Chapitre 5 : Départ et Mal étrange [Réécriture]
- 2 ans avant L.P- (saison morte)
La chaleur était étouffante. Luvac rejoignit ses appartements, furieux et en sueur. Bien que les températures soient bien au-dessus des moyennes, il s'énervait de cette moiteur qui s'emparait de lui, parasite collant et réponse directs à des émotions trop intenses. Rien ne justifiait un tel état de nage, et rien ne saurait le calmer avant qu'il obtienne ce qu'il désirait : L'annihilation du sort dont il était prisonnier.
Arrivé devant sa porte, il balança discrètement le battant afin de glisser un œil à l'intérieur de la pièce. Sa couche, vide et impeccablement faite, lui tira un soupir de soulagement. Sa jeune victime avait compris le message et avait laissé le champ libre ! Tant mieux !
Le soldat refréna dans un coin de son cœur l'espoir qu'il avait eu d'y découvrir la belle, endormie dans ses draps. Il refréna également la passion qui s'emparait de lui tandis que le parfum enivrant flottait encore dans les airs. Des arômes de légèreté, de fougue... de liberté. Il devait se concentrer, se rendre auprès du Prisme rapidement. D'un revers du poignet, il essuya une goutte qui menaçait de se perdre au coin de ses sourcils et s'installa sur le lit en tailleur, prêt pour son voyage.
En un instant, Luvac se trouva au centre de la Clairière des Maudits, entourés des membres du Prisme déjà en plein entraînement. L'esprit ailleurs, le jeune homme tenta de stabiliser son cœur, affolé par les derniers effluves de Malvina. Sa peau parfaite, immaculée, était parsemée de frissons douloureux, qu'il eut tout juste le temps de faire disparaître avant l'arrivée d'Ebe.
— Eh bien ! Voilà une surprise agréable en cette chaude matinée !
La voix suave avait atteint l'oreille de Luvac et attira son esprit, irrésistiblement comme un gland volant pour un mulmopi. Ebe se tenait fièrement devant lui, dans toute sa grâce, ses cheveux de neiges nimbés d'une aura solaire. Elle apparaissait telle une déesse de glace, une oasis rafraîchissante au beau milieu d'une saison caniculaire. Royale, sereine, élégante, Luvac déglutit difficilement tandis que ses yeux parcouraient la fine silhouette du Premier Messager.
Les lèvres pales de la jeune femme s'étirèrent en un rictus parfaitement maitrisé, éclairant son visage d'albâtre.
— Ne reste donc pas planté là, voyons ! Je parie que tu as un millier de choses à me raconter !
Elle tendit une main à Luvac qui saisit l'invitation, plus rapidement encore que la naïve Malvina la veille.
— A vrai dire, je venais surtout m'informer sur le billet mystérieux. Obsi aurait-il déchiffré une partie de ce langage obscure ? Car Moïe, sans conteste, travaille d'arrache-pied sur la résolution de cette énigme.
Ebe l'observa comme s'il venait de proférer la plus grande ânerie du millénaire.
— Crois-tu que nous sommes de petits joueurs, mon cher Luvac, siffla-t-elle.
Ses yeux d'acier liquide se plantèrent si profondément dans les siens qu'il aurait juré les sentir être transpercés. Comment donc cette femme pouvait-elle être aussi splendide et effrayante à la fois ?
— Bien, je vois que le message est passé. Qu'en est-il plutôt de cette charmante Malvina ?
Le prénom, entre ses lèvres, résonnait comme un poison mortel. Si les mots pouvaient tuer, la jeune guerrière serait immanquablement foudroyée sur le coup. Mais l'évocation de la demoiselle suffit à faire frémir Luvac. Un frémissement qu'il s'empressa d'archiver le plus loin possible en son âme et conscience.
— Tout se déroule à la perfection, nia-t-il. Le plan se poursuit et je ne prends pas de risque en affirmant que mon rôle est largement accomplit.
— Voilà une réponse qui me réchauffe le cœur Luvac ! Tu n'as pas idée à quel point.
Un doigt léger se posa sur sa peau dorée, traçant une ligne de feu sous sa chair. Son sang s'ébouillantait au contact des caresses d'Ebe. Elle lui fit un clin d'œil très explicite, juste au moment où Obsi faisait son apparition. Luvac, ne put retenir un soupir, le nouvel arrivant semblant ne pas avoir remarqué quoi que ce soit.
— Luvac, c'est une belle coïncidence que tu sois là. Je suis finalement parvenu à déchiffrer une partie de ton indice, et pas des moins importantes !
