Chapitre 8 | Sans soleil

J'ai toujours aimé regarder le paysage défiler à travers la vitre de la voiture, surtout à cette heure-ci de la journée. Comme si derrière elle, un monde se dessinait devant mes yeux, défilant à toute vitesse pour me donner l'impression d'assister à la diffusion d'un film. La tête appuyée contre, mon regard dérive entre le bitume et les rares arbres qui bordent l'autoroute sans réellement se fixer en un endroit donné.

Petite, je n'avais pas le droit de regarder par la fenêtre.

C'était pour éviter de grandir trop vite.

Pour ne pas être confrontée au monde qui t'entourait.

Et quel beau résultat, n'est-ce pas ?

— Tout va bien, Madelinette ? me demande ma mère d'une voix douce, me coupant dans mes réflexions comme on appuierait sur la touche « pause » d'un lecteur CD.

— Bien sûr, affirmé-je en souriant. Pourquoi ça n'irait pas ?

— Je n'aime pas quand tu as tes moments d'absence, ça me fait peur. J'ai l'impression que tu n'es plus avec moi.

— Je vais bien, assuré-je en posant ma main sur son bras pour la convaincre.

Elle hoche la tête, avant de se concentrer sur la route, sans pour autant lâcher le morceau. Quand quelque chose lui met la puce à l'oreille, elle n'abandonne que très rarement. Surtout nous concernant.

— Tu devrais ralentir un peu, décrète-t-elle tout à coup. Je te trouve fatiguée en ce moment, ce n'est pas une bonne chose.

— Maman, arrête. Je gère très bien, tout va bien, répété-je, visiblement incomprise.

— Tu n'as pas eu une minute à toi cet été, entre les compétitions, les entraînements et tout le reste, je pense que tu devrais faire une pause ou alléger ton emploi du temps, continue-t-elle comme si mes arguments et moi n'existions pas.

— Tu ne vas pas recommencer quand même ?

Elle hausse les épaules, avant de me sourire. Peu importe les bêtises qu'on peut lui faire vivre Maddy et moi, elle garde sa bonne humeur et son calme à toutes épreuves. Aussi loin que je me souvienne, je ne l'avais encore jamais vue s'énerver réellement, seulement hausser le ton de temps à autre.

— Ne fais pas cette tête, Madelinette, continue-t-elle. Je veux simplement avoir mon petit rayon de soleil plus souvent à la maison !

J'opine du chef, en lui rendant son sourire. De toute façon, c'est toujours comme ça lorsqu'on faisait le trajet en sens inverse, une fois le rendez-vous achevé. Ce sentiment de mise en danger, ce besoin urgent de me surprotéger passera au bout de quelques jours, comme à l'accoutumée.

— Je n'en sais rien je te dis ! entend-on subitement hurler. Il m'en a parlé sans raison, j'étais à deux doigts de faire une crise d'angoisse ! Putain je suis certaine que c'est encore elle qui a parlé, je vais finir par la tuer de mes mains ! Ce n'est pas possible d'être aussi conne !

— Maddy, s'il te plaît calme-toi bon sang ! Et arrête de crier comme une folle, je ne comprends rien ! tempère mon père à l'autre bout du couloir.

— C'est pas moi la folle ici, et tu le sais très bien !

J'échange un regard avec ma mère, qui me répond par une grimace. Visiblement incapable de comprendre la source du problème du jour, elle s'apprête simplement à subir les horreurs et les cris de ma sœur.

Pour insulter les autres pas besoin de négations, pensé-je.

— Qu'est-ce qu'il se passe encore, marmonne ma mère en retirant son manteau.

Je la suis jusqu'au salon, où Maddy tourne tel un fauve en cage. Les poings serrés, se mordant parfois le bout de l'ongle, elle rumine si fort que tout le monde est capable d'entendre ses pensées de là où il se trouve.

Et sa colère pointe droit dans ma direction.

Prête à subir une nouvelle attaque Madeleine ?

Tu sais que les disputes en début de soirées sont toujours les plus violentes ?

Plus que jamais...

