Chapitre 2 - La Pêche Miraculeuse [Réécriture]


-3 ans avant ADLP- (saison de cristal)

Passant de bosquets en bosquets, grimpant les troncs et sautant d'arbres en arbres, l'homme conservait fidèlement sa filature et restait plus discret que son ombre elle-même. La mission était de taille ! Il avait déjà dû se fondre dans le paysage pour sa propre survie, mais suivre une petite troupe, à cheval, accompagnée de deux lions d'argent à l'odorat sur-développé, n'avait pas été une mince affaire. Mais il y était parvenu !

Du départ de la clairière des maudits, jusqu'au retour, il n'avait pas raté une miette de ce qui s'était passé.

Une fois n'est pas coutume, Malvina lui avait compliqué la tâche en se séparant d'Athèlme. Mais rapidement, il avait préféré profiter de sa mission pour observer la jeune femme attentivement, malgré la répulsion qu'elle lui inspirait. Il avait pu admirer l'océan de tendresse qui se perdait dans ses yeux, son minois curieux et émerveillé face à la nature... Et il avait dû redoubler d'efforts pour ne pas perdre sa concentration.

Luvac avait découvert les affinités des éléments de Malvina avant elle, il avait découvert le pouvoir de mutation d'Athèlme avant lui, à son grand étonnement d'ailleurs. Jamais il n'avait entendu parler de telles capacités. Il avait même découvert les fleurs du mal avant eux. Sa mission était un véritable succès et il lui tardait de relater ses nouvelles découvertes à Ebe.

A présent, bloqué par l'immense muraille du château de Sora, il ne pouvait guerre prolonger son expédition sans attirer les soupçons. Mais il en savait plus que nécessaire ! D'ailleurs, s'il y réfléchissait, il en savait certainement plus que ce serviteur à l'intelligence secondaire. Il s'étonna de ne pas l'avoir vu de tout le trajet, qu'avait-il bien pu faire d'autre ? C'était lui l'espion.

Luvac sortit de ses questions insensées. Bien que sa mission soit un succès, le plus important restait à faire. Il lui fallait trouver un moyen de pénétrer à nouveau l'enceinte infranchissable qui s'étendait devant lui. L'excuse du voyageur égaré ne fonctionnerait certainement pas deux fois, malgré la météo peu clémente et le duvet de neige qui ne cessait de s'épaissir. Il était temps de faire preuve d'audace !

Luvac s'en alla en direction du village le plus proche, décidé à trouver un forgeron de qualité. Ses pas le menèrent directement à un petit village paysan. Levant ses yeux à la teinte irisée de bleu et de vert, il observa autour de lui s'il pouvait localiser la fumée d'une forge. Sa large mâchoire tressailli alors qu'une vague odeur de charbon se glissait jusqu'à son nez. Suivant son odorat, il accéléra le pas dans la direction que ses sens lui indiquaient, laissant flotter ses cheveux noirs dans son dos. Après quelque pas, il put enfin apercevoir le halo chaleureux des flammes qui, toujours fidèles, effectuaient leur dur labeur. Un homme à la bedaine avancée, s'afférait avec force sur un long morceau de fer. Une bourse pleine dans sa main droite, Luvac s'avança et posa bruyamment le petit sac de cuir devant le forgeron. Trop occupé par son marteau, il ne prêta aucune attention à son visiteur. Sous le bruit de la besace apparemment bien remplie que Luvac secouait frénétiquement, il dénia finalement lever son petit nez porcin de son fourneau.

— C'est pour quoi ? questionna-il d'un ton qui ne cachait aucunement son mécontentement d'être dérangé en pleine fabrication.

— J'ai besoin d'une épée. Une bonne épée, répondit Luvac, appuyant sur son adjectif comme pour mettre au défi son interlocuteur.

— J'ai ce qu'il vous faut. Mais votre petite sacoche ne suffira pas mon petit. Mes lames valent plus que tes piécettes.

Le forgeron regarda Luvac avec un air de mépris, avant de lui renvoyer négligemment sa monnaie entre les mains. Après tout, l'artisan ne risquait rien à tenter une négociation virile. Les temps étaient durs en période de paix et la saison de cristal n'enjoignait personne à prendre les armes. Luvac, étant quant à lui très loin des premières notions de savoir vivre, esquissa un léger sourire en coin, avant de rétorquer :

— Je ne crois pas, non. Epargne moi donc plus de perte de temps et présente moi tes objets. Je t'en offrirais le prix dont ils seront dignes.

