacun de ses souffles étaient une bouffée d'air vitale pour elle, ses bras représentaient une invitation permanente à s'y blottir... Et en ce moment il la regardait encore. Se raccrochant à la présence d'Athèlme, Malvina récupéra une contenance et il lui sembla respirer pour la première fois, comme si elle s'était noyée pendant tout ce temps. Elle reprit la parole :

— Eh bien, je crois que vous êtes demandé. Bonne soirée Messire Luvac.

Le ton était froid, sans appel, sans fêlure. C'est sur ce dernier effort qu'elle se retourna, et s'éloigna lentement de sa démarche la plus assurée.

La frustration renfrognant ses traits, Luvac se retourna et fit face à son nouveau commandant, un masque de sympathie durement entretenu. Il lui fallait conquérir le jeune homme également, si ce n'est premièrement, s'il ne voulait pas voir ses plans contrariés.

***

Moïe attendait Malvina comme prévu à côté de la cage de leur nouveau pensionnaire. Il observait avec attention le lion d'argent, plusieurs ouvrages à la main. Jamais il n'avait vu un tel maléfice, mais il n'en doutait pas, il y trouverait une solution.

— Moïe, me voilà enfin. Tu as trouvé quelque chose ?

— Malheureusement pas encore. Mais nous trouverons un moyen de retracer ce sortilège ne t'en fait, ajouta-il rapidement devant la mine pincée de la jeune femme.

Malvina observait une distance respectable entre elle et l'animal, soucieuse de ne pas lui infliger plus de tension qu'il n'en avait déjà...

— A vrai dire, reprit Moïe, j'ai trouvé quelque chose d'intéressant, bien que cela ne nous aidera pas à le soigner.

Les yeux pleins de curiosité, Malvina conserva le silence, l'incitant à continuer.

— Ne t'approche pas surtout, mais regarde juste derrière son oreille là. Tu vois, on y décèle une marque. Est-ce que tu sais ce que c'est ?

Forçant le regard pour mieux observer la petite tâche claire, Malvina découvrit en effet une trace qui semblait représenter une écaille.

— Mais c'est... ça ne peut être les armoiries de Merïa ? s'inquiéta-t-elle, refoulant l'évidence.

— A vrai dire, si. Il n'y a aucun doute là-dessus. Reste à découvrir pourquoi le lion du roi Dal'Aqual est ensorcelé pour vous éliminer.

Malvina garda le silence, réfléchissant à ce que cette découverte pouvait signifier. Elle se rappelait avoir vu de la déception et un peu de haine chez les mérolts, le jour où ils avaient été désignés comme étant les élus avec Athèlme... mais jamais elle n'aurait soupçonné le roi d'en arriver là.

— Sar Ier est-il au courant, Moïe ?

— Pas encore, mais il est en route pour nous rejoindre.

Le demi-elfe faisait son possible pour paraître détaché de la situation, mais son ton le trompait et une inquiétude grandissante faisait trembler sa voix.

— Peut-être vaudrait-il mieux ne pas l'en informer. Cela serait un véritable drame politique pour nos deux royaumes, Moïe.

— Malvina, si vraiment les mérolts ont voulu porter atteinte à vos vies, alors c'est contre tout Brazla qu'ils ont agis, tu comprends ça ?

Evidemment qu'elle le comprenait mais elle ne pouvait croire au fait qu'un monarque, quand bien même aussi sévère que Dal'Aqual, puisse aller si loin. Le seigneur mérolt n'était certes pas réputé pour sa douceur et son entregent mais son sens de l'honneur était, lui, bien connu de tous. Ses pensées furent vite interrompues par la royale démarche de Sar Ier.

— Ha ! Malvina, comment te portes-tu ?

Le roi arborait son fidèle sourire charmeur. Il dégageait toujours son aura de tranquillité et le monde semblait pouvoir s'écrouler sans qu'il ne trouve une solution adaptée et sans pression aucune. Après tout, peut-être saurai-t-il gérer la crise avec sang-froid et sagesse.

— Très bien mon seigneur. Nous cherchons toujours un moyen de remonter à la source de cet enchantement avec Moïe. Nous vous en avertirons dès que nous aurons de nouvelles pistes.

Moïe lança un regard plein de sous-entendu à Malvina, non dupe de son petit manège visant à éloigner le souverain.

