Chapitre 4 : Mauvais Coup

-3 ans avant ADLP- (saison des brumes)

Malvina bondissait dans les couloirs du château comme une enfant surexcitée. Le roi venait de leur apprendre une grande nouvelle. En tout cas, elle, elle le vivait comme une grande nouvelle, contrairement à Athèlme. Ils allaient enfin se voir assigner leur destrier ! La jeune fille caracolait et ne pouvait imaginer ce que cela lui ferait d'avoir enfin sa propre monture. Un cheval avec lequel elle pourrait tisser des liens, apprendre à se comprendre et se connaître... Mais il lui fallait reprendre pieds. Avant la cérémonie, une tâche plus importante devait être menée. Le lion qu'elle avait ramené tournait toujours dans sa cage et elle n'avait pas encore prit le temps d'aller l'observer de plus près.

Elle descendit donc vers la grande cours, prit les allées fleuries qui menaient aux jardins du palais et gambada jusqu'aux derniers buissons de fleurs odorantes. Là y était caché le lion d'argent au regard perturbé. Contournant un dernier taillis de salias*, elle rejoignit enfin l'animal qui piétinait dans sa cellule. Bien qu'il l'ait attaquée, elle ne lui en portait évidemment aucune rigueur. Elle avait au contraire exigé aux dresseurs de placer le fauve dans un espace agréable et éloigné du tumulte de la vie environnante afin de veiller à son confort maximum. Le voir ainsi emprisonné entre ces barreaux lui brisait le cœur.

S'approchant tranquillement du félin, elle s'installa prêt de sa cage, sous son regard étonné. D'abord d'apparence calme et sereine, le prédateur sembla d'un coup piqué au vif et bondit contre les grilles, toutes griffes dehors. Il battit de ses pattes armées dans des tentatives vaines visant à blesser sa proie. S'étant concentrée pour rester calme face à toutes situations, Malvina ne sursauta même pas. Elle se releva avec une infinie douceur et se rapprocha encore du lion, jusqu'à pouvoir sentir le souffle que provoquait ses mouvements de griffes frénétiques.

Plus elle approchait et plus la pauvre bête semblait enragée. Secouant la tête de désarroi, Malvina s'accroupi sur les petits graviers blancs pour faire face au museau de l'animal et commença à lui chuchoter de douces paroles... ce qui lui valut des rugissements endiablés.

— Bien, de toute évidence, seule la magie pourra m'en apprendre plus sur toi, se murmura Malvina pour elle-même.

Elle se concentra, recherchant le lien qui pourrait lui faire ressentir le lion et ne le trouva pas... contrairement à tous les animaux qu'elle avait connue, elle ne trouva pas ce filet d'énergie émaner de la bête, au porte de la folie. Tout cela lui parut de plus en plus étrange.

Dans un nouvel excès de fureur, le lion se jeta de plus belle sur les fers, ouvrant grand sa gueule dans un rugissement ténébreux, dévoilant plusieurs rangées de crocs acérés. Ce cri était plus semblable à du désespoir qu'à de la cruauté aux yeux de Malvina. Ce cas approfondissait plus encore le mystère. Faisant appel à son don inné pour la compassion, elle concentra dans ses bras toute la bonté qu'elle détenait et essaya d'en emplir le lion d'argent qui se retrouvait à présent épuisé, la bave aux lèvres. Les filets magiques s'envolèrent de ses mains, et allèrent s'écraser avec force contre leur cible. A son contact, l'énergie de Malvina explosa, brisée par le sort du lion, comme s'il avait été protégé par un bouclier invisible.

— Je n'y arriverais pas toute seule mon grand... je vais avoir besoin d'aide alors soit encore un peu patient et bientôt tu seras libre, expliqua-t-elle doucement au fauve.

A peine s'était-elle un peu éloignée de la cage qu'il ne sembla plus empreint de la même folie. Il l'observait attentivement puis retourna s'allonger afin de prendre le soleil. Toute trace de démence avait quitté le fond de ses yeux d'or, laissant seulement entrevoir le flegme habituel des lions.

Moïe demeurait l'unique espoir de Malvina dans cette opération, c'était à présent une certitude.

***

Athèlme se préparait à recevoir son destrier, non sans une crainte grandissante. Comment réagirait-il si son cheval ne l'appréciait pas ? Ou pire, si lui-même avait peur de l'animal ? Il avait déjà eu tellement de mal à monter sur le dos de sa monture temporaire, il ne savait pas s'il aurait suffisamment de courage pour renouveler l'exercice. D'un autre côté, Malvina se tiendrait à ses côtés, comme toujours, prête à lui simplifier l'affrontement de ses craintes.

