Chapitre 5 : Rencontre Diplomatique [Réécriture]
-3 ans avant ADLP- (saison des brumes)
Sar Ier, s'il n'avait été roi, aurait sautillé jusqu'aux deux héros. Athèlme avait rejoint Malvina et il tardait au roi de leur offrir leur surprise. Lorsqu'il arriva au niveau des jeunes gens, il découvrit la jeune fille, les joues encore rosées. Le regard noir que lui infligeait Athèlme en l'observant en disait long sur ce qu'il en pensait.
Malgré tous ces efforts, le général peinait à camoufler la rage que lui inspirait Luvac et l'effet que sa présence avait sur sa sœur. Il ne supportait pas qu'elle puisse être si fragile face à ce ronflant cancrelat. Les émotions se bousculaient en lui, si forte, qu'il entendit à peine la voix de son monarque.
— Athèlme, Malvina, venez avec moi.
A ces mots, Sar Ier prit les devants, suivit des deux interpellés. Comprenant où le souverain les menait, Athèlme sentit le sang quitter une nouvelle fois son visage. Blême, il força ses jambes à le porter. Face à l'attitude radieuse de Sar, il ne pouvait se résoudre à démontrer son appréhension.
— Nous allons découvrir nos montures ? s'extasia Malvina.
— Tout à fait, et vous verrez que ce ne sont pas les pires, plaisanta Sar en pressant le pas.
Malvina était tellement impatiente qu'elle en vibrait d'émotion contenu faisant rivaliser sa démarche sautillante avec celle du roi. Mais plus ils s'approchaient des écuries royales, plus sa tension montait en puissance. Tournant un regard empli de joie et de nervosité à peine contenue vers son frère, il se révéla plus cadavérique encore que le roi lorsqu'il était mourant. D'un coup de coude dans le bras, elle le charia d'un clin d'œil qui se voulait encourageant. Athèlme esquissa l'ombre d'un sourire, qui ressemblait à plutôt à une grimace nerveuse. L'observant avec attention, Malvina ne put s'empêcher de ressentir toute l'appréhension de son frère. Une crainte dévorante qui se glissa, tel un poison, entre ses tripes. Elle allait vraiment devoir l'aider à vaincre ses peurs...
Enfin, ils atteignirent leur destination.
— Je veux que vous restiez ici tous les deux, c'est compris ? les stoppa le roi devant les écuries. Et je voudrais aussi que vous vous retourniez, ajouta-t-il sans retenir un large sourire qui s'étira d'une oreille à l'autre.
Obéissants, les héros firent face à la cour. Athèlme ne manquait pas une émotion de sa sœur. Ses cheveux d'or vibraient dans le brouillard alentour, seuls rayons de soleil persistant depuis le début de la saison des brumes. Il referma sa cape sous son menton et adressa une prière muette à la déesse Saruïa. A présent qu'il était devenu général, son seul rêve demeurait de vaincre cette phobie insensée.
Au bout d'un moment, on entendit le clapotis de quatre paires de sabot frôler le sol.
— J'espère que ces montures sauront vous guider aussi fièrement que vous guidez les armées du royaume, proclama le roi.
Les deux élus se retournèrent dans un même geste et découvrirent ensemble leur nouveau destrier. Le roi remis entre les mains de Malvina une splendide jument. La bête avait une robe qui rappelait le sable des côtes de Merïa. Des taches noires venaient décorer les extrémités de ses jambes musclées et le bout de son nez. Ses crins charbonneux semblaient aussi doux que la soie et s'agitaient sous la légère brise du crépuscule.
Malvina approcha une main intimidée vers les naseaux de l'animal. Ce dernier plaça immédiatement sa tête contre la paume de la jeune fille, et un lien immédiat se fit sentir entre les deux nouvelles amies.
— Galia... Ma si belle Galia ! s'exclama-t-elle.
Elle prit sa jument par l'encolure, comme si plus jamais elle ne souhaitait s'en détacher.
