Chapitre 4: Lourde Perte [Réécriture]
-3 ans avant ADLP- (saison de la vie)
Les yeux d'Edwinn vrillèrent lorsqu'ils aperçurent sa chère et tendre fille. Fronçant les sourcils, le père éploré ne semblait pas vouloir reconnaître son enfant. Cela était certainement un mirage, une hallucination de son cerveau pour se jouer de lui, qui disparaîtrait sitôt qu'il effectuerait le moindre geste.
Voyant son père dans la confusion, Malvina articula difficilement le mot « papa » tout en avançant lentement vers lui...
- C'est bien moi... je suis là papa.
Ses paroles étaient étouffées par des sanglots trop longtemps retenus...
L'interpellé eu une lueur dans les yeux comme s'il revenait à lui après un long coma. Il se redressa tant bien que mal, tendant devant lui une main tremblante. Malvina sentit le bout de ses doigts caresser ses joues. Une caresse glacée qui laissa sur sa peau une trainée gelée qui mourrait lentement comme un souvenir lointain. Son père continuait de la toucher comme pour se convaincre qu'elle était bien en face de lui.
- Ma petite fille! Je ne rêve pas?! Articula-t-il avec lenteur.
Et sur ces paroles il tomba à genoux et commença à prier les dieux dans des gestes désespérés pour que sa vue ne le trompe pas et que ce dernier bonheur soit bien réel. Courageuse, Malvina prit sur elle pour ne pas accabler son père d'avantage, d'autant plus qu'il semblait être en train de perdre la raison.
- Vient papa... rentrons chez nous! et ce disant, elle lui tendit une main qu'elle voulait forte et assurée.
Elle allait attraper son bras lorsque quelque chose d'extraordinaire se produisit. Alors qu'elle avançait vers le corps inerte de sa mère, elle crut d'abord à une hallucination. Un spectre se détacha de Karence, arborant ses traits à la perfection. La femme, bien que translucide, n'avait en rien perdu la beauté de son corps de chair. Elle s'avançait vers Malvina en flottant dans les airs, ses cheveux volant derrière elle, agités par une brise inexistante. L'esprit atteint enfin la jeune fille et dans une caresse, étrangement chaleureuse, il lui souffla quelques paroles:
-J'ai toujours su que ta place n'était pas dans les champs ma fille... Soit heureuse, et n'oublie jamais que tu resteras toujours ma plus grande fierté... Je t'aime... elle souffla ses derniers mots, les rendant à peine audibles.
L'apparition se plaça ensuite face au nouveau veuf, resté à genoux. Elle lui saisit les mains avec douceur et l'embrassa tendrement. N'y croyant pas, Malvina dû se rendre à l'évidence que la scène était bien réelle, voyant son père porter une main au baiser qu'il venait de recevoir, le regard dans le vide. Une expression de choque intense déformait ses traits.
Toujours tremblante malgré ce dernier au revoir, Malvina creusa une fosse pour enterrer sa mère et lui faire ses adieux avec le respect et les grâces qu'elle méritait. Tandis qu'elle creusait, elle sentait son cœur sur le point d'exploser sous les assauts du chagrin. Tentant vainement d'extérioriser ce surplus d'émotion, elle éventrait le sol avec une violence de moins en moins contrôlée et sans discontinuer. Des larmes silencieuses ruisselaient sur son visage enragé, rejoignant la dernière demeure de sa mère pour toujours. Elle continua ainsi, jusqu'à ce qu'Athèlme la rejoigne et pose une main douce dans son dos. De l'autre, il arrêta le mouvement perpétuel de la pelle, abaissant de sa paume les mains, en sang, de Malvina.
- Mina, je pense que c'est suffisant, chuchota-t-il de peur de la brusquer.
Elle n'avait pas remarqué mais le trou était déjà suffisamment grand pour accueillir tous les morts du village. Mais il était hors de question que d'autres habitants viennent s'installer dans la tombe de sa mère. Athèlme transporta la dépouille et la déposa avec respect dans la fosse béant, la rendant au monde et aux dieux. Lorsqu'il eut finit de remettre la terre en place il se retourna afin d'annoncer le départ.
- Mina, Edwinn, nous...
Mais Malvina n'était plus là. Il suivit le regard d'Edwinn, apparemment paralysé. Au loin, il pouvait distinguer de la paille répandue partout autour des chaumières de bois. Malvina se tenait non loin, portant à bout de bras une branche encore fumante qui provenait forcément d'un des brasiers allumés par les brigands.
