Chapitre 6 - Audience et Chantage [Réécriture]
-3 ans avant ADLP- (saison des brumes)
Découvrant deux saphirs brillants, Kilna ouvrit les yeux avec difficulté. La jeune domestique battit de ses longs cils un moment en reprenant conscience de son état. Son regard balaya les alentours avec un brin d'excitation lorsqu'elle découvrit une cabine de marin, meublée sobrement. Allongée sur un lit peu confortable, une simple petite commode et une armoire venaient remplir la pièce. Le roulis de l'eau sous la coque finit de lui rappeler qu'elle se trouvait à bord « Blubice Enchanté ».
- Quel drôle de nom pour un navire royal, grommela-t-elle en s'assoyant.
Kilna ne pouvait s'empêcher de visualiser le petit mollusque gluant et un sourire s'échappa de ses lèvres en imaginant un bateau à son image. Prête à se lever, le rouge lui monta aux joues quand sa nudité se dévoila. Pour vue que ce ne soit pas le capitaine qui se soit chargé de la dévêtir...Avec soulagement, elle découvrir un pantalon et une chemisette qui l'attendaient sur la commode. Elle enfila ses vêtements de fortune, mais en se redressant elle sentit instantanément le pantalon de lin écru lui tomber sur les chevilles. Fichtre. Pestant, elle fit un nœud avec le surplus de tissu à hauteur de sa taille. La chemise, quant à elle, lui descendait jusqu'aux genoux. Déjà qu'elle n'était pas bien élancée, elle se sentit plus rapetissée que jamais ainsi accoutrée.
De l'autre côté de la porte de sa cabine, elle entendait le tumulte des marins qui s'afféraient à manœuvrer le bâtiment. Cela lui rappela les sons de son enfance, les hurlements sur les docks, les navires prêts à prendre le large, dirigés par de vaillants mérolts. Mais cette nostalgie ne suffisait pas à la rassurer. Jamais elle n'avait été acceptée au sein des mérolts, malgré toute sa bonne volonté pour s'intégrer à leur communauté.
Prenant son courage à deux mains, Kilna poussa sur la poignée et ouvrit grand la porte. Les embruns marins lui caressèrent immédiatement le visage. L'air iodé de l'océan emplit ses narines et c'est avec délectation qu'elle reçut les rayons du soleil sur sa peau blafarde. La brise marine finit par envoler ses dernières réticences et elle s'avança sur le pont d'un pas serein. Elle avait toujours aimé l'océan et ses immenses plages, le soleil et sa douce chaleur... Elle ferma les yeux, emplissant tout son être d'énergie marine, en paix avec la nature. Et elle fut repoussée avec force avant de rebondir contre un mur de bois.
— Regarde ou tu vas gamine !
Outrée, Kilna s'apprêta à rouspéter mais le mérolt charpenté ne se retourna même pas. Décidément, la réputation des marins n'était pas un mythe... quelle bande de rustres !
— Ma belle dame, vous voilà rétablie !
Cette voix, plus douce encore que le miel, elle ne pouvait que la reconnaître. Il s'agissait de son jeune sauveur. Elle regarda le jeune homme se précipiter dans sa direction, un sourire éclatant décorant son visage émacié.
— Ma dame, nous arrivons, comme vous l'avez souhaité, au port de Mer'Aqual. Aussitôt à terre, je vous guiderai au palais de notre roi.
Le roi ! Sora ! ... elle avait presque oublié sa mission !
— Je ne saurais jamais comment vu remercier, s'exclama-t-elle. C'est à Sora elle-même que vous rendez ce service ! Messire...
— Holf. Appelez-moi Holf. Permettez-moi de vous demander votre nom à mon tour.
— Kilna..., répondit-elle le rose aux joues.
Holf la regardait comme jamais personne ne l'avait fait. Jamais elle ne s'était sentie aussi désirée, malgré sa chemise qui lui tombait sous les genoux et son pantalon rattaché par un nœud autour de la taille qui lui tombait sous les pieds. Bien que chétif et d'un physique peu harmonieux, le mérolt avaient un regard si tendre, si calme et à la fois si sévère qu'elle ne pouvait détourner son regard de ses prunelle aux reflets d'or.