Athèlme quant à lui semblait moins à son aise. Son étalon faisant sa taille au garrot était de loin l'un des plus grands spécimens qui lui eut été donné de voir. Le cheval avait une robe unique. Son corps, entièrement noir, était orné de crins couleur de feux et sa crinière semblait pratiquement s'enflammer sous le moindre trait de lumière. Le regard tendre, il observait son nouveau maître avec curiosité. Timidement, Athèlme avança sa main dans sa direction. L'étalon ne bougea pas, oreilles en avant, comme s'il ressentait la crainte de ce petit homme. Le soldat continua son geste lentement, jusqu'à entrer en contact avec le poil doux et accueillant de son destrier. Il se sentait étrangement plus à l'aise avec ce cheval qu'avec n'importe quel autre animal. Pourtant massif et impressionnant, il dégageait une solide sérénité et paraissait d'un calme imperturbable.
— Je t'appellerai Mirage, lui déclara Athèlme, comme s'il lui demandait son avis. Doux comme un rêve, aussi puissant qu'une illusion...
Pour toute réponse la bête s'ébroua, impatiente de retourner au pré.
— Ces deux merveilles de la nature vous ont été offertes par le meneur des cavaliers creïs.
Sous le regard interrogatif de ses deux guerriers, le roi fit un signe de la main, destiné à une personne invisible aux yeux d'Athèlme et Malvina. Au bout d'un court instant, un homme de carrure impressionnante se présenta devant eux. Sa longue queue de cheval, aussi sombre que la nuit, glissait devant son épaule.
— Les brigands que vous avez arrêtés étaient recherchés depuis longtemps par les tribus creïs, commença-t-il solennellement. Ils pillaient nos villages et volaient nos plus belles bêtes pour les revendre au marché noir. Vous avez également fait preuve d'un grand honneur en offrant à nos proches un départ digne des cavaliers creïs vers l'autre monde. Grâce à vous, la déesse Démerêka saura les accueillir à ses côtés pour les guider. C'est en gage de notre gratitude que moi, le chef Di'Salman, vous offre ces prestigieux présents.
— Il s'agit de leurs plus beaux spécimens, conclu le roi.
La timidité de Malvina refaisant surface, elle ne savait plus où se placer, que faire, ni que dire. Athèlme lui vint cette fois en aide en prenant le relais.
— Grand Chef Di'Salman, nous n'avons fait que notre devoir. En tant que général des armées de Sora et élus du Brazla, notre vœu le plus cher est de garantir une sécurité absolue à chacun de ses habitants. C'est un grand honneur de recevoir ces bêtes magnifiques. Nous leur offriront les traitements et les grâces qu'elles méritent. Puissiez-vous chevauchez dans l'éternel.
Di'Salman inclina respectueusement la tête, une main sur le cœur comme le voulait la tradition Creï.
— Puissiez-vous chevauchez à nos côtés, répondit-il en respectant la formule d'adieu des grands cavaliers.
Il s'éloigna vers un palefrenier qui déjà lui tendait les rennes de sa jument. Dans un bond particulièrement souple pour un homme de sa carrure, il toucha son encolure, faisant naître de petites étincelles. Le contact étant établi, le cavalier, sans bouger, commanda à sa monture de quitter les lieux.
— Que vient-il de se passer, demanda Malvina en se tournant vers Sar Ier.
— Que veux-tu dire ?
— Lorsque cet homme a effleuré son cheval, une connexion est apparue.
— Rare sont ceux qui peuvent apercevoir le Lien, jeune fille, répondit Sar Ier. Tu dois certainement détenir cette capacité grâce à ton don si spécial.
Sous la mine éminemment pas encore satisfaite de la guerrière, Sar continua volontiers.
— Le Lien, vois-tu, est ce qui fait d'un Cavalier creïs, un creïs. Ils peuvent ainsi contrôler leur monture par la simple pensée. Ils ressentent ses besoins, ses envies, ses sensations... ils ne forment plus qu'une seule et unique entité avec leur destrier.
