Chapitre 36 | Vivre à en mourir
[Avertissement : Ce roman est classé "contenu mature" pour une bonne raison. Ce chapitre fait partie de ceux concernés par ce classement, pour divers sujets abordés et scènes explicitées. Les Reflets du miroir a toujours traité de thèmes difficiles tels que le deuil, les addictions, ou la violence physique et morale. Ils figurent dans ce segment. Mes personnages ne sont en aucun cas des modèles, ils sont en souffrance et ont besoin d'aide. Prenez soin de vous, et faites attention à ce que vous lisez selon votre sensibilité.]
« — Es-tu sérieusement en train de dire que quand tu penses à la musique « Under Pressure » c'est Bowie qui te vient en tête en premier ?
— Évidemment, tu ne vas pas me faire croire que tu songes à Queen avant lui, répliqué-je en ricanant.
Je me redresse sur un coude, haussant les sourcils d'incompréhension face à son silence.
— Non, tu n'es pas sérieux quand même ?
— Et toi, tu n'as pas l'air de saisir ce que tu es en train de dire.
— « Under pressure » n'est rien sans Bowie, m'indigné-je.
— Elle n'est rien sans Queen non plus !
— Je n'ai jamais dit le contraire ! Mais quand même, c'est une question de bon sens.
Il secoue la tête de gauche à droite pour me contredire. Ses mèches noires lui tombent devant les yeux, mais je me fais violence pour ne pas les remettre en place face.
— Tenir de tels propos, c'est un motif de rupture.
— On n'est pas mariés de toute façon, déclaré-je en me laissant tomber dans l'herbe, faussement indifférente.
Je ferme les yeux en calant mes bras derrière ma tête. Le soleil réchauffe ma peau en cette fin de journée, je savoure silencieusement. À mes côtés, quelques touffes s'affaissent sous le poids de Riley, tout sauf discret. Le contour de son visage ombrage le mien, annonçant une imminente attaque.
— Ni maintenant, ni jamais, souffle-t-il tout près.
— Ni mariage, ni bébé, complété-je.
Ses lèvres caressent mes paupières tendrement. Mes doigts plongent entre ses cheveux qu'ils emmêlent sûrement. Petit à petit, ses baisers peuplent mon nez, envahissent mes pommettes, et dessinent l'arête de ma mâchoire, je l'empêche de s'aventurer dans mon cou.
— Ça n'excuse en rien tes goûts musicaux douteux.
— Si j'avais effectivement des goûts douteux, on ne serait pas ensemble, mon ange. C'est ton premier critère, chuchote-t-il à quelques centimètres de ma peau.
Je ris en repensant à cette fameuse conversation. Les cours de socio ne nous passionnaient ni l'un, ni l'autre, alors nous les avons transformés en terrain de découvertes musicales. Pendant ces heures, nous échangions titres et coups de cœur, faisant connaissance à travers l'art qui emporte mon âme depuis toujours. Notre passion partagée est ce qui l'avait rendu définitivement irrésistible. Vérifier qu'il appréciait David Bowie n'était finalement qu'une formalité.
— C'est ma corde sensible, tu le sais bien.
Ses yeux pâles rencontrent les miens, je lui souris. Son corps au-dessus du mien, sa main caresse ma tempe. Je l'attire contre moi, prolongeant cet instant en un câlin bien mérité. Lovés l'un contre l'autre, la joue contre mon épaule qu'il embrasse, Riley murmure :
— Passe la nuit avec moi, je ne veux pas que cette journée se termine.
— D'accord, chuchoté-je en resserrant ma prise dans son dos. »
Le regard qui cherche le mien n'est pas aussi clair que dans mon souvenir. Celui-ci ne semble pas franchement amoureux, mais plutôt déchiré par l'inquiétude. Enfin, il en a seulement l'apparence. Le voile qui brouille ma vue altère mon jugement. J'ai beau battre des cils, il ne disparaît pas. Un frisson dévale ma nuque, je tremble de froid. Il me faut plusieurs longues secondes avant de reconnaître Hugo, penché au-dessus de moi. À en croire les mouvements rapides qu'esquisse sa bouche, il parle.
