Chapitre 3 : Langues Mortes et Batifolages [Réécriture]
-2 ans avant L.P- Saison morte
Holf était occupé à nettoyer les écuries royales lorsque Sar Ier vint à sa rencontre. Dans la précipitation de voir son roi arriver, le jeune mérolt posa sa fourche et s'essuya prestement les mains sur son tablier, ne manquant pas de renverser le seau de graines qui reposait à ses côtés.
— Holf, comment se passe votre séjour à Sora ? l'accosta chaleureusement le roi.
Il sursauta alors que ses yeux se tournaient vers son roi, et oublia rapidement le malaise de sa maladresse. Garrosh suivait son nouveau maître partout où il allait, et cette fois ne faisait pas exception. Le fauve planta son regard félin dans les yeux orangés du mérolt. Il sentit son visage s'empourprer tandis que ses mains étaient à présent saisies de tremblements frénétiques.
— Ne vous en faites surtout pas pour mon lion mon garçon, il ne vous fera jamais rien. Du moins... sans mon accord... ricana le roi, moqueur. Suivez-moi plutôt, allons marcher, continua Sar sans se départir de son habituelle sourire en coin.
Leurs pas foulant les petits graviers blancs, Holf en profita pour s'émerveiller une fois encore de l'environnement. Plus ils s'approchaient des jardins, plus l'odeur des plantes et des fleurs de toutes les sortes et de toutes les couleurs, venaient assaillirent leurs sens. Rapidement, l'idée de la présence du lion d'argent n'était plus qu'une pâle inquiétude face à tant de beauté et de diversité. Mais sa bienséance et sa conformité aux exigences royales ne s'en voyaient pas amoindries ; Holf conservait une distance de respect avec son roi, légèrement en retrait, le nez baissé sur le bout de ses chaussures.
— Holf, je vous en prie, joigniez-vous à moi. Nous n'allons pas discuter sans que je puisse vous voir tout de même, l'incita le roi sur un ton taquin.
Il attendit que son sujet arrive à sa hauteur, le teint violet, avant de reprendre :
— Je voulais vous voir afin de vous remercier pour les bons soins dont vous avez fait preuve à l'égard de Kilna. Nous pensions qu'elle s'en était allée pour tracer sa propre vie dans les campagnes. Jamais personne ne se serait douté du danger qui s'était abattu sur elle.
— Je n'ai fait que mon devoir mon seigneur, répondit Holf timidement, fixant toujours la pointe de ses bottes.
— Et vous l'avez bien fait mon garçon. Vous méritez d'avoir votre place dans ce palais. Kilna m'a bien fait comprendre que vous avez fait plus que votre devoir. Grâce à vous, sa loyauté a pu nous prévenir de la menace qui nous guette, elle nous a ouvert les yeux sur un mal qui rongeait le continent tout entier, insidieusement, à l'insu de tous.
— C'est ce qu'aurait fait tout amoureux de Brazla mon seigneur.
Des petits pas résonnèrent au loin, un peu précipités. Levant finalement le regard, Holf pu apercevoir sa douce compagne qui les rejoignait au pas de course, ses fines boucles brunes rebondissant à chacun de ses pas.
— Mon roi, veuillez m'excuser pour ce retard, j'ai été retenue et je...
— Il n'y a pas de mal, le château est en ébullition ce matin, je me doute que vous avez été occupée, la coupa-t-il, alors qu'elle avait le souffle encore haché par sa cavalcade. Si je vous ai fait venir ici tous les deux, c'est pour vous faire une proposition.
Les deux jeunes gens observèrent leur roi, l'intérêt transpirant par chaque pore de leur peau. Pourquoi eux deux ? Rien dans leur comportement n'avait pu prêter à confusion, ils n'osaient pas même se tenir la main. Mais leurs regards ne savaient trahir leurs sentiments et de petites étincelles éclataient dans leurs prunelles or et azur aussitôt qu'ils se trouvaient à proximité l'un de l'autre. Sar Ier les observa tous deux un instant, attendrit par ce couple si harmonieux.