— Dit-moi toi, tu ne serais pas en train de jouer les caïds avec moi j'espère. Je t'ai dit que tu n'avais pas les reins ! Alors fiche moi le camp d'ici et trouve-toi un lance-pierre.

Plus les mots défilaient et plus le forgeron avançait en direction de Luvac, jusqu'à ce que la proéminence de son abdomen repousse son client. Il ne voulait pas le montrer, mais l'homme se rendit bien compte que son comportement avait été un peu trop poussé pour conclure une quelconque affaire... La présence habituelle de sa femme, chargée de la vente et de la négociation, lui manqua plus que jamais.

Luvac pouvait sentir l'haleine chaude et fétide du gros artisan lui imprégner les narines. Résistant au dégoût que cet homme lui inspirait, il resta stoïque face à son comportement menaçant, redressa ses épaules et se pencha au-dessus de la petite tête bouffie qui lui faisait face.

— Alors... je pense que nous ne nous sommes pas bien entendus. Je vais être plus clair. Ton épée ne m'est d'aucune utilité pour écraser la petite vermine que tu représentes. J'ai fait l'effort d'être civiliser et de t'offrir un prix pour ton matériel pitoyable. Maintenant, soit tu me vends cette épée, et tout ira pour le mieux, soit tu es aussi stupide que tu en as l'air et je t'évince comme un vulgaire insecte avant de me servir. Tu choisis.

Bien que sa voix soit restée calme, elle était trop doucereuse pour être rassurante. Ses yeux iridescents plongés dans les petites billes noires du forgeron, Luvac arborait un air mitigé entre l'amusement et la cruauté. Mal à l'aise mais trop orgueilleux, le ventre du marchand s'avança plus en avant dans la ceinture de Luvac. Le défiant du regard, l'homme, bien que blanchit par la peur, conserva une allure fière mais tremblante, les poings serrés.

— Je crois qu'il est temps de vous en aller messire, réussit-il à articuler, malgré sa gorge nouée par l'angoisse.

Luvac laissa entendre un claquement de langue, visiblement embêté, avant de siffler :

— Mauvaise réponse.

De ses mains, il dessina quelques formes dans l'air dans un geste rapide mais précis. Il vit la bouche du forgeron s'ouvrir, certainement pour le supplier de lui laisser la vie sauve, mais il ne lui laissa pas le temps de sortir un son. Sa victime vola dans la pièce un bref instant et atterrit dans sa forge, qui l'incinéra vif. Non désireux d'entendre ses derniers cris de souffrance, Luvac récupéra une épée et un bouclier derrière le comptoir et s'en alla rapidement. Le feu était l'élément de la rédemption et de l'absolution des péchés. Quoi de plus miséricordieux que de lui offrir cette mort rapide et pure ? Il avait de quoi se rassurer sur le mal commis. Sa bonté le perdra un jour... Sur cette dernière pensée, il prit la direction des écuries les plus proches.

Il n'était pas difficile de repérer le corral. Entre le bruit et les odeurs, le jeune homme se retrouva rapidement devant une bonne dizaine de chevaux. Depuis toujours il appréciait ces créatures nobles et fières. De toutes les créations des dieux, c'étaient de loin les plus réussies. Leur silhouette élégante mais robuste, leur musculature puissante mais non moins rapide... Le cheval était un parfait équilibre entre tranquillité d'esprit et fougue sauvage. Malgré ses airs réfléchit et son ton assuré, Luvac bouillonnait d'une force incontrôlable en lui et il retrouvait son reflet dans ses créatures majestueuses.

Un bel étalon moucheté retint son intention. Jetant un regard à la ronde, il s'assura d'être seul aux alentours. En entendant les bavardages qui provenaient de l'autre côté du village, il comprit que la chance lui souriait ! L'heure du repas. Alors que tous ces bougres allaient se rassasier, il allait pouvoir profiter de leur meilleur destrier. Dommage pour ce pauvre forgeron qu'il n'ait pas rejoint ses petits camarades, pensa-t-il. Non, il n'avait eu que ce qu'il mérite avec ses allures de rustre. Si ce genre d'idée venait à lui traverser l'esprit, il n'avancerait jamais dans sa quête.