Mes paupières se ferment à nouveau pour atténuer la luminosité qui m'entoure. Elle semble résonner dans mon crâne et exploser en une centaine de petites étoiles douloureuses. En les ouvrant, je prends conscience du silence qui m'entoure.
Je n'entends plus rien, à part cette vibration aiguë qui semble venir de loin.
J'ai compris. Je lis mon prénom sur ses lèvres, mais je suis incapable de lui répondre, je crois que les miennes ont été celées. Les choses ne sont pas comme d'habitude. Mon cœur palpite et ses battements se répercutent dans mes tempes. Je grimace en prenant conscience que je suis par terre, les jambes relevées. Bordel, pas encore. Réfléchis, Maddy. Rien que le noir. Putain de sifflement.
Je ne sens plus ma peau, mon visage est anesthésié. Des larmes envahissent mon champ de vision. J'approche la main de mon front pour sentir le contact de mes doigts, mais Hugo m'en empêche. Il a l'air d'expliquer calmement son geste en caressant doucement mes doigts. Tout sauf patiente, je me redresse en ignorant les vertiges et les tâches noires qui commencent à m'aveugler. La pression augmente dans ma tête, tellement forte...
— Doucem... tu...
Je n'arrive pas à me concentrer sur la suite, les sons sont étouffés autour de moi. Mes oreilles bourdonnent d'une violence assourdissante. Je parviens à presser mes doigts contre ma tempe pour diminuer l'écho incessant. Mes yeux se posent sur ma paume, couverte de sang.
— Oh, mon dieu.
Ma propre voix est désagréable. Eraillée, son intonation ne me parvient que du côté droit. L'opposé est muré dans le silence, constat qui provoque une panique sournoise au fin fond de mes entrailles. Le monde bascule dans l'obscurité, sans la main d'Hugo sur mon bras, je jurerai m'enfoncer dans un abîme sans fond.
— Ne t'inquiète pas, me rassure-t-il avec un faible sourire, on va aller à l'hôpital. Là-bas ils s'occuperont de toi.
Les larmes m'échappent et roulent sur mes joues. L'angoisse prend toute la place au creux de ma poitrine, ne laissant plus de place à l'oxygène nécessaire à me garder les idées claires. J'ai fait un malaise. Je ne suis qu'une incapable. Ma respiration s'affole. Je suis faible.
— Ne pleure pas, ce n'est rien. Ça arrive à tout le monde. Madeleine est partie chercher les clefs de ta voiture et de quoi te couvrir, on part dès que tu te sens capable de marcher.
Sa bienveillance me poignarde en plein cœur, autant que la honte m'accable. La peur qui le contrôle se lit dans son regard, juste derrière le masque rassurant qu'il enfile avec soin.
— Pas d'hôpital, bredouillé-je. Préviens ma mère, elle... elle a l'habitude.
— Maddy, tu t'es sérieusement ouvert le front, tu ne peux pas rester comme ça. Il te faut des points, dit-il avec fermeté, faisant redoubler mes pleurs.
Sa paume se dépose au creux de mon dos, qu'il frictionne gentiment. Fébrile, la peur me noue la gorge lorsqu'Hugo m'aide à me relever. Je suis tombée. Mes jambes tremblent sous mon propre poids, et si je n'arrivais pas à marcher ? Je ne parviens même pas à éviter ce genre de choses. Je ne contrôle même pas mon corps. Bon sang, quand la terre va-t-elle arrêter de tanguer ? Tout est de ma faute. Je me donne en spectacle.
— Reste tranquille, et laisse-nous faire, poursuit-il en s'agenouillant pour nouer mes lacets. Je te promets que ça va aller. On ne va pas te laisser comme ça.
Agrippée au meuble de l'entrée, il me faut plusieurs secondes pour comprendre que je suis tombée sur la table du salon. Ces angles pointus que notre mère couvrait pendant notre enfance pour éviter les chutes malencontreuses ont finalement su comment m'avoir. J'ai beau essayer de me souvenir, je ne me vois pas tomber ni même basculer. Rien que le noir.