— J'ai longuement réfléchit aux présents que je pouvais vous offrir, en gage de ma gratitude et du reste du continent. Kilna, tu as depuis toujours su faire vivre ce château et ses occupants. Ton travail de l'ombre, discret, n'est jamais passé inaperçu à mes yeux. Pour toi, qui n'a pas de famille proche, je ne pouvais te souhaiter plus bel avenir que de rencontrer ce jeune mérolt. C'est pourquoi, j'ai décidé de vous offrir une petite ferme dans le village au Nord du royaume. Une parcelle de terre vous y attend, une petite étable, deux chevaux et vos premières semences.
Il s'arrêta là, guettant la réaction de ses anciens serviteurs, le coin de ses yeux striés par quelques ridules malicieuses. Dans toute sa bonté, il ne pouvait s'empêcher de s'amuser des expressions de son entourage. Holf et Kilna n'avaient pas bougés, leur bouche était restée ouverte et leurs yeux reflétaient toute la perdition du monde. Le roi attendit sagement que tous deux se reprennent. Le premier, Holf s'agita.
— Mon seigneur... je... nous ne pouvons...
— Je t'en prie, pas de bafouillage avec moi mon garçon, le coupa-t-il dans un clin d'œil.
— Mon roi, s'exprima Kilna, c'est trop de grâce que vous nous faites. Nous ne pouvons accepter.
— Bien, alors je suppose que je vais devoir rappeler vos montures, dans ce cas. Elles vous attendaient devant les grandes portes, fit mine de s'offusquer Sar.
Kilna et son compagnon s'observèrent encore longuement, ne sachant que répondre. Le seigneur de Sora hocha doucement la tête et reprit tendrement :
— Je vous en prie, filez maintenant ! Soyez heureux et, surtout, participez à l'expansion de nos terres avec fidélité, termina-t-il à travers un regard espiègle.
Les deux tourtereaux rougirent instantanément en réaction à cette dernière sollicitation. Après une dernière hésitation, ils s'en allèrent finalement en direction de leurs destriers, une fois un dernier remerciement adressé à leur roi.
Le cœur léger, Sar Ier retourna à ses appartements. Il lui fallait à présent réfléchir à cette menace qui planait sur leurs terres. Bien que les relations avec les mérolts aient été pacifiées, il n'avait toujours pas découverts qui était derrière toutes ces manigances.
***
À l'autre bout du château, Athèlme et Malvina se remettaient doucement des émotions de la veille.
— Nous devons continuer nos recherches Elme. Quoi de mieux qu'une bonne dose de mystère pour se remettre d'aplomb ?
Malvina avait posé sa main sur l'épaule de son frère et l'observait dans un sourire rayonnant. Elle lui partagea toute sa légèreté et rapidement il sentit son dos se détendre.
— En effet, une langue morte nous attend depuis déjà trop longtemps, en route Mina !
Piqué par une nouvelle salve d'énergie, Athèlme se redressa brusquement de son banc, entraînant Malvina dans son mouvement. Arrivés devant la porte de Moïe, c'est avec frénésie qu'ils frappèrent ensemble contre celle-ci.
— Mais enfin, qu'est-ce qu'il vous prend d'être aussi excités ? s'énerva Moïe en découvrant ses deux élèves.
— Moïe, connais-tu l'ancien elfique ? s'enquit Athèlme, sans prêter attention à ses ronchonnements.
— En voilà une question, bien sûr que je le connais. J'ai cent cinquante ans passés et...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà, Malvina agitait un petit bout de papier sous son nez. Agacé par tant de remue-ménage, le demi-elfe s'en saisi, les lèvres pincées, et plongea son petit nez fin vers les inscriptions délicates. Les deux soldats quant à eux, se penchaient avec impatience vers lui, le fixant de leurs quatre yeux avides tels deux enfants à qui on aurait promis une surprise.
