Chapitre 12 - Griffes et Crocs
Année 7 après L.P – (Saison de la vie)
Les sens aiguisés par la chasse, Athèlme ne répondait plus qu'aux imprécations des battements de son cœur, de ses veines qui s'ouvraient sous les assauts frénétiques d'un sang gorgé de l'énergie de la haine. Chacun de ses bonds le rapprochaient immanquablement de sa proie, gagnée par la faiblesse. Ce petit bipède hideux ne serait bientôt plus qu'un amas de chair amorphe, et cette idée lui donnait des ailes. Il s'envola finalement dans les airs et retomba férocement sur sa cible. Raï hurla sa surprise et son désespoir dans un cri qui fit frémir même les briques de la citadelle. La faune, qui avait assisté Athèlme dans sa course, attendait à présent au loin, laissant traîner des regards curieux sur ce qui s'annonçait comme un combat sanglant à venir. La fatigue les avait cependant arrêtés dans leur cavalcade, et il était peu probable que l'un de ces animaux ne soit d'une quelconque aide à Athèlme dans la suite des évènements.
Raï s'était retourné, et après avoir observé avec effroi la balafre qui ornait à présent son jarret, il fit face à la lionne prête à bondir une fois encore. Rien ne semblait plus pouvoir arrêter ce foutu gamin à présent qu'il avait perdu forme humaine. Le dompteur tenta d'ignorer les sueurs froides qui lui parcouraient l'échine et préféra se barricader derrière son habituel mépris. Si ce garnement sorien pensait pouvoir se retourner contre lui sous cette forme, il pouvait bien se fourrer la griffe dans l'œil. Il connaissait tout des engeances de son espèce, vaurien comme lion d'argent. Ah ! Ça oui ! Il en avait dompté des fauves et lui ne ferait pas exception. Empli d'un courage revigoré, Raï sortit de ses chausses un long canif dont le tranchant semblait rivaliser avec le regard perçant d'Ebe. Athèlme se tassa devant lui, les crocs à découverts, toutes griffes dehors.
— Alors, gamin ? On n'ose pas s'élancer de face n'est-ce pas ? Attaquer par derrière est plus à ta portée, à ce que je vois ! ironisa Raï avec un sourire jaunâtre étalé sur la face.
Athèlme poussa un grognement dont il sembla puiser l'origine dans les Profondeurs Abyssales. Sans crier gare, il se rua en avant dans un rugissement et Raï ne put que se jeter contre le mur pour esquiver l'attaque frontale. Les deux opposants s'affrontèrent ainsi jusqu'à épuisement. Du sang coula et inonda les couloirs de la citadelle, la pierre rougeoyante des murs éclaboussés sembla virer au bordeaux et les couloirs résonnèrent longtemps des hurlements de rage et de douleur du duel mortel. Bientôt, la douce toison argentée d'Athèlme n'était plus qu'un amalgame poisseux d'humeurs et de sueur, en parfait accord avec la crinière ébouriffée de Raï. A bout de force, Raï tenta une dernière fois de fuir, rebondissant entre les murs de l'étroit couloir, le pas lourd et les pieds boiteux. Mais cette dernière chance n'était pas au programme d'Athèlme. Il en profita pour lâcher ses dernières ressources et laissa libre cours à son instinct animal. Il s'élança, s'aplatit sous les talons du fuyard, et d'un coup de griffe parfaitement exécuté, il lui sectionna les deux tendons. Raï s'écroula dans un hurlement de douleur, voulu se relever, sombra à nouveau sur ses chevilles inertes et enfin, observa Athèlme de ses yeux sombres où seule une peur éclatante perçait. Il savait que c'était terminé. La mort dansait dans ses prunelles avec plus d'intensité à chaque goutte versée sur le sol rocheux des souterrains. Ce spectacle pathétique avait tout pour satisfaire les pulsions meurtrières d'Athèlme, mais il voulait plus. Il avait une promesse personnelle à tenir. Il devait s'assurer que Raï ne quitterait pas ce monde sans entendre ses dernières paroles d'adieu. Il s'éloigna du corps, déjà recouvert du manteau pâle de la mort, et se concentra pour regagner sa forme d'homme. Il s'y efforça tant et plus, mais rien ne se produisit et le destin ne lui laissa pas l'occasion de s'acharner plus que de raison. Des bruits de pas résonnèrent non loin des couloirs. Athèlme ne pouvait prendre le risque d'être vue et, non sans y laisser une partie de son âme, la lionne prit la fuite dans un grognement lugubre.
