Chapitre 14 - Conseils et Retrouvailles
Année 7 après L.P – (saison de la vie)
Les nouvelles allaient bon train dans la salle du conseil, sous l'œil morne de Moïe, dont le cristal, habituellement si pétillant, se voilait au fur au à mesure que le temps passait, parfaitement assorti au ciel de Sora.
— Sar, je tenais également à m'excuser d'une chose. Joack, le respecté fils de Yal Rez'Tan est venu nous voir de votre part, expliqua Las'Imlïa. Et je suis profondément navré de ne pas avoir pu lui apporter plus d'informations. J'aurais aimé être d'une aide plus précieuse concernant cette mission primordiale.
Moïe releva immédiatement la tête à l'entente du prénom de Joack, imité par Yal dont le regard s'était tinté d'un mélange de crainte et de curiosité.
— Joack ? Vous avez bien dit « Joack », n'est-ce pas ?
Son air désespéré implorait Las'Imlïa de lui fournir plus de détails. Sa condition de père esseulé et abandonné de son fils transpirait par tous les ports de sa peau, si bien que personne n'eut le cœur de le reprendre sur sa manière d'interrompre une conversation importante.
— Oui, c'est bien le nom qui a été prononcé, réagit doucement Sar. Mais, Las'Imlïa, je suis confus d'entendre parler d'une telle visite. Le jeune Joack n'a pas été vu à Sora depuis...
Les yeux du roi se posèrent sur Yal en quête d'éclaircissement.
— Bientôt deux années..., murmura le père éploré.
Les idées s'entremêlaient et plus rien n'avait de sens pour le capitaine des gardes de Sora. Il n'avait jamais connu les motivations de la fuite de son fils, il n'avait jamais su où il était allé ni comment. Il n'avait jamais eu de nouvelles depuis tout ce temps et voilà que la première bribe d'information sur son enfant était basée sur un mensonge... Las'Imlïa observa un instant Sar, incertain de comprendre toute la situation.
— Joack vous a-t-il affirmé lui-même venir de la part de Sora ? demanda Yal, incrédule. L'a-t-il prononcé lui-même, de vive voix ?
— Tout à fait, il était en mission pour collecter diverses informations sur le continent. Des bribes d'histoire, des anecdotes oubliées de notre génération... Il disait que cela servirait aux élus dans leur quête.
Yal et Sar échangèrent un regard bref mais entendu. La révélation était difficile à croire, mais la conclusion était trop évidente pour en faire fit.
— Las'Imlïa, vous avez été dupé. Jamais nous n'avons demandé quoi que ce soit à Joack et le fait qu'il vous mente aussi mystérieusement laisse entendre que ses motivations ne seraient pas pacifiques, assena Sar Ier, le cœur lourd.
Yal était toujours debout non loin du trône, le visage blême. Toute couleur avait quitté son cœur et sa vie, plus rien n'avait de sens et plus rien ne semblait le rattacher à la raison de son existence. Sar Ier, bien que sans enfant jusqu'alors, comprenait sans mal son malaise. Un monde venait de s'écrouler pour son capitaine et rien ne pourrait combler le vide qui venait de creuser son cœur.
— Las'Imlïa, pouvez-vous nous dire sur quoi reposaient principalement les questions du garçon ?
La voix de Moïe, bien que timide et peu assurée, avait frappé tel un coup de tonnerre. Personne ne s'attendait à ce qu'il prenne la parole après ce qui venait de se produire et un élan de fierté s'empara de Sar. Il n'avait pas souhaité créer d'esclandre, mais aussitôt cette éternelle réunion terminée, une entrevue privée avec Flendïa était prévue.
— Comme je vous l'ai dit, principalement des faits historiques, des légendes sur la Catastrophe de l'Aube, Las'Talas, les prophéties et les enfants des dieux ...
— Les enfants des dieux vous dites ? rebondi Moïe tel un ressort.
— Oui, entre autre, où voulez-vous en venir, bon sang ? s'impatienta Las'Imlïa qui appréciait de moins en moins cet interrogatoire.
Sar échangea un regard avec Moïe et ce dernier opina du chef pour donner un consentement mystérieux.