— Toi, hurle-t-elle en contournant la table pour s'avancer vers ma position. Qu'est-ce que tu es encore allée raconter à tout le monde, hein ?!

— Maddy, qu'est-ce qu'il se passe ma puce ? intervient ma mère en se plaçant entre elle et moi.

— Laisse-moi tranquille putain, je t'ai rien demandé ! C'est à elle que je parle ! continue-t-elle en me pointant à plusieurs reprises de l'index.

J'avale nerveusement ma salive, me décomposant littéralement devant une telle colère. Sa haine m'atteint de plein fouet, comme toujours. Ses émotions se retrouvant décuplées au fond de mon cœur, elles me coupent le souffle comme si elle entourait déjà ma gorge de ses mains.

Bouge au lieu de faire de la poésie ! me hurle ma conscience.

Arrêtez de crier, arrêtez...

Sans plus attendre, elle contourne notre mère pour me plaquer au mur, les épaules collées en un instant contre le crépi blanchi. Ça fait tellement longtemps que nous n'avons pas été aussi proches physiquement, que je me surprends à redécouvrir la couleur de ses yeux. Ma respiration se fait la malle, emportant sûrement mon cœur avec elle, jusqu'à ce que ma jumelle ne plaque violemment son avant-bras contre ma gorge.

Décidément !

— Pourquoi tu en as parlé Madeleine, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête, hein ?! T'es devenue encore plus folle qu'il y a dix ans ou quoi ?!

J'encaisse en silence, devenue muette sous le coup de l'émotion. Je ne sais pas ce qui me trouble le plus à cet instant. Mon prénom entre ses lèvres, elle ne l'a donc pas oublié ? La fureur qui nage dans ses yeux verts et qui pourrait stopper les battements de mon cœur en un arrêt cardiaque symbolique ? Sa manière de parler, semblable à la mienne, sans aucune de ses manières habituelles ?

Quand nous sommes énervées, nous sommes indissociables. L'obscurité s'invite dans nos pupilles, nos joues se colorent et masquent notre peau tachetée. Nos mots s'emmêlent, on retrouve notre langage populaire. Elle perd ses négations, je retrouve mes métaphores. Je n'ai plus à faire semblant, pensé-je en la fixant.

— Tu me fais mal, lâché-je d'une voix rauque en osant à peine me faire entendre.

Mais pourquoi tu ne te défends pas idiote ? me crie-t-on dessus intérieurement. Fais quelque chose !

J'en ai assez de tous ces cris, sa présence m'angoisse. Mais elle est là, pour la première fois depuis tellement longtemps. Ai-je vraiment envie de bouger ?

— Ah ouais ? Et tu sais ce que ça me fait à moi, à chaque fois qu'on me reparle de cette histoire ? À chaque fois que tu ouvres la bouche parce que t'es incapable de garder un putain de secret ? C'est comme si on m'arrachait une nouvelle fois le cœur !

Elle ne l'avait pas utilisé depuis...

— Madyson, ça suffit ! rugit notre père en l'arrachant à moi. Laisse-la tranquille !

Non !

— Vous ne comprenez pas, personne ne peut comprendre ce que ça fait ! Imagine si tout le monde l'apprend ?! Putain on fait comment si c'est déjà le cas ? panique-t-elle complètement. C'est elle, c'est sa faute ! clame-t-elle.

Sur ce sujet. Evidemment.

Tout est de ta faute. Ta faute.

Je me masse les tempes, l'esprit subitement enfermé en un étau très serré, juste derrière mon crâne. Un sursaut involontaire m'échappe, sa voix me terrorise et me rend dingue.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ? s'injure Maddy. Qu'est-ce que tu es encore allée raconter comme bêtises ?

— J'ai rien dit, murmuré-je en baissant la tête, je te jure...

— Prends-moi pour une conne en plus ! s'énerve-t-elle de plus belle.