Luvac arriva sur le lieu juste à temps pour voir un éclair argenté se volatiliser au fond du couloir. C'était un lion d'argent, il en était certain, mais un détail avait attisé sa curiosité, bien plus que le semblant de cadavre qui ornait le sol devant lui, auréolé d'une mare de sang grandissante. Pourquoi, par Mélak, une lionne d'argent se trouvait à Ninetïa, et depuis quand les animaux portaient-ils des amulettes ? Intrigué, Luvac tenta d'identifier le bijou dans son souvenir. Il en avait déjà observé un semblable auparavant... Dans sa réflexion, il s'approcha finalement de la dépouille et fut surpris de reconnaître Raï Mat'Rai sur le sol suintant. Il lui rendit rapidement un hommage, non pas que ce bougre en ait mérité un, mais pour sa propre conscience. Peut-être cela protégerait son âme d'avoir pensé qu'il l'avait bien mérité... Le combat avait dut être violent, observa-t-il en constatant les traces sur les murs et les nombreuses plaies sur le corps meurtri du défunt.
— Que faisais-tu donc là, Raï ? grommela Luvac en quête de réponse. Tu as fini par avoir ce qui t'attendait... Je parie que tu n'as pas fait le fier face à ta bestiole mutine, hein ! Quoi que... tu en serais bien capable mon pauvre vieux... idiot comme tu étais !
Du bout de sa chaussure, Luvac dévoila un peu plus les blessures de feu son camarade. Les entailles étaient nettes, précises et toujours portées à endroits stratégiques. Les organes vitaux étaient ciblés mais jamais endommagés au point de provoquer la mort. Il était évident que la faucheuse avait fait son entrée par les talons du pauvre bougre. Mais quel animal ferait ça ? Un lion d'argent ne pouvait faire que fuir, ou se défendre, et donc tuer... Luvac repensa tout à coup à l'amulette qu'il avait vu pendre au cou de la bête avant qu'elle ne disparaisse. Il allait reprendre sa route, quand soudain le génie l'éclaira ! Malvina et Athèlme ! Il se rappela les avoir vu porter tous deux le même collier étrange. Luvac interrompit sa marche en comprenant finalement ce que cela impliquait. Athèlme serait donc un Animutatis ... C'était inconcevable. Ils avaient disparus depuis des temps immémoriaux !
Pour en avoir le cœur net, Luvac tenta en vain de suivra la lionne. Mais la foulée soutenues et les quatre pattes robustes du fauve le rendaient impossible à pourchasser bien longtemps. Les deux fuyards étaient parvenus jusqu'à la sortie de Ninetïa, mais à force d'écarts pour échapper à la vue des nains, Luvac, désormais trop faible pour se départir de son apparence humaine, ne tarda pas à perdre l'animal. Des pisteurs rodaient sur tous les sentiers, leur regard expérimenté porté sur chaque trace visible. Les élus devaient être les personnes les plus recherchées de Ninetïa à l'heure actuelle, songea Luvac en analysant tous les petits être ainsi afférés. S'il voulait retrouver la trace de Malvina il allait devoir faire de même, mais la tâche s'annonçait ardue, ainsi cerné d'ennemis. Luvac évolua tant bien que mal entre les chemins qui serpentaient dans le massif. Le froid lui rongeait les os malgré sa résistance naturelle aux éléments, mais il savourait le rayon de soleil qui perçait timidement entre deux falaises pour venir lui chatouiller les joues. La chaleur réconfortante de l'astre lui redonna un peu de force et annonçait doucement le début de la saison de la vie, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Il continuait son avancée sans aucun indice ni aucunes traces à analyser, quand il entendit tout d'un coup un soulèvement de nains au loin. Tous donnaient la course à la lionne qui rebroussait chemin pour fuir ses opposants. Il la vit s'accrocher à un petit parapet sur les falaises et disparaître entre deux failles rocheuses. Les nains, visiblement effrayés d'avoir eu à faire à un fauve qui n'avait aucune raison de se trouver dans leur montagne, encerclèrent le lieu afin de le retrouver avant qu'il ne le fasse et, le cas échéants, ne les dévore.