— Nous vous avons informé que plusieurs pistes sûres avaient été trouvées concernant l'aboutissement de la prophétie divine, reprit Sar en s'adressant à tous les peuples. Nous avions souhaité conserver ces connaissances pour ne pas mettre en danger nos élus et la réalisation de leur quête. Mais il s'avère que nos informations ont fuité. Nous avons très certainement un espion parmi nous et il semblerait que le fils Rez'Tan soit déjà au courant de certains détails qu'il n'était pas destiné à entendre. Nous avons fait une découverte exceptionnelle, et ce n'est qu'en restant unis que nous parviendrons à démêler le mystère. Chers dirigeants de Brazla, hauts dignitaires, il semblerait que le dieu de la discorde, Mélak, ait eut un enfant...
Un silence palpable s'empara de la salle et le temps s'arrêta. Immobiles, certains membres du conseil n'osaient même plus cligner des yeux.
— C'est impossible ! clama Di'Salman dont la longue tresse noire claqua le dos en retombant. Mélak a déjà une fille, et elle est enfermée loin de lui, surveillée de près par les autres divinités.
— Di'Salman a raison, rétorqua Dal'Aqual, sa crête relevée au plus haut. Vous aimeriez nous faire croire que Mélak a engendré deux progénitures ? Tout le monde sait que c'est tout bonnement inconcevable. C'est bien là le mal qui ronge Pashad, notre dieu bien aimé, destiné à vivre sans héritier valide.
Le roi de Merïa, tandis qu'il formulait ces mots, posa une main sur son cœur en signe de respect au dieu des dieux. Las'Lishis n'avait toujours pas pris la parole. Il avait observé le Cavalier Creï et son homologue de Merïa s'échiner à refuser une vérité inacceptable, pendant que son esprit prenait le temps de la réflexion. Ses yeux, reflet d'une sagesse archaïque, survolaient l'assemblée au rythme de ses cogitations. Les elfes étaient depuis la création de Brazla, les détenteurs des mythes et des légendes du continent. Rien ne leur était inconnu et c'est avec fierté qu'ils avaient honoré ce blason de l'érudition qui ne connut jamais son pareil.
— Sar, il est possible que nous soyons en mesure d'apporter un peu de lumière à toute cette obscure histoire, déclara-t-il solennellement.
Las'Imlïa observa son souverain avec curiosité. Si les elfes avaient su conserver leur supériorité culturelle, c'était bien en ne laissant couler que gouttes par gouttes leur connaissance encyclopédique. Que Las'Lishis souhaite partager aussi facilement ce trésor intellectuel le surprenait au plus haut point. Son monarque croisa son regard d'un air entendu et lui laissait le champ libre pour exprimer tout ce qui serait utile à cette enquête. Le mage de Flendïa s'avança au-devant de la foule, croisa ses bras à l'intérieur des larges manches de sa tunique et ce fut sur un ton aussi fier qu'impérial qu'il commença son récit.
— Il existe une légende. Une légende divine, transmise par nos ancêtres, les dryades. Quand les Plaines Astrales étaient encore les Etendues Célestes, quand nos rivières vénéraient des noms alors différents, les ancêtres de nos dieux actuels gouvernaient un monde bien différent. Mais s'il est une règle à laquelle jamais il ne fut possible de déroger, même pour ces grands enchanteurs du ciel, c'était de ne pouvoir donner naissance qu'à une progéniture à la fois. C'était sans compter sur le clan de Mélak qui jamais ne sut tolérer aucune limite. C'est ainsi que le grand père de Mélak eut un frère. La première dynastie de dieu à avoir pu étendre leur famille. Bien sûr ils furent châtier pour cela, et le prix à payer d'un tel affront fut l'enfermement dans les Profondeurs Abyssales jusqu'à ce que mort s'en suive. Les dieux, dans leur bonté, laissèrent toutefois, pour seul survivant, un des deux fils divins.
La salle tout entière observait un silence religieux devant les confessions de Las'Imlïa. Un monde nouveau semblait s'ouvrir aux yeux de tous les peuples présents.
— Mais si cette possibilité d'enfanter deux fois est connue, comment se fait-il que les autres divinités n'aient pas essayé à leur tour ? s'interrogea Di'Salman dont les yeux aussi noirs que la nuit brillaient d'une curiosité assoiffée. Après tout, Pashad aurait bien besoin d'un héritier avec le mal qui ronge sa fille.