— Personne n'en parle, ni ici, ni maintenant, ni jamais, explique sévèrement ma mère. C'est une promesse que nous avons tous fait, alors je ne veux plus entendre un mot à ce sujet, est-ce que c'est bien clair ? Il ne s'est absolument rien passé Maddy, et personne n'est au courant, sinon il y aurait déjà une bonne dizaine de personnes devant la porte de cette maison. Tout le monde se calme, surtout toi, continue ma mère en la fusillant du regard. Pas de violence sous mon toit, pas de ça entre nous.

Je hoche la tête, comme si elle s'adressait à moi. C'est toujours comme ça, dès qu'une de nous se fait disputer, l'autre prend aussi.

Enfin, ça ne marche visiblement que dans un sens puisqu'elle se fiche de tout.

Surtout de moi.

File dans ta chambre, ordonne-t-elle à Maddy d'un signe de tête.

— Mais bien sûr, répond-elle en saisissant son perfecto sur le bord de la chaise, avant de claquer la porte d'entrée derrière elle.

Ma mère à sa suite, hurlant de nouveau son prénom à plusieurs reprises. Je reste à peine droite, toujours appuyée contre le mur.

Ses cris me font mal.

Son ton me blesse.

Son regard me tue.

Je serre les dents en retrouvant mon souffle, à peine capable de cligner des yeux sans ressentir le poids de ma migraine actuelle.

— Comment ça s'est passé avec le médecin ? m'interroge mon père comme si de rien n'était.

Je le fixe, incrédule. Complètement à côté de la plaque, il choisit toujours les pires moments pour parler des choses les plus graves.

— Comme d'habitude, pas mieux, pas pire, expliqué-je simplement.

Il verra ça avec maman, il n'a pas besoin de mon avis. Il veut simplement se montrer gentil avec moi. C'est toujours comme ça.

Depuis que tu es ici. Avant rien n'était pareil.

Je secoue la tête, incapable de replonger là-dedans maintenant. Je lui indique l'étage d'un signe de tête, et m'écroule sur mon lit quelques secondes plus tard. Vidée par les examens, la route, la dispute et les hurlements de ma sœur résonant encore dans ma boîte crânienne, je laisse ce coup de fatigue m'assommer jusqu'au bout sans lutter une seconde supplémentaire.

— Ce n'est rien, ce n'est qu'une douche putain ! Elle a vraiment un problème cette gamine !

— Ne fais pas l'enfant, bon sang ! hurle-t-on sur ma gauche. J'en ai plus qu'assez de tes bêtises !

Mes yeux se ferment tous seuls, et comme à mon habitude, mes mains couvrent instinctivement mes oreilles. Mon cœur dégringole dans ma poitrine à l'entente du jet d'eau contre la paroi vitrée. Ils ne peuvent pas me forcer, pas vrai ? Les cris sont insupportables, leur présence est insurmontable. J'ai l'impression de revenir dix ans en arrière tellement la réalité se mélange aux songes.

C'est impossible, tu n'es plus là-bas.

Je cherche Maddy du regard, la tête enfouie entre mes bras pour éviter de croiser leurs yeux furieux. Ils nous ont séparées. Ils nous ont enfermées.

Il l'a fait crier et tomber, je l'ai entendu faire.

— Pitié, murmuré-je tout bas. J'ai été sage...

— À ton âge, faire de telles manières ! Tu devrais avoir honte !

Mes joues deviennent subitement humides, comme à chaque fois qu'elle hausse trop le ton avec moi. Elle me terrorise un peu plus à chaque fois alors que j'imagine déjà le pire. Le sait-elle au moins ? On m'a dit que ça me ferait du bien, que je pourrai tout oublier entre ces murs. Mais c'est pire, bien pire que lorsque j'étais dehors. Je voulais simplement revoir le soleil encore une fois...

— Elle ne va pas nous faire son cirque tous les jours quand même, c'est invivable ! gronde le monstre, c'est ainsi qu'on l'appelle quand il a le dos tourné. Je n'ai jamais vu ça, ne pas être capable de distinguer une punition d'une simple douche, c'est quand même dingue !

Je me tapis dans l'ombre, dans l'angle que forme le lit contre le mur. D'un geste timide, j'appuie mon front et ma main tout contre, en murmurant son prénom une nouvelle fois pour qu'elle vienne me chercher.

