Chapitre 19 - Honneur et Respect
Année 7 – (saison de la vie)
L'air des plaines de Sora était saturé. L'ignominie de la guerre faisait flotter une odeur de fer assez âcre pour révulser les estomacs les plus solides. La tempête de lames faisait rage depuis des jours. Les hommes étaient las, le seul écho encore présent était les complaintes des soldats, les cris de douleur des rescapés, les derniers hurlements des défunts. Même l'astre solaire avait cessé de briller. Il s'était revêtit de son voile, noir et brumeux, lui aussi endeuillé par la cruauté des vivants. La peine du ciel dégoulinait jusque sur les terrains, déjà boueux, des champs soriens, comme s'il avait espéré pouvoir laver toute la souillure déversée là. Mais le soleil et le ciel pouvaient bien se soucier de ce qu'ils voulaient, que pouvaient-ils donc bien faire ? Le sang, sur la terre, s'écoulait bien plus vite que la pluie dans l'air. Le tonnerre avait beau gronder, il était fort incapable de couvrir les rugissements des armes. Le vent, léger et délicat, pouvait bien souffler plus fort, qu'est-ce que cela changerait-il ? Les éléments, impuissants, étaient contraints d'observer ce chaos meurtrier sans ne pouvoir rien n'y faire.
Si Obsi n'avait pas préméditer quelque chose, c'était bien d'être vaincu par un être inférieur à son sang pur. Lorsqu'il avait touché Moïe au foie avec son sort, il avait vu le demi-elfe s'écrouler comme un pantin désarticulé avec un contentement qui ne cachait rien de son euphorie. Le bâtard était à sa merci, inerte devant ses pieds, là où était sa place. Obsi ne l'avait jamais formulé ainsi, même pas dans ses propres pensées, mais qu'un être aussi impur que Moïe puisse être considéré comme l'un des plus grands mages de Brazla, que cet avorton prétentieux et sans ambition ait bu devenir le conseiller du roi le plus influent du continent, était plus qu'il ne pouvait supporter. Sa haine l'avait dévoré dès lors et jamais n'avait cessé jusqu'à ce jour. Un sourire carnassier élargit ses lèvres fines tandis qu'il se rapprochait de Moïe pour lui soulever la tête. Il agrippa d'une poigne incontrôlée la chevelure poisseuse de son semblable pour l'observer de plus prêt. Moïe était inconscient, il pendait au bras d'Obsi, tout honneur l'avait déserté.
— Je t'avais pourtant annoncé ce qui arriverait, demi-elfe, cracha Obsi avec dédain.
Il relâcha sa prise et laissa la tête retomber avec un bruit sourd avant de faire mine de se relever.
C'est ce moment qui fut jugé opportun. Moïe s'enflamma d'une énergie électrique. Tout son corps n'était plus qu'un électron étincelant, vibrant d'un pouvoir dévastateur. Une onde de choc jaillit de ses deux mains tendues vers sa cible qui s'envola, véritable fétu de paille, surpassé par un vent trop violent. Toujours au sol, Moïe laissa ses mains retomber, incapable de tenir son corps plus longtemps et sombra à nouveau, non pas dans des limbes obscures mais dans ce qui semblait être un infini lumineux, irréel.
Obsi était au sol, la moitié de son visage pâle brûlé par la déflagration. Laissé à demi-nu par ses vêtements calcinés, il hurla de douleur et de honte, les deux mains sur ses chairs mutilées, avant de trouver refuge vers les bras tendus de la forêt. Il y rampa fébrilement, abandonnant sa dignité dans les miasmes de la boue. Le combat avait pratiquement cessé après cette démonstration de puissance. Quelques membres du Prisme prenaient la fuite, privés de tous mentors. Ils n'avaient pas revu Charb depuis son départ pour le Gouffre de Glace, Obsi venait de prendre la fuite sans se retourner et personne n'avait revu Tourma ni Ebe depuis la dernière défaite. Livrées à eux-mêmes, les pierres s'éparpillèrent sans se soucier du sort de leurs camarades les plus courageux.