Je vacille en croisant mon reflet dans le miroir. La naissance de mes cheveux est ensanglantée et un filet rougeâtre poursuit sa route le long de ma joue. Du sang. Dès l'instant où mes yeux se posent sur la plaie, une douleur lancinante surgit. Elle résonne dans un coin de ma tête, semblable à de hautes vagues qui redoublent d'effort pour cogner contre ma boîte crânienne. Beaucoup de sang.
Je sursaute lorsque Madeleine dépose une veste sur mes épaules, me laisse faire quand une main attrape la mienne pour me conduire à l'arrière la voiture, ne dis rien en voyant Hugo se placer derrière le volant et ma sœur à côté de moi. Je n'ai même pas pris le temps de manger. Je m'accroche à la portière pour ne pas tomber. Tout est de ma faute, ma faute, ma faute. Une voix m'ordonne de continuer à plaquer un mouchoir contre ma tempe, quand ai-je commencé à le faire ? Je retiens ma respiration pour m'empêcher de repartir.
« — Je ne peux plus rien avaler, tu en as encore fait pour tout un régiment !
— Et toi, tu ne manges rien, nuance-t-il en approchant un gâteau au chocolat de mes lèvres.
Je croque dedans en roulant des yeux. Le coulis de fruits rouges explose contre ma langue, et me pousse à en reprendre une bouchée. Il éclate de rire lorsque je lui mords le bout des doigts, alors je ris aussi.
Le cocon de douceur dans lequel je suis enveloppée me donne le sourire. Il efface le monde qui nous entoure et diffuse une brume agréable et chaleureuse. Mon souffle est apaisé lorsque Riley se rapproche, à l'instant précis où il devrait s'affoler. La main de mon partenaire cajole mon visage, ses caresses deviennent mon point d'ancrage. J'agrippe sa nuque et l'embrasse.
— Qu'est-ce que tu es belle, murmure-t-il en répondant à mon baiser.
Je me laisse tomber contre le lit, à peine surprise par sa douceur. L'édredon forme un nid douillet duquel je ne voudrais plus jamais sortir. Mon premier nid, mon seul refuge. Petit à petit, l'oiseau fait son nid. Mais je ne suis pas l'oiseau de cette histoire. Personne ne m'a jamais permis de construire quoi que ce soit où que ce soit. J'en ris.
Mon corps s'enfonce dans ce nuage moelleux pendant que mon copain m'y rejoint. Je ne suis plus sûre de sentir mes jambes, mais mes doigts, oui. Je les dépose sur le cou de l'homme aux étoiles.
La pièce tourne légèrement autour de moi lorsque nos positions s'inversent. J'aime être libre de mes mouvements et lui donner du plaisir. J'aime contrôler la situation. Assise sur lui, je retire son tee-shirt alors qu'il s'occupe du mien. Ses ongles dessinent des cercles aux creux de mes reins. Lorsque j'étais enfant, je dessinais des lettres sur la peau de ma sœur pour qu'elle les devine. Je l'arrête, les frissons sont désagréables.
— Pas comme ça, articulé-je la voix pâteuse.
— Excuse-moi.
Je replace ses paumes contre mes seins. Il sait que c'est ce que je préfère, il termine toujours par les titiller.
— Je ne veux pas attendre, expliqué-j'en clignant rapidement des yeux pour retrouver un champ de vision plus net.
— Comme tu veux. C'est toi qui mène la danse, souffle-t-il à mon oreille en reproduisant les mêmes motifs contre ma poitrine.
Je soupire bruyamment. À califourchon sur ses cuisses, je me laisse porter, les paupières lourdes. Ma peau se couvre d'agréables frissons au contact de sa langue, je vais partir. La chaleur qui me domine s'intensifie, mes sensations décuplent et je vacille. Riley me tient contre lui, il ne me reste que son contact.
La fièvre se lit dans ses yeux, ses pupilles sont dilatées. Est-ce de mon pouvoir ou celui des cachets que nous avons partagés ? Il gémit quand je franchis le bord de son caleçon, appelée par la pointe durcie contre ma cuisse.
— Tu vas me tuer, mon ange.