N'écoutant que son instinct, Luvac adressa une grâce muette à son partenaire poilu et prit la direction d'où venait la lionne dans son échappée. L'odorat de l'animal, s'il s'agissait d'Athèlme, devait certainement le mener à Malvina. Il ne perdit pas un instant et, profitant de l'absence temporaire des nains, se fraya un chemin sur le sentier et le suivit sans s'arrêter. Il retrouva finalement quelques traces dans un sentier humide où les chevaux avaient marché et, soulagé, il se félicita d'arriver bientôt à destination.
Epuisé, les jambes lourdes, le dos endoloris et les pieds en sang, Luvac aperçut finalement une légère fumée s'échapper au loin d'un foyer crépitant. Elle était là, seule et livrée à elle-même, assise devant un feu rassurant en compagnie des deux chevaux qui l'entouraient solidairement. Elle semblait leur parler tandis que de petits champignons grillaient paresseusement au bout d'un pic en bois. Luvac prit un temps infini pour observer ce tableau, de loin le plus charmant qui lui eut été donné de voir.
***
La demeure de Sar Ier était en ébullition. Des domestiques courraient en tous sens, des bassines d'eau entre les bras pour certains, des piles de linges propres pour d'autres. Des hommes et des femmes comblaient les longs couloirs du château, agonisants ou juste fiévreux pour les plus chanceux. Aucune chambre ne restait disponible à présent, toutes occupées par les blessés de la bataille. Moïe tentait désespérément d'être sur tous les fronts, loyalement assisté par Miranda qui ne manquait pas d'efficacité. La femme d'Edwinn gérait merveilleusement le personnel du château, trouvait une occupation utile à chaque âme vivante et accompagnait Moïe lors des opérations les plus complexes, sans jamais faiblir face aux horreurs de la guerre. Edwinn l'observait zigzaguer entre les lits, transmettre ses ordres, repartir dans la tour du mage, avec une fierté de jeune époux. Incapable de ne pas participer à l'activité ambiante, il tentait par-ci par-là de s'emparer d'une corbeille de linge ensanglanté ou d'un amas de bandages à transporter.
— Edwinn ! Repose ça et va te recoucher ! criait alors la voix sèche de sa femme, qui sortait d'un escalier proche.
Où qu'il aille elle était. Sa capacité à le surveiller sans relâche malgré son occupation extrême demeurait un mystère pour l'homme, et un mystère pour le moins irritant.
— Je ne resterai pas un instant de plus à t'observer suer à la tâche sans rien faire, Miranda. Occupe-toi de tes patients et laisse-moi m'occuper de mes affaires, je te prie.
Le père de Malvina essayait désespérément d'apporter force et conviction à sa rhétorique mais il n'avait jamais su comment s'exprimer avec assurance. Miranda lui lâcha alors un sourire charmant avant de laisser place à une moue particulièrement désapprobatrice qui le fit frémir.
— Edwinn chéri, repose ce panier et va t'allonger. Tu dois reprendre des forces et je ne saurais me concentrer sur mon devoir si je dois m'inquiéter pour toi... Allons, retourne dans ta chambre, ou va à la bibliothèque trouver un bon livre.
Edwinn, dépité, faisait alors mine de partir mais ne s'empêchait pas de récupérer au passage quelques affaires à transporter à la laverie. Ce manège durait déjà depuis plusieurs jours, tandis que petit à petit, les blessés diminuaient en nombre. Certains guérissaient, beaucoup succombaient... et une larme les accompagnait sur la joue de Moïe pour chacun d'entre eux.
