Chapitre 3: Un Message Divin [Réécriture]
-Lendemain de la découverte de la prophétie – (Saison de la vie)
Moïe termina sa nuit non sans cauchemars. Au petit matin, le mage, qui gardait malgré ses cent-cinquante années d'existence un visage jeune et rayonnant, se leva en toute hâte, après un sommeil agité. L'heure était venue de prévenir son roi de la désastreuse nouvelle des dieux. Il descendit les marches de marbre de sa tour sans prendre le temps de se changer, ses longs cheveux d'un noir de jais flottant librement dans son dos. Ses traits fins laissaient sa moitié elfe se révéler nettement, mais l'assaut des émotions qui transpirait de son visage mince révélait au grand jour sa partie humaine, toujours plus évidente. Après avoir dévalé les interminables escaliers en colimaçons de sa tour en pierre d'écume*, Moïe avait perdu toute son apparence froide et contrôlée, mais il était loin de s'en soucier. Il sauta la dernière marche et courut à vive allure dans les longs couloirs du château, encore déserts à cette heure matinale.
Malgré le manque flagrant d'animation alentour, il faillit toutefois renverser les premiers serviteurs qui s'activaient à préparer la demeure pour le réveil du roi. Quelques tasses et pots de lait se brisèrent sur son passage, tandis que des draps se répandaient au sol, accompagnant sa frénésie. Entre les murs humides, seul l'écho de lointaines plaintes outrées accompagnait ses pas précipités.
Moïe se déversait de couloir en couloirs. Jamais le château ne lui avait paru aussi grand et il semblait ne jamais être capable d'atteindre la loge royale. Malgré son empressement, il remarqua tout de même l'odeur incommodante de moisi qui se dégageait à certains endroits, transportée par les courants d'air.
Après avoir avalé la longue allée affichant les portraits des lignées royales, il tourna finalement à gauche pour atteindre l'aile Ouest qui le mènerait aux appartements de son seigneur. Les cloisons étaient, ici, entièrement recouvertes de longs miroirs verticaux aux cadres finement sculptés. De ce fait, le reflet du mage se multipliait dans chaque miroir à l'infini, faisant courir un bon millier de Moïe à l'unisson. Jamais il ne se lasserait de cet effet d'optique fascinant.
Enfin lui et ses reflets arrivèrent au bout de l'allée, face à porte de bois massif qui désignait l'entrée de la chambre du roi. Moïe respira profondément, puis toqua. Il attendit un instant, passant son équilibre d'un pied sur l'autre en se dandinant d'impatience. Il s'apprêtait à réitérer son signal quand la voix grave de sa seigneurie lui ordonna d'entrer. Obéissant, le demi-elfe rangea son poing et s'immisça dans les somptueux appartements royaux. Tout y était de velours, de marbre et d'or. Le lit à baldaquin recouvert d'un épais édredon rouge satiné dominait l'espace en plein milieux, encadré par de lourds rideaux bordeaux. Dans un coin de la pièce, un grand fauteuil aux coussins de velours grenat et aux bras recouverts de feuilles d'or faisait resplendir le côté impérial de la demeure. Un lustre décoré de centaines de chandelles éclairait la pièce et parsemait les velours de reflets enflammés.
Moïe ne s'était jamais habitué à la magnificence de cet endroit, à ses plafonds hauts sculptés de toutes parts, aux tableaux de fils d'or, aux sculptures de cristal... et comme d'habitude, il resta bouche bée quelques secondes. Le roi, apparemment tout juste sorti de son sommeil, s'avança d'un pas digne vers son mage, la mine sérieuse et un tant soit peu inquiète. Il n'apprenait jamais de bonnes nouvelles quand son serviteur venait le déranger jusque dans ses appartements, et encore moins à une heure aussi matinale. Il détailla le visiteur de la tête aux pieds, relevant un sourcil surpris. Habillé de sa simple chemise de nuit, le messager s'inclina respectueusement devant son roi. Se relevant élégamment, il entama son discours sans se formaliser du coin de lèvre sarcastique qui se retroussait sur le visage de Sar Ier:
— Votre Majesté, hier à l'heure où le soleil dormait déjà derrière les montagnes, les étoiles m'ont délivré un message. Alors que je les scrutais, comme chaque nuit, j'en aperçus une qui se différenciait des autres... je l'ai observée alors plus minutieusement. Au bout de quelques secondes, je me rendis compte que son miroitement n'était pas le même que ses sœurs. Il était plus lent, moins frénétique... Ma curiosité me poussa à rechercher ce que cela pouvait bien signifier, car comme vous le savez, j'ai l'œil avisé pour ce genre de...
— Moïe, je t'en conjure, viens-en au fait, le coupa le roi dans un bâillement. Il est tôt, mon esprit est encore embrumé et je ne tiendrais pas ma concentration plus que nécessaire.