Je souris avant d'ancrer mon regard au sien en nous débarrassant de nos derniers vêtements. Il n'est pas facile de rester concentrée sur ses yeux, tant d'autres choses attirent mon attention. La valse que nous partageons m'enivre, je suis emportée par ce moment. Pourtant, ma respiration est mince, l'air dans la pièce est étouffant. Il y a bien longtemps que nous n'utilisons plus de préservatifs, mon manque de lucidité ne m'aurait pas rappelée à l'ordre. J'entends la voix de ma mère hurler dans mon crâne pour m'avertir. Je l'ignore et raffermis ma poigne.
Il entre en moi sans difficulté. Je ne crois pas qu'il y en ait un jour eu la moindre, le désir fait bien les choses. Je roule des hanches, me voilà plaquée contre le matelas. Nos corps se coordonnent, je pourrai mourir pour lui. Recouverte de sueur mais en aucun cas gênée, je l'accompagne. Je ne veux jamais quitter cette extase, jamais remettre les pieds sur cette foutue planète. Je m'accroche à lui en songeant à la redescente, à la douleur qu'elle provoquera lorsque les antalgiques ne feront plus effet. Je lui ordonne d'aller plus vite pour oublier et profiter de l'instant.
Puis, je retombe lourdement, m'enfonçant plus profondément dans l'obscurité. Trop fatiguée pour reproduire ses gestes, mes doigts se posent sur ses lèvres comme ultime tentative. Il connaît ce signal. Petit à petit, ses impulsions ralentissent. Je suis toujours celle qui part en premier. C'est toujours chez moi que l'effet est le plus rapide. Il monte, monte jusqu'à me dominer. Je savoure cette apothéose. Nous avons nos règles, nos envies, il me connaît par cœur. Tout se termine en un ballet de caresses langoureuses pour m'emmener dans cet autre monde. Il embrasse ma main, je me blottis contre lui.
Son corps rempli d'envie se plaque au mien. De petits picotements me parsèment là où nous nous touchons, de faibles étincelles qui ne demandent qu'à réveiller un puissant brasier. Mais je n'ai plus l'énergie de craquer cette allumette, et il le sait. Riley couvre ma nudité d'un drap, m'entoure de ses bras, m'embrasse sur le front. Incapable d'ouvrir les yeux, je reprends une respiration normale en sentant son visage s'enfouir dans mon cou.
— Je t'aime comme un fou, susurre-t-il. »
— Maddy, ça va ?
Je bats des paupières à de multiples reprises, l'esprit embrumé et le cœur lourd de nostalgie. La main d'Hugo frictionne mon dos, son touché devient mon unique point d'ancrage. Derrière lui, ma sœur a le visage pâle. Peut-être que la vue du sang la met mal à l'aise elle aussi. Grimaçant de douleur, je plaque davantage le morceau de papier contre ma plaie pour cacher ce massacre.
— Elle s'est entaillée le front, je crois qu'il faudrait qu'elle voit quelqu'un, explique l'espagnol à l'accueil.
Je m'appuie de tout mon poids contre le comptoir pour soulager mes jambes en coton.
— Aïe, réplique la secrétaire avec une mine dégoûtée. Allez vous asseoir, et veillez à ce qu'elle continue la pression en attendant qu'on vienne la chercher.
Je tiens peut-être à peine debout, mais je ne suis pas complètement stupide. Ma main se referme sur le paquet de compresses qu'elle lui tend. Pourtant, une fois assise, Hugo ne me lâche pas d'une semelle et me force à suivre son conseil. Il tamponne doucement ma plaie pour faire cesser le saignement.
— Tu auras une vraie cicatrice de pirate. Les aventurières, ça fait chavirer les cœurs, me dit-il avec un clin d'œil.
Mais mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter. Le sol n'est plus stable, malgré la chaise en plastique supposée me retenir. Penchée en avant, certaines gouttes rougeâtres m'échappent et s'étalent à mes pieds. Mes pupilles ne les détaillent pas, elles s'attardent sur les fantômes des services sociaux m'annonçant que je ne reverrai plus jamais ma mère dans une salle maculée de blanc qui a la même odeur que cette maudite salle d'attente. Ma respiration se fait la malle, un lourd poids s'abat sur ma poitrine et remplace l'air vital qui refuse de me soulager. Je me mords la lèvre sous la douleur, l'adrénaline quittant petit à petit mes veines. Ma paume lâche mon genou pour se plaquer contre le bras d'Hugo et lui signaler ma détresse. Les tâches noires qui envahissent mon champ de vision sont l'ultime signal d'alarme. Je déteste cette sensation, je la maudis de tout mon être et ne souhaite que son arrêt immédiat.