— Ça suffit ! Emmène-la en bas, je crois qu'elle a besoin de réfléchir encore un peu aux conséquences de ses actes.

C'est parti, mes mains tremblent et ce n'est que le début. Ma respiration devient bruyante, elle résonne dans la pièce. Elle ricoche contre ma tête. Malgré leurs voix criardes mon regard reste fixé au mur, il ne me reste plus beaucoup de temps avant de sombrer. Sans m'avertir, il me soulève sans peine pour me porter dans ses bras, mes muscles tendus au maximum prêts à minimiser la crise imminente.

Serre les poings quand tu perds le contrôle, blesse tes paumes si besoin, bloque ton souffle jusqu'à t'évanouir pour stopper tes idées folles. Je suis là pour veiller sur les gens comme toi, pour te protéger durant l'inconscience, m'explique-t-il visiblement agacé.

Tout n'est que mirages et folies Madeleine, est-ce que tu le comprends ?

J'abandonne le combat pour lui obéir, et bascule dans l'inconscience la seconde suivante.

Pourtant mes yeux papillonnent à nouveau, ce cauchemar omniprésent ayant un faible impact à présent. Rêver éveillée est devenu une habitude, une hantise qui ne passe plus malgré les efforts inhumains que je fournis au quotidien pour m'en séparer. Je donne le maximum chaque jour pour éviter une nouvelle attaque antérieure qui finira par avoir ma peau autant que mon âme.

Il n'y a qu'une solution pour me sentir vivante, pour comprendre que je ne suis plus assise contre ce lino grisâtre à redouter chaque entrée, chaque visite. La douleur physique doit surmonter les bleus de l'âme infligés par le passé, trouver de l'oxygène dans l'effort et l'essoufflement, sentir chacun de mes muscles se crisper pour mieux revenir dans le monde qui m'entoure aujourd'hui.

Mes courses nocturnes se font de plus en plus présentes, un kilomètre, deux, six... Le compteur tend vers l'infini alors que je retrouve pied dans cette torture quotidienne. À présent avachie contre le banc d'une rue mal éclairée, les yeux remplis de larmes et les mains tremblantes, je reprends ma liste là où je l'avais achevée pour faire disparaître ce sentiment d'angoisse.

« Sois toi-même ». Plus facile à dire qu'à faire quand mon cœur m'abandonne pour aller danser trop rapidement entre mes côtes jusqu'à effectuer des pressions insurmontables contre mes os. Ma respiration semble avoir trouvé un travail plus intéressant que de me maintenir en vie, elle ne m'est d'aucune utilité à cet instant. Clouée sur place, les mains contre les genoux et les pieds ancrés dans le sol pour me stabiliser, j'énumère ce qui m'entoure comme conseillé.

— Pont, banc, arbre, lampadaire, maisons, me murmuré-je à moi-même en me penchant légèrement. Ruisseau, klaxon, rires, musique, continué-je. Bois, jean, froid. Tabac, pelouse. Eau.

Éveiller mes sens pour mieux regagner la surface, nettoyer toutes ces idées néfastes qui m'envahissent, garder les pieds sur Terre, ne pas revenir en arrière.

Jamais.

— En plus de me suivre, tu me jettes un sort ?

Je fronce les sourcils, avant de chercher le son de sa voix du regard. Niché dans mon ombre contre la rambarde ferrée et tachetée de rouille, toujours le même garçon blond me fixe en envoyant sa fumée dans la direction opposée.

Je vais sérieusement commencer à prendre peur.

Je le vois partout.

Et tout le temps.

— Cette rue t'appartient ? demandé-je timidement en replaçant une mèche de mes cheveux.

— La rue non. Mais ce pont est mon compagnon depuis bien longtemps, hechicera.

Je plisse les yeux à nouveau, incapable de le cerner. Je l'ai déjà vu, c'est indéniable. Et tout ça n'a rien à voir avec sa présence répétée des derniers jours, ni notre altercation à l'hôpital. Ses traits me parlent, son visage d'angelet ne m'est pas inconnu, bien que différent selon les quelques images enfermées dans ma mémoire. Ce même genre d'impressions de déjà-vu qui nous prend parfois aux tripes quelques minutes avant un événement important.