— Moïe ! tonna une voix dans les couloirs de l'édifice. Est-ce que quelqu'un, par Mélak, a vu mon mage ?
Sar Ier déambulait dans l'escalier de la tour de l'elfe à moitié vêtu et sans son habituel tiare, les cheveux en bataille. Depuis l'attaque, il n'avait jamais pris le temps de s'apprêter, trop occuper à fournir toute l'aide qu'il pouvait pour sauver le plus possible de ses disciples.
— Il est avec Miranda, dans la salle de bal, annonça Edwinn qui les avait vus disparaitre un instant auparavant derrière les grandes portes sculptées.
— Je vous remercie sir Pal'Ka. Mais que faites-vous donc là ? Ne devriez-vous pas être en train de vous reposer ? S'il vous arrivait quoi que ce soit, j'espère que vous avez pleinement conscience que votre fille me tuerait ! Alors, ne mettez pas mon existence plus longtemps en danger et regagner votre couche, je vous prie.
L'air sérieux du monarque ne permis pas à Edwinn de discerner l'humour de son roi et dans le doute, il rejoignit paresseusement ses appartements, découragé d'être compris un jour.
Sar entra dans la salle de bal, en plein milieu d'une opération pour le moins impressionnante. Moïe canalisait son blessé magiquement endormi le temps de retirer une lame plantée profondément dans le muscle de sa cuisse droite. Une petite sueur s'empara de Sar quand le sang gicla en grande rince une fois le métal retiré de la plaie béante. Mais il ne serait pas dit que le roi de Sora faiblissait devant une petite égratignure et ce dernier, aussi blanc que les draps, s'approcha maladroitement de la table d'opération, les jambes tremblantes.
— Oh, pauvre homme vraiment, balbutia-t-il avant de reconnaitre son ancien chef d'armée. Va-t-il s'en sortir ?
— Mon seigneur, je vous prie de m'excuser, je ne trouverai pas moyen de vous faire la révérence dans l'immédiat, annonça Moïe, solennel. Et oui, je pense qu'il s'en sortira. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le grand Yal Rez'Tan nous survive à tous, mon roi.
Au même moment, le mage, aidé de Miranda, ouvrit la plaie du muscle plus largement encore pour y enfoncer un bouquet d'herbe recouvert d'onguent. Au bord de l'écœurement, Sar Ier se recula vivement pour quitter ce spectacle macabre et se frotta vigoureusement les bras en quête d'une nouvelle contenance.
— Vous souhaitiez me parler, mon roi ? demanda adorablement Moïe, toujours afféré à son muscle, les bras dégoulinants de sang.
— Hum, oui. Nous allons recevoir les seigneurs Di'Salman de Creïka et Dal'Aqual de Merïa. Il faudrait que tu fasses quérir Las'Lishis afin que nous puissions discuter de nouvelles stratégies pour la paix de Brazla. Flendïa se doit d'être présente.
— Très bien, mon Seigneur, je m'en charge aussitôt que le capitaine des gardes sera hors de portée de la mort. Allez donc vous reposer et vous préparer pour l'accueil royal à venir, je m'occupe du reste, l'incita Moïe dans sa tunique turquoise, impeccable.
Sar Ier jaugea d'un œil incrédule l'élégance que Moïe arborait face à toute épreuve. Les bras enfoncés jusqu'aux coudes dans le sang et les tripes de ses patients, sa tenue était toujours immaculée, ses cheveux retenus en arrière ou tressés sur le côté, sans un frisottis pour dépareiller... c'était à le rendre fou. Sar Ier tira nerveusement sur les plis de sa chemise de nuit froissée, passa une main énergique entre ses cheveux emmêlés en s'y coinçant les doigts et quitta la salle en vitesse.
Il avait raison, il ne pourrait recevoir les chefs des royaumes ainsi dévêtu. Il lui fallait un bain. Et une coupe de cheveux. Un nouvel uniforme ne serait pas de refus non plus d'ailleurs... Il connaissait la rapidité des elfes à se déplacer. Ila allait s'en aller et laisser Moïe à ses occupations macabres mais la voix flutée de ce dernier le retint.