— Je suis désolé de vous décevoir, jeunes gens, mais ceci n'est pas de l'ancien elfique.
Il avait prononcé cela sur un air de victoire qui eut tôt fait de désarçonner les prodiges.
— Très bien, tant pis, si tu ne sais pas y décoder nous trouverons quelqu'un d'autre, s'enquit Malvina, faignant de récupérer son papier.
Moïe releva la main, mettant hors de portée son précieux trophée, la mine pincée.
— Ne te fatigue pas jeune fille, je sais également déchiffrer ce qui n'est pas de l'ancien elfique. Tu peux garder tes petits doigts loin de ce billet et me laisser travailler ! Ceci, très chers, est du Dryade, ajouta-t-il devant leur mine interdite.
— Du quoi ?
— Du dryade.
Moïe ne put s'empêcher de sourire face à l'expression simultanée de ses élèves. Leur proximité lui réchauffait le cœur et plus encore l'idée qu'ils n'aient pas perdu leur âme d'enfant.
— Les Dryades, mes enfants, étaient un des peuples principaux du continent bien avant notre ère, narra-t-il. Je ne suis même pas sûr que nos dieux aient été les même en ces temps reculés.
— Alors il faut aller les trouver, s'enquit Malvina, prête à lever le camp à l'instant.
— N'écoutes-tu donc jamais avant de réagir, Malvina ? Je viens de vous dire que ce peuple existait il y a plus d'années que nous ne sommes capables d'en compter. Les dryades sont devenues un mythe pour la plupart d'entre nous. Elles ont disparus.
— Mais, Moïe, si tu sais que c'est du dryade, alors tu dois pouvoir y déchiffrer non, demanda Athèlme, plein d'espoir.
— D'abord, je veux savoir où vous avez trouvez ce petit trésor d'archéologie !
Moïe les assomma de questions plus inutiles les unes que les autres...
En réponse desquelles, les deux guerriers entrèrent dans des explications qui le perdirent complètement. Des leviers, des bibliothèques qui bougent, des autels de pierre et des ouvertures secrètes... jamais il n'avait entendu autant de baliverne en si peu de mots prononcés.
— Si tu ne nous crois pas, dans ce cas, tu n'as qu'à venir avec nous, assena Athèlme.
Ils lui saisirent tous deux une manche et tirèrent le mage jusqu'à la bibliothèque sans se soucier de ses vociférations.
— Vous souciez-vous au moins du travail des autres ? Je pensais tout de même vous avoir apporté plus de valeur que cela ! Et où vas-tu comme ça, Malvina ? Je n'ai absolument pas terminé mon sermon et je...
Malvina s'engouffra dans la cheminée de marbre et tira sur le levier secret. Comme la veille, toute la bibliothèque remua, découvrant le passage secret, laissant devant l'entrée un demi-elfe abasourdi.
Moïe, une fois son calme récupéré, étudia soigneusement les lieux jusqu'alors inconnus sans laisser paraître la moindre expression. Ils ressortirent tous de la crypte et les deux héros firent face à leur mentor avec anxiété. Allait-il, oui ou non, prendre leur découverte au sérieux ?
— Bien... Il est temps de se lancer dans une traduction compliquée les enfants, finit-il par capituler.
***
Luvac, assis en tailleurs sur sa couchette, observait son trésor. Il devait transmettre cela le plus rapidement possible au Prisme et l'occasion était parfaite. Pour la première fois depuis une éternité, il n'était attendu nul-part. Il se concentra sur la Clairière des Maudits et, l'instant d'après, se matérialisa en son centre.