— D'autres s'essayèrent à une telle pratique, en effet. Mais la réalisation du sortilège demandait un coût que peu d'entre eux était capable d'assumer. Seule une sorcière bien précise était capable d'un tel pouvoir. Elle se trouvait autrefois dans le cœur de la forêt d'Imalt. Mais vous comprendrez que pour enfreindre ainsi une loi de la nature divine, il ne suffit pas que de quelques incantations et d'une griffe de mulmopi... La divinité devait s'incarner sur le continent et abuser d'une femme ou d'un homme de son peuple. La séduction et le consentement n'était pas envisageable, car seule la douleur et la trahison pouvait briser les limites célestes. Une fois la chose faite, il fallait tuer l'homme ou kidnapper la femme jusqu'à la fin de sa grossesse. Cette dernière mourrait de toute façon en donnant naissance à un enfant des dieux. Une seule autre divinité connue s'abandonna à une telle cruauté. Les ancêtres de Ribéon. Ce dernier porte encore sur lui la honte de sa lignée et son peuple est voué, depuis, à ne pouvoir s'épanouir que dans l'obscurité des montagnes rocheuses.
La fin de l'histoire de Las'Imlïa fut accueillie par une absence totale de toute réaction. Les yeux divaguaient dans la salle, les esprits s'embrouillaient et les langues restaient clouées à leur palais, incapables de s'activer. Sar brisa le silence qui régnait d'une voix grave.
— Et Mélak aurait donc retrouvé cette sorcière, procédé au rituel et procréé illégalement un deuxième descendant... mais pourquoi ? Peut-on savoir s'il a eu une fille ou un fils ? Comment le reconnaître ?
Les questions de Sar ne trouvèrent pas leur réponse. Il était tout simplement impossible de distinguer une engeance divine, si tant est qu'elle conservait une apparence ordinaire. Pour autant, les autres membres de l'assemblées ne se privèrent pas d'annoncer à tout bout de champ de potentiels demi-dieux pour d'obscures raisons. Le fil de la conversation commençait à ennuyer Sar qui ne trouvait plus aucune motivation à animer ce débat stérile. Son regard surplomba la grande salle et tenta de se perdre au loin, de disparaitre au-delà de toute cette agitation. Et c'est à cet instant qu'il la vit. Une mérolt en armure se tenait fièrement devant la porte de la salle du conseil, fidèle aux ordres qu'elle avait reçus, bien que les gardes Soriens se chargeaient déjà de la sécurité de tous. Elle lui paraissait si familière. Ses longues boucles vertes tombaient sur ses épaules dénudées dont les teintes topaze se reflétaient dans l'argent de sa cuirasse. Elle dut se sentir observée car son regard se leva imperceptiblement et se perdit instantanément dans celui du roi lorsqu'il le croisa. Le doute n'était plus possible, elle devait le reconnaître aussi, songeât Sar. Le mauve de ses yeux s'incendia immédiatement et, décontenancé, Sar brisa le contact. Mais le mal était fait. Le regard perçant de la jeune guerrière lui avait brûlé l'âme et il ne voyait plus que ces deux immenses iris où que son regard se posa.
Rongé par la faim, les dirigeants de Brazla consentirent finalement à quitter les lieux afin de poursuivre leurs élucubrations autour du buffet organisé par le seigneur des lieux. Les domestiques avaient déjà tout organisé, on fit démarrer les musiciens qui se lancèrent dans des musiques de plus en plus entrainantes et, bientôt, les conversations s'allégèrent pour finalement ne favoriser plus qu'une entente générale entre les peuples.
Aussitôt la séance terminée, Sar s'était quant à lui précipité au dehors afin d'intercepter la guerrière. Son esprit était enfumé et il ne comprenait pas lui-même le sens de sa démarche. Il se sentait attiré par cette femme pour une raison qui lui restait inconnue. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait lui parler. Il la reconnue finalement de dos, ce qui ne fut pas une prouesse en soit comme Merïa n'avait pas encore privilégié beaucoup de femmes pour rejoindre les rangs de son armée, et il se décida à poser une main délicate sur la petite épaule. L'exil de la mère de Moïe pesait encore sur son âme et il souhaitait agir vite pour son ami, mais toute culpabilité s'envola lorsque sa peau rencontra le velours bleuté de la demoiselle. Lorsque la mérolt se retourna timidement et que son regard accrocha le sien d'un lien indestructible, Sar se senti vaciller dans un monde parallèle. Il avait déjà vu ce mauve printanier, dans ce qui lui paraissait être une autre vie. Sa bouche s'ouvrit sous l'effet de la torpeur et il se contenta d'observer sa dame d'un air béat.
— Je ne pensais pas que vous reconnaitriez, messire, je vous prie de m'excuser...
Timidement, la mérolt baissa le regard et brisa le contact sacré auquel le roi semblait s'accrocher.