Pinçant ses lèvres fines face à ce manque flagrant d'intérêt, Moïe reprit toutefois, en essayant d'écourter au mieux son récit:
— Comme je le disais, alors que je me plongeais dans des recherches, mon ouvrage m'apprit quelque chose. Un présage, pour être plus précis. Mon roi, la situation est, je le crains, on ne peut plus grave. Vous m'excuserez mon manque de tact, mais vous avez demandé à ce que je sois bref... vous devrez confier une quête de la plus haute importance aux meilleurs soldats du continent. Les astres, en leur grande bonté, nous ont prévenus que dans neuf hivers, Mélak, dieu de la discorde, tentera de récupérer les Reliques du Damné et prévoit de s'en servir contre nous; les hommes, les nains, les cavaliers creïs, les mérolts*, les elfes et les peuples du désert. Nous tous, mon seigneur. Il va anéantir le continent et jamais il ne redeviendra tel que nous le connaissons. La prophétie exacte n'est pas complète malheureusement. Le temps brumeux s'est occupé d'amputer une partie du message, privant mes sens et mon esprit. Je n'ai pu en relever qu'une partie: "Quand Le Mal s'abattra sur les Terres Sacrées de l'univers, les deux Pouvoirs du continents seront la clef de la victoire".
— Moïe, les Reliques du Damné sont un mythe. Plus personne n'en a entendu parler depuis des millénaires.
— Mon roi, permettez-moi de vous corriger. Ce qui est ancien n'est pas forcément mythique. J'ai moi-même déjà vécu plus d'un siècle et demi, et croyez dans le fait que les anciens elfes, eux, ne doutent pas de l'existence de ces reliques maudites. J'ajouterai que la situation ne nous permet pas de douter sur ce genre de fariboles. La survie du continent et de ses peuples est en jeu, mon seigneur.
Acceptant humblement les convictions de son mage, le roi baissa les yeux d'un air songeur, puis les releva, empreint d'une nouvelle détermination.
— Moïe, es-tu bien sûr de ce que tu avances ? Car si tel est le cas, cela implique qu'en tant que mortels, nous devons envisager de combattre l'un de nos créateurs. Une divinité. Le dieu du mal, pariât des plaines astrales dont le pouvoir est...
Le roi avait eu du mal à terminer sa phrase sous le coup de l'émotion. Ses yeux brillaient d'une charge incommensurable. Loin de ressentir de la peur, Sar Ier cherchait un moyen de nier une évidence mortelle.
— Oui, votre Majesté, j'en suis bien sûr, répondit brièvement Moïe en baissant la tête.
— En définitif, seuls les deux plus grands magiciens seront dans la capacité d'anéantir cette divinité ? Et qu'il nous incombe de les trouver ?
— Oui votre majesté, acquiesça à nouveau Moïe.
Le roi se laissa choir sur son lit, enserrant sa tête entre ses mains. Il devait retrouver une contenance. Son souffle court devait se calmer, cesser de s'affoler. La responsabilité oppressait son cœur, ses poumons, brûlant sa poitrine sous les assauts des idées noires qu'elle faisait naître. Le roi redressa finalement son regard, le plongea dans celui de son mage, patient, qui lui laissait le temps d'appréhender les informations à vitesse humaine.
— Moïe, voici ce que tu vas faire.
Sans perdre un instant, le roi, dont la chemise de nuit s'assortissait en tous points avec celle de son serviteur, gagna son bureau et rédigea une longue lettre. Sa plume s'agitait fébrilement sur le papier, reflet direct de la nervosité ambiante. Moïe se surprit, pendant ce temps, à se remémorer les moisissures qu'il avait sentie plus tôt. Mais l'heure n'était pas aux rénovations, il rangea ses requêtes futiles dans un coin de sa tête, prêt à les ressortir en temps voulu.
— Que dois-je faire, mon seigneur ? s'enquit-il alors que Sar se relevait.
— Tu feras quérir ce message à tous les royaumes ! Il faut prévenir le continent de la menace, dit-il d'un ton grave en tendant le petit parchemin. Je veux que chaque habitant de Brazla se présente à nos portes. Des duels et autres activités seront organisées afin de mettre en exergue les compétences de toutes et de tous. Les deux vainqueurs se verront confier la tâche de retrouver les reliques perdues et de les mettre dans un lieu inaccessible, loin de la convoitise des mortels.
— Bien votre majesté. Je m'en occupe dans les plus brefs délais.
Moïe observait son roi avec une dévotion plus profonde que jamais. Il était si fier de l'homme qu'il était devenu, si fier de son règne, de ses valeurs et de ses capacités de réflexion. D'un enfant qui aurait pu être traumatisé ou pire, cruel, il s'était épanouit dans une clarté pure et vibrante de bonté.
— Votre majesté, reprit-il d'une petite voix, je ne voudrais pas vous affoler mais... il me semble avoir décelé le signe du prisme d'Onyx aux travers de la prophétie.
Face à l'expression choquée de Sar Ier, le magicien recula respectueusement et disparut, lui laissant ainsi le temps d'accepter cette dernière précision. Il savait que son roi, que son ami, saurait prendre la nouvelle avec les soins qu'elle méritait.
Déjà, Moïe calculait le temps nécessaire à ce plan. Pour que le message soit livré à tous les royaumes, que les peuples se réunissent et que les activités se terminent, cela prendrait au minimum un cycle de saison. Se grattant la bouche du bout de son doigt comme chaque fois qu'il était contrarié, le demi-elfe soupira longuement. Ils avaient largement le temps de désespérer...
Lexique:
Mérolts: Peuple de Merïa. De forme humanoïde, ils se différencient de l'homme par leur couleur de peau bleue vert d'eau. La plupart sont chauves, mais d'autres peuvent avoir les cheveux de couleur Algue. Une crête en membrane orne le dos des mâles, témoignage physique de leur virilité.
La pierre d'écume: Pierre bleu turquoise très rare. On ne la trouve que dans les abysses profonds des océans côtiers de Merïa.
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