15. Cet abysse qui nous sépare
Deux mois. Cela fait près de deux mois que Zyad et Jiahao ne se parlent quasiment plus, c'est à peine s'ils se croisent à la cité. Sans vraiment s'en rendre compte - mais pas tout à fait inconsciemment non plus - Zyad s'est éloigné de son amant, faisant tout pour éviter de se retrouver dans des situations trop intimes avec lui. Il avait besoin de prendre du recul, de se retrouver seul, de rassembler ses forces. De cesser d'être dépendant.
Et pourtant, Jiahao lui manque, affreusement, chaque jour que Dieu fait. Parfois, il lui faut toute la volonté du monde pour ne pas se lever en pleine nuit et se précipiter chez lui pour le prendre dans ses bras. Il a besoin de lui. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il a irrémédiablement besoin de lui. Et cette contradiction lui prend la tête. Il lui faut trouver une occasion de revoir son amant. Et de s'excuser. Accessoirement.
Un soir, alors qu'il peine à s'endormir sur le matelas défoncé posé à même le sol du garage, il trouve soudainement une idée pour l'anniversaire de Jiahao. Quelques heures plus tôt, il s'est fait surprendre par l'heure alors qu'il bricolait sa moto pour la prochaine course. Quand c'est le cas, il a pris l'habitude de coucher sur place, même si le froid glacial qui s'infiltre à travers les murs et l'odeur entêtante du cambouis lui donne mal au crâne au bout d'un moment.
Les conditions sont pourtant parfaitement réunies pour l'inciter à réfléchir à sa vie et à de potentiels futurs projets. Or là, son objectif prochain, c'est l'anniversaire de son ami et son envie soudaine de marquer le coup. Par manque d'argent, ils n'ont jamais vraiment fêter ce genre d'occasions ; ils en profitaient parfois pour sortir en ville, fumer un peu plus que d'habitude, se faire régaler au kebab, s'offrir quelques broutilles histoire de, mais rien de bien mirobolant. Sauf qu'aujourd'hui, Zyad a envie de faire un peu plus que cela. Son amant a changé, il n'est plus le gamin nerveux qui ne s'apaisait qu'en sa présence et n'exprimait jamais trop fort ses désirs de peur de déranger, il est devenu un homme fort, obstiné, qui mérite qu'on l'honore en tant que tel.
Le cerveau fourmillant d'idées, Zyad se redresse sur ses avant-bras en pestant contre le froid qui lui mord la peau. Ses yeux habitués à l'obscurité courent le long des murs du garage, cherchant à y puiser leur inspiration. Ils s'arrêtent un instant sur l'établi de Redouane où ce dernier accumule des montagnes d'outils et d'objets, le tout afin d'être capable de réparer à peu près n'importe quoi. Et doucement, un projet se matérialise dans son esprit.
Brusquement animé par une fièvre créatrice, il bondit hors de son lit de fortune, enfile pull et doudoune afin de braver le froid et avance à l'aveugle jusqu'à l'interrupteur qui grésille avant d'inonder la pièce d'une lueur tamisée. Près de l'établi, des plaques de métal de toutes tailles s'entassent entre deux escabeaux. Redouane ne lui en voudra pas s'il lui en vole une.
Après avoir soufflé sur ses doigts pour les réchauffer, Zyad étale donc une plaque sur l'établi, s'équipe de gants et de lunettes de protection puis s'attelle à fouiller parmi le bazar du propriétaire à la recherche de la scie à bijoutier qu'il l'a vu utiliser plus d'une fois. Il n'est pas certain de réussir à la manier avec dextérité, il n'est même pas certain de parvenir à un résultat quelconque. Mais il a envie d'essayer.
Et c'est ce qu'il s'échine à faire tout le reste de la nuit, projetant des étincelles à travers le garage et emplissant ses oreilles de sons stridents.