— Alors c'est avec fierté que je vous accompagnerai auprès de sa majesté le roi Dal'Aqual, Kilna, débita-t-il solennellement, accompagnant ses dires d'une révérence disgracieuse.
— Holf ! Quand tu auras finit ton petit spectacle de puceau, peut-être que tu pourras enfin bouger ta crête de précoce !
Honteux, le visage de Holf se transforma en un masque d'acier et il prit congé sans autres politesses de sa protégée, rejoignant le capitaine. Elle se retrouva donc seule dans ce milieu hostile et trop viril à son goût. Se faisant toute petite, la servante glissa jusqu'à la rambarde, et observa les côtes de Merïa se dessiner au loin. Déjà elle pouvait admirer le palais royal et son architecture si particulière. Tout en voute et en coupole, le monument était de couleur céruléen. Chaque contour de fenêtre était souligné de liserais d'or et les toits était d'un bordeaux éclatant. Se perdant dans son observation, Kilna se laissa bercer par la houle. Son enfance à Merïa revivait en elle comme jamais. Elle avait l'impression de pouvoir se rappeler chaque jour passé dans les rues de son village. Les marchands de poissons et leur odeur, les forgerons de harpons et leurs mains usées, les marins et leur agressivité... La vie y était si différente qu'à Sora. Malheureusement, sa nostalgie se vit tâchée par des souvenirs moins agréables. Kilna ne put empêcher son esprit de résonner des insultes auxquelles elle a dû faire face. La voix des enfants, cruelles et sans empathie envahissait ses oreilles :
— Blanche de marins.
— Fille de fortune.
— Souillon de l'océan.
Kilna ferma les yeux et détourna son regard des vagues. Le hurlement des hommes qui criaient des ordres de toutes parts agirent comme un baume. Elle ne supportait pas revivre ces moments...
Le navire abordait son entrée dans le port et chaque manœuvre devenait plus délicate que la précédente. Holf sautait habillement dans les cordages des voiles, se précipitant de la proue à la poupe sans jamais fatiguer. Il jouait à travers les nœuds de cordes aussi facilement qu'il marchait sur terre et offrait une danse délicate qui défiait la pesanteur. Observant ce spectacle aérien avec admiration, Kilna éprouva une vague d'affection pour ce jeune marin téméraire. Sa vie à lui ne semblait pas s'être adoucie le moins du monde, et elle ne savait que trop bien ce que cela faisait d'être différent.
***
— Nous voilà prêt à quitter ce maudit bâtiment belle Kilna. Après vous, déclara Holf en lui présentant un bras malingre.
La jeune fille allait s'en saisir quand le capitaine du bateau traversa le pont avec fougue. Il renversa les deux jeunes gens, les faisant pratiquement passer par-dessus bord.
— Tu oublies où est ta place, Holf ! Tu as de la chance que je n'emporte pas ta demoiselle avec moi. N'oublie jamais ça, un faux pas de ta part et les choses pourraient être bien différentes ! aboya agressivement le maître d'équipage par-dessus son épaule.
Se retournant, il reprit son chemin comme si de rien n'était, laissant derrière lui un marin renfrogné et exultant d'un désir de vengeance. Cela faisait la troisième fois dans la même journée que ce gros porc l'humiliait. Il ne laisserait pas cette situation durer éternellement...
— Je suis désolé Kilna, vous ne vous êtes pas fait mal ? s'inquiéta-t-il en aidant sa protégée à se redresser.
— Quel rustre ! Ce sont tous des rustres ! tempête-t-elle.
— Tous vous dites ? répéta Holf dans un sourire charmeur.
— Comment faites-vous pour garder autant de bienveillance dans un univers tel que celui-ci ? reprit-elle plus calmement.