— Mon seigneur, je vous invite à vous rendre dans mes bureaux. Vous y trouverez une lettre qui vous est adressée. J'ai pensé que ça serait plus discret que vous la lisiez tranquillement plutôt que nous en parlions au milieu des blessés, et comme je ne peux pas quitter mon poste pour le moment...
Sar lui lança un regard surpris. Il écouta toutefois son conseiller et se mit en chemin pour la tour du mage.
Il ne lui restait que quelques jours pour se rapprêter et préparer son discours. Le monarque ordonna sur le chemin à ses serviteurs de préparer un lieu pour accueillir convenablement les Cavaliers Creïs qui ne tarderaient pas et les Mérolts, déjà aux portes de Sora.
Il arriva finalement dans les appartements de Moïe. Comme prévu, une petite lettre cachetée l'attendait sur son bureau, cachée au milieu des autres parchemins médicaux. Sar s'empara de la lettre et une fois de retour dans ses quartiers, s'affala dans un fauteuil de velours grenat et entrepris sa lecture. Son sang se glaça jusqu'à frigorifier toutes ses veines une fois la lecture terminée. Comment Moïe avait-il pu faire cela. L'information était tout bonnement incroyable et valait bien tous les sacrifices, mais de là à outrepasser tant de limite ... Blême, Sar se redressa et entrepris de faire les cent pas devant son bureau. Des bribes de la lettre le hantait encore et les mots s'imprimaient dans son esprit à répétition : « capturer », « questionner », « extorquer » ... Jusqu'où Moïe avait-il été pour glaner des réponses aussi précieuse auprès de l'ennemi ? Mais une question plus importante encore s'empara de lui. Sar n'avait aucune idée de la façon de faire entendre une vérité aussi grotesque aux autres représentants de Sora.
***
Devant un feu dont les flammes perdaient de leur intensité, Malvina décida de tenter un contact avec Athèlme. Elle n'avait pas osé faire de tentative avant la nuit tombée, de peur que les amulettes ne réagissent trop visiblement lors de leur connexion. Saisissant la fine statuette de bois, elle l'observa un moment sans savoir quel comportement adopter. Le phénix, finement ciselé, l'observait sereinement, ses ailes largement déployées au-dessus de sa tête, élégamment rehaussée d'une délicate plume. Le travail était admirable, aucun accro ne marquait le bois de qualité et la douceur de l'œuvre était sans égal. Malvina serra ses mains autour de l'artefact et canalisa tout son esprit sur Athèlme et son propre talisman. Rapidement, le phénix se mit à vibrer dans sa main et lorsqu'elle l'ouvrit, un oiseau enflammé en jaillit et virevolta devant ses yeux. Des flammes dansaient autour de lui, en rythme avec le battement de ses ailes qui crépitaient. Malvina recula pour observer l'étrange apparition. La magie de Moïe était merveilleuse, surprenante, enchanteresse... Il lui manquait...
Elle n'eut pas le temps de se morfondre outre mesure dans sa nostalgie, car rapidement, le visage d'Athèlme se dessina au travers des flammes.
— Elme ! C'est bien toi ? s'écria-t-elle, débordante de joie.
— Mina ! Par Pashad ! Mina, où es-tu ?
C'était bien lui. Incapable d'être satisfait ne serait-ce qu'une seconde. Directement dans l'inquiétude... alors qu'un phénix était en train de faire flotter son visage dans un feu magique. Malvina soupira d'affection.
— Je vais bien, Elme, ne t'inquiète pas. Je me suis enfuie...
Elle lui raconta brièvement son escapade et lui donna les quelques indices à sa disposition pour qu'il la retrouve. Au bout d'un moment, la force flamboyante du phénix sembla ternir, ce que ne manqua pas de remarquer Malvina.