Une fois préparé, il se rendit dans la cours, décidé à se défouler sur ses divers entrainements. Le jeune homme entraînant sa vue à percer le brouillard ambiant pour abattre ses cibles sans peines lorsque Moïe le rejoignit.

— Athèlme, je pensais bien te trouver là. Comment te sens-tu mon garçon ?

— Est-ce vraiment une question qui attend réponse Moïe ? lui répondit Athèlme d'un ton irrité.

Souriant face à ce guerrier invaincu qui tremblait face à sa propre monture, Moïe cacha sa grimace moqueuse avant de reprendre :

— Viens, nous allons entraîner tes nouveaux talents.

Docilement, le jeune homme le suivit, impatient de mieux savoir contrôler cette nouvelle approche de la magie. C'était sans compter sur un nouveau contretemps qui demanderait encore un peu de patience au guerrier. Leur petite session fut interrompue avant même de commencer.

— Moïe ! J'ai besoin de toi... Je ne comprends pas de quoi souffre le lion d'argent que j'ai ramené, mais cela ressemble bien à un maléfice.

— Au diable cet animal enragé Mina... Si un animal, finalement, réagit de manière naturelle et sauvage avec toi ce n'est pas un drame ! s'énerva Athèlme, agacé de se voir interrompu dans son cours particulier.

— Je ne t'ai pas demandé ton aide, ni ton avis, lui rétorqua sèchement sa sœur avant de se retourner vers Moïe. S'il te plaît, il attend pour retrouver sa liberté...

Ne résistant pas aux deux prunelles pétillantes braquées sur lui, le mage se plia à la volonté de Malvina. Son regard plein d'attente et d'espérance ne trouvait que très rarement de résistance... Plutôt que de rester seul, Athèlme les suivit en trainant les pieds, maugréant sur son sort.

Une fois à nouveau devant la cage, la jeune entêtée se retourna et expliqua en détail l'effet que ses sorts de compassions avaient eu sur l'animal.

— Oui en effet, ça m'a tout l'air d'être un maléfice... susurra Moïe, le poing sur la bouche comme chaque fois qu'il réfléchissait. Mais pourquoi enchanter un lion d'argent en pleine forêt ?

Moïe continua de cogiter un instant avant de rouvrir ses yeux mi-clos, apparemment frappé par une idée.

— Malvina, recule un instant. Athèlme, veux-tu bien t'avancer en direction de la cage ?

— Excusez-moi ? répondit une voix éloignée du petit groupe.

Se retournant en même temps, la jeune fille et le demi-elfe découvrirent Athèlme à plusieurs pas en retrait. Il observait la scène, le visage blême.

— Il est en cage, tu ne risques rien. J'ai besoin que tu m'écoutes afin de confirmer mon hypothèse.

— Commence par nous l'expliquer, cette hypothèse. Si elle est fondée je m'approcherais... peut-être.

— Allons ne soit pas plus têtu encore que ta petite camarade et cesse de faire l'enfant, s'impatienta Moïe.

Entre temps Malvina s'était furtivement glissée derrière son dos, et elle le poussa par surprise en direction du lion. A nouveau, mut par un réflexe étrange, le fauve se jeta contre les grilles, faisant hurler Athèlme. Un cri strident et haut perché, absolument inapproprié à son émetteur. Ce n'est qu'à grande peine que les deux spectateurs réussirent à conserver leur calme. Effaçant le sourire en coin qui se dessinait sur ses fines lèvres, Moïe reprenait lentement son sérieux.

— Vous êtes contents apparemment tous les deux ? Quelle farce Malvina, tu te surpasses... grogna Athèlme.

— Ça valait la peine, couina-t-elle en s'essuyant le coin des yeux. Tu es plus pâle qu'un croupion de safilin*.

Pour toute réponse, Athèlme lui tira vivement la langue dans une expression pleine de maturité.

Le mage qui avait entre-temps récupéré son masque imperturbable, les ramena sur le sujet :

— Voilà qui confirme ce que je pensais. Ce lion a été enchanté, annonça brillamment Moïe.

— Oui, ça c'est ce que j'ai déjà stipulé, remarqua Malvina, une pointe d'impatience dans la voix.

— Laisse-moi finir. Il a été enchanté, dans le but de vous blesser vous, et uniquement vous. Maintenant, il nous reste à savoir qui aurait bien pu faire cette mise en scène... Qui donc était au courant de votre destination ?

— Sérieusement Moïe ? Tu ne connais toujours pas les domestiques après quoi... seulement une cinquantaine d'année passées à la cour, se moqua Athèlme, ravie de pouvoir passer le relais. Tout le château était au courant. Cela pourrait être n'importe qui. Mina tu as une idée ?