Malvina tentait d'assimiler toutes ces informations. Le roi l'observait tendrement, ses yeux charbonneux plongés dans les siens. Il semblait si heureux de pouvoir partager ses connaissances que Malvina se surprit à remarquer son absence de descendance. Depuis le premier jour, il s'était montré particulièrement paternel avec eux et le manque de petits rois éclata dans ses pensées pour la première fois...
Mettant fin à l'instant, un palefrenier vint récupérer les montures afin de les nourrir. Malvina l'observa repartir avec sa jument, un pincement au cœur. Mais l'heure n'était pas aux sentiments. Elle remercia avec respect son souverain avant de prendre la direction de la grande cours. Un mufle se cachait dans l'enceinte du château et elle n'avait pas l'intention de le laisser s'en sortir si facilement. Après les jours passés ensemble, à s'amuser, partager, s'émouvoir, il s'était permis de prendre la fuite sans un mot. Sa façon de penser allait lui être clairement expliquée. Elle s'éloigna des écuries royales, le pas affirmé et la tête haute.
***
Luvac, à l'insu de tous, s'était rapidement éclipsé après son accueil plus que chaleureux à la cour.
Se faufilant entre les couloirs, il essayait vainement de trouver une pièce libre où personne ne viendrait le déranger. Vainement... et pourtant il devait impérativement contacter le Prisme. A plat ventre sur un banc, il s'acharnât sur un morceau de papier sortit de sa poche afin de transmettre son message. S'il ne pouvait s'y rendre, au moins donnerait-il des signes de vie.
« Les liens sont tissés, le centre est atteint. La lune, bientôt, délivrera son message. »
Luvac dessina rapidement des signes précis du bout de ses doigts avant de les apposer sur le papier froissé. Le pauvre parchemin s'enflamma sous ce traitement avant de disparaître, sans laisser de traces.
Résigné, il s'apprêtait à remettre ses plans de téléportation à plus tard quand une idée le frappa.
Luvac se jeta à nouveau dans la cour, ou plutôt la fosse aux lionnes, et entreprit de la traverser rapidement afin de rejoindre le temple de la déesse Saruïa. Mais trop lent, trop visible et surtout seul contre toutes, Luvac se retrouva submergé avant même d'avoir pu atteindre le centre du préau. Les femmes de tous les royaumes semblaient s'être réunies sur la place, ne lui laissant aucune chance de s'enfuir.
***
Chose avait profité de son invisibilité pour survoler les terres sans encombre. Sentant que son énergie arrivait à terme, la créature se posa au sommet d'une colline avant de s'abaisser pour rejoindre la forêt qu'il devinait se trouver devant lui. Malgré sa vue surdéveloppée, le brouillard ambiant l'empêchait de discerner quoi que ce soit d'autre que ses propres sabots. Epuisé par son long vol, Chose reprit sa marche, les bras trainant au sol. Ses longues griffes creusèrent de larges entailles jusqu'à ce que la créature ait atteint les sous-bois. Là, Chose dressa ses minuscules oreilles et perçut les premiers murmures du Prisme.
Le serviteur suivit la voix d'Ebe en même temps qu'il s'évertuait à chasser la crainte qui lui oppressait les poumons. La réaction de Tourma l'inquiétait, et pourtant, il se sentait obligé de lui raconter ses mésaventures.
— Tient, te voilà Chose.
Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu'Ebe le fixait de ses yeux en métal fondu. Le ton de voix du Premier Messager était plus glacial que d'habitude, plus inhumain que jamais et il était certain qu'elle ne voyait rien d'autre en lui qu'un relais pour contacter son maître. Chose se retourna malgré tout, plus ou moins prêt à assumer le jugement qui dominait l'expression d'Ebe.
— Eh bien parle ! Qu'as-tu à nous révéler ?