Les yeux cristallin de l'elfe était illuminés d'une nouvelle énergie. La mission avançait et, en tant que personne d'action, il se voyait revigoré comme au beau début de la résurrection du Prisme. Une brise chaude souleva sa longue chevelure blanche, retenue en une élégante queue de cheval.
— Nous t'écoutons Obsi ! Comme je le disais à Ebe, Moïe est très certainement en voie d'éclaircir ce casse-tête également. Lui et le général son sont absentés prématurément hier soir...
Luvac ne put dissimuler une mimique de frustration qui, cette fois, ne passa pas inaperçu. Obsi le rassura à travers un regard plein de malices ; Une explosion d'émotion pour un pur elfe tel que lui, reflet direct d'une excitation intense.
— Joack, je t'en prie, joins toi à nous plutôt que de te cacher dans l'ombre. C'est très malpoli, murmura Ebe.
Elle n'avait même pas fait mine de tourner la tête pour signaler qu'elle avait repéré sa présence, si bien que Luvac pensa à une feinte. Mais rapidement, une petite tête brune sorti des buissons. Le regard charbon, les cheveux en bataille, Joack avait pris en corpulence. Ses épaules s'étaient élargies, résultats des longues sessions d'entraînement avec Charb. Il avança timidement tout en gardant la tête haute, et se positionna aux côtés d'Obsi. Luvac ne manqua pas le regard plein d'admiration que Joack lui offrit avant de se concentrer sur les autres membres présents. L'enfant turbulent et vindicatif avait grandi et prit en maturité particulièrement vite.
— Comme je le disais, reprit Obsi, le message est des plus importants. En réalité, nous ne pouvons rien faire sans l'autre partie, mais l'inverse est également vrai. À la différence que nous savons qu'ils en ont un bout, alors qu'eux ne savent rien de nous !
Luvac savoura l'annonce qui promettait une future ascension à un pouvoir inimaginable. Les yeux de tous brillaient, pendus aux lèvres de l'elfe. Avant de reprendre, il tritura son bracelet de bras un instant, un fin liserai en feuilles de Shakam blanchies.
— Voici donc le mot que j'ai décrypté : « La nature est vie, l'incendie est renaissance. Dans un bruissement de feuilles, l'harmonie de l'univers se dévoile, tel un fleuve tranquille. »
Obsi termina son explication sur un ton théâtrale, plein de fierté. Les trois paires d'yeux qu'il découvrit, figées sur les siens en attente d'une illumination miraculeuse l'agacèrent au plus haut point.
— Veuillez cesser de m'observer comme une bande de blubices pré-pubères ! Ne comprenez-vous donc rien ? s'agaça-t-il subitement, visiblement frustré du manque d'effet de sa découverte.
— Obsi, au risque de t'apprendre une grande nouvelle, nous ne sommes pas elfe, nous ne sommes pas vieux d'un siècle et notre science demeure ailleurs, ironisa Ebe, loin d'être vexée.
Il la foudroya d'un regard glacial, et métal fondu contre cristal liquide crépitèrent dans un instant qui semblait en dehors du temps.
— Je ne suis pas vieux, j'ai de l'expérience, asséna finalement Obsi. Dans mon peuple, je suis même un jeune adulte.
Un simple soufflement accueillit sa réplique et il décida sagement de changer de sujet. Joack, pratiquement invisible, se contentait d'observer, de lire en eux. Son regard aussi sombre que la nuit farfouillait les méandres de leur esprit, dénichant secrets, faiblesses... et amour. Pendant ce temps, Obsi les informa sur la nature de sa découverte, son bras imperceptiblement collé au sien.
— Bien, il ne nous reste donc plus qu'à attendre que les héros prennent leur envol ! conclu Luvac.
— Ne t'en fais pas pour ça, répliqua Ebe dans un sourire carnassier. Nous avons déjà tout prévu pour ralentir nos jeunes prodiges le moment venu. Tu lâcheras cet oiseau lorsqu'ils seront sur le départ, Luvac, dit-elle en lui tendant un volatile aux plumes lumineuses et chatoyantes. Nous comptons tous sur toi, tu es la clé de notre réussite.
Le jeune homme frémi. La voix d'Ebe était sifflante, une mélodie enchanteresse qui stimulait son corps et son âme. Il était prêt à tout pour qu'elle continu de le regarder comme elle le faisait. Mais, sans savoir pourquoi, l'idée qu'il y ait atteinte à Malvina le freinait, le retenait comme une force invisible.