— Je sais que je vous ai déjà vu, comment l'oublier, murmura-t-il comme s'il avait peur qu'un trop grand éclat de voix puisse faire disparaitre la guerrière dans un nuage de poussière.
Elle releva le délicat violet de ses pupilles et observa le roi avec intérêt.
— Vous... vous vous souvenez de qui je suis alors ?
— Vous êtes le bonheur de mon enfance. L'euphorie de ma jeunesse. La raison de ma passion pour l'air iodé et des étendues de sable blanc. Jamais je n'aurais osé rêver vous revoir, c'est un miracle. Bérénice.
Les lèvres du roi semblèrent embrasser le prénom alors qu'elles le prononçaient. Sar avait le visage qui s'illuminait au fur et à mesure que les paroles couraient sur sa langue. Il parut à nouveau jeune homme téméraire et insouciant, adolescent impétueux et rebelle. Ce Sar avait pourtant disparu depuis que le chiffre I était venu orner son patronyme. La mérolt, gênée, ne sut que répondre et se contenta de sourire nerveusement d'un coin de ses lèvres fines.
— Que... Puis-je vous demander ce que vous faites là ? Comment se fait-il que l'honneur me soit fait de vous accueillir en ce jour, dans ce modeste palais ?
La mérolt admira Sar d'un œil différent. Elle prit le temps de l'observer pour ce qu'il était, d'entendre la douceur dans les intonations de sa voix, de percevoir la tendresse qui émanait de son regard fatigué. Il avait toujours été, malgré un goût prononcé pour la provocation, un homme délicat et d'une gentillesse infinie. Elle avait craint, plus jeune, que la proximité de son père névrosé chasse cette bonté, mais de toute évidence, la réputation de Sar Ier était méritée.
— J'ai intégré l'école militaire de Merïa après votre départ. J'ai rejoint ensuite les rangs des soldats de la garde publique. Récemment, j'ai eu l'honneur de me voir offrir une place au sein de la garde rapprochée personnel de Dal'Aqual, la première femme mérolt à bénéficier de ce titre... Il faut croire que la présentation d'une élue féminine à l'annonce de la prophétie à permis aux consciences et aux mœurs de se secouer, plaisante-t-elle doucement.
Sar badina avec elle, ravi d'entendre que l'évolution s'opérait au-delà des murailles de Sora.
— Sar... vous... tu...
— Tu, trancha-t-il immédiatement avec un sourire.
— Tu n'as pas idée de ce que tu m'as apporté lors de ton instruction à Merïa. Ce fut des années formidables. Mais quand je dis que tu n'en as pas idée, je pèse mes mots, nous sommes loin de la vérité.
Le roi se gratta doucement le menton, gêné. Que voulait-elle dire ? Il l'observa attentivement, visiblement en attente de plus amples informations.
— Eh bien... comment te le dire... Notre union a été bénite des dieux, Sar.
De monarque fier et droit, il bascula en un petit amas de chair et de tissus. La tête lui tourna tout d'un coup et il s'affala sur un banc qui meublait le long couloir.
— Tu veux dire que... c'est... mais comment... où ?
— Elle s'appelle Kilna, ajouta Bérénice sur le ton du mystère.
— Mais ... alors ...
— Oui, c'est elle. Une de tes domestiques. J'espérais l'apercevoir à cette occasion, mais...
— Elle n'est plus là, Bérénice.
Le mauve si pétillant de la guerrière se para d'un voile obscure et sa bouche se serra dans un rictus empreint de doute.
— Elle est mariée, s'empressa d'ajouter Sar pour mettre fin à sa douleur. Elle vit dans un petit village de paysans, au-delà des murs de Sora, termina-t-il le ton morne.
Les yeux de Bérénice brillèrent tout d'un coup, emplis de joie et de reconnaissance. Mais Sar ne pipait plus mot, sous le choc. Il leva un regard plein d'incompréhension. Les sentiments se bousculaient en lui, partagé entre le bonheur d'avoir une fille, et la tristesse d'avoir été « piégé ». Il avait été manipulé volontairement et il ne trouvait aucune raison pour que Bérénice n'ait pas été honnête avec lui après ce qu'ils avaient vécu. Elle sembla se rendre compte de la bataille qui faisait rage en lui car elle reprit rapidement :
— Je n'ai pas eu le choix, Sar. Merïa n'était pas un lieu pour les femmes, même si ça commence à le devenir. Mais c'était encore moins un lieu pour les bâtards...