— Bien entendu je n'en doute pas ! dit Sar Ier en observant le lion de plus près. C'est une bête absolument magnifique !

Sar Ier avait toujours aimé les lions d'argent. Plus que ça, il les admirait. C'était d'ailleurs sous son règne que les armureries de Sora avaient été changées. Autrefois symbolisée par un phénix, Sar Ier avait décidé d'en conserver les couleurs bleues et argentées mais avait modifié l'animal représenté. A présent, un fauve rugissant avait pris la place de l'oiseau de feu.

— Vraiment une bête splendide, continuait de s'extasier Sar Ier en entamant un tour de la cage. Savais-tu, Malvina, que depuis toujours je rêve d'avoir un lion d'argent. C'est un rêve d'enfant qui me suit, malgré le temps et la vie.

Malvina écoutait son roi sans bouger, s'efforçant de ne rien montrer de la tension grandissante qui dévorait ses entrailles. Sa gorge était sèche, serrée, son cœur palpitait... et le roi ne cessait de se rapprocher de l'animal.

Le lion l'observait avec lassitude. Fatigué d'être enfermé, il semblait résigné et se pliait à son sort, brisé.

— Votre majesté, il se fait tard et nous pensions continuer notre étude de la bête. Il commence à s'ennuyer dans cette cage, le plus tôt sera le mieux, insista Malvina, espérant détourner l'attention du roi.

La jeune fille observa le ciel et le soleil qui continuait à plonger paresseusement dans l'océan. Ne voulait-il pas accélérer sa course pour une fois, s'énerva la guerrière pour elle-même. A ce moment-là, un rayon vint pointer directement dans la direction du lion, le nimbant d'un halo doré, révélant chaque relief du félin. Admiratif, Sar Ier ne s'en rapprocha que plus encore et Malvina se raidit de toute sa longueur, n'osant plus même respirer. Moïe lui posa une main délicate sur l'épaule, lui signifiant que quoi qu'il arrive, il serait là pour apaiser la situation.

Abaissant son regard dangereusement, le monarque sembla finalement attiré par un détail.

— Quelle étrange cicatrice... on dirait presque... Moïe vient par ici je te prie.

Lâchant un regard plein de regret à sa protégée, le demi-elfe s'avança.

— Que penses-tu de cette marque, dit-moi ?

— Mon seigneur ?

— Ce n'est pas une cicatrice banale, il n'en a d'ailleurs aucune autre, ce qui est étrange. Sa forme est celle d'une écaille n'est-ce pas ?

— J'en ai bien l'impression mon seigneur, répondit Moïe à contrecœur.

Le visage de Sar Ier, d'habitude si pur, si jovial et chaleureux, se transforma en un masque de haine. Jamais Malvina n'avait vu le roi dans cet état. Ses yeux s'étaient assombrit, deux billes d'obsidiennes noires perdues dans un océan de fermeté et de détermination. Même son fameux diadème de rubis semblait plus éclatant. Se redressant, le roi commença à s'éloigner d'un pas vif, frappant le sol de ses talons à chaque enjambée.

— Dites à Athèlme de me retrouver dans la salle du trône, immédiatement !

La salle du trône ? Jamais encore Malvina n'avait vu son roi recevoir qui que ce soit de façon aussi formelle. Ce dernier préférait dédramatiser toutes situations confondues en ne recevant qu'autour d'un banquet ou dans la cours du château. Elle s'élança à sa poursuite :

— Mon seigneur, vous vous emportez. Je pense que...

— Malvina, ta bonté est encore fraîche et naïve, mais il est question de trahison, trancha-t-il.

— Mon seigneur, jamais Dal'Aqual n'aurait ainsi porté atteinte à Sora et...

— Cesse ! Va quérir Athèlme je veux le voir tout de suite, la coupa-t-il fermement.

Stoppée net dans son élan par un ton qu'elle ne lui connaissait pas encore, Malvina resta un moment immobile ne sachant que faire. Athèlme serait peut-être lui plus amène de raisonner le roi. Reprenant sa course dans le sens inverse, la jeune femme rejoignit les deux hommes sur le terrain d'entraînement, tandis que Moïe s'était déjà précipité auprès de Sar Ier.

***

— Ton bras, plus haut. Ecarte les jambes. Redresse les épaules. Non resserre ta prise... Pas comme ça !