— Tu n'y vois pas d'objection, Luvac, n'est-ce pas ? s'inquiéta-t-elle devant son hésitation évidente.
Il se contenta de se plonger dans ses prunelles argentées et acquiesça finalement de bonne grâce. Il n'attendit pas pour se saisir de l'animal, qui perdit alors tout son éclat. Sur son bras se trouvait à présent un simple oiseau de proie aux couleurs ternes et grises.
Luvac salua respectueusement la petite assemblée et fit mine de se retirer pour retourner au château. L'envie de parler de son inquiétude quant à son avilissement à un filtre d'amour le pressait. Mais il ne pouvait se résoudre d'avouer avoir été berné par un maléfice aussi sordide ; sa fierté ne pouvait le supporter.
Il s'assit en tailleurs dans l'humus frais, niant le nœud qui enserrait à présent son estomac. Était-ce de la crainte ou de la joie ? Il allait revoir Malvina et ne comprenait même pas ses propres émotions... son esprit était embué lorsqu'il songeait à elle, incapable de se définir clairement.
Une main se posa sur sa large épaule, le faisant sursauter.
— Si quelque chose te perturbe, Luvac, je t'invite à te confier à moi aussitôt que tu le désireras. Revient nous vite, lui murmura Ebe dans le creux de l'oreille.
Avant de se relever, elle lui déposa un baiser sur la joue, flirtant innocemment avec la frontière de ses lèvres charnues.
Luvac disparut.
***
Alors que le royaume était encore plongé dans l'obscurité et que les étoiles parsemaient le ciel de leur éclat, Athèlme fut réveillé en sursaut. Quelqu'un tambourinait à sa porte, menaçant de réveiller tout le château. Les membres engourdis par sa trop courte nuit, il se leva pour aller ouvrir, se demandant qui cela pouvait bien être. Alors que le battant de porte coulissait, c'est un demi-elfe aux yeux gonflés et rouges qui se présenta à lui.
— Moïe ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Il ne fait même pas jour, demanda le garçon dans un bâillement qu'il n'essaya pas de cacher.
— Tu dois aller réveiller Malvina ! Je viens de découvrir le reste des inscriptions !
Moïe chuchotait tout en criant, performance qu'Athèlme admira malgré son engourdissement.
— Mais, tu n'as donc pas dormit depuis tout ce temps ?
— L'heure n'est pas aux questions inutiles ! Va donc réveiller Malvina, des serviteurs se chargent déjà de préparer vos montures. Personne d'autre ne doit être au courant de votre mission, cette aventure n'appartient qu'à vous seuls.
Jetant un dernier regard amoureux à sa couchette, Athèlme opina finalement. Il enfila rapidement son armure de Shakam, passa une main dans ses cheveux châtains, tentant de les discipliner un minimum, puis se dirigea vers l'autre bout du couloir, afin d'aller prévenir sa sœur.
Tout cela ne se fit pas aussi discrètement qu'espéré. Luvac, dont le sommeil n'était que très léger, avait déjà rejoint l'étage d'où provenait tout ce boucan matinal. Il avait tout écouté de la conversation et c'est avec un large sourire qu'il retourna préparer ses affaires, bien qu'il ne soit pas convié au départ. Sa position d'espion commençait à peser lourd depuis son rapprochement avec la jeune guerrière, il lui tardait d'y mettre finalement un terme.
Malvina quant à elle, émergea de son sommeil plus rapidement que son frère ne l'aurait espéré. Il n'avait pas eu le temps de finir ses explications que déjà elle s'était revêtu de son armure dorée, avait sauté dans ses bottes d'équitation et se précipitait hors de sa chambre à la rencontre du mage, tout en exprimant son excitation à travers des bribes de phrases incompréhensibles et autres onomatopées. Athèlme observa cette performance matinale d'un air las, ne se rappelant pas la dernière fois où il avait eu tant d'entrain pour sortir du lit. Il suivit paresseusement sa sœur dans les couloirs, et ensemble, ils rejoignirent Moïe qui les attendait devant les écuries.
— Des vivres sont placés dans vos sacs à dos. Buvez ceci je vous prie, ordonna-t-il en leur tendant deux coupes d'argent.
— Qu'est-ce que c'est ? se renseigna Athèlme, portant le liquide épais et argenté à ses lèvres.
— Une potion coupe-faim. Celle-ci vous apportera l'énergie nécessaire pour résister deux jours sans manger. Ainsi vous irez plus vite et ne souffrirez pas prématurément du manque de ressource. J'en ai donné à vos montures également.