Le marin lui offrit un clin d'œil pour toute réponse et présenta à nouveau son bras à la demoiselle. Ils déambulèrent ainsi dans les rues de Mer'Aqual, animée par le marché du jour et les nombreux commerçants, artistes et artisans qui ventaient la qualité de leurs produits. Cette marée d'hommes bleus charma Kilna qui se sentait basculer dans un passé lointain. Malgré un sens aigu de l'organisation, ce peuple n'en était pas moins curieux. Beaucoup de regards indiscrets s'étaient posés sur son petit minois d'albâtre, laissant dans sa trainée une série de commérages. Bien loin d'être vexée, la jeune touriste s'émerveillait au contraire de la beauté de la ville, loin de toutes comparaisons avec le petit village de pêcheur qu'elle avait habité. Les bâtiments étaient tous colorés de rouge, de bleu ou de couleur sable. Les rues pavées étaient emplies d'échoppes, proposant des articles que jamais Kilna n'avait vus auparavant. Un petit ustensile ressemblant vaguement à une pince attira son attention.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle en brandissant l'objet juste sous les yeux de son guide.
— Un pince-crête, lui répondit-il en abaissant légèrement le bras qui menaçait de lui crever un œil.
Devant la mine interloquée de l'étrangère, il continua :
— A la cours du roi Dal'Aqual, aucun mâle n'oserait dévoiler une crête plus importante que sa majesté. Ils utilisent donc ce pince-crête pour s'assurer qu'elle ne risque pas de se déployer à un moment critique.
Kilna du se forcer à conserver son sérieux. Les mœurs de la capitale étaient décidément bien différentes de ce qu'elle avait connu. Leur crête était donc le reflet de leur virilité... Elle ricana en son for intérieur en songeant que les hommes de son espèce seraient bien heureux de pouvoir afficher leur virilité avec tant de facilité... du mois pour certains, se rappela-t-elle, un mauvais souvenir s'imposant à son esprit. Honteuse, elle chassa cette image peu ragoutante et se reconcentra sur sa visite, non sans jeter un petit coup d'œil à la crête de Holf.
Après une longue marche, enfin, ils arrivèrent devant les hautes portes du palais. Il se trouvait en plein milieu de la ville. Rien ne pouvait empêcher les gens d'aller et venir entre ses murs, hormis deux gardes fièrement dressés à l'entrée. S'approchant, Holf fit passer délicatement Kilna derrière lui, lui intiment de garder le silence.
— Nous venons prendre audience avec sa majesté.
— Le roi est déjà en réception, répondit froidement le garde.
— Alors nous attendrons.
— Le roi ne prendra plus d'audience après cette dernière.
— Mais c'est une question d'urgence diplomatique, s'énerva Holf devant la mine butée du soldat.
— Le roi ne prendra plus d'audience après cette dernière.
— Voulez-vous cesser votre manège ! Puisque je vous dis que c'est une urgence !
Alors que Holf commençait à s'échauffer devant un soldat apparemment décidé à rester impassible, la porte s'ouvrit pour laisser sortir le capitaine du « Blubice Enchanté ». Il jeta un regard plein de mépris et de vice à son marin, un sourire jaune au coin des lèvres.
— Holf, comme on se retrouve, s'exclama-t-il faussement enchanté.
— Capitaine, vous savez que nous avons besoin de cette entrevue. Pourriez-vous nous obtenir cette faveur auprès de notre roi ?
La requête avait pratiquement écorché la langue de Holf, et Kilna ne se rendit que trop bien compte de l'effort qu'il avait dû fournir pour se rabaisser ainsi. Le capitaine, loin de s'en soucier, singea un regard surpris, presque compatissant.
— Ah bon ! quelle tristesse... Peut-être que je pourrais vous aider oui. Mais... qu'est-ce que j'ai à y gagner ?
Holf serra les poings à s'en faire blanchir les phalanges et senti sa mâchoire se crisper douloureusement. La petite main délicate que Kilna posa sur son bras suffit cependant à le calmer.
— Capitaine, je vous offrirais une semaine de mes services en gage de ma gratitude.
— Je vois, je vois. Mais tes services je les ai déjà et je dois dire que je n'en suis pas très satisfait Holf, rétorqua le capitaine dans ce mensonge éhonté, en posant des yeux lubriques sur la jeune domestique. Cependant, je vois là une meilleure récompense....
Se disant, il dévoila ses dents jaunes dans un sourire carnassier, ne cessant d'observer sa proie. Sa langue cireuse finit par dégouter son auditoire en caressant ses lèvres dans un geste entendue. Kilna se sentit rétrécir encore une fois sous ce regard effrayant et se glissa imperceptiblement derrière le dos trop fin de son défenseur.