Perdue dans la brume, je mets quelques minutes à sentir la main de mon ami dans la mienne. Il se redresse brutalement, j'appuie sans réfléchir mon front contre lui, me concentrant sur nos pieds entremêlés. J'ai conscience qu'il parle fort, je suis secouée par ses directives sans en comprendre le sens.
Faites qu'il appelle à l'aide. J'en ai besoin.
Ses doigts se posent dans mes cheveux comme une délivrance. Il me chuchote des mots rassurants malgré ma surdité passagère. Tant d'efforts perdus en route, mes larmes redoublent.
— Tout va bien ? demande une infirmière qui s'agenouille devant moi.
— Bien sûr que non, ça ne va pas ! hurle Madeleine. Elle n'arrête pas de saigner, vous voyez bien qu'elle fait un autre malaise ! Comment voulez-vous que ça aille, vous l'avez bien regardée ?
Je serre la main d'Hugo à plusieurs reprises, tentant au mieux de rester avec eux.
— S'énerver ne sert à rien. Je sais que c'est stressant pour vous, mais...
— Je m'énerve si je veux, ça fait une heure qu'on est ici et elle n'a toujours pas vu le moindre médecin. Qu'est-ce que vous fichez au juste, c'est un hôpital ou un club de vacances ? Elle est en train de se vider de son sang !
— Les plaies du cuir chevelu saignent beaucoup, mais la plupart restent superficielles. Nous vous demandons simplement de patienter pour...
— Comment pouvez-vous savoir si c'est superficiel si vous ne l'examinez pas ?
Il faut toujours crier dans ce monde pour se faire entendre.
— Je... je vais aller chercher quelqu'un, capitule la jeune femme. Êtes-vous de la même famille ?
Je serre les paupières, incapable d'assister à tout cela plus longtemps.
— Ça me paraît évident ! s'indigne ma sœur en nous montrant du doigt.
— Et vous ?
— Non, répond-il.
Je me redresse péniblement, toujours cramponnée à Hugo et articule dans un élan de lucidité :
— Je ne veux pas que Madeleine m'accompagne.
— Tu ne vas pas y aller seule, Maddy, réplique-t-il. Tu ne peux pas...
— Pas Madeleine, répété-je fermement en essuyant mes yeux gorgés de larmes.
Je ne peux pas lui faire ça, elle déteste les hôpitaux autant que moi.
Je ne veux pas l'entraîner là-dedans.
C'est ma faute, elle n'a pas à en pâtir.
— Je ne te laisse pas toute...
— Pas toi, tranché-je avec autant de méchanceté possible pour la faire renoncer.
Un médecin appelle mon nom et m'arrache à Hugo. La chaleur réconfortante dans laquelle j'étais plongée se dissipe en un instant.
— Sois courageuse, chuchote ce dernier en embrassant ma main.
— Je vous la ramène comme neuve !
Est-ce supposé être drôle ?
Les bras du jeune homme se resserrent autour de ma sœur qui lui rend son étreinte. Mon cœur se serre dans une énième douleur, plus profonde cette fois.
J'aurais aimé que ce soit moi.
Lorsque les portes battantes se referment derrière moi, le peu de courage qu'il me restait s'envole. Les souvenirs à l'affût, aiguisés comme de longs couteaux, s'apprêtent à plonger dans mon dos. Ça ne peut que mal se passer ici. Cet endroit est de mauvaise augure, il respire le désespoir et la mort. Ma peau semble se changer en pierre, comme une inutile carapace qui m'entoure. Ça va mal finir. Mes mains se mettent à trembler à l'entrée du box qu'on me désigne. Je vais avoir mal. Je m'assois comme demandé, et réponds machinalement aux questions posées. Non, je n'ai pas la moindre idée de ce qui provoque mes malaises. Oui, c'est le second de la semaine. Mensonge.