Finalement, il lui faut bien une semaine avant de réussir à maîtriser scie, tour à polir, lampe à souder et graveuse. Ses premiers essais sont pitoyables et ce qui en découle ne ressemble en rien à une bague. Le matin, quand Redouane débarque au garage pour commencer sa journée, il trouve le garçon endormi sur l'établi, entouré de morceaux de métal aux formes étranges, biscornues, parfois jetées à l'autre bout de la pièce par dépit. Alors, quand les premiers rayons du soleil s'allongent sur les murs, il se contente de coffrer les volets en silence et de réarranger la couverture éliminée sur les épaules du gamin dont les lunettes ont imprimé leur marque autour de ses yeux.
Il ne lui demandera pas une seule fois ce qu'il s'acharne à produire, mais un matin, alors qu'il arrive plus tôt au garage pour profiter des couleurs de l'aurore sur le trajet, il trouve le gosse campé au milieu de la pièce, l'air si furieusement satisfait que ça en fait pétiller ses yeux à la couleur si particulière. Sans un mot, son squatteur du moment brandit fièrement un objet circulaire sous son nez avant de scruter avec attention le moindre frémissement de son visage.
Redouane prend le temps d'attraper la bague dans sa main calleuse pour l'observer sous toutes ses coutures. Contrairement à ce qu'il aurait pu croire en voyant le bordel que le gamin a foutu dans le garage, le résultat de ses efforts mérite qu'on salue ces derniers. L'anneau est sobre, d'une épaisseur de deux centimètres, les bords légèrement rehaussés, plutôt bien travaillé pour une première création. D'un œil expert, Redouane repère les défauts qui subsistent çà et là, la façon un peu grossière dont le petit a lissé les contours de la bague, les rainures irrégulières qui décorent élégamment l'intérieur de cette dernière. Mais il n'y a pas à dire, c'est du beau travail. Et l'attente fébrile qui exhale du corps qui lui fait face manque de lui arracher un sourire.
Sans trahir une seule émotion, il plonge son regard dans les yeux cernés de Zyad, s'attendrit devant la lueur qui y brille puis consent enfin à hocher la tête en signe d'approbation. Aussitôt, le visage du gosse s'illumine comme un sapin de Noël et le sourire qu'il lui adresse amoindrit son agacement face au foutoir qu'il a causé chez lui.
Cela ne l'empêche cependant pas d'exiger du gamin qu'il range tout avant de partir, ce qu'il s'empresse de faire sans protester, trop heureux d'avoir eu la reconnaissance silencieuse du vieil homme.
Au début, Zyad pense garder la surprise pour lui jusqu'au jour J ; après tout, il s'agit tout de même d'un cadeau intime, sûrement trop pour deux amis. Il ignore en réalité si des potes peuvent s'offrir des bagues, certainement que certains le font, mais il envisage d'abord cette démarche comme quelque chose qui ne peut qu'être mal vue ou mal comprise par les autres. Pourtant, le soir venu, alors qu'il rentre tranquillement à la cité, il croise Kaïs qui rentre du boulot et n'hésite pas une seconde à lui révéler la bague qu'il a soigneusement enveloppée dans un mouchoir. Admiratif, son ami ouvre de grands yeux avant de pousser un long sifflement.
— Eh bah putain, ça c'est du cadeau ! s'exclame-t-il avec enthousiasme. C'est vraiment toi qui as fait ça ?
Zyad acquiesce, tout fier de lui, secrètement soulagé que son ami n'ait fait preuve d'aucune réticence. Au contraire, Kaïs lui adresse un sourire éclatant de sincérité et la frappe amicale qu'il lui assène dans le dos fait déborder son cœur d'allégresse.
— Putain quand même, vous deux c'est vraiment quelque chose, ajoute-t-il de sa voix chantante.
Malgré lui, Zyad sent ses épaules se contracter à ces mots. Son interlocuteur n'a changé en rien son expression avenante, il continue d'avancer avec insouciance en fouillant dans ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes, et pourtant, Zyad ne sait plus sur quel pied danser.