Les entraînements ne cessaient jamais et il fut accueilli par le fracas des lames qui s'entrechoquent et les jets de magie incandescents. Personne n'avait prêté attention à son arrivée, pourtant inhabituelle. Tous les membres s'activaient, le regard vide, sur leurs objectifs respectifs. Luvac observa les alentours à la recherche d'Ebe et ce qu'il observa ne manqua pas de l'impressionner. Le Prisme n'avait pas chômé durant son absence. De centaines de pierres, ils étaient passés à des milliers. Et pourtant, en vue de la plaque qui s'affichait contre un arbre, recouverte de centaines de noms, des fidèles avaient été perdus.
— Luvac !
La voix grave et résonnante de Charb retentit dans la clairière. Inamicale. Le mérolt arrivait vers lui d'une démarche assurée, les épaules sorties, affichant nettement la puissance de ses bras.
— Charb ! Comment vas-tu depuis le temps ? s'enquit Luvac, tâchant de rester cordiale.
— Comment oses-tu te pointer comme ça, vermisseau ? As-tu la moindre idée de ce que représente notre union ?
A présent, le maître instructeur se tenait un moins d'une phalange de Luvac et lui postillonnait sa rage au visage. Ce qui ne le fit pas reculer d'un pas. Luvac conserva son flegme habituel, la mine fière et assurée, et braqua son regard irisé dans l'orange des yeux de Charb.
— Et as-tu la moindre idée de ce en quoi consiste une filature ? Cela exige de la finesse et de l'esprit, je comprends maintenant pourquoi tu ne peux en avoir conscience, lourdaud.
Charb avait le point levé et il entamait déjà sa chute vers la pommette de l'effronté. Luvac se prépara au coup sans bouger, prêt à riposter à la toute dernière seconde. Mais jamais la main n'arriva. Une autre, plus impressionnante, plus grosse, plus mate, venait de s'enrouler autour de celle de Charb, retenant de justesse un affrontement qui aurait été sanglant.
— Je te prie d'excuser l'accueil peut conventionnel de mon maître instructeur, ironisa Tourma de sa bonhomie habituelle.
Alors que Charb s'apprêtait à rouspéter, le cavalier creï exerça une forte pression qui fit craquer une phalange. L'effet fut immédiat, Charb retira son poing et quitta les lieux.
— Tourma, je suis désolé de n'avoir pu me libérer avant. J'ai pu voir que le Prisme n'avait pas cesser son travail. Votre plan a bien faillit fonctionner.
— Mais il a fonctionné, Luvac, rétorqua Tourma.
Le jeune homme ne se permit pas de remettre en question son supérieur mais son regard parla pour lui.
— La tension n'a jamais été aussi élevée sur Brazla. Chacun à put apercevoir la folie de Sar Ier qui a attaqué sans raison le peuple pacifique des mérolts. Des alliés de poids, qui hésitaient à nous rejoindre, sont à présent engagés comme ils ne l'ont jamais été pour personne.
Luvac ne répondit rien, attendant des informations complémentaires qui jamais ne vinrent. Il refoula sa frustration tandis qu'Ebe faisait son apparition derrière la large carrure du Grand Doyen.
— Ebe, la salua-t-il dans un mouvement de tête.
— Luvac ! Quelle joie de te revoir !
La jeune femme arborait un sourire rayonnant qui illuminait ses traits comme jamais auparavant. Elle s'avança vers lui, l'enlaçant de ses bras menus, et les effluves de son parfum finirent d'enchanter sa victime. La gorge nouée, le cœur affolé et les mains moites, Luvac se sentit soudainement fiévreux. Il se rattrapa à l'argent des yeux de la jeune femme comme à une ancre splendide.
— Bien, je vois que vous avez plein de choses à vous dire jeunes gens.
Tourma glissa un doigt discret sur la nuque d'Ebe et s'éclipsa.
— Luvac, raconte-moi tout de ton aventure et de tes voyages, l'enquit joyeusement Ebe.
Joignant le geste à la parole elle se laissa aller dans l'herbe, dévoilant les courbes féminine de ses cuisses à la peau de lait. Le soleil faisait rayonner sa chevelure d'ange et briller l'acier de ses yeux. Luvac déglutit difficilement, s'humecta la bouche et entreprit le récit de ses découvertes, ignorant la pression qui le poussait à caresser la chair tendre qui s'offrait à lui.