Je respire par à-coups pour refouler mon angoisse. Je voudrais disparaître. Loin, tellement loin de cette table d'auscultation. Très loin de ses mains qui me palpent sans consentement le visage, les côtes, le ventre. Je souhaiterais avoir la force de repousser ses doigts froids qui s'activent contre les miens, les piquent et les pinces jusqu'à déposer des gouttes de sang sur des languettes de machines bruyantes.
— Elle n'est pas en hypo, je vais lancer un ECG pour écarter le malaise cardiaque.
Même mon cœur n'a plus le droit de battre dans l'intimité. Muette, je détaille du regard ce qui m'entoure et me remémore les noms des instruments bercée par les bips répétitifs.
— Il va falloir des points de suture, déclare finalement un médecin. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. On va te donner quelque chose pour la douleur.
Je ne comprends pas son sourire. Ses paumes doivent me lâcher, aucune d'entre elles ne peut continuer à me toucher.
L'infirmier qui s'occupe de moi n'est pas doux et encore moins patient. Il s'empare de mon bras et palpe déjà le creux de mon coude. Je murmure du bout des lèvres que je fume, pas vraiment certaine de l'importance de cette information. Il lui faut deux essais pour trouver la veine, puis finit par capituler face à mes gémissements. Je déteste les aiguilles et l'insulte sur trois générations pour son manque de professionnalisme.
— Je vais essayer. Détends-toi, ne serre pas le poing, intervient une de ses collègues en saisissant ma main.
« Je me crispe en un instant. Encore plongée dans un état second, mes yeux peinent à s'adapter à l'obscurité. Mon bras ne rencontre que les draps froissés, j'allume d'un geste la lampe de chevet. Un pénible mal de crâne m'accueille, je suis en train de redescendre. Encore dans une sorte d'entre-deux, je parviens à rester suffisamment lucide et à braver les ultimes effets des cachets pour reconnaître Riley, assis au bord du lit.
Je m'approche de lui, passe mon bras autour de son cou pour l'enlacer. Mon initiative est interrompue par une curieuse odeur de désinfectant. Je me redresse précipitamment, et peine à tenir sur mes jambes.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Je saisis son menton pour qu'il me regarde, mais ses mains s'activent à boucler sa ceinture autour de son avant-bras. Son regard est fuyant, le mien est brouillé à présent. Je m'empare de la seringue déjà remplie et l'écarte de son emprise.
— Maddy, s'il-te-plaît, souffle-t-il. Tu dois me faire confiance.
— Tu n'en as pas besoin. On est tous les deux, on...
Idiote.
— Tu avais promis.
L'impatience lui dévore les yeux, il avance rapidement sa main jusqu'à la mienne pour reprendre son bien. Je m'écarte, elle se referme autour de mon poignet. L'expression qui gagne son visage me fait froid dans le dos. Mes lèvres tremblent sous la force de sa poigne.
— Tu me fais mal, murmuré-je.
— Excuse-moi, Maddy. Pardon, je ne voulais pas.
Mais il ne desserre pas pour autant. Je ne le lâche pas des yeux, c'en est presque douloureux. Mon cœur cogne contre ma poitrine pendant que j'encercle sa main de la mienne pour la caresser.
Tu te crois plus forte que la drogue ?
— Il n'y a que ça pour me soulager, tu sais combien j'en ai besoin. Je fais attention, tu me connais, je ne prends aucun risque.
Je tourne et retourne la piqûre dans ma main, incapable d'ignorer la taille de l'aiguille. Les effets de notre précédent treap se sont déjà complètement dissipés chez lui ? Comment se fait-il qu'elle soit à ce point remplie ? Je l'observe.
— Je t'en prie, Maddy, rends-la-moi. S'il-te-plaît.
Les larmes menacent de déborder face à l'intonation de sa voix. Jamais il ne s'en prendrait à moi pour obtenir ce qu'il souhaite, c'est sa douleur qui me ravage. Je suis effrayée à l'idée d'être celle qui l'empêche d'y survivre. La peine le laisse tranquille lorsque l'héroïne parcourt son corps, je ne peux pas couper cette source de bonheur. Il la mérite, il a déjà suffisamment souffert.