Cela fait quelque temps qu'il a des doutes quant à la perspicacité de Kaïs. Ils se connaissent depuis la primaire, avant même qu'il ne rencontre Jiahao, et leur amitié est restée intacte au fil des ans. Par sa légèreté et son optimisme, Kaïs apporte au trio tout ce que ses deux compères n'ont pas, il leur permet de se détendre et d'aborder la vie bien plus facilement. Zyad n'a pas avec lui cette alchimie irremplaçable qui le lie à Jiahao, mais il a compris depuis longtemps que sous ses abords frivoles, son ami est capable de saisir avec une sagacité hors du commun tout ce qui se joue autour de lui. Et aujourd'hui, pour la énième fois, il est intimement convaincu que Kaïs connaît sa relation avec Jiahao.
Comme à chaque fois que ce doute l'assaille, il est tenté d'aborder le sujet, ne serait-ce que pour se préparer à se défendre, mais le courage lui manque systématiquement. Son ami n'endosse jamais un visage réprobateur, rien dans ses mots ou ses expressions ne laisse entendre qu'il les condamne d'une façon ou d'une autre. Mais parce qu'ils n'ont jamais discuté de leur sexualité de façon sérieuse et approfondie, Zyad ignore à quel point Kaïs peut être ouvert d'esprit.
Perdu dans ses pensées, il fonce dans le dos de son ami qui s'est arrêté pour allumer sa clope et ce dernier jure entre ses dents lorsque le choc fait bifurquer la flamme de son briquet vers ses doigts. Fronçant les sourcils, il se retourne vers Zyad pour essayer de comprendre la maladresse de son ami puis se fige en apercevant le visage crispé de ce dernier. Le temps d'un instant, il observe ses sourcils qui ne forment plus qu'une ligne droite au-dessus de ses yeux, son regard sombre rivé quelque part au loin, ses narines légèrement dilatées par l'agitation qu'il sent en lui. Une seconde, il songe à le prendre par le bras pour l'inciter à avoir cette discussion qu'ils n'ont jamais eu mais se retient au dernier moment. Ce n'est pas à lui d'aborder le sujet.
— Fais gaffe frérot, se contente-t-il de dire en souriant, si tu fais tomber ta bague, j'vais pas m'casser l'cul à t'aider à la retrouver !
Zyad lui adresse un rictus amusé avant de secouer la tête d'un air faussement exaspéré. Satisfait de son effet, Kaïs étire davantage ses lèvres puis allume enfin sa clope. Si ça ne tenait qu'à lui, il ferait en sorte que ses amis puissent vivre leur amour bien plus librement.
***
L'anniversaire de Jiahao est le 11 octobre, mais parce que cela tombe un lundi, ses amis de la fac ont décidé qu'ils le fêteraient ce weekend. Le concerné a bien essayé de les dissuader, arguant qu'il n'a jamais réellement fêté son anniversaire et qu'il n'y tient aucunement, qu'être au centre de l'attention lui donne de l'urticaire et qu'il refuse catégoriquement qu'on lui offre des cadeaux sans aucune raison valable, en vain.
Maya et Marie en particulier n'ont rien voulu lâcher. Apprendre que Jiahao n'a jamais eu de vraie fête d'anniversaire n'a fait qu'accentuer leur envie de lui en créer une et malgré lui, leur enthousiasme a fini par le gagner. Sans que jamais il ne l'exprime à voix haute, cette perspective ne le rebute plus autant et il se surprend même parfois à compter les jours. Tout cela est ridicule.
Un seul problème subsiste dès lors : comment annoncer la nouvelle à Zyad ? Depuis leur discussion mouvementée sur le fait qu'il ne se rend plus aux réunions de Wafiq, ils n'ont pas vraiment reparlé, c'est à peine s'ils se croisent dans la cité. Lui est constamment pris par ses cours et ses révisions, Zyad passe son temps à traîner avec des gars qu'il ne connaît pas vraiment, à dormir il-ne-sait-où et à sillonner l'arrière-pays en moto. Fêter leurs anniversaires ensemble n'a jamais été à proprement parler une institution, mais ils n'en ont pour autant jamais loupé un. En temps normal, Kaïs et Zyad l'aurait appelé la veille pour lui proposer une sortie en ville, rien de majestueux mais il n'aurait rien attendu de plus, la seule chose qu'il désire étant de passer un moment avec ses amis.