- Malvina, non ! Ne...
Trop tard. Elle lâcha le bois incandescent sur la paille qui, docilement, s'embrasa. Le feu se répandit tel une vague inarrêtable et atteignit en quelques instants le tas de cadavres que Malvina avait agencé grâce à son don de télékinésie.
- Ce village n'existe plus. Si ses habitants disparaissent, qu'il disparaisse avec eux.
Elle avait prononcé ces paroles avec une telle froideur qu'Athèlme sentit son sang se geler dans ses veines. Edwinn observait les flammes danser devant ses yeux, toujours immobile. Confus et secoué, Athèlme observait sa sœur les rejoindre, silhouette de glace et maîtresse du feu, sa robe de velours rouge trainant toujours derrière elle. Plus un mot ne fut échangé jusqu'au soir.
En route pour le château, Malvina avait récupérer son cheval et attaché une corde au pommeau de sa selle pour ramener sa vache. Afin d'éviter à son père une longue marche, elle l'avait hissé sur le dos de cette dernière qui aux demandes de la jeune fille, l'accepta de bon cœur. Jamais encore elle n'avait réellement « ordonné » quoi que ce soit à un animal, mais en voyant sa vache s'exécuter elle réalisa que son don cachait encore de nombreux secrets. Le voyage était lourd d'émotion, de paroles non dite et de chagrin. Athèlme avait pris la tête du convoi de fortune mais glissait régulièrement des regards inquiets vers sa camarade.
Les tours sculptées de Sora apparurent. Comme une moquerie à la face des survivants, le soleil brillait haut dans le ciel, éclairant de mille reflets les prairies qui bordaient le royaume. L'édifice habité par Moïe était facilement reconnaissable et baigné d'un halo bleuté. Sa couleur turquoise se détachait comme un joyau aux côtés des autres façades rocheuses du château. Elle était construite dans de la pierre semi-précieuse très rare, n'existant qu'au royaume de Merïa; de la pierre d'écume. Très difficile à se procurer, cette pierre se trouvait dans les abysses, au large des terres de Merïa. Seuls quelques aventuriers courageux, ou plutôt fous et suicidaires s'y aventuraient parfois pour y dénicher les merveilles que la profondeur des océans renfermait. Cette tour était le reflet même de la richesse de Sora. Haute, majestueuse et imposante, ses murs luisaient aux soleils, comme parsemés par une infinité de cristaux. Elle guida les voyageurs jusqu'aux portes accueillantes de la demeure du roi.
Les plaines herbeuses défilaient inlassablement sous les pieds des rescapés et des soldats. Enfin, épuisé, tout ce petit monde arriva à destination. Le pont s'abaissa pour les laisser entrer après que plusieurs cris d'alarme ait retentit dans les hauteurs des murailles. Le régiment s'engouffra dans la cours, sous les regards étonnés des gardes qui observaient l'homme juché sur une vache. Le roi les attendait, prévenu par les vigies, Moïe à ses côtés. Leur mine creusée indiquait clairement que ni l'un ni l'autre n'avait trouvé le sommeil jusqu'à ce jour. En repérant le nouveau venu, Sar reconnut instantanément le père de Malvina. Tout de suite, ses ordres furent donnés, et les serviteurs se hâtaient de lui préparer un lit et des vêtements propres. Les magnifiques yeux noisette aux éclats ambrés de sa jeune guerrière lui venaient droit de son père, observa Sar Ier, tandis qu'il arrivait à sa hauteur.
- Bienvenu Edwinn, malgré les circonstances, sachez que c'est un plaisir de vous recevoir à nouveau, l'accueilli chaleureusement le roi.
Il posa un regard plein d'inquiétude sur une Malvina à l'apparence brisée. Son habituelle gaité et sa présence solaire n'était que de très lointain souvenir.
Le seigneur des lieux, après avoir été mis au courant de la funeste nouvelle, organisa une cérémonie en hommage à la défunte mère de sa protégée.
- Soldats, peuple de Sora, mes chers sujets, commença-t-il solennellement, tout éclat de malice ayant quitté son regard. Les dieux ont rappelé auprès d'eux trente-trois brave Sorien. Parmi eux se trouvent Ajin le forgeron, Kalina, Pern...