Déversant la potion dans leur gorge d'un trait, les deux jeunes soldats tirèrent la langue simultanément, leur visage renfrogné par le dégoût. Le liquide était visqueux, et en plus d'avoir un gout extrêmement amer, il était mal odorant. Le demi-elfe ne put retenir une légère moquerie au coin des lèvres avant de les inciter à monter. Malvina enjamba gracieusement sa belle jument de robe isabelle tandis que Athèlme s'approchait prudemment de son étalon aux crins si particuliers. Son entourage ne pouvait nier les progrès qu'il avait faits avec les bêtes, mais la crainte demeurait, même affaiblie. Il grimpa sur le dos de l'animal et flatta son encolure après son approche délicate, ce qui tira un souffle joyeux à l'animal.
— Bien, voici ce qu'indique le texte : « Là où tout a commencé, tout finira. Là où la terre rencontre le ciel, tout commencera ». Sachez toutefois qu'une fois encore, la prophétie du billet est incomplète. J'ai retourné de fond en comble la crypte, mais impossible de mettre la main sur un autre message secret.
— Cela pourrait-il être le Pic de la Destinée dont tu me parlais dans ton histoire Moïe ? hasarda Athèlme, choisissant de ne pas s'attarder aux éléments manquants mais plutôt aux choses concrètes.
— J'en ai bien peur, mais jeunes gens, sachez que le Pic de la Destinée ne fait plus parti des montagnes de Ninetïa. Il se trouve dans les Terres Désolées.
— Mais aucune cartographie n'existe sur cette région, s'inquiéta Malvina qui frissonna malgré les dernières chaleurs de la saison morte.
— Le pic ne sera pas dur à repérer, il est le plus haut du continent, vous pouvez même l'observer depuis là lorsque le soleil brille. Mais il va falloir trouver un chemin à travers ces terres abandonnées depuis des temps ancestraux et je ne peux vous guider pour cela. Bonne chance les enfants ! Les dieux sont avec nous, vous ne subirez plus les assauts du soleil avec le début de la saison des pluies.
Tandis que les jeunes guerriers s'éloignaient, Moïe se rendit compte qu'il avait oublié quelque chose.
— Attendez ! Malvina, Athèlme... ceci est pour vous, leur annonça-t-il en leur tendant deux amulettes.
Leur forme arrondie, tout en arabesques, s'emboîtait parfaitement l'une dans l'autre. Ils observèrent leurs présents, sans trop comprendre ce qu'ils représentaient.
— Ce sont des totems d'inséparables. Ces amulettes jumelles vous permettront de conserver un contact permanent et sans limite, leur apprit-il avant de se pencher vers Athèlme pour lui chuchoter une autre information. Notre secret doit rester bien gardé, mais sache qu'en cas d'urgence et de nécessité, Tikou pourrait se montrer à toi. C'est un ami plein de surprises.
Le jeune homme plongea ses yeux d'émeraude dans les deux cristaux de Moïe, le remerciant silencieusement.
— Puisse la déesse Saruïa guider vos pas les enfants.
Les héros levèrent leur main en signe de salut et quittèrent le château dans le bruit fracassant des chevaux au galop qui martelaient le sol. Moïe les observa s'éloigner vers le Nord, un pincement au cœur. Il avait entraîné ces enfants pratiquement toute leur vie et les voir partir n'était pas chose aisée. Il espérait qu'ils seraient prêts pour affronter les dangers qui s'imposeraient à eux. La prophétie leur laissait encore plus d'une année pleine pour accomplir leur mission et ramener les trois reliques avant qu'elles ne soient appelées.
— Deviendrais-tu sentimental Moïe ? le charia Sar Ier qui venait d'arriver derrière lui.
— Seigneur ? Êtes-vous toujours d'humeur aussi moqueuse le matin ? Et ce, avant même de dire bonjour ?
Le roi de Sora s'esclaffa et traîna son mage avec lui, l'invitant à se joindre à sa table pour le petit déjeuner. Décidément, son appétit n'avait cure de l'heure aussi matinale. Souriant face à l'insatiabilité toujours aussi forte de son souverain, le demi-elfe suivit son ami sans rechigner. Un peu de compagnie ne pouvait que lui être bénéfique. Il avait su cacher avec fierté les larmes traîtresses qui avaient menacé de rouler sur ses joues d'albâtre. Son cœur saignait de voir ses enfants partir pour l'inconnu, lui qui les avait pratiquement élevés. Et il n'avait rien pu faire pour les protéger de leur destin... de cette prophétie meurtrière. Personne n'en sortirait indemne, et lui seul le savait, sans que cela ne lui soit d'aucune aide.