Alors aujourd'hui, son portable désuet ouvert sur le numéro de Zyad, il contemple son écran brisé en mille morceaux sans savoir quoi faire. Doit-il l'appeler pour l'inviter officiellement à la soirée ? Ne vaut-il pas mieux qu'il ne l'informe de rien et attende qu'il le contacte lui-même, soit ce weekend soit le jour J ? Zyad veut-il seulement encore passer un moment avec lui ?
Pour retarder l'échéance de l'appel, il a d'abord contacté Kaïs quelques minutes plus tôt, espérant que si son ami était partant pour la soirée, il lui serait plus facile de convaincre Zyad. Sauf que Kaïs n'a pas un seul jour de repos cette semaine, et aussi illégal que cela soit, il n'aura pas la possibilité d'être présent pour son anniversaire.
— Mais appelle Zyad ! l'a toutefois enjoint Kaïs avec entrain. J'suis sûr qu'il voudra te voir, il a jamais loupé un de tes anniversaires.
— Je sais pas... Il aime pas trop que je traîne avec les gens de ma fac.
— Rooh qu'est-ce qu'on s'en branle de ça, faut qu'il évolue ! Propose-lui quand même, ça lui donnera l'occasion de revoir ses idées à la con.
Jiahao a souri, évidemment, rassuré par la légèreté de son ami. Contrairement à Zyad, Kaïs a très vite cessé de s'impliquer dans l'organisation de Wafiq, il ne s'y est même jamais vraiment rendu. Mais contrairement à lui, Zyad ne lui en a pas tenu autant rigueur et les autres gars ne semblent pas le voir comme un traître. Pourquoi ne peut-on pas le laisser tout aussi tranquille ?
Frustré par toutes ses hésitations, Jiahao cesse de ruminer ses pensées et se décide à faire ce qu'il ne fait jamais en temps normal : envoyer un message à Zyad.
A : Zyad
Mes potes font une fête samedi soir pour mon anniv.
Tu veux venir ?
A peine ses doigts ont-ils tapé ses mots qu'il se sent ridicule. Pourquoi ne peut-il pas simplement appeler son ami ? Est-il devenu aussi lâche ? Ou bien veut-il laisser l'occasion à Zyad de refuser plus facilement sa requête et leur éviter un moment gênant ? A-t-il donc si peur que son amant refuse d'assister à cette soirée ?
L'estomac noué et les dents serrées par l'agacement qu'il ressent envers lui-même, Jiahao ressort son portable pour taper rapidement un deuxième message.
A : Zyad
J'ai vraiment envie de te voir.
Le cœur battant, il range prestement son téléphone avant de se diriger à grands pas vers le bord de mer. Bordel, qu'il se sent faible et stupide à stresser bêtement comme ça !
Parvenu au bout de la jetée, il prend le temps d'apprécier la caresse des embruns sur sa peau et emplit ses poumons de l'odeur de sel qui flotte dans l'air. Autour de lui, quelques familles profitent des derniers rayons de soleil et des gamins gambadent gaiement sur les rochers. Lentement, ses yeux balaient l'horizon puis les toits de la vieille ville qui délimitent le centre historique. A cause des tensions et des conflits dans lesquels il évolue, il a tendance à oublier à quel point il fait bon vivre ici. Si la menace de nouvelles émeutes ne planait pas constamment au-dessus des habitants, peut-être que ces derniers pourraient cohabiter en paix.
Absorbé dans sa contemplation du soleil couchant, il manque de ne pas sentir son portable vibrer contre sa cuisse. Aussitôt, son cœur loupe un battement et il s'oblige à inspirer longuement avant de sortir son téléphone.
De : Zyad
Jsrai la
Et bordel, il n'aurait jamais cru que deux mots aussi mal orthographiés le rendraient aussi heureux.