Le roi énuméra plus d'une vingtaine de noms. Ceux que ses soldats avaient réussi à identifier.
- ... et enfin, Karence la mère de Malvina.
Cette dernière sentit son corps être parcourut de frissons nauséeux et ses jambes plier sous le poids de la vérité. Athèlme se contenta de lui serrer la main, fort, lui transmettant par ce geste simple suffisamment de courage pour assister à la suite de la cérémonie. Le roi continuait son discours avec dignité, une tristesse sincère creusant son visage fatigué.
Une minute de silence fut observée au château avant de reprendre durement les activités quotidiennes. Moïe laissa un jour de repos à ses élèves pour leur laisser le temps de se remettre de leurs épreuves. Partout dans l'enceinte du palais, des fleurs blanches avaient été déposées, des bougies allumées et des lieux de recueillement installés.
Le père de Malvina découvrit ses appartements le soir même. En temps normal, il se serrait émerveillé de bénéficier d'un tel luxe, mais la situation le privait de toute sensation de joie. Edwinn se contenta d'observer le lit à baldaquin qui trônait au milieu de la luxueuse chambre, les tables de chevet en bois de hêtre massif, provenant tout droit des forêts de Flendïa et le grand chandelier doré qui illuminait la pièce d'une chaleureuse lueur. Dans un coin, une baignoire de porcelaine, dans l'autre, un fauteuil en velours pourpre. Les murs étaient recouvert de tapisseries et le plafond était une parfaite imitation de la constellation.
- Alors, votre chambre vous convient-elle ? s'enquit Athèlme qui avait promis à Malvina d'accompagner son père.
- Oui c'est très bien merci, répondit ce dernier machinalement.
Un serviteur vint se planter à la droite d'Athèlme pour l'informer que le banquet était ouvert.
- Je vous laisse un instant pour vous installer. Nous nous retrouverons tous autour du buffet d'ici un moment, dit calmement Athèlme afin d'informer Edwinn.
Après qu'il eut disparut, Edwinn s'assit sur le lit et plongea dans ses sombres pensées. Karence aurait tant aimé cette baignoire de porcelaine, nota-t-il avec tristesse. Le bruit des autres habitants du château qui se ruait au festin le sortirent de sa transe malsaine. L'homme descendit alors les nombreuses marches d'escaliers de la tour. Il entra dans la grande salle des buffets et chercha du regard sa fille. Elle se trouvait devant les plats, seules et tenant une assiette tristement vide. D'un pas las il la rejoignit. Malgré son chagrin, le fumet se dégageant du banquet lui mit l'eau à la bouche, réveillant en lui une culpabilité sourde. Voyant son hésitation, Malvina se rapprocha et lui tendit une assiette remplie de ragoût de bœuf aux feuilles de plistine.
- Maman n'aurait pas voulu que tu te laisses mourir de faim, l'encouragea-t-elle, un sourire sans joie aux lèvres.
Les événements passés étaient certes rudes, et son malheur encore frais et profond, l'homme devait se rendre à l'évidence: pour lui, une nouvelle vie commençait... Mais il aurait tant aimé que sa femme soit avec lui en cet instant.
Athèlme entre temps s'était précipité dès son arrivée au chevet de sa mère. L'infirmerie était remplie des blessés des deux villages attaqués. Cependant, déjà les soins de la guérisseuse, accompagnés des incantations de Moïe, avaient permis d'apaiser la majorité d'entre eux.
Reconnaissant les boucles brunes de sa mère, Athèlme s'installa à ses côtés, et lui prit délicatement la main. Tournant faiblement son regard azur sur lui, un nouvel éclat, malgré ses graves blessures, vint illuminer son teint lorsqu'elle reconnut son fils. Touchée au ventre et à la cuisse, la femme était épuisée, mais trop heureuse d'être vivante pour s'en plaindre. Les plaies avaient été refermées et, selon le bilan de Moïe, sa vie n'était plus du tout en danger. Elle avait seulement besoin de repos. Athèlme passa une bonne partie de l'après-midi à parler de tout et de rien avec sa mère, remerciant le ciel d'en avoir encore l'occasion.