— Elme, je crains qu'on ne puisse communiquer ainsi éternellement, mon oiseau faiblit. Je t'attendrai, ne t'en fait pas. Cherche les marques sur les parois, je vais tâcher d'en laisser à la ronde pour t'indiquer la bonne direction.
— Mina, attends ! Je veux...
Athèlme n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Redevant un simple morceau de bois, le phénix tomba au sol, inerte. Malvina remarqua que sa couleur avait changé. Désormais, seul le bout de sa plume demeurait laqué quand tout le reste était aussi sombre et mate que les montagnes de Ninetïa. Sans perdre de temps, Malvina repassa l'amulette autour de son cou et s'en alla marquer les parois tout autour de son campement.
Alors qu'il somnolait, Luvac fut pris par surprise en entendant les pas de la jeune femme se rapprocher dangereusement de sa cachette. Que pouvait-elle bien venir faire ici en pleine nuit ? Il tenta de s'éclipser dans l'ombre, mais elle l'entendit bouger et dégaina immédiatement son arc.
— Qui va là ? demanda-t-elle dans la nuit. Si vous ne répondez pas, je tire, vous êtes prévenus !
— Ce n'est que moi, Ma Dame... murmura Luvac en sortant de sa cachette pour se révéler à elle, sous un rayon de lune.
Leur cœur manqua un battement tandis qu'ils se retrouvèrent ainsi, à la lueur argentée de l'astre nocturne. Baigné de lumière, Luvac apparut à Malvina plus intriguant que jamais auparavant. Ses cheveux noirs de geai flottaient dans la brise, malgré le fin lien d'argent qui les retenait en arrière. Ses iris chamarrés l'observaient avec une intensité nouvelle et... il semblait plus grand, plus brillant. Sa peau recommença immédiatement son envoutante hypnose et lui prendre le bras au-dessus de ses bracelets de bronze devint vital pour la jeune fille. Malvina réprima tous les sentiments qui l'assaillaient avec virulence et se recomposa rapidement sans rien laisser paraître ; du moins elle l'espérait.
— Messire Luvac ? Par Mélak, que faites-vous donc ici ! s'insurgeât-elle sans se forcer.
Les avait-il suivis ? Pourquoi ? Qui pouvait bien se promener ainsi, la nuit, dans les Terres Désolées ? Ce ne pouvait être un hasard !
— En lisant sur votre visage, je pourrais vous répondre « oui » à toutes vos questions, Ma Dame. Et je m'en excuse sincèrement, surtout si je vous ai fait une frayeur...
Quelle était cette sorcellerie ? Est-ce qu'il lisait dans les pensées maintenant ? Et puis quoi encore ? Elle se refusait à ce qu'il entre plus avant en elle et comme si la distance pouvait y faire quelque chose, elle se recula en fermant son esprit. Et qu'il arrête enfin de l'appeler « Ma Dame », ça n'allait donc pas recommencer !
— Je ne suis venue que par inquiétude pour votre sécurité, Malvina. Je vous prie de croire en l'innocence de mes actes. Et pour ma défense, j'aime à penser que je n'ai pas eu tort de suivre mon instinct.
— Pardon ? Et en quoi avez-vous fait que ce soit pour ma sécurité, si je puis me permettre ? rétorqua Malvina, courroucée qu'il semble encore et toujours lire en elle.
— Eh bien... Les nains n'ont pas été les hôtes les plus chaleureux qui soient, il me semble. Je me trompe ?
— Nous nous sommes très bien débrouillés sans votre aide, je vous remercie, Messire. Vous pouvez vous en aller avec la conviction du devoir bien fait, si cela peut vous rassurer.
— M'en aller ?
Luvac, à ses mots, se rapprocha de la jeune fille. Il n'irait nulle part. Et encore moins à présent qu'il pouvait à nouveau se tenir prêt d'elle. Les plans du Prisme étaient bel et bien fichu à présent qu'il était découvert, il trouverait un moyen d'arranger cela. En attendant, rien ni personne ne l'éloignerait de la jeune fille. Elle l'observait sauvagement, ses prunelles couvant un orage au moins aussi violent que celui qu'elle fit éclater plus tôt. Ses cheveux de blés dansaient autour d'elle, comme enhardis par toute sa colère... Elle était si belle.