Déjà elle entendait Athèlme malmener Luvac. L'occasion était trop belle, pour son fier compagnon, de rabrouer cet homme qui de toute évidence, ne lui inspirait que haine et mépris. Elle fut presque soulagée de pouvoir apporter un peu de répit à la nouvelle recrue.

— Elme ! Le roi te veux dans la salle du trône, et rapidement.

Dans un dernier fracas de lame et un habile pas d'attaque, la jeune fille vit un jeune soldat s'étaler à terre devant son professeur au regard arrogant. Athèlme savourait ce moment. Finalement, comme venant de comprendre le sens de sa phrase, il tourna la tête vers elle.

— La salle du trône ?

— Je t'expliquerais en route. Tu veux bien me suivre maintenant ?

— J'arrive tout de suite.

Sans même aider Luvac à se relever, il lui jeta son épée avant d'aller changer ses bottes.

— Entraîne-toi encore. Ton bras doit se raffermir et tes gestes doivent être plus précis. A mon retour nous retravaillerons la fente.

Et à ses mots il rejoignit Malvina qui déjà s'éloignait du terrain de sable.

— La fente Athèlme ? Vous n'en êtes qu'à son premier jour voyons !

— Je sais ce que je fais Mina. S'il veut être capable d'intégrer les armées, il va devoir apprendre vite, répliqua rapidement l'homme sur la défensive.

— Tu es dur avec lui. J'espère que tu t'en rends compte.

Sur ce, Malvina enchaîna sur ses découvertes de la journée, ce que cela signifiait et le fait que le roi en ai pris connaissance.

— Mina je ne peux le dissuader de porter une riposte à ce coup de traître. On ne peut laisser cela impuni !

— Je te demande seulement du temps Elme... On doit simplement découvrir d'où provient ce sort avec Moïe. Si ça se trouve, Merïa est autant victime que nous dans cette histoire !

— Je vais voir ce que je peux faire... mais vous allez devoir vous dépêcher. Je ne suis que chef des armées, pas souverain...

Arrivés devant la porte de leur destination, les deux amis se regardèrent un moment. Athèlme posa une main réconfortante sur l'épaule de Malvina et dans un clin d'œil se prépara à entrer. Poussant les lourds battants, il pénétra dans la salle, découvrant Sar Ier assis sur le trône de saphir et d'acier situé contre le mur du fond.

La beauté de l'endroit lui faisait pratiquement perdre la tête. Le sol d'onyx était nervuré d'étranges sillons argentés. Les murs entièrement blancs, observaient des fresques courant le long du plafond de verre. La nuit étant tombée on pouvait y observer la multitude d'étoiles qui scintillaient dans le ciel dégagé. Seuls la lune et les immenses chandeliers qui entouraient la pièce venait éclairer l'assise qui dominait l'espace. Les flammes alentours faisaient miroiter les saphirs qui la composaient de mille feux. S'avançant d'un pas prudent, Athèlme sentit ses pieds s'enfoncer dans d'épais tapis colorés qui menaient au-devant du trône. Mais ce qui choqua le plus le soldat, s'était la mine qu'adoptait son roi. La tête haute, l'expression fière et le regard glacial, il semblait rendre l'atmosphère oppressante. Jamais encore Athèlme ne l'avait vu si... effrayant. Une copie parfaite de feu son père, dont la tapisserie menaçante prenait place derrière le fils.

— Mon roi vous m'avez fait quérir, s'écouta-t-il dire, faisant résonner sa voix dans la grande salle, un genou à terre.

En temps normal, Sar Ier l'aurait prié de se redresser mais il n'en fit rien. Athèlme le savait, il devrait suivre la décision de son roi.

— Athèlme, en tant que général et commandant de mes armées, je t'ordonne d'organiser sur le champ tes troupes. Vous partirez à l'aube pour Merïa.

Moïe, prenant place aux côtés de son roi, semblait chercher le moment opportun pour parler. Il avait besoin de temps et Athèlme s'appliqua à lui en donner.

— Mon roi ? Sommes-nous en guerre ?

— Nous le serons aussi longtemps que je le dirais, Athèlme. Et je ne tolérerais aucun affront.

Moïe semblait avoir trouvé son moment, permettant à Athèlme de respirer plus librement.

— Votre majesté, vous le savez, je suis votre plus fidèle serviteur. J'ai servi avec loyauté votre père et je vous conjure de ne pas oublier les erreurs du passé. Il était le Roi Fou, vous êtes devenu Le Justicier. Vous êtes le sauveur de Brazla, Mon Seigneur. Un homme de paix.