C'est ce moment que choisirent les élus pour apparaître au loin, dignes et fiers sur leur monture. Un troisième voyageur les accompagnait mais ce détail n'avait aucune importance. Déjà les soldats de Sora reconnaissaient à l'horizon leur capitaine et clamait son retour. Les autres régiments ne montraient pas moins d'enthousiasme de les voir arriver vivants.
Le trio remarqua rapidement que la bataille faisait toujours rage. Ils lancèrent les chevaux au galop, Athèlme brandissait la lame de Las'Talas devant lui tel un graal redoutable. Malvina fut la première à identifier Moïe au milieu du chaos.
— Elme, protège le roi, je me charge de Moïe ! Luvac, tu l'accompagnes !
Aucun ne fit mine de contredire la jeune femme qui, de toute évidence, venait de récupérer son rôle de commandante de l'archerie. Elle se jeta vers son tuteur pour le tirer à l'abri, les deux hommes rejoignirent leur souverain qui, de toute évidence, n'avait besoin d'aide de personne. Bien que son visage soit ruisselant de sueur et d'autres humeurs poisseuses, ses bras, eux, ne montraient aucun signe de fatigue et continuaient de s'abattre avec fougue sur les ennemis.
Cela ne satisfaisait toutefois pas Athèlme. Il en avait marre de se battre. Il était fatigué de cette quête interminable, de cette cruauté et de cette guerre insensée. Il leva la dague au-dessus de lui et afficha un air aussi menaçant et froid que Las'Talas lui-même.
— Vous reculerez tous devant la toute-puissance de la Dague Assoiffée ! clama-t-il. Un seul maître, un seul descendant ! Les ennemis à son sang périront dans la douleur !
La dague brillait d'un halo sombre, une lumière noire, malsaine s'en échappait. L'arme, trop longtemps retenue prisonnière laissait couler un murmure éthéré, une mélodie obscure et envoutante. Mais les pierres ne reculèrent pas. Chacun et chacune savait qu'ils observaient la première Relique du Damné. Au lieu de fuir, ils se rapprochèrent comme une meute de chiens voraces autour d'Athèlme et de son roi. Le général n'hésita pas, il serra la poigne autour de l'arme et entrepris de l'utiliser contre la marée qui lui faisait face.
— Athèlme, non ! lui hurla Luvac.
Ce dernier sauta vers lui et profita de sa taille pour tenter de lui arracher la lame des mains, certain de ne pas vouloir voir la relique à l'œuvre. Athèlme vociféra d'un air particulièrement menaçant. Le roi lui intima l'ordre de lui remettre immédiatement la Dague Assoiffée. Les adversaires reculaient, esquivant les lances écarlates qui jaillissaient de la relique.
Malvina s'approcha à son tour, alertée par le tumulte, après avoir installé son mentor, toujours inconscient, sur un lit de soin. Elle tenta d'apaiser son jeune frère sans aucun succès. Ses mains délicates cherchaient à le flatter, l'apaiser, mais il était insensible à son contact. Rien ne semblait pouvoir résonner le guerrier, les filaments de l'armes s'étaient entouré autour de son poignet et couraient sur sa peau avec une avidité affolante. Malvina cessa de vouloir le calmer et s'essaya plutôt à lui arracher l'arme des mains.
— Ça ne sert à rien, lui intima Luvac, j'ai déjà essayé de...
Il ne termina pas sa phrase. Le belle et douce Malvina venait de lui jeter un regard qui ne pouvait venir d'elle. L'iris enflammé, la pupille dilatée, la jeune femme était démente. Elle s'agrippait au bras d'Athèlme sans même frémir lorsque les petits filaments rouges de la dague lui parcouraient les bras. Ils faisaient naitre sur sa peau des trainées de fine brûlures. Les membres, ainsi marbrés, ne faiblissaient pourtant pas devant les regards médusés qui les entouraient.