Pénétrant le corral, Luvac s'avança doucement vers le jeune étalon qu'il visait. Faisant le vide dans son esprit, il s'en approcha la main tendue en avant. Son calme sembla se communiquer à l'animal qui, curieux, vint déposer ses naseaux dans le creux de la main qu'on lui tendait. Luvac pu alors remonter ses caresses le long de l'encolure musclée de la bête. Certes, ce n'était pas des chevaux de guerre, mais celui-ci ferait parfaitement l'affaire. D'un geste souple, il sauta délicatement sur l'animal, balançant avec souplesse sa jambe par-dessus la croupe rebondie. Une fois installé confortablement sur sa monture, il la lança au galop, la fit sauter la barrière du corral et reprit la direction du château, bien équipé. Il pouvait à présent mettre son plan à exécution.

***

A des lieux de Sora, un peuple à la peau bleu vert d'eau s'afférait à ses activités quotidiennes. Les hommes allaient pêcher dans l'océan Falïal ou forgeaient de meilleurs harpons dans les forges, tandis que les femmes s'occupaient de polir l'arsenal de pêche et de combat. Les mérolts étaient un peuple prospère et organisé. Chaque chose avait sa place et chaque place sa chose. L'erreur, elle, n'avait pas sa place dans cette civilisation et ils aimaient que les jours s'enchaînent et se ressemblent sans autres embûches que les aléas de leur labeur. Ce peuple, aux particularités physiques exceptionnelles, voyait ses mâles pourvus d'une membrane épineuse qui s'étalait de leurs épaules jusqu'au bas du dos. Leurs yeux étaient tous orange, le ton variant d'un individu à l'autre, tandis que les femmes démontraient des iris mauves et étaient dépourvues de cet ornement dorsal.

Pensant débuter sa journée comme n'importe quelle autre, le monarque Dal'Aqual ne s'attendait pas à ce que la mer lui délivre un message particulièrement déplaisant, juste après son repas de midi. Bien que sévère et réputé pour n'écouter que sa raison en bâillonnant fermement son cœur, ce roi n'en était pas moins apprécié de son peuple. Il gouvernait Merïa d'une main de fer, et ce, depuis des décennies.

Comme à son habitude, le seigneur siégeait dignement dans la salle du trône. Sa royale assise se trouvait constituée de harpons, tridents, glaives et autres armes réquisitionnées lors des guerres ancestrales. De la pierre d'écume venait recouvrir les accoudoirs et courait le long du dossier, jusqu'à former à son sommet, une sculpture décorative de la déesse protectrice Kïawa. Sa couleur vert-de-gris se reflétait au travers des nombreux lustres sur les parois de la pièce richement meublée. Les murs, un mélange de marbre blanc et de pierre d'écume, se voyaient pratiquement ensevelis sous de nombreuses tapisseries qui relataient les exploits guerriers de leur peuple. Un sol d'onyx complétait le paysage avec goût, agrémenté d'un petit chemin de torche enflammées qui menait jusqu'au trône, au milieu de l'immense pièce.

A son aise, le roi distribuait ses premiers ordres matinaux de son flegme habituel, quand il fut dérangé par l'arrivée fracassante d'un de ses généraux. La matinée n'allait apparemment pas se dérouler sans encombre.

***

Plus tôt, la vie du marcher laissait entendre les pêcheurs discuter, crier au poisson ou encore s'échauffer contre un congénère un peu trop curieux. Mais soudain, c'est une exclamation qui se répercuta sur l'Océan Falïal.

— L'océan nous appel ! L'océan nous appel !

En réponse à l'expression courante pour signaler la présence d'une âme perdue dans les flots, plusieurs marins accoururent pour passer curieusement leur tête par-dessus bord.

— Remontez-la ! Et vite ! hurla une voix sévère qui ne pouvait provenir que du capitaine.

Les marins jetèrent avec inquiétude des cordages par-dessus bord sans beaucoup de succès, tandis qu'un autre mérolt se jeta à l'eau pour secourir la jeune femme portée par les vagues. Les dieux eux-mêmes devaient être à l'origine de ce sauvetage si elle ne s'était pas encore noyée... Enroulant l'inconnue dans les cordages, le mérolt cria aux autres de les remonter. A travers les ahanements dues à l'effort physique, le sauveteur et son chargement furent remonté à bord du navire.

— Holf, qu'est ce qui t'a pris de te jeter comme ça ? s'exclama un mérolt trois fois plus larges que les autres, dont la membrane impressionnante était complètement déployée.

— Nous n'aurions jamais pu la récupérer sans se mouiller capitaine. Vous le savez aussi bien que moi, répondit le prénommé Holf qui s'afférait déjà à l'exécution des premiers secours sur sa protégée.

— Ton impertinence te perdra espèce de greluchon famélique ! Je m'en assurerais moi-même !