— Et regarde où cela m'a mené, Moïe. Une trahison de mon plus proche homologue. Ma décision est sans appel et je n'hésiterais pas à mettre sous fers quiconque tenterait de s'y opposer.

Le ton était tranchant, telle une lame. Froid, comme l'acier. La salle résonnait d'une guerre inévitable.

***

Moïe, le visage impassible, impénétrable, observa Athèlme se lever d'un mouvement las et quitter la salle du trône. Sa frustration ressortait par chacun de ses pores. Il était touché dans son amour propre, dans sa fierté et par-dessus tôt, un de ses modèles venaient de s'effondrer devant ses yeux, ce qui brisa le cœur du mage. L'enfant qu'il avait commencé à entraîner, alors qu'il n'avait que onze ans, était bel et bien devenu un homme. Un homme chargé de lourdes responsabilités. Un homme d'honneur, brave et loyal. Le demi-elfe s'autorisa un rictus de fierté. Puis son regard se posa sur un autre homme dont il avait fait l'éducation. Un roi, une légende pour Brazla. Un seigneur robuste, juste et dévoué. Mais ses yeux ne discernaient en ce moment qu'un masque de colère, peut-être même de folie. Deux prunelles iridescentes se tournèrent vers lui. Charbon ardent contre cristal fondu. Moïe ne plia pas. Il soutiendrait ce duel aussi longtemps qu'il le faudra, il ne s'abaisserait pas car, il le savait, la raison lui appartenait.

— As-tu quelque chose à redire, Moïe ?

Sar Ier n'avait pas bougé. Son ton était cinglant, dénué d'empathie.

— Je pense que vous me connaissez suffisamment pour savoir que j'ai bien des choses à dire, Mon Seigneur.

Moïe était stoïque. Ses lèvres avaient remué, laissant passer clairement son message, sans qu'aucune autre gestuelle ne l'accompagne.

Sar Ier fut le premier à rompre le duel. Il se leva, défroissa sa tunique pourpre dans des mouvements calculés et s'apprêta à quitter la salle. Le mage ne pouvait se résoudre à le laisser filer mais les mots qu'ils tenaient sur le bout de la langue refusaient de franchir la frontière de ses lèvres closes. Moïe se rappela Athèlme, la détermination dans son regard, sa volonté de s'interposer fortement contrée par son devoir. Lui n'avait pas cet obstacle. Son devoir était de conseiller, et c'est ce qu'il allait faire !

— Mon Seigneur, vous ne partirez pas sans que j'aie exprimé toutes ces choses que je dois vous dire. Et cela ne prendra qu'un instant.

Le roi effectua un demi-tour volontairement lent et observa d'un air détaché son ami. Moïe prit cela pour une invitation, bien malgré le manque d'entrain apparent, et saisit sa chance sans tarder.

— J'ai été le conseiller de bien des rois avant vous, seigneur. Mais une seule de mes missions m'aura marquée à tout jamais et je pense que vous savez pertinemment à qui je fais allusion.

— Moïe, je te conseil de ne pas me rabâcher quoi que ce soit sur mon père. Je ne suis, et je ne serais jamais cet homme. Est-ce clair ?

Cette fois encore, une voix tranchante, froide et calme. Trop calme.

— Dans ce cas, n'agissez pas comme celui dont vous ne voulez même pas entendre parler. Sar III était un homme impulsif. Vous l'avez découvert à vos dépens. Il résidait en permanence aux portes de la folie et ne trouvait le repos que dans des batailles sanglantes. Vous avez travaillé trop dur pour rebâtir un continent de paix pour que je vous laisse détruire en un claquement de doigt cet édifice de bonté. Vous êtes Sar le Justicier !

Sar Ier n'avait pas quitté Moïe des yeux. Ce dernier avait même cru avoir percé la carapace de son roi lorsqu'un tic avait agité son œil droit. Une flamme avait brillé dans son regard, pour s'étouffer aussitôt. S'étouffer au milieu de la haine et de la violence qui avaient pris possession de son esprit. Il n'y avait plus d'espoir.

— Moïe, tu seras toujours là pour conserver l'édifice. Qu'il soit de bonté ou non. Car tu seras avec nous. Un roi a besoin de son mage lors des grandes batailles. 

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