— Assez ! tonna une voix puissamment amplifiée par magie.
Las'Imlïa marchait vers eux, droit et fier malgré le sang qui imbibait son long manteau bleuté et la balafre qui courait le long de sa joue. Tandis que le tourbillon de haine ne cessait pas, il invoqua la puissance de son pouvoir. L'air vibra et les deux héros s'écroulèrent, les mains sur les oreilles, le visage déformés par une douleur lancinante. Athèlme chuta de son cheval dans un craquement sinistre, Malvina se recroquevillait dans la boue.
— Eh bien, jeune homme. Vas-tu donc ramasser cette arme ou dois-je les torturer encore plus longtemps ? demanda le mage comme il aurait demandé un peu de sucre dans son thé.
Luvac réagit immédiatement, désireux de faire cesser cela le plus tôt possible. Voir Malvina se tortiller ainsi avait provoqué un effroi dans son cœur qu'il ne connaissait pas encore. Il extirpa la lame des mains d'Athèlme et la tendis respectueusement à Las'Imlïa, sans même se rendre compte du pouvoir qu'il détenait enfin. L'aboutissement de sa quête, le contrôle absolu, le respect assuré de tous... il tenait cet aboutissement à bout de doigt et l'offrait sans même y réfléchir à un autre...
— Non jeune homme, je ne vais pas me saisir de cette lame, annonça le mage. Si je devais entrer dans cette frénésie, qui m'en sortirait ?
Interdit, Luvac rangea alors la Dague Assoiffée dans son armure, tandis que les deux élus se relevaient difficilement. Il se précipita vers Malvina pour la soutenir, laissant au roi le soin de s'occuper de son général.
Tous deux relevèrent un air hagard autour d'eux, visiblement inconscients de la scène qu'ils venaient de jouer devant tout le monde. Le remue-ménage avait fini de faire fuir le reste des pierres et tous les regards étaient braqués sur le point culminant de la bataille, eux.
— Mais, que s'est-il passé ? chuchota Malvina qui ne pouvait supporter le moindre effort, tant sa tête la faisait souffrir.
Luvac lui récapitula rapidement les derniers évènements sans se laisser distraire par le teint cramoisi qui s'emparait des deux héros au fur et à mesure que l'histoire avançait. Une acclamation les força à quitter leur conversation. La bataille prenait fin, peut-être même la guerre. Amis et ennemis recouvraient le sol, parfois gémissants, parfois à jamais figés dans un dernier cri. Le « Hourra ! » qui résonnait tout autour, les mains fermes et chaleureuses qui se posaient sur les épaules au hasard, oubliait un instant les heures dures à affronter.
— Peut-être devrions-nous voir les récits pour plus tard, intima Bérénice aux héros. Nous avons beaucoup de blessés à soigner. Le registre des pertes devra se faire aussi vite que possible par respect aux familles.
Tous acquiescèrent et rejoignirent le reste de l'armée déjà afférée à secourir les siens.
***
Lorsqu'ils franchirent les portes du château de Sora, Malvina et Athèlme sentirent monter en eux une émotion indescriptible. Ils avaient réussi, ils étaient vivants, la guerre était terminée. Le poids de l'univers sembla relâcher leurs épaules douloureuses. On leur offrit un bain relaxant ; jamais un bain ne fut aussi merveilleux. On les revêtit de tuniques de lin ; jamais un tissu ne fut aussi doux. Puis on les nourrit ; jamais nourriture ne fut si succulente.
Le repas n'était pas particulièrement festif. Un délai de deuil avait été prévu par respect aux hommes sacrifiés avant de célébrer cette victoire historique pour le continent. Beaucoup de discussions flottaient dans la pièce, quelques rires discrets égayaient parfois l'atmosphère, un orchestre jouait une musique reposante dans un coin et le raclement des couverts sur le fond des assiettes confirmaient le ravissement des estomacs trop longtemps ignorés.