Luvac attendit patiemment que le mage et le roi quittent la grande cours, sauta sur sa monture et équipé de son arc et de son épée, il s'élança à son tour hors du royaume. La luminosité encore faible rendait les gardes paresseux. Ils n'avaient même pas songé à redresser le pont levis après le départ des élus. Lui et son étalon moucheté suivirent donc les traces laissées au sol par le duo. Il lâcha sans attendre l'oiseau perché sur son poignet et l'observa s'envoler, son plumage étincelant un peu plus après chaque battement d'ailes. Bientôt il illumina le ciel du jour naissant d'un fin halo argenté. La mission allait être pénible, mais Luvac connaissait la solitude mieux que quiconque et elle ne l'effrayait plus le moins du monde. Il était né seul et ne doutait pas de finir sa vie comme elle avait commencée. A mi-chemin entre la concentration pour suivre les empreintes de ses proies et le rêve, il sentait son esprit être envahit par des images nostalgiques tandis que sa mission arrivait lentement à son terme.
Ses songes étaient toujours flous, sans qu'il ne sache différencier la fiction du réel. Mais souvent, des flashs l'assaillaient. Il se revoyait plus jeune, son père l'entraînant férocement au combat alors qu'il était à peine en âge de marcher. Une petite main tenait une épée bien trop lourde. Escrime. Une petite main s'illuminait d'une magie qu'elle ne devait pas posséder. Magie. Les exercices s'enchaînaient, puis la douleur... Sanction.
La brûlure des sévices demeuraient un souvenir pratiquement physique. La magie ratait sa cible. Une énorme gifle, elle, la trouvait. L'épée tombait des petites mimines. Le fouet était lui, bien tenu en main. Le camouflage était indiscret. Plusieurs jours plongés dans le noir apprenaient l'invisibilité. Mais tout cela n'avait jamais été autre chose que des cauchemars pour lui. Des flashs incertains, étayés par une mémoire vacillante. Il ne portait d'ailleurs aucunes traces de maltraitance, aucunes cicatrices... mais était-ce une preuve suffisante ? Après tout, sa peau n'avait jamais marqué plus de quelques jours. Elle était toujours restée inexorablement parfaite, lisse, douce et dorée.
Luvac frémit et reprit ses esprits, s'interdisant de retourner dans ses sombres pensées. Un jour il découvrirait d'où il vient. Mais l'heure n'était pas à la question. Peu importe que cela soit des souvenirs ou de simples affabulations. Il avait vécu avec et cette cruauté avait su le rendre fort. Grâce à cette souffrance, personne ne pouvait l'égaler, personne ne pouvait le battre et surtout, personne ne pouvait l'impressionner. Une vie bercée par des songes de douleurs garantissait une force morale à toute épreuve et ce, face à n'importe quoi.
Il releva la tête, remarquant que les traces le menaient auprès de la rivière Démerêka, vers le Sud. Que pouvait bien prévoir les héros ?
***
Athèlme et Malvina continuait leur petite marche d'un pas rapide et enjoué.
— Si nous rejoignons rapidement les Terres Désolées, nous pourrons passer la nuit sur les côtes de la rivière avant de les quitter le lendemain matin, planifia le jeune homme, le nez planté dans une carte.
Il inspecta en silence quelques informations que son parchemin pouvait lui fournir.
— Mais je dois avouer que c'est bien ce qui me fait peur, reprit-il finalement. À partir de demain nous devrons quitter le cours d'eau, et je n'en connais pas d'autre qui traverse les montagnes de Ninetïa avant la frontière de la forêt d'Imalt.
— Attendons que le soleil soit à son Zénith. Avec toute cette bruma matinal, le Pic demeure invisible. Une fois repéré, nous pourrons mieux planifier nos déplacements. Et avec la saison des pluies qui arrivent, profitons plutôt de nos dernières heures ensoleillées Elme ! Nous ne manquerons pas d'eau, crois-moi.