***
Le samedi 9 octobre, à 22 heures très précises, Zyad se tient devant la porte de l'appartement sans se résigner à l'ouvrir. Les basses retentissent à travers les murs, faisant vibrer le parquet sous ses pieds. Sa gorge sèche l'empêche de déglutir, son cœur bat anormalement vite, une sueur froide glisse le long de son dos. Il sait qu'il lui suffirait de pousser la porte pour entrer, se faufiler à travers la foule pour rejoindre Jiahao et lui souhaiter enfin un bon anniversaire ; personne ne ferait attention à lui, il a vu des dizaines et des dizaines de personnes entrer avant lui, il pourrait facilement passer inaperçu. A moins que ce ne soit tout le contraire ?
Avec angoisse, il avise le jean usé qu'il a passé pour l'occasion, ses baskets neuves mais passées de mode, son sweat trop grand dont il n'a jamais réussi à faire partir la tâche sur sa manche gauche. Une nouvelle boule se forme dans sa gorge quand il songe cette fois à ses cheveux qu'il a eu un mal fou à plaquer en arrière mais qui retombent désormais en désordre sur ses tempes, à sa barbe trop drue qui lui grignote la moitié du visage, à son aspect à la fois débraillé et menaçant. Comment ces gens-là vont-ils l'accueillir ? A-t-il seulement envie de se mêler à eux ?
Tapi dans l'obscurité, il a vu quel type de personnes seraient présentes à la soirée, il a vu les t-shirt fluo, les vestes pailletées, les visages maquillés à outrance. Il a entendu les éclats de voix stridents, les rires impudiques, les attitudes indécentes. Il n'a absolument rien en commun avec ces gens.
Une petite voix lui chuchote à l'oreille que si, ces inconnus et lui ont un point commun : Jiahao. S'ils sont là, c'est que Jiahao désire leur présence ou alors qu'elle ne le dérange pas. S'ils sont là, c'est que Jiahao sera heureux de les voir, c'est qu'ils font partie d'un pan de sa vie.
Les mains moites, Zyad se décide enfin d'un geste rageur à ouvrir la porte et pénètre dans l'appartement maudit. Aussitôt, il est frappé par une vague de chaleur dans laquelle flottent des relents d'alcool, de gâteau et de cannabis. Le couloir est plongé dans la pénombre, seulement éclairé par un néon accroché au mur, et il salue cette obscurité bienvenue. Des hommes et des femmes passent devant lui sans lui prêter attention pour aller aux toilettes, chercher quelque chose dans la cuisine ou récupérer des affaires dans la salle de bain.
Il a désormais si chaud que ses cheveux sont collés à son front et que son t-shirt semble avoir fusionné avec son dos. Il se sent affreusement mal à l'aise. La musique est trop forte, il ne connaît aucune parole, des corps se trémoussent avec entrain dans le salon, l'appartement est richement décoré, il flotte dans la pièce un air de débauche et de condescendance.
Il manque définitivement de sortir en courant lorsqu'un homme déboule devant lui en sortant de la cuisine et glisse sur lui un regard stupéfait qui se transforme rapidement en mépris le plus profond. Ses yeux bruns le toisent avec hostilité, ses lèvres s'incurvent en un rictus dédaigneux, puis il fait volte-face en ricanant doucement, ignorant que Zyad est à deux doigts de le plaquer contre un mur pour lui refaire la figure.
Prenant garde à toujours rester tapi dans la pénombre, il longe le couloir jusqu'à l'entrée du salon afin d'avoir une meilleure vue sur ce qu'il se passe à l'intérieur. Il ne lui faut que trois secondes pour repérer Jiahao, débout près de la fenêtre ouverte sur le balcon, riant aux éclats, un verre d'alcool à la main. Son cœur rate un battement en apercevant son amant si beau, si époustouflant dans son pantalon évasé parfaitement ajusté à sa taille, sa chemise blanc cassé dont il a négligemment retroussé les manches, ses mocassins vernis qui donnent l'impression que c'est déjà un grand de ce monde.