Chaque jour, après son habituel passage à la bibliothèque, il accourrait au chevet de sa mère afin de lui tenir compagnie. Malheureusement pour lui, le mage du château vint rapidement le ramener à l'ordre. Il avait des entraînements à effectuer et une armée à motiver, d'autant plus après les récents éclats de violences survenus. Le temps lui manquant, rongé par ses obligations, Athèlme dut se résoudre à ne plus voir sa mère pendant plusieurs jours. Une idée venait toutefois le réconforter ; ses recherches durement menées dans la bibliothèque étaient en train de porter leurs fruits.
***
Le chant du professeur résonnait dans la forêt, signe que le cours commençait. Courant à vive allure, sautant dans les arbres avec agilité afin d'être le premier sur place, il rata une voltige. Son cœur omis plusieurs battements, ses bras s'agitèrent inutilement dans les airs et le sol se rapprocha de lui à une vitesse vertigineuse. Il allait s'écraser violemment sur l'humus qui lui faisait face quand, alors que son nez effleurait déjà la mousse qui recouvrait les racines des arbres, il fut stoppé net dans sa chute.
Moïe se trouvait à quelques pas de lui, une main tendu dans sa direction, un filet d'énergie doré s'en échappant.
- Tu t'es fait mal ? lui demanda-t-il.
- Tu n'avais pas besoin de m'aider ! Je m'en sortais très bien !
Fuyant la honte qui menaçait de le submerger, il reprit sa course de plus belle en vociférant. Il détestait cet endroit, il détestait ces enfants et il détestait encore plus être sauvé par l'un d'entre eux. Son seul but était d'en apprendre davantage. C'est bien la seule chose qu'il demandait à ce peuple d'incapable et tout particulièrement à ce mage sans ambition. Las'Imlïa prodiguait de bonnes leçons, il avait de la puissance, même beaucoup de puissance, mais à quoi cela lui servait-il ? L'incompréhension qui faisait rage en lui ne trouvait aucune explication. Sa famille rejetait ses origines, pourtant nobles. Son peuple quant à lui avait préférer les oublier complètement. Quiconque parlait du grand Las'Talas se voyait menacé violemment par le reste de son peuple.
Un arbre. Un saut. Une chute. Moïe. Une salle de cours.
- Professeur, peut-on sauver des elfes plus âgés que soit?
Décidément il aurait sa peau. Ce morveux de Moïe allait se pavaner pour ses capacités !
- Bien sûr. Chaque elfe est important pour chaque elfe. C'est une leçon très importante !
Voilà que le professeur l'encourageait. Il devait partir. Partir et vite.
- Professeur ? Parlez-nous de Las'Talas, s'entendit-il demander.
Un silence. Une foule choquée. Des regards noirs.
- Obsi, tu sais très bien qu'on ne peut parler de ce genre de chose.
Les murmures s'amplifiaient, menaçant de noyer son esprit dans leur pensée étroite.
- Mais il fait partit de l'histoire professeur, non ?
- Obsi, je te préviens, ne...
- N'était-il pas un grand mage ?
- C'était un fou.
- N'a-t-il pas gouverné les elfes.
- C'était un tyran.
- Oui mais...
- Cela suffit ! Sort de ma classe et ne revient plus !
Des regards noirs. Une foule choquée. Un silence. Une salle de cours. Moïe. Un arbre. Un saut.
Obsi se redressa comme si la foudre l'avait frappé. Sa tête lui faisait mal, ses mains tremblaient. Le visage de ceux qui avaient voulu le ridiculiser ne quittait pas son esprit. Moïe... incapable de tirer à l'arc mais doté d'une aisance surnaturelle dans les arts magiques. Las'Imlïa... un grand mage, incapable de lutter pour la suprématie de son espèce, et le responsable de sa fuite.
Ses souvenirs le hantaient en permanence. Trois cents ans n'avaient pas suffi à les effacer de sa mémoire trop performante. Un rayon de lune vint le narguer, éclairant avec méprit l'arc qui dormait encore au pied de son lit. Obsi s'en saisit et partit s'entraîner. De toute façon il n'allait pas redormir.
Une flèche, une mission. Il tira la première. Moïe allait prouver son impuissance au monde. La flèche fila se loger dans le tronc de l'arbre qui lui faisait face. Il tira la deuxième. Las'Imlïa l'honorerait un jour, comme son ancêtre avait été honoré. La pointe en vol scia en deux le bois déjà planté dans l'arbre et prit sa place. Déjà le troisième tir partait. Sa famille accepterait de le voir tel qu'il était et tel qu'elle était. Une digne descendance de Las'Talas.
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