Quand fut venu le temps du dessert, le roi se releva pour faire face à son assemblée. Son regard avait regagné toute sa douceur mais une profonde douleur y était visible à qui savait regarder. Le siège vide à ses côtés détonnait dans la salle, et une larme perla dans le coin de ses yeux charbonneux lorsqu'il le fixa pour s'y perdre un instant.
— Mes très chers sujets, commença-t-il finalement. Aujourd'hui, je peux vous l'affirmer, est le jour où chaque homme et chaque femme de Brazla a su prouver sa valeur. Une valeur prouvée par la bravoure, par le respect et l'honneur dont vous avez fait preuve lors de ces jours sombres. Malgré la menace, le doute, le deuil et la peur, tous ont su rester dignes et forts dans la bataille. Notre victoire est celle de tous les habitants de notre continent. Les peuples se sont unis. Seuls, nous aurions disparus. Ensemble, nous sommes indéfectibles. Être votre suzerain, après toutes ces années, n'a jamais été un honneur aussi fort et véritable qu'en ce jour. Vous vous en doutez, les pertes sont lourdes. Ainsi donc, je vous prie de m'en excuser, nous ne pourrons pas citer chacun d'entre eux, par conséquent, je n'en nommerai que très peu. Une stèle est en préparation par notre meilleur marbrier. Elle ornera bientôt la façade sud de la Tour de Jade afin d'être à la disposition de tous et en symbole de l'union de tous les peuples.
Sar Ier observa un long silence, il respira profondément avant de reprendre son discours.
— Nos pertes, comme je vous l'ai dit, sont on en peut plus grandes. En premier lieu, sachez qu'à partir de ce jour, nous pouvons honorer la mémoire de Yal Rez'Tan, grand général de Sora, un homme fier dont la loyauté n'aura jamais fait défaut. Que Saruïa accueille son âme dans ses bras. Le grand chef du peuple de Creïka, Di'Salman. Un homme noble dont la robustesse n'avait d'égal que l'honneur. Sa mort est une perte tragique pour nous tous et une raison supplémentaire d'utiliser la Tour de Jade comme mémorial, au nom de tous les Cavaliers Creïs. Que Démerêka guide sa dernière chevauchée dans les Plaines Astrales.
Le roi continua ainsi à énumérer quelques noms les plus célèbres, leur rendant un dernier honneur. Le moment était lourd mais nécessaire. Le respect planait dans la pièce, entité supérieure à toute autre, presque palpable en cet instant solennel.
— Mes très chers sujets, enfin, je vous demanderais d'observer un silence dévoué pour une perte, Ô combien tragique pour nous, mais aussi pour le continent tout entier, continua avec peine le souverain qui, pour ne pas trahir ses larmes, conservait un visage froid et dur comme la pierre.
D'une main tremblante, il porta une coupe pleine à ses lèvres et s'imprégna du courage sordide que pouvait bien lui prodiguer l'alcool mielleux qui s'y trouvait.
— Notre mage, Moïe Las'Dylis, reprit-il d'une voix que l'affliction faisait vibrer, fut sauvagement attaqué par un être impie, à peine un instant avant notre victoire.
La mâchoire de l'homme se serra, mais d'aucun n'aurait su dire si c'était la haine ou la violence de l'émoi qui l'animait.
— Moïe aura résisté jusqu'à la fin et s'il n'est pas debout aujourd'hui, parmi nous, c'est parce que ses dernières ressources d'énergie ont été utilisées pour nous sauver tous, insista-t-il d'une voix raffermie par le vin, ou peut-être par la force de la rancœur. Moïe n'était pas que notre mage. Il est aussi celui qui a fait l'homme qui vous gouverne en ce jour. Sans lui, Sora ne serait jamais devenu cette terre prospère, cet oasis de paix et de respect pour tous les êtres. Il n'était pas que mon conseillé. Il était mon ami. Mon seul véritable ami. Il fut un père, un protecteur, un mentor. Moïe Las'Dylis, en ce jour, sera à jamais dans nos mémoires comme un héros et un sauveur, pour nous tous... et je vous demanderai, d'un mortel à un autre, de tourner vos prières vers lui, ce soir.