Cette dernière se contentait de garder ses lèvres closes, le regard fixé sur le lion. Elle allait finalement parler, quand les cloches annoncèrent la venue de quelqu'un au château, mettant fin à la conversation.

— Décidément, ces cloches ne sonnent que lorsqu'elles peuvent déranger et interrompre tout le monde, fulmina Moïe, qui n'avait toujours pas accepté sa récente déception face à un plateau de jeu étalé sur le sol...

Remettant à plus tard leur nouvelle découverte, Athèlme et Malvina emboitèrent le pas à leur professeur. Sans savoir pourquoi, la jeune fille était à nouveau en proie à un terrible pressentiment qui lui nouait l'estomac.

***

Luvac approchait à grands pas de sa destination. Il se régalait d'entendre les cloches annoncer son arrivée. Le château devait certainement être en état d'alerte après le mal qui avait atteint leur roi. Sar Ier, il n'en doutait pas, devait avoir doublé le nombre de gardes et manquait à coup sûr d'effectifs. Chevauchant son jeune étalon moucheté, il redressa le dos et bomba le torse afin de faire bonne impression au premier regard. Le pont, qui d'habitude s'abaissait automatiquement, demeura désespérément fermé devant le nouvel arrivant. Ceci conforta Luvac dans son hypothèse : la sécurité avait été colossalement augmentée. Jamais il n'avait vu les gardes se méfier des visiteurs. A peine arrivé devant les douves, une voix venue des tours de guets l'interpella :

— Annoncez-vous !

— Je suis Luvac, fils de Brazla et de toutes ses terres. Anciennement accueilli par le monarque de ce royaume, je me représente à lui en ce jour afin d'honorer mes dettes.

Luvac ressentit le silence qui suivit peser un instant sur ses épaules. Heureusement pour lui, le doute n'eut pas le temps de s'installer puisque rapidement, il entendit les poulies s'activer. Un sourire se dessina sur ses lèvres charnues tandis qu'il s'avançait vers le parterre de bois, ses longs cheveux de jais flottants élégamment dans son dos sculpté. Non pas deux gardes, mais une armada de soldats vint à sa rencontre et l'entourèrent en l'escortant jusque dans la cours. Docilement, l'homme les suivit, toujours juché sur son destrier. Entre temps, on lui saisit ses armes, le dépouillant non seulement de son épée nouvellement acquise mais aussi de son arc, poignard et autres dagues.

Malvina et Athèlme observait l'arrivée de cet homme en compagnie de leur professeur. La jeune fille fronça les sourcils à la vue de leur visiteur. Son esprit devait lui jouer des tours, il n'y avait pas d'autres explication... Oubliant ses compagnons, elle s'avança d'un pas décidé au travers de la foule qui déjà se massait aux portes du château. Jouant des coudes, elle arriva finalement au-devant de la cour, face au responsable de tout ce désordre.

— Comment ose-t-il se représenter ainsi devant moi ? Fulmina-t-elle au bord de l'hystérie.

Elle l'observait, lui et sa chevelure somptueuse qui épousaient chacun des arrondis de ses épaules, les recouvrant d'un épais manteau de soie. Lui et ce sourire si fier et prétentieux qui osait dévoiler, au-dessous de ses lèvres pleines, des dents d'une blancheur irréelle. Lui et cette peau qui, au premier regard, vous invitait à venir vous y loger... Perdue dans ses propres émotions, Malvina ne comprenait pas ce qu'elle vivait. Absolument et totalement furieuse contre cet apollon vaniteux, elle ne pouvait empêcher son cœur de battre la chamade, aussitôt que, la repérant dans la foule, il avait braqué sur elle son regard mystérieux aux milles reflets d'azur.

— Et il ose me regarder droit dans les yeux !

Elle lui renvoya tout de même un regard qui ne laissait place qu'au mépris et coupa sèchement le contact visuel en repartant dans l'autre sens d'un pas courroucé.

Face à cette petite furie, Luvac ne put retenir ses lèvres de s'étirer plus encore. Quel caractère ! Surement ne fera-t-elle plus si bonne figure quand elle découvrira que cette fois, il avait la ferme intention de rester. Regardant la fine silhouette disparaître dans la foule, il ne prêta pas attention au silence nouveau qui planait autour de lui. Redressant la tête, il aperçut alors le roi, son regard fier posé sur ses sujets.

— Luvac, tu ne doutes pas que c'est avec étonnement que j'ai entendu mes gardes t'annoncer. Quelle faveur es-tu venu quérir cette fois, avant de t'enfuir discrètement ? s'exprima le roi, feignant une gestuelle offensée.