Cette fois, sa poitrine se serre douloureusement et il recule avec affolement pour être sûr que personne ne le voit. La honte le submerge. Avec horreur, il prend cruellement conscience de l'écart qui existe entre lui et tous ceux qui se trouvent dans la pièce. Comment pourrait-il, en toute connaissance de cause, s'avancer sereinement vers Jiahao et lui faire l'affront de se présenter à lui habillé tel qu'il est ? Tout le monde le dévisagerait et chuchoterait sur son passage, peut-être même que son amant serait gêné de le voir ainsi, si représentatif de sa catégorie sociale. Il faudrait être stupide pour ne pas comprendre d'où il vient et deviner ce qu'il fait pour gagner sa vie. Comment Jiahao pourrait-il assumer cela devant tous ces gens qui baignent dans l'opulence ? Il paraît si heureux, si épanoui dans ce monde superficiel, qui est Zyad pour le tirer à nouveau dans la fange ?
La boule dans sa gorge lui donne l'impression d'étouffer lorsqu'il déglutit pour l'avaler. Ses doigts triturent avec nervosité la bague enfoncée dans sa poche et il se sent soudainement pitoyable avec son cadeau ridicule quand il voit les montagnes de présents qui s'entassent dans le salon, tous colorés et luxueux. Compte-t-il vraiment traverser la foule, se camper devant Jiahao et lui tendre un ridicule anneau en métal qui ne vaut pas le dixième du prix des autres bijoux qu'on lui offrira ce soir ? Jamais de la vie !
Il a fait l'effort de venir, mais tout ça, c'est bien trop pour lui. Il se sent sale, ridicule, misérable. Il ne doute pas du fait que Jiahao serait heureux de le voir, sûrement même attend-il sa présence, mais il ne peut se révéler ainsi, pas maintenant, pas ici. Il aurait presque l'impression de l'insulter par sa personne. Et puis son cadeau est si pitoyable comparé à certains ! Comment a-t-il pu croire qu'il ferait la différence ?
Soudain furieux contre lui-même, il fait volte-face après avoir jeté un dernier regard empreint de tristesse à son amant et se précipite hors de la résidence. Dehors, le vent frais apaise la brûlure de la honte, décolle ses cheveux de son front et sèche la sueur qui macule ses vêtements. Il aimerait crier sa rage, sa frustration, son impression d'être un moins-que-rien, il voudrait frapper quelque chose, n'importe quoi, ou peut-être juste se faire frapper pour se remettre les idées en place.
Il ne se rend compte qu'il a traversé la cité que lorsqu'il se retrouve face au bâtiment délabré que Jiahao et lui ont élu comme étant leur squat attitré. D'ici, on ne voit que le haut des tours, la nature a repris ses droits et des buissons épineux ont poussé autour du vieil immeuble. Personne ne vient jamais par ici, la terre est aride et il faut grimper près d'une demi-heure avant d'atteindre les ruines. Il y a mille autres endroits bien plus sympas pour squater ou fumer, pourtant, les deux gamins qu'ils étaient n'ont jamais hésité quant au choix de leur refuge.
Le sang bat à toute allure dans ses tempes. Zyad sent la colère et le désespoir l'aveugler, il se trouve à l'image de ce bâtiment vétuste : faible, laid et coincé dans le passé. Jiahao au contraire lui paraît resplendissant, porteur d'espoir et résolument tourné vers l'avenir. Est-il en train de s'accrocher à lui comme un parasite prêt à le ronger de l'intérieur ?
De rage, il sort la bague de sa poche et la balance le plus loin possible dans les fourrés. Qu'elle aille au diable, elle et tous ces souvenirs qui le torturent ! Jiahao et lui n'ont plus rien en commun, il est temps qu'il imprime ça une bonne fois pour toutes.
NDA : Le drama continue... Est-ce que vous comprenez la réaction de Zyad ?
Et surtout, est-ce que Jiahao et lui vont finir par retrouver un terrain d'entente ?
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