Malvina, apparemment satisfaite de son absence de plan, s'applaventra sur l'encolure de sa jument, s'imprégnant de son odeur et de sa force. Galia émit un léger couinement de satisfaction de se voir ainsi flattée. La jeune fille ressentait une affection toute particulière pour sa jument. Elle ne comprenait pas trop ce que ce lien représentait, ou ce que cela pouvait signifier, mais elle serait prête à lui confier sa vie. Tandis que cette pensée traversait son esprit, elle aurait juré percevoir une vague de chaleur réconfortante provenir de l'animal. Aussi réconfortante pouvait-elle être, elle n'empêcha pas sa curiosité de ruminer les messes basses que Moïe avait glissées à Athèlme.
— Mina, que dirais-tu de passer voir nos parents ? Ils sont sur notre route, cela ne fera pas de détour.
— C'est une magnifique idée Elme, répondit-elle, un peu rêveuse, n'étant pas sortie complètement de ses pensées.
— Mina ? Tout va bien ? s'inquiéta son frère.
— Oh ! Oui bien sûr ! En fait, que t'a dit Moïe à l'oreille ?
— Rien de particulier, il voulait juste m'indiquer la première direction à suivre. Il ne fait pas confiance aux femmes et à leur sens douteux de l'orientation, lui lança-t-il dans un sourire moqueur.
Malvina ne put s'empêcher de rigoler, loin d'être vexée par cette réalité absolue ; Elle avait mis déjà une éternité à se retrouver dans le château. Mais elle sentait qu'il ne lui disait pas tout et cette boutade ne servait qu'à camoufler une autre vérité. Gardant ses doutes pour plus tard, elle se réjouit plutôt d'avoir l'occasion de voir son père une dernière fois avant leur long voyage.
Au loin, ils pouvaient déjà distinguer les toits des maisons et les volutes de fumées qui s'échappaient des cheminées. L'hiver arrivait, apportant avec lui les froides matinées et les couches de givre. Le village commençait déjà à s'animer, les marchands sortant leurs échoppes, les paysans travaillant leurs champs et les fours faisant déjà cuir de bons pains, laissant échapper une délicieuse odeur qui se répandait dans les rues.
Alors que les nouveaux venus pénétraient dans le village, plusieurs regards curieux se tournèrent vers eux, attiré par l'étrange étalon que chevauchait le guerrier.
— Si ma mère m'a bien expliqué, leur maison ne doit pas se trouver bien loin, elle est à l'entrée du village, annonça Athèlme.
— Excusez-moi Monsieur, s'exprima Malvina tandis qu'elle s'adressait à un villageois, sauriez-vous ou nous pourrions trouver Miranda Dan'Tan et Edwinn Pal'Ka ?
— Bien sûr c'est la petite chaumière juste là-bas sur votre droite, répondit le petit homme en tendant un doigt grassouillet pour indiquer la direction.
La jeune femme le remercia et adressa un clin d'œil entendu à son frère. Plus simple que de grandes explications, demander son chemin n'avait jamais tué personnes.
— Contente-toi d'être les muscles, Elme. Moi je suis la tête. Quand il me manque une compétence, je sais contourner le problème, Monsieur Sens-De-l'Orientation.
Son frère se contenta de grommeler quelques mots qu'elle ne prit pas la peine de déchiffrer. Retrouver sa famille était pour elle bien plus pressant qu'une énième « ronchonnade » d'Athèlme.
Le logis était petit mais chaleureux. Situé au bord d'un champ, il possédait une petite étable et une réserve pour les récoltes. Deux petites fenêtres fleuries faisaient face au village et Athèlme reconnu bien là l'amour incommensurable de sa mère pour les fleurs. Quand la porte s'entrouvrit, elle laissa apparaître un œil curieux bleu saphir. En un instant, le jeune homme tenait sa mère dans les bras et l'enlaçait dans une étreinte puissante.
— Athèlme ! Comme je suis heureuse de te voir ! Quelle surprise, cela faisait si longtemps ! s'écria Miranda au bord de l'hystérie. Malvina ! C'est également une joie de te voir, ton père sera aux anges !
À ces mots, la femme retourna dans sa maison d'un pas sautillant qui laissait rebondir ses belles boucles brunes dans son dos.
— Edwinn ! Nous avons de la visite !
Malvina observa le petit divan, sur lequel une silhouette bougea dans la pénombre. Impatiente de voir son père, elle s'avança un peu et attendit qu'il la rejoigne. Ce qu'il fit mais, lentement... trop lentement...
— Malvina, ma petite fille ! Comme je suis heureux !
La guerrière eu un léger mouvement de recul. Son père était livide, il avait perdu beaucoup de poids et ses yeux transpiraient la maladie. De profondes rides sillonnaient son visage. Jamais elle n'avait vu son père aussi faible.
Edwinn était mourant.
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