— Votre majesté, je suis devant vous, en ce jour, afin d'honorer ma dette. Ce n'est qu'avec trop de bonté que vous m'avez hébergé et c'est honteusement que j'ai dû reprendre la route à l'aube, sans un remerciement. Je viens devant vous, vêtu de mon armure et équipé de mon arme, vous demander d'intégrer l'armée de Sora. C'est avec respect et fidélité que je vous propose mes services, en remboursement de vos bonnes grâces.

Aucun son ne provenait de la foule, en apnée face aux évènements actuels. La vie si routinière du château rendait chaque situation exceptionnelle. Le roi lui-même sembla réfléchir intensément à cette proposition inattendue. Il tendit un bras en direction d'Athèlme, l'invitant à le rejoindre. Son chef des armées s'avança dignement sur l'estrade, camouflant avec panache l'aversion qu'il éprouvait en ce moment.

Athèlme avait observé la scène de loin, agacé de voir sa sœur s'être jetée ainsi dans la foule à peine après avoir aperçu l'esbroufeur. Il se demandait bien ce que ce dernier venait encore faire ici, ayant espéré ne plus jamais avoir à recroiser sa route. Et voilà que le rustre osait souhaiter une place dans son armée !

Devant la sollicitation du roi, Athèlme rouspéta sans relâche en son for intérieur. Inutile de passer en revus quoi que ce soit, sa décision était prise. Jamais, au grand jamais, cet inconnu n'aura sa place à ses côtés. Sar Ier s'était isolé plus en retrait de l'estrade, attendant qu'il arrive jusqu'à lui.

— Athèlme, je suppose que tu as bien entendu la proposition qui vient d'être faite ?

— Oui mon seigneur, répondit-il sans plus de détails.

— Eh bien, qu'y réponds-tu ? Tu représentes mon armée, s'est donc ta responsabilité qui est engagée, le pressa le roi.

— Mon seigneur, il ne me semble pas envisageable de recruter un homme d'origine inconnue, ayant abusé de votre bonté avant de détaler comme un voleur... Nous ne connaissons rien de lui.

— Athèlme, tu n'es pas sans savoir que nous manquons cruellement d'effectifs. Il nous faut une garde rapprochée, une garde de patrouille, des armées... et les temps vont empirer comme tu le sais, lui répondit doucement le roi, exposant ainsi délicatement son point de vue.

— Mon seigneur ? Etes-vous en train de me demander de lui laisser sa chance ? souffla le jeune homme, ne parvenant à cacher sa frustration qu'à grandes peines.

Sous le regard entendu de son monarque, il redressa un peu plus ses épaules afin de se donner meilleure contenance.

— Bien mon seigneur, mais sachez que son enrôlement ne se fera qu'après évaluation. L'armée de Sora se mérite, ce n'est pas un vulgaire labeur que l'on effectue pour régler ses passifs indignes.

D'un signe tête qui se voulait reconnaissant, le roi prit congé de son général et retourna face à la future recrue.

— Luvac, fils des terres de Brazla, après m'être concerté avec notre chef des armées, une décision a été prise suite à ta proposition, déclara le roi avant de s'éclaircir la gorge pour mieux continuer. Il te faut savoir qu'un soldat de Sora ne s'exécute pas sans raison et sans valeur. Chacun de mes hommes répond à une grande bravoure et à une loyauté sans faille envers Sora et tous les peuples de Brazla. C'est avec dignité qu'ils portent les couleurs de ce royaume et c'est eux qui garantissent chaque jour la sécurité de nos terres. Te sens-tu prêt à être mit au défi ? Te sens-tu prêt à être testé et évalué afin d'intégrer nos rangs ? Enfin, te sens-tu prêt à servir ton roi et ton peuple loyalement, au prix de ta vie s'il le faut ?

— Oui mon seigneur, je m'engage à vous servir, vous et vos sujets. Je m'engage à passer avec réussite les entraînements qui me seront imposés. Je m'engage, sur ma vie, à défendre les nobles comme les petits gens, et chaque âme vivante des terres de Brazla.

L'éclat des applaudissements de la foule ponctua cette décision. Les courtisanes se réunissaient déjà, commentant activement les atouts de la nouvelle recrue. Les midinettes se pressaient autour du bel étalon, rougissantes et caquetantes, tentant de gagner ses faveurs, sous son regard désabusé.

Athèlme observait le spectacle, un air de dégout encré sur son visage. Rien n'était encore joué, se rassura-t-il. Luvac devait encore prouver sa vaillance et honorer les tests qu'il lui réservait. Et ceux-ci n'allaient pas être de tout repos !

Lexique :

Le Safilin : Le safilin est une sorte de petit cochon sauvage. Il a des poils bruns plutôt drus, et son derrière, nu, est complètement blanc. Il fait partit de l'alimentation de base de Sora avec les feuilles de plistine, la blubice et les glands volants. 

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