Le roi se rassit sans prévenir et se remplit lui-même un autre verre de vin de plistine jusqu'à ras-bord. Il en versa le contenu d'un geste franc dans le fond de son gosier, s'essuya d'un revers de manche le coin des lèvres et fit signe à un domestique de ramener un nouveau pichet. Les yeux du monarque étaient éteints, brillant de la lueur terne des larmes trop alourdies par le chagrin. La salle était devenu silencieuse, l'honneur et le respect émanait de chaque personne présente et les souffles murmuraient leur reconnaissance comme une austère litanie. Brisant le silence, un convive parmi les autres se leva. Il frappa dans ses mains, d'abord lentement, au rythme des cœurs présents. Il frappa d'un son grave et galvanique. D'autres le rejoignirent. Athèlme, malgré un état de choc évident, fut parmi les premiers à le rejoindre, accompagné de Luvac. La foule se levait, les mains se cognaient dans une de ces harmonies parfaites, guidées par les émotions partagées les plus pures. Face au roi, face au siège dorénavant vide à ses côtés, tous étaient debout pour frapper leur reconnaissance et faire résonner dans les murs, une dernière fois, la mémoire de leur mage.
Malvina fut la dernière à les rejoindre. Personne n'osa lui faire le moindre signe. La pauvre devait déjà être tant abattue par la perte de son protecteur, il était inconcevable de rajouter ne serait-ce qu'une miette à sa peine.
Le roi, toujours affaissé dans son trône, balbutia un remerciement timide, aviné.
Athèlme rejoignit son monarque une fois le festin terminé. Il avait pris un verre supplémentaire de cervoise pour embrumer son âme et chasser temporairement la tristesse qui le dévorait avant de se présenter devant son souverain dans une révérence respectueuse. Il demanda un temps de parole qui lui fut accordé sans trop de réflexion.
— Peuples de Brazla, commença-t-il à peine avait-il fait face à la salle. Nous ne pouvons que vous saluer, vous remercier et vous rendre honneur aussi humblement que nous vous servons. La quête de la relique, malgré des épreuves qui laisseront à jamais des cicatrices chez chacun de nous, a été un succès. La relique sera placée dans un lieu sûr auquel personne n'aura jamais accès, ni même connaissance de son emplacement. Son emprise, comme vous l'avez surement entendu, est alimentée par une puissance sombre et ancestrale qui nous surpasse tous. Mais nous nous devions de trouver une solution pour qu'elle soit en notre possession, comme l'avait formulé notre très regretté mage, il y a sept années de cela. Je tenais à vous remercier, bien évidemment, pour votre courage et votre dévotion à notre cause. Il me semblait aussi essentiel de dynamiser cette journée de victoire par quelques annonces importantes. Tout d'abord, je me permets de vous présenter en ce jour mon nouveau bras droit, Luvac.
A ces mots, Athèlme invita dans un sourire chaleureux son camarade à se lever. Quelques applaudissements résonnèrent puis le calme repris sa place.
— Son courage et son audace ont été d'un grand secours et sans lui, notre quête n'aurait su être menée à bien. Je souhaiterais également mettre fin à une rumeur qui court les couloirs et qui ne peut demeurer. Je convie donc le mage de Flendïa, Las'Imlïa, à me rejoindre devant vous afin d'élucider ce fameux mystère divin dont tout le monde parle.
Le temps que Las'Imlïa se fasse une place, la rengaine repris dans la salle alors qu'Athèlme rejoignit sa place, incapable de retenir le flot de ses émotions plus longtemps. Tous avait visiblement hâte de confirmer ou non les hypothèses émises au sujet de l'apparition de Ribéon. Les dieux avaient été avec eux, pour la première fois ils avaient fait preuve d'activité et de réel soutien. Certains se demandaient, bien sûr, si Ribéon était sincère. Allait-il disparaître ? Ou n'était-ce qu'une farce des dieux eux-mêmes, une manipulation de leur part pour se jouer des mortels ? Les nains allaient-ils disparaître, eux aussi, comme Ribéon ?