— C'est fantastique ! As-tu ce billet dont me parles ?
La jeune femme se saisit du papier fiévreusement tendu devant elle et écarquilla les yeux.
— Je ne connais qu'une seule personne capable de comprendre ce charabia, conclu-t-elle. Obsi !
En un instant, l'elfe apparut à leur côté, curieux d'entendre les nouvelles. Et sa curiosité fut loin d'être assouvie à la découverte du message.
— Où as-tu trouvé ça ? s'exclama-t-il, les yeux brillants.
Ebe se chargea de récapituler la situation, sans se formaliser des détails.
— On a souvent entendu parler que d'anciens membres du prisme avaient laissé des traces afin d'assurer la puissance prochaine de Mélak. Mais jusqu'alors, cela restait de simples légendes ! Je mets immédiatement au travail !
Obsi disparut aussi vite qu'il était apparu, avide de découvrir le contenue du billet. Luvac avait précisé que Moïe avait l'autre bout. Ce demi-sang ne cesserait donc jamais de se mettre en concurrence sur sa route ! L'occasion était trop belle pour lui passer devant et il ne la laisserait pas passer.
— Quand te reverrais-je, demanda Ebe en se rapprochant imperceptiblement de Luvac.
Il sentit son souffle chaud sur sa joue, son parfum le regagna tel un coup de fouet érotique. De nouveau sa gorge se desséchait. Ebe l'observait avec émerveillement, comme tout homme aimerait être admiré.
— Je... je ne peux pas me téléporter à volonté, articula-t-il en rougissant.
Avouer sa faiblesse lui crevait les tripes, blessait sa langue.
— Ce pouvoir a des limites qui ne peuvent être contrôlée, il doit se recharger. Mais je reviendrais dès que l'occasion se présentera, j'en fais la promesse, argumenta-t-il maladroitement.
Il se pencha pour voler un baiser aux lèvres vermeilles de la jeune femme, et rencontra sa joue. Elle avait tourné la tête avec souplesse, sans pitié.
— Au revoir Luvac, ne m'oublie pas.
Il disparut avant que le rouge de ses joues ne le trompe.
Luvac se redressa sur sa couchette, où il venait d'arriver. Il devait retourner s'entraîner, mais avant, la confiance de Malvina devait être attisée. Le Prisme comptait sur lui. Il se peigna, lustrant sa chevelure ondulée plus noire que l'ébène. Ouvrant sa garde-robe, il en sortit de beaux vêtements, un pantalon de lin blanc et un gilet marron. Retenant ses cheveux en une demi-queue, il finit de remettre en place les dernières mèches rebelles et parti à la recherche de sa proie. Il ne tarda pas à la retrouver. Son rire martelait les murs comme chaque jour, tandis qu'elle écoutait les derniers ragots de la cours en compagnie des domestiques. Tandis qu'il s'approchait, Malvina leva les yeux sur lui et comme chaque fois qu'elle le découvrait, son regard s'illumina.
Les domestiques se retournèrent et quittèrent les lieux rapidement, camouflant leurs joues rougissantes.
— Luvac, en quel honneur êtes-vous ainsi apprêté ?
Le vouvoiement le fit sourire. Ainsi, lorsqu'on ressemble à un Lord, on est traité en tant que tel. Il décidé de jouer le jeu.
— Ma Dame, il se trouve que je suis friand d'exploration et notre découverte récente m'a donné envie de fêter cela. Me feriez-vous l'honneur de m'accompagner pour le buffet de ce soir ?
Malvina, prise de court, ne sut que répondre. Elle conserva ses grands yeux fixés dans les iris aux milles reflets de son cavalier, muette. Ce dernier lui accorda un sourire des plus ravageurs et sans attendre plus de réponse, lui prit délicatement le bras, l'entrainant avec lui dans les jardins.