Tourma, attiré par le bruit de pas que produisaient les sabots de Chose, arriva à son tour, au plus grand désespoir de ce dernier.
— Je me disais bien avoir entendu ton approche disons... délicate, le salua-t-il.
Chose continua de fixé le sol, secouant sa grosse tête chauve dans un mouvement de balancier.
— Non mais regarde le Tourma, il a l'air encore plus perdu que d'habitude. Et ce n'est pas peu dire...
Le Grand Doyen s'approcha du monstre et du lever la tête à s'en rompre les cervicales pour le regarder dans les yeux. Relevant ses paupières écarlates et gonflées, Chose observa Tourma et commença à remuer les lèvres silencieusement, sans oser émettre le moindre son.
— Allons donc, penses-tu que nous ayons acquis le pouvoir de télépathie depuis ton absence prolongée ? le sermonna Tourma. J'attends tes explications et je n'ai pas la vie devant moi !
Chose se racla la gorge, brisant le silence d'un grognement tonitruant qui le fit sursauter. Ebe ne put retenir de lever les yeux au ciel devant tant d'idiotie, mais se retint de tous commentaires.
La créature commença alors son histoire, sa rencontre désastreuse avec la domestique et la peur d'être ainsi découvert.
— Il n'y a pas de quoi en faire un plat Chose... je présume que tu t'es chargé de cette donzelle, dédramatisa Tourma.
Chose reprit en conséquence son mouvement de balancier, faisant voler les rares poils qui parsemaient le dessus de son crâne. Il murmura de façon presque inaudible sa réaction et sa décision prise dans la panique. Avant qu'il ait terminé, le regard de Tourma, moqueur l'instant d'avant, venait de virer au rouge. Il observait la créature avec dédain et son visage semblait gonfler sous les assauts de la colère. Il parut vouloir hurler, mais lorsqu'il prit la parole, sa voix se contentait de siffler entre ses dents comme s'il avait peur d'exploser en ouvrant la bouche.
— Tu vas aller voir le maître. Et pas plus tard que tout de suite. Je me fiche que tu sois fatigué. Je me fiche de comment ni où tu vas le faire. J'exige que assumes immédiatement ce que tu viens de provoquer.
Chose leva ses quatre indexes devant lui, espérant trouver le courage de riposter un quelconque argument, mais face aux regards de Tourma et d'Ebe, il rabaissa ses bras et partit d'un pas lourd.
— Chose ? le rappela Ebe. Qu'en est-il de la deuxième relique ?
Ebe n'eut pas besoin de réponse, le frisson qui parcourut l'échine du monstre suffit à lui dévoiler son ignorance.
Le Premier Messager effectua un demi-tour aérien, décidée à se dévoiler devant Tourma. Voilà plusieurs lunes qu'elle ressassait différents scénarios afin de lui exposer ses sentiments et ce soir, elle avait décidé de se jeter à l'eau. Mais lorsqu'elle se fut retournée, Tourma n'était plus là.
Ebe partit vers leur cabane, persuadée qu'il avait été chercher quelques ravitaillements. Dans un sens, elle ne s'était pas trompée. En poussant le battant de la petite porte de bois, des murmures se firent entendre dans la pièce voisine. Ebe s'infiltra dans le petit gîte, suivit le son des voix, poussa un autre battant de porte, et les vit.
Tourma tenait dans ses bras une jeune donzelle aux joues rose et aux cheveux de feu. Il lui racontait des histoires qui la faisaient rougir et, de toute évidence, glousser.
Tel un pieu dans son cœur déjà abimé, l'image s'imposa à Ebe dans toute sa cruauté, ruinant ses rêves, ses espoirs et ses seules chances de salut. Les dernières paroles de Tourma, lui susurrant l'effet de ses charmes résonnèrent dans sa tête comme autant de coup de poignards. Laissant ses longs cheveux blancs se coller à ses premières larmes, Ebe se retourna en prenant soin de fermer la porte derrière elle. Toutes les portes, incluant celle de son cœur.
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