— Oui, balbutia-t-elle incertaine, vous en aller. Vous voyez que nous allons bien. Alors vous pouvez vous en retourner à présent. Mission accomplie lieutenant, félicitation.
Elle semblait froide comme la glace qui recouvrait les murs des falaises, mais Luvac entendait, au fond de sa voix, imperceptible, cette petite hésitation qui avait percé. Et il saurait s'y accrocher sans faillir !
— Allons, pourquoi ne pas nous installer plus confortablement pour la nuit au coin de votre feu ? Nous pourrons discuter, nous tenir compagnie, attendre le général, et demain aux premières lueurs, je m'en irai si c'est là ce que vous désirez.
Prise de court, Malvina ne sut que répondre. Finalement vaincue, elle se contenta d'hausser négligemment une épaule et de prendre la direction de son campement sans autre formalité.
— N'allez plus me reprocher de vous avoir ensorcelé, Messire. J'aurais fait ce qu'il faut pour vous demander de quitter les lieux, vous me l'avez refusé. Je ne suis plus responsable, ni de votre présence, ni des idées que vous vous en ferez ! clama-t-elle toutefois avec un regard en arrière.
Le sortilège ! Voilà donc peut-être la raison pour laquelle il ne parvenait pas à assumer sa mission convenablement. Luvac s'infligea une claque mentale à cette révélation. Comment avait-il pu oublier ce fameux charme dont il était victime ? Sa stupidité était sans égal, par Mélak ! Mais le jeune homme ne pouvait ignorer cette petite voix qui lui murmurait une autre évidence. Malvina n'aurait eu aucun intérêt à le repousser si elle souhaitait l'envouter... aucun intérêt non plus de lui rappeler cette douloureuse conversation qu'ils avaient eu à ce sujet. Mais c'était peut-être bien là toute la finesse de son plan. Un esprit féminin et pervers pouvait se perdre dans de tels travers, cela ne faisait aucun doute. Méfiant, Luvac entama malgré tout la conversation, décidé à en savoir bientôt plus sur le mal qui le rongeait. Et sa méfiance, comme le froid glaçant de la saison des glaces disparaissait sous les assauts du soleil, s'évapora au fil de la conversation pour ne laisser place qu'à l'enchantement.
Ils conversèrent longtemps, échangèrent des anecdotes qui les faisaient pouffer de rire et finalement, Luvac révéla que les interactions divines de la journée n'avaient en réalité rien de divin. Malvina se contenta de le remercier d'un regard tendre et changea rapidement de sujet, trop curieuse d'en apprendre davantage au profit de cette nuit inattendue.
Quand vint finalement le moment de s'abandonner au sommeil, Luvac attira contre lui la jeune demoiselle transie de froid et tenta de la réchauffer du mieux qu'il le pouvait. Le nez dans ses cheveux, il aurait tout donné en cet instant pour connaître le cours de ses pensées.
Malvina, quant à elle, soupira d'aise au contact des bras chauds de Luvac sur son ventre contracté par les frissonnements. Il rayonnait toujours, au sens propre du terme, et sa vie se répétait dans ses pensées. Elle ne parvenait pas à le cerner, à savoir qui il était. Mais le savait-il lui-même ? Les légendes de Brazla s'entrecroisaient et beaucoup n'étaient pas sans lien avec les quelques évènements de sa vie hors norme. Il était d'une puissance rare, capable de bien des tours inaccessibles au commun des mortels. Mais cela pouvait attendre après tout.
Elle sombra finalement dans le sommeil, rejoignant Luvac dans ses rêves, tous deux inconscients qu'un troisième compagnon les guettait à l'ombre de la falaise. La silhouette obscure se retira au bout d'un moment, invisible aux yeux de tous pour la nuit. Luvac avait une bien étrange manière de mener sa quête et plus d'informations seraient nécessaires. Le voyage ne faisait encore que commencer...
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