— Les bâtards ? Ma fille n'est pas une bâtarde voyons ! C'est la fille de Sar Ier, roi de Sora, royaume le plus influent de Brazla ! fulmina-t-il.
Le feu de la colère embrasa ses joues et ses yeux s'enflammèrent d'un brasier sombre, où se reflétait la génétique d'une lignée d'hommes violents et tempétueux. Bérénice sursauta et recula d'un pas apeuré. Se rendre compte que cette expression de crainte sourde était provoquée par sa seule personne suffit à Sar pour regagner son calme.
— Ne recule pas s'il te plaît. Excuse-moi. Les journées sont longues ces derniers temps et je... Pourquoi as-tu éloigné Kilna de toi, alors ? Qu'aurait-il pu lui arriver ?
— Dal'Aqual n'est pas homme à tolérer l'intolérable. Et enfanter avec un sorien est une chose intolérable. Kilna est née légèrement bleutée, mais rapidement ses cheveux bruns sont devenus impossibles à camoufler. Sa peau perdait de jour en jour son éclat océan et je dû me résoudre à l'impossible pour une mère. Tout ce que je pouvais faire, c'était l'envoyer auprès de son père... Tu ne devais pas tarder à prendre le trône et je te faisais confiance pour être un suzerain d'exception. Mais je ne pouvais accorder le même honneur à ton père, Pashad seul sait ce qui aurait pu advenir de ma fille s'il avait su. Alors je l'ai abandonnée aux portes de Sora, priant pour qu'aucun mal ne lui soit fait et que personne ne devine jamais son origine.
Sar ne pouvait qu'accorder tout son crédit à cette histoire. Son père aurait noyé n'importe quel enfant illégitime enfanté par son fils. D'autant plus un hybride. Il songea même que Bérénice ne pouvait être certaine de sa propre réaction une fois sur le trône avec pour seul exemple des rois fous et tyranniques. Et finalement, tout ce qui pouvait bien importer en ce jour saint, c'était qu'il était père. Il avait une héritière.
***
Joack ne tarda pas à apercevoir au loin la petite ouverture dans les bois. Il arrivait bientôt à destination et plus ses pas le rapprochaient du camp, plus une boule douloureuse se formait dans le fond de ses entrailles. Après ce qui lui parut n'être qu'un claquement de doigt, il se retrouva à l'entrée de la Clairière des Maudits et des éclats de voix se répercutèrent autour de lui. Il espérait voir rapidement Obsi pour lui raconter son voyage, mais la première silhouette qui apparut fut la large carcasse de Tourma. Le géant le dépassait de deux bonnes têtes et la largeur de sa mâchoire lui rappelait les gueules des lions d'argent de Rai.
— Ah ! Joack ! Te revoilà enfin ! Tu as raté de belles fêtes, tu peux me croire !
Comme à son habitude, Tourma adoptait un sourire qui s'étalait d'une oreille à une autre, toutes dents dehors. Il était suivit de près par Ebe, ses longs cheveux blancs détachés, livrés à une danse suave avec le vent.
— Alors ? Tu nous rapportes quelques bonnes informations, Joack ? susurra-t-elle doucement.
Jamais il n'entendait son nom avec autant de tendresse que lorsqu'il sortait de la bouche du Premier Messager. Mais cette tendresse lui faisait toujours peur. C'était la délicatesse de la toile d'araignée, l'odeur sucrée des plantes carnivores, la douceur du pelage chatoyant des mulmopis sauvages... Il se racla la gorge afin de reprendre ses esprits et de gagner du temps.
— Eh bien, j'ai pu trouver le village principal des elfes. J'ai même été escorté en personne vers leur mage, Las'Lishis et son assistante, Enya Las'Dylis, commença-t-il.
— Las'Dylis ? résonna une voix rassurante derrière lui.
Joack se retourna prestement et son cœur s'allégea aussitôt qu'il reconnut le drapé des longs cheveux noirs d'Obsi. Ce dernier lui jeta un regard embrasé mais ne s'approcha pas beaucoup de lui... pas assez du moins.
— Alors, Joack, qu'est-ce que tu penses de mon peuple ? Chaleureux n'est-ce pas ? le charriât-il avec un sourire charmeur.
— Heu... disons que ça dépend, rigola Joack qui était dès lors plus détendu que jamais.