— Cette nuit est splendide, vous ne trouvez pas ? la sollicita-t-il, tentant de la sortir de son silence.
— Oui, la lune me paraît bien plus brillante, vous avez raison.
Malvina arrêta de marcher et se retourna soudainement vers lui, le visage étrangement sérieux.
— Luvac, pourquoi es-tu revenus à Sora ?
Le jeune homme, à son tour prit de court, tenta de fabriquer une réponse rapidement, mais il fut interrompu :
— J'attends de toi la véritable explication, et non une supercherie. Je ne sais pourquoi tu te caches ainsi derrière un masque, mais je souhaiterais que celui-ci tombe lorsque nous sommes ensemble.
Luvac tiqua. Il ne se rappela d'Ebe, de son parfum, de ses lèvres, de ses cuisses... mais le souvenir envoutant se floutait, perdu dans une brume étrange. Il plongea dans le regard doux de la jeune femme, cherchant un repère. Elle savait lire en lui et elle ne l'avait jamais utilisé contre lui. Elle ne semblait pas agacée mais juste compréhensive et plus que tout au monde, cela le chamboula.
— Malvina... A vrai dire, je n'ai vécu qu'en me cachant derrière des visages qui ne sont pas le mien, s'expliqua-t-il sincèrement. Ma vie a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Je ne pense pas pouvoir modifier ma nature, il est trop tard pour cela.
Mais que lui prenait-il de dire ça ? Il s'entendit parler comme spectateur de lui-même, incapable de contrôler ses lèvres. La mine rassurée de la jeune femme l'entoura d'un halo de tranquillité sans qu'il ne s'en rende compte et rapidement, il trouva toutes les raisons du monde d'être honnête avec elle.
Bien que la réponse ne soit pas celle qu'elle escomptait, Malvina fut heureuse d'entendre le son de la vérité dans les paroles de l'homme en face d'elle. Il n'avait pas démenti et cela lui suffisait pour le moment.
— J'ai une autre question Luvac. Elle paraîtra peut-être étrange, mais au risque de passer pour une folle, je la poserais tout de même. Lorsque je te regarde, un halo doré s'illumine autour de toi, pratiquement imperceptible.
En effet, la question était des plus étranges. A vrai dire, il ne comprenait rien à ce qu'elle voulait dire.
— Je ne suis pas sûr de saisir le sens de tes mots, Malvina.
Son prénom dans sa bouche résonnait comme une caresse. Jamais la jeune fille ne l'avait ainsi entendu, langoureux, savoureux... Elle en oublia presque sa frustration, mais de toute évidence, la vérité retentissait dans ses paroles. Le jeune homme paraissait désarçonné et Malvina le regarda avec intensité ; La douleur et la tristesse en lui la fit frémir.
— Luvac, lorsque tu te sentiras prêt à te livrer, je saurais être une oreille attentive, le rassura-t-elle, conservant toujours ce même éclat de douceur dans ses prunelles pétillantes. Et je te prierais de ne jamais m'appeler Ma Dame !
Elle lui lança un sourire fait de tendresse et trouva son reflet sur le visage illuminé de Luvac.
— N'avez-vous pas faim, Malvina, lui demanda-t-il, un sourire entendu au coin des lèvres.
Cette dernière opina du chef, et ils prirent le chemin du banquet. Luvac profita de cette marche pour remettre ses idées au clair. Que lui arrivait-il ? Ses émotions semblaient se jouer de lui, et toutes ses déterminations s'effilochaient chaque fois qu'il se trouvait à proximité de la jeune femme. Il pouvait sentir en ce moment son doux parfum, la fraicheur de sa peau laiteuse au contact de son bras, la délicate caresse de ses doigts... Tout en elle l'émerveillait et le révulsait à la fois. Il l'adorait un instant, la détestait le suivant. Mais toujours, sa seule envie était d'être à proximité de son regard envoutant. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu que déjà ils arrivaient à l'entrée de la salle de réception.