Voilà d'où vient l'odeur de tabac.

— Qu'est-ce qui te prend de t'assoir quelques mètres derrière une fille en pleine nuit sans qu'elle le sache ? continué-je. Tu pourrais provoquer la panique chez plus d'une...

Pourquoi tu lui parles d'abord ? Une personne sensée serait partie sans un mot mais toi, tu lui adresses la parole en lui montrant que tu crèves d'envie de partager sa compagnie.

Qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ?

— Courir à cette heure-ci n'est pas forcément la meilleure idée qu'une jeune fille pourrait avoir, renvoie-t-il simplement en secouant sa cigarette.

Il va finir par tomber, assis comme cela si près du bord.

— Pourtant ça me fait du bien. C'est plus efficace que n'importe quel somnifère.

Il fronce les sourcils, visiblement perplexe.

— C'est complètement con comme raisonnement, décrète-t-il en reprenant une bouffée de son poison.

Ses mots sonnent différemment, pourquoi son accent semble m'envoûter un peu plus à chaque son prononcé ?

— Je fais comme je peux, ce n'est pas plus con que de sortir fumer une clope au beau milieu de la nuit sur un pont délabré dans ce genre de coin, répliqué-je en remontant la fermeture de mon sweat, le froid s'invitant entre ma peau et mes vêtements.

— Je viens de finir de bosser, alors si je veux fumer, je fume pequeña. Je le fais depuis une éternité, tu penses sincèrement que parce qu'une danseuse mal réveillée me demande de passer mon chemin, je vais exécuter ?

Un petit sourire s'immisce entre mes lèvres closes, mon interlocuteur perdant de sa crédibilité à cause de sa prononciation erronée. On se fixe pendant quelques instants, détaillant mutuellement les défauts et atouts physiques de l'autre dans un silence agréable. Pour la seule fois de ma vie, un garçon semble plus attiré par mes yeux, et non le regard plongé dans mon décolleté naissant.

Pour la première fois, quelqu'un te regarde longtemps sans t'envoyer bouler !

Silence...

— De toute façon, je ne suis pas le genre de personnes à débarrasser le plancher lorsqu'une fille fait une crise d'angoisse. J'ai beaucoup trop d'empathie pour ça, grogne-t-il en jetant son mégot au sol pour l'écraser.

De l'empathie, de la patience, ou de la curiosité mal placée ? Qu'est-ce qui peut bien le pousser à discuter au beau milieu de la nuit avec une personne dont il ne connaît rien ? Simplement par besoin de l'aider ?

Je n'y crois pas une seconde, et toi ?

— Qu'est-ce qui t'a mis la puce à l'oreille ? demandé-je doucement.

— Heu...

Ses lèvres se crispent subitement. D'un regard un peu perdu, il balaye l'horizon, avant de revenir quelques secondes plus tard vers ma position.

— Je n'aime pas voir les autres comme ça.

Je masque ma surprise à l'aide d'un sourire. Il n'a pas compris ce que je lui ai dit... Bon sang, je ne dois rien relever, au risque de passer pour une idiote.

— Comment tu as su que c'était lié à l'angoisse ? reformulé-je plus simplement.

— Méthode des cinq sens, bien plus efficace que la musique on dirait. Tu aurais pu trouver plus élégants comme mots, la nuit est sublime et le ciel rempli d'étoiles, c'est bien la peine de choisir « banc » comme élément, lance-t-il en laissant un sourire lui échapper.

Il connaît bien le domaine alors. Peu de personnes qui ne sont pas directement confrontées aux crises d'angoisse connaissent l'existence du 5-4-3-2-1.

— C'est encore de la faute de ta sœur ? continue-t-il, visiblement décidé à faire la conversation à 3h du matin.

— Pas vraiment, non. Elle est déjà suffisamment dominante au quotidien pour en plus venir hanter mes rêves, murmuré-je.