— Capitaine ? Je crois ne pas vous avoir bien compris.
— Oh si ! Tu m'as très bien compris, Holf, continua le mérolt d'un ton mielleux, sans se départir de son sourire grimacé.
Prenant sur lui, Holf inspira longuement, son regard braqué dans celui, plus foncé, de son adversaire. Mettant finalement fin au contact, il se retourna vers sa belle :
— Venez Kilna, nous trouverons un autre moyen, conclu-t-il en la prenant par le bras.
Traînée de force, elle n'eut d'autres choix que de le suivre.
— Holf ! Si tu changes d'avis, tu sais ou me trouver ! cria encore le mérolt vicieusement derrière leurs dos.
Accélérant la cadence, le jeune marin ne lâcha sa prise sur le bras de Kilna que plusieurs quartiers plus tard. Il sortit de sa poche une petite clé rouillée et ouvrit une des portes de la rue. Celle-ci semblait usée, rongée par le temps et le sel marin. Invitant Kilna à le rejoindre, ils entrèrent tous deux dans une petite pièce, équipée d'un simple bac à eau et d'une paillasse posée à même le sol.
La jeune fille observa cette chambre de fortune avec désolation. Elle qui vivait au château ne comprenait pas comment cet homme, qui travaillait pourtant dur, pouvait vivre dans un logement aussi sommaire. Percevant son expression, il prit rapidement la parole :
— Ce n'est pas si mal. Et puis, en tant que marin je passe plus de temps sur le « Blubice Enchanté » que chez moi. Je ne viens ici que pour dormir.
— Comment va-t-on faire pour prévenir Sora du mal qui l'habite maintenant ? préféra-t-elle changer de sujet.
— Rafraichissez-vous, nous partons à la nuit tombée.
— Mais, Holf, si le simple prix est que... je visite ce capitaine... peut-être que...
— N'y pense même pas !
Kilna remarqua le tutoiement qu'il lui offrit à travers son excès de colère. Le mérolt alla nerveusement chercher de l'eau et plaça le petit récipient entre les mains de la servante. Sous son regard sévère, empreint de détermination, elle accepta la boisson docilement et s'installa dans un coin de la pièce, attendant qu'il lui face par de son plan.
— J'ai un ami qui me doit une faveur. Cette nuit, je m'absenterai un moment afin d'aller lui emprunter deux chevaux et nous irons prévenir votre roi ensemble.
Kilna l'observait avec effarement. Allait-il vraiment tout quitter pour lui venir en aide ? Elle n'était qu'une simple servante et rien à lui fournir en échange de sa dévotion...
— De toute façon, je ne suis même pas sûr que Dal'Aqual aurait prêté attention à votre discours, continua le mérolt. Il est très différent de votre roi, bien qu'apprécier par son peuple. Dormez maintenant, je dois m'absenter.
Son ton était sans appel et Kilna obéit sans réfléchir. Holf se leva et parti, omettant toute précisions. Elle s'allongea alors sur la paillasse, deuxième lit le moins confortable qui lui eut été donné de tester, et se laissa sombrer dans un sommeil agité.
Le bruit de la porte claquée la réveilla en sursaut. Holf était là, un sourire éclairant son visage à la lueur de la petite lanterne qui éclairait la pièce. D'un geste il lui intima de le rejoindre, le regard brillant de fierté. Kilna passa le bas de porte tandis qu'un frisson lui parcourut l'échine. La saison des brumes promettait d'être fraîche. Elle découvrit sur le pas de porte non pas les montures, mais la monture. De toute évidence, son marin n'avait pas su négocier mieux que cela. Ou n'avait-il pas voulu négocier ? Rejetant ses questions inutiles, elle s'avança vers l'animal et avec l'aide de Holf, enfourcha l'étalon. Le mérolt quant à lui la rejoignit d'un bond agile et saisit les rênes, l'entourant de ses bras chaud et la protégeant de son corps. Finalement, le voyage n'allait peut-être pas être si difficile, songea la jeune fille. D'un mouvement, Holf mit le cheval au galop et ils quittèrent la ville, prenant la direction de Sora.
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