Les questions fourmillaient dans la salle et se mêlaient à la science infuse d'une bonne majorité des participants qui clamaient haut et fort leurs convictions.
— Si vous voulez mon avis, annonçait l'un sans qu'on ne lui ait rien demandé, les nains ne sont jamais arrivés à Ninetïa, les dieux les ont réduit en poussière, c'est évident.
— Ribéon est notre sauveur à tous, affirmait l'autre, nous devrions lui dédier un culte unique. Les autres dieux ne nous ont jamais fait preuve d'autant de dévotion, il est grand temps de s'en rendre compte.
— Vous dites vraiment n'importe quoi vous autres, rabrouaient une voix sur le ton de celui qui sait, Ribéon ne survivra de toute façon pas sans les prières de son peuple, réfléchissez un minimum ! S'en est fini de lui et les nains seront libres d'aller et venir sans leur dieu pour maintenir la malédiction...
Le brouhaha ambiant ne se calma qu'après la troisième tentative de Las'Imlïa qui souhaitait désespérément prendre la parole. Athèlme frappa d'une poigne ferme sur une table de bois massif et l'écho de son poing finit de fermer les dernières mandibules encore en activité.
— Je vais aller droit au but, commença le mage avec le franc parler de son peuple. Les dieux n'ont rien à voir avec ce qui s'est passé aujourd'hui.
Des jurons s'élevèrent dans la salle. Aussitôt, on vociférait çà et là des accusations virulentes qui dénonçaient le caractère impie de l'elfe, l'être mécréant qu'il était et l'évidence même que son peuple ne devait qu'adorer Mélak pour en venir à de telles conclusions blasphématoires. Si le bûcher était encore d'actualité, aucun doute sur le fait que certains l'y aurait immédiatement condamné. Athèlme, véritablement irrité cette fois, enflamma ses mains et fit jaillir une lance de flamme qui survola le dessus de toutes les têtes présentes, brulant même quelques cheveux au passage. Le calme se fit.
— Comme je vous le disais, reprit Las'Imlïa d'un air imperturbable, je tenais tout simplement à féliciter et à honorer les mages de tous les royaumes. L'idée était celle de Moïe Las'Dylis, que Kirïa prenne soin de son âme. Avant le début de la guerre, nous avons tenu un conseil afin de prévoir une stratégie efficace, mais surtout un plan de repli, une carte à jouer infaillible et suffisamment puissante pour retourner le cours d'une bataille. Moïe avait non seulement un esprit doux et bienveillant, mais il avait une intelligence moderne qui fait défaut à bien des nôtres, la faute aux quelques années dont nous bénéficions sur cette terre, sans doute, s'amusa-t-il faiblement. Tout ce qu'il y a à retenir ici, c'est que l'apparition divine que vous avez tous vu, n'était rien d'autre qu'une illusion savamment travaillée par tous les mages royaux. Le ciel obscur, la voix éthérée, l'ombre nuageuse... tout était fait pour que les nains soient dupes et prennent la fuite et pour que nos armées se sentent ainsi protégées, légitimes aux yeux des dieux. Nous sommes navrés pour le goût amer qui accompagne ainsi l'impression de s'être fait tromper, mais la victoire s'éloignait et nous n'avions de meilleures idées pour vous accompagner tous, sur tous les fronts. J'espère que vous nous pardonnerez un jour, termina-t-il humblement.
Las'Imlïa salua Athèlme avec respect avant de s'en aller aussi fièrement qu'il avait combattu.
Alors que la pièce se vidait petit à petit, chacun pouvait continuer d'aller bon train sur les commentaires, trop impatients de pouvoir donner un avis qui sera sans aucun doute bien plus pertinent que celui du voisin. Athèlme se fraya un chemin à travers la marée de commères, pressé de retrouver ses quartiers. Son nom résonna derrière lui, ultime frein à son repos tant désiré. Il se retourna pour découvrir Kilna qui le rejoignait, son visage illuminé de son fidèle sourire.