— J'avoue ne pas savoir ce que ça fait. Je vis avec deux monstres pour le moment, mais elles n'ont pas encore mené la révolution.

Trois sœurs en tout ? Ça doit être invivable, irrespirable, insupportable ! Je n'ose même pas imaginer le champ de bataille qui doit lui servir de maison avec autant de filles autour de lui... Après un silence démesuré et révélateur, j'enchaîne comme par obligation pour ne pas perdre le fil de la conversation.

— Pourquoi viens-tu ici précisément ? Il y a des endroits bien plus beaux pour fumer une cigarette devant Los Angeles endormie.

Il hausse les épaules, avant d'ajouter d'une voix calme.

— J'aime beaucoup la sensation qu'on peut ressentir en se penchant sur ce pont. Les autres sont trop publics pour être aussi calmes que celui-ci. C'est justement parce que personne ne le connaît qu'il est agréable. Et puis la vue est chouette, je me sens libre.

J'aimerais me sentir libre, moi aussi. Loin de l'emprise de mon histoire, loin de l'emprise de ma sœur, de mes parents, de Valentin, loin de l'emprise des médicaments et du poids de mes actes.

J'ai donc définitivement mis les pieds dans son endroit favori de la ville ?

— Je ne voulais pas t'être redevable, on m'a appris à ne jamais dépendre des autres, poursuit-il. Pas par pitié, ou par peur, simplement parce que comme ça, on est quittes, je ne te dois plus rien pour la dernière fois et...

— Tu ne me devais rien, je n'ai rien fait de particulier, le coupé-je. Maintenant c'est moi qui te suis redevable.

Et je n'aime pas cette idée non plus.

— C'est plus mon problème. C'est à toi de t'en occuper comme une grande maintenant, Madeleine, déclare-t-il avec assurance avant de m'offrir un petit sourire en coin.

Mes joues s'embrasent, il vient de...

— Et c'est définitivement plus sympathique de parler avec toi maintenant que lorsque tu perds ton soleil, ajoute-t-il en marchant à reculons. Je sais pas ce que c'est que ce truc, mais arrête avec la lune.

Hein ?

Je n'ai rien compris !

Je me lève du banc dans l'incompréhension la plus totale, cherchant une solution dans son regard ou dans ses gestes. Déjà au coin de la rue, il s'engage en me laissant plantée là, avec l'ensemble des doutes qu'il a inculqués jusqu'au plus profond de mon esprit. Je cligne des yeux, tortillant inutilement mes doigts entre eux. Faut-il que je réponde ? Que je l'ignore ?

Il ne va pas aimer ça.

Il ne faut pas qu'il le sache.

Sinon, je suis morte.

En deux pas, je me retrouve collée contre la rambarde à fixer l'eau agitée sous le pont. Mon cœur palpite, c'est très haut. Certains pourraient faire de belles conneries, juste ici, c'est une chance que l'endroit soit inconnu du public.

Allez Madeleine, ne réfléchis pas autant, me susurre sa voix.

Tu sais ce qu'on dit dans la famille...

« C'est en bravant l'interdit que l'on se sent vivre », affirmé-je, visiblement décidée à retrouver ma liberté. Pour ainsi dire prête à succomber pour être à ses côtés, entamant une liaison dangereuse pour repousser son emprise et notre obscurité.

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Hey ! Bonsoir à tous ! Comment ça va ?

On se retrouve aujourd'hui pour un nouveau chapitre du point de vue de Madeleine, qui je dois dire est un de mes favoris ! On apprend pas mal de choses, si on sait où chercher...

Comment on me la si bien dit durant la correction de ce segment, "on a de petites réponses qui amènent de nouvelles questions". 

Qu'en avez-vous pensé ? Avez-vous quelques théories sur ce qu'il se passe ?

Ce chapitre met surtout en scène les relations de chacun avec Madeleine, aussi bien avec Hugo qu'avec Maddy, sans oublier sa maman au début. 

Est-ce que ça vous a plu ?

Merci à tous pour votre présence et vos retours, on se retrouve la semaine prochaine à 18h pour un nouveau chapitre ! Des bisous, Lina.

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