D'un pas impérial qui n'avait rien de gracieux, le capitaine repartit dans sa cabine, non sans cracher un dernier ordre :

— Le spectacle est fini, vous-autres ! Retournez au travail ! Plus vite que ça ! Les voiles ne nous ramèneront pas la fortune toutes seules et je doute que vous souhaitiez passer les massif sous la neige !

Tel une fourmilière, le bateau grouilla de plus belle jusqu'à ce que la porte de la cabine principale soit claquée. Tout le monde s'arrêta alors et les mérolts se massèrent à nouveau autour de la nouvelle arrivante.

— Qui est-ce ?

— Comment est-elle arrivée là ?

— Elle vit ?

— Non, elle doit être morte.

— Je ne la vois pas respirer...

— Regarde, elle bouge !

— C'est une Humaine...

Tous venaient faire leurs commentaires, rivant leurs centaines d'yeux orangés sur le spectacle.

— Mais laissez-la donc respirer ! Vous avez perdu la tête ? Et puis retournez travailler ! s'exclama le mérolt malingre qui s'occupait toujours de sa protégée.

Holf accompagna ses paroles de petits mouvements secs de la main à l'intention de ses camarades. Rouspétant mais obéissants, ils repartirent tous à leur poste et firent voiles vers leur futur zone de pêche.

Tandis qu'il observait la jeune rescapée, le mérolt ne put s'empêcher une admiration pour la finesse de ses traits. Mais il n'eut pas le temps d'en admirer tous les angles car, déjà, de petits yeux marron s'ouvraient avec difficulté. Papillonnant des cils faiblement, la jeune femme se retourna prestement sur le côté afin d'expulser une quantité considérable d'eau salée qui se déversa sur le pont. S'écartant pour lui laisser de l'espace, Holf l'observa encore, avant d'ordonner qu'on lui ramène de quoi l'hydrater.

Désaltérée et consciente, la jeune femme laissa finalement flotter un regard à la ronde avant de le reposer sur son sauveur.

— Où suis-je ?

— Vous êtes sur le Blubice Enchanté, le plus grand navire de pêche de sa majesté le roi Dal'Aqual, répondit solennellement le mérolt à l'allure fragile, presque malade.

Comme saisie par une révélation, la jeune femme s'anima violemment en faisant sursauter son interlocuteur :

— Le roi, il faut que je voie le roi ! C'est de la plus haute importance... Sora est en danger ! Sar Ier est menacé ! S'il-vous-plaît, ramené moi vite à terre, je dois absolument les prévenir !

— Calmez-vous, calmez-vous, l'apaisa le mérolt en lui posant une petite main bleutée sur l'épaule. Nous faisons actuellement route vers le port et vous, vous avez besoin de repos. Et de chaleur, ajouta-t-il en la voyant claquer inlassablement des dents.

De toute évidence, il ne la croyait pas et songeait certainement qu'il ne s'agissait que de quelques affabulations d'un esprit encore embrumé par les chocs subits. Malgré son état déplorable, la rescapée lui lança un regard lourd d'accusation.

— Vous ne comprenez pas, il vous faut me croire ! Je dois obtenir une audience avec le roi !

Plongeant son regard noisette dans l'ambre des yeux du mérolt, elle le supplia silencieusement de l'écouter.

Bouleversé par tant de crainte et de chagrin mêlé, Holf hocha la tête doucement. Il espérait calmer sa belle inconnue en demeurant lui-même l'incarnation de la quiétude absolue. Cela fonctionna. Elle le remercia dans un souffle, avant de tomber mollement entre ses bras.

Mal à l'aise, Holf ne sut que faire de ce corps inanimé et gelé. Il sentait la peau douce de la jeune femme contre la sienne, flairait son délicat parfum féminin... Reprenant ses esprits, il tenta de la caler de manière plus confortable entre ses membres chétifs. Avec plus de force que son apparence en laissait paraître, il se redressa d'un mouvement souple, enlaçant sa protégée. Il alla la coucher dans une cabine du navire, non sans la recouvrir d'une multitude de duvet, et retourna à son poste. Qu'avait-elle bien pu vivre pour être dans un tel état d'angoisse ? Et que diable pouvait-elle bien craindre pour son roi ? Malgré toute l'énigme qui entourait la mystérieuse inconnue, la question principale demeurait sur les raisons de sa présence au beau milieu de l'Océan Falïal.

La mystérieuse inconnue... Holf soupira. Il ne lui avait même pas demandé son nom... 

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