— Je suis contente que tu m'aies entendu, Athèlme. Je t'en prie, redresse-toi et ne recommence pas ça, ajouta-t-elle alors que son général tenait une révérence des plus respectueuses à ses pieds. Rien ne change entre nous. Mon père n'a même pas vraiment eu l'occasion de m'annoncer devant ses sujets... Tous les invités de ce soir devaient bien se demander ce que je pouvais faire à ses côtés comme une idiote et d'où je pouvais bien sortir, rigola-t-elle.
Comme il était doux de l'entendre rire. Dans une journée comme celle-ci, tous rayons de soleil étaient le bienvenu et Kilna, elle était un soleil entier !
— Il se remettra, lui garantit Athèlme sans trop ressentir la certitude dans sa propre affirmation. Je peux faire quelque chose pour toi ?
— Je te cherchais, Athèlme. La guerre fut violente, froide et impitoyable. Beaucoup d'hommes manqueront à l'appel quand tu reprendras les entraînements. Je sais qu'il est important pour un soldat d'être en pleine possession de ses moyens mais nombreux seront ceux qui ont été blessés, parfois très gravement et...
— Holf veut nous rejoindre ? résuma le guerrier qui avait percé l'idée maîtresse de la conversation.
— Tu ferais ça ? Pour lui ? Je veux dire, ça serait un véritable honneur pour Holf si...
— Dis-lui de nous rejoindre aux premiers entrainements, après la période de deuil. J'ai eu vent de son accident mais surtout de comment il a offert son bras pour sauver notre roi. Nous avons besoin d'hommes comme lui.
Kilna s'illumina plus encore, elle déposa un baiser reconnaissant sur la joue du soldat avant de partir d'un pas léger rejoindre les siens.
Le jeune homme croisa sa sœur et Luvac qui erraient dans l'escalier menant à leurs appartements. Ils discutaient vivement sur les cicatrices qui dansaient à présent sur les bras de Malvina. Des filaments incandescents ondulaient sous sa peau, visiblement sans provoquer aucune douleur.
— Athèlme ! Toi qui a épluché tous les livres de la bibliothèque – et ne me demande pas comment je le sais, je t'en prie – que penses-tu de ce phénomène ? profita Luvac de voir son général arriver pour lui brandir fiévreusement le bras de sa belle sous le nez. C'est apparu après l'épisode déconcertant de la Dague.
L'intéressé baissa les yeux pour observer mais le général n'en avait aucune idée. Il observait les sillons danser sans n'y rien comprendre. Malvina adoptait un air fatigué et visiblement irrité lorsqu'elle retira son bras d'un geste brusque.
— Comme je vous l'ai dit, ce n'est rien qui ne vaille la peine de s'inquiéter. Nous pourrions peut-être retrouver nos lits à présent, à moins que vous ne préféreriez errer dans la bibliothèque jusqu'au bout de la nuit, pour au final n'y rien trouver ?
Les deux hommes tâchèrent de ne pas trop extérioriser leur surprise quant au comportement inhabituel de leur camarade, mais un regard s'échangea entre eux tandis que Malvina avait déjà atteint le haut des marches sans se retourner.
— La perte de Moïe est une épreuve pour nous tous et le chagrin est bien un fardeau que chacun gère comme il peut. Laissons-lui du temps, murmura Luvac.
Athèlme lui glissa un regard plein de sympathie et le suivit jusque dans les hauteurs de la tour.
— Voilà autre chose sur quoi vous pourriez peut-être enquêter, mais qui ne semble affoler personne jusque-là, rouspéta encore Malvina devant la porte de ses appartements. Luvac n'a plus de pouvoir. Aucun.
Elle lâcha cette dernière parole comme un rocher chute d'une falaise, puis disparu dans sa chambre sans se soucier de rien.
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