Il leur raconta son voyage lorsque Charb les rejoignit. Tous étaient suspendus à ses lèvres et ne perdaient pas une miette de ses informations. L'origine de la vaisselle flendïenne ne les intéressa pas plus qu'elle ne l'intéressa lui-même. Ils sourirent à l'entente de ses péripéties et rigolèrent de son talent pour amener les conversations sur le chemin désiré. Mais lorsque Joack termina son récit, les mines se fermèrent.
— C'est tout ? demanda Charb, agressif.
— C'est déjà très bien, voyons, rétorqua Obsi. T'attendais-tu à ce que les elfes dévoilent tous leurs secrets au premier venu ?
— Il est le fils de Yal Rez'Tan. Oui, j'espérais mieux ! S'il ne nous a pas suivis en guerre contre Sora, c'était pour ramener de précieux renseignements. Et lesquels sont-ils ? Flendïa mangent dans des feuilles de Shakam. Comme c'est intéressant !
— Vous avez mené la bataille alors ? Comment cela s'est-il passé ? demanda Joack qui parcourait déjà les parties dénudées d'Obsi en quête d'une blessure grave.
Tous l'observèrent un instant, sans prêter attention à son inquiétude toute particulière pour le Bras Droit. Charb camoufla la balafre de son bras en rabattant sa manche et Obsi ne posa pas sa main sur son flanc.
— Tout s'est passé à merveille, Joack, le rassura Obsi en passant son bras musclé autour de ses épaules.
— Vous avez reconnu du monde ? Mon père était-il présent ?
Aussitôt prononcée, il regretta sa phrase. Il avait espéré conserver un ton calme et détaché, mais sa voix le trahit et la pointe aigue dans son souffle fit tiquer immanquablement Tourma.
— Bien sûr qu'il était là, répondit le Grand Doyen d'un ton brusque. Il est l'un des plus grands combattant de Sora, il faisait même partie de cible privilégiée, qu'est-ce que tu crois ?
Encore une fois, Joack fut trahi par son corps. Ses yeux s'écarquillèrent imperceptiblement et sa bouche s'ouvrit l'légèrement dans une expression d'appréhension.
— Oh, ne me dit pas que tu t'inquiètes pour papa ? railla Tourma. Mais c'est qu'il semblerait que oui ! Tu t'inquiètes pour l'homme qui de toute vie n'a jamais démontré le moindre signe de fierté ? hmm ?
Il avança d'un pas bourru en direction de Joack, et se rapprochait de plus en plus à chaque phrase.
— Tu t'inquiètes pour l'homme qui ne t'a jamais trouvé digne de reprendre son commandement ? Ne me dis pas que tu espères une once de pitié pour l'homme qui aurait pu faire de ta vie un enfer si tu n'étais pas parti !
Tourma avait sa tête si près de lui qu'il pouvait sentir son souffle chaud et les effluves d'alcool de plistine qui l'accompagnaient. Joack était tant collé à Obsi qu'il semblait vouloir faire corps avec l'elfe. Dommage pour lui, la fusion était impossible.
— Non, bien sûr que non, répondit Joack, tremblotant.
— Bien ! Je préfère cela. Ici, nous ne préservons pas les gens qui nous manquent de respect, qui n'ont jamais été capables de démontrer un semblant d'amour pour leurs proches, une marque de respect pour leurs héritiers. Nous ne préservons pas les gens qui ne méritent pas d'être préservés. Et ton père, Joack, ne mérite pas d'être préservé.
Tourma se recula finalement, laissant Joack libre de respirer son propre oxygène.
— En avant tout le monde ! Au travail, et plus vite que ça, la récréation est terminée ! clama Tourma en retournant vers le centre de la clairière.
— Ça va ? s'inquiéta Obsi vers Joack une fois seuls.
— Oui, très bien, acquiesça-t-il. Tourma a raison, je ne devrais pas m'inquiéter pour Yal Rez'Tan. Je devrais plutôt songer à me venger.
La tête haute, Joack avait repris tous ses esprits. Il s'en voulait à présent de son excès de faiblesse en cet instant. Son père ne méritait plus rien de lui, si ce n'est la mort.
Obsi en profita pour lui demander plus de renseignement sur cette Las'Dylis dont il avait parlé plus tôt et recueillit avec soin les détails fournis par le jeune homme. Il admirait Joack lorsqu'il était ainsi sûr de lui et qu'il vibrait d'une énergie sournoise. A la fin de leur conversation et après qu'ils aient tous deux jurés devant Mélak d'avoir leur vengeance, il le prit par la main et l'attira à l'écart de la clairière, loin de tous regards.
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