Malvina le conduisit à une place, s'installant de l'autre côté pour lui faire face. Encore une fois, ils profitèrent de la soirée pour discuter et se découvrir. La jeune femme ne pouvait se lasser d'observer le regard de son cavalier. Le bleu, le vert et le gris qui se mélangeaient et dansaient à l'intérieur, créaient des colorations irisées uniques et variantes. Lorsqu'il parlait, elle observait ses lèvres pleines onduler et découvrir des dents d'une blancheur divine lorsqu'il s'esclaffait. La naissance de petites ridules de bonheur aux coins de ses yeux finissait de compléter ce tableau d'harmonie et de perfection. Le manque de profondeur de ces rides du sourire était toutefois notable. Elle songea que l'homme en face d'elle, n'avait certainement pas eu beaucoup d'occasions de rire au court de sa vie.
La soirée continua ainsi, à travers une bonne humeur exceptionnelle, et pour la première fois, Malvina eu l'impression que Luvac était honnête avec lui-même.
— Tu me dits que tu n'as aucun souvenir avant tes sept ans ? s'étonna Malvina. Mais c'est impossible !
— Comme expliqué, je ne sais pas de quoi cela vient. Il ne me reste en tête que mon abandon, ma solitude, mes voyages et mon adoption par la tribu de mon père Creï.
Elle n'en croyait pas ses oreilles. Les souvenirs d'enfance avaient toujours été ce qu'il y avait de plus beau à ses yeux. Les siens berçaient ses moments sombres, égayaient son quotidien et sa nostalgie. Elle n'imaginait pas ce qu'elle serait sans eux. L'idée qu'Athèlme ait pu grandir sans père était déjà une réalité dure à comprendre pour elle qui devait tout à ses parents. Mais un manque absolu de souvenir... elle se força à se demander si cela n'était pas pire que tout.
Athèlme quant à lui, mangeait avec ses hommes de confiance, mais conservait un regard sur les deux tourtereaux. Il observait sa sœur rire et vibrer de joie tandis qu'elle partageait ce moment avec Luvac. Bien qu'heureux pour elle, il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Jamais il ne pourrait supporter qu'aucun homme ne blesse un jour son amie, son âme-sœur. C'est les sourcils froncés par l'angoisse qu'il termina son repas avec difficulté, tendant de chasser le nœud qui lui tordait les tripes. Comme en réponse à son inquiétude, sa jambe le lança sévèrement. Il laissa sa main glisser sur la cicatrice laissée par le monstre, frictionnant le souvenir de sa blessure. Comme un éternel rappel de cette journée sanglante, la douleur ne manquait pas de se rappeler à lui malgré les soins reçus.
— Athèlme ! s'écria Moïe en accourant vers lui. J'ai peut-être fait une découverte !
Le soldat lui fit signe de baisser le ton d'un geste, observa la table de sa sœur, et une fois assuré que personne n'avait entendu la nouvelle, il se leva afin de suivre le mage. La situation était trop délicate pour qu'il ne la laisse lui échapper des mains.
De l'autre côté de la salle, Luvac se rapprochait de Malvina, imperceptiblement. Son parfum musqué planait dans l'air et la jeune fille ne pouvait nier qu'elle était loin d'y être insensible. Son mystérieux plongea son regard irisé, sauvage, dans le sien. Elle frémit, tentant de garder une contenance, mais son trouble ne passait pas inaperçu. Un sourire en coin, Luvac se releva du banc et tendit innocemment sa main à Malvina.
— Malvina, commença-t-il dans un clin d'œil. Voulez-vous bien vous joindre à moins pour le reste de cette délicieuse soirée ?
Sa voix envoutante fut plus efficace que toutes les ruses. Malvina tremblait lorsqu'elle saisit la main de son courtisant. Un tremblement qui le conforta dans son impression de puissance. Il entraîna la belle à ses côtés, prenant le chemin de ses appartements.
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