— Pourquoi est-ce que je ne te suffirai jamais ?
Mais rien ne franchit mes lèvres. Alors les mains tremblantes, je lui tends l'objet en question. Il s'empresse de la reprendre, relâchant mon poignet. Le soulagement que j'entrevois sur ses traits m'arrache un triste sourire. Il a raison, il a toujours été prudent. Je touche du bout des doigts son bras et trouve ses veines gonflées par le garrot. Le poids qui s'abat sur mes épaules est trop lourd à supporter.
— Merci pour ta confiance, mon ange.
Il embrasse ma tempe avec précipitation et me serre fort contre lui. Je laisse les larmes rouler sur mes joues en enfouissant mon visage dans son tee-shirt.
— Tout va bien, Maddy. Ne t'inquiète pas.
Les sanglots que je retenais m'échappent. Je l'encercle à m'en faire mal lorsque j'entends un soupir satisfait s'échapper de ses lèvres. »
— Reste avec moi, j'ai bientôt terminé, m'indique l'infirmière.
La lumière m'aveugle, je peine à formuler une réponse. Le vertige ne passe pas, mes yeux papillonnent en voyant la perfusion posée sur ma main. Je vais vomir. Riley ne se piquait jamais à ce niveau, c'était bien trop douloureux et visible aux yeux de tous.
Une jeune femme s'assoit à ma gauche et avancent ses doigts gantés jusqu'à mon menton pour orienter mon visage. Elle scrute ma tempe sans pour autant l'approcher. Je ne sens pas son contact contre ma peau, tout semble complètement endormi à son passage. La médecin me sourit, avant d'expliquer d'une voix calme.
— Il faut suturer, ça ira beaucoup mieux après. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer, mais on va faire en sorte que tout se passe bien. As-tu mal autre part ?
Mon genou est gonflé, mais je n'en dis rien. Je refuse qu'elle le manipule dans tous les sens, qui sait ce qu'elle trouvera ? Je secoue la tête, refusant de lui parler de mon oreille gauche qui bourdonne encore, ou de la pièce qui continue de tanguer devant mes yeux.
— Tu pourrais avoir mal ici, poursuit-elle en dessinant du bout du doigt l'arête de ma mâchoire, à cause du coup. Est-ce qu'on t'a donné de quoi te soulager ?
— Vous devez lire mon dossier, déclaré-je pour toute réponse, le cœur au bord des lèvres.
Je n'ai pas le courage de lui parler de mes antécédents, mais reste assez lucide pour éviter de replonger dans une quelconque dépendance. Le soulagement est minime en la voyant adapter les médicaments en fonction, puisqu'aussitôt, elle revient.
— Je vais regarder de plus près.
Obéissante, je me redresse légèrement. Elle frotte une compresse contre la plaie malgré mes grimaces. Je refuse de l'écouter lorsqu'elle décrit en détail ce qu'elle voit.
— Ça fait mal ?
— Un peu.
Atrocement.
Elle me contemple en plissant les yeux, affirmant qu'il ne s'agissait qu'un peu d'eau sur un morceau de papier.
— Est-ce que j'ai le droit d'utiliser la MEOPA sur une patiente de son âge ? demande la jeune femme à sa collègue qui confirme, je ne le sens pas.
Toute chaleur quitte mon visage, je retiens à peine mes larmes. Soudain agressée par la présence de tous ces intrus, je voudrais rentrer chez moi et rester cachée jusqu'à la nuit tombée. Tout est de ma faute, je me suis mise dans cette situation.
— N'aie pas peur, ce n'est rien. Ce n'est pas agréable, mais ça sera terminé avant même que tu ne t'en rendes compte. Ça va t'aider à te détendre.
C'est la troisième fois qu'on me le répète. Quand quelque chose fait à peine mal, on assure que ce n'est pas le cas, alors qu'en est-il quand on prend soin de nous prévenir d'une imminente douleur ? Les contours de la pièce se brouillent dans mon esprit, je me laisse retomber lourdement contre le dossier.
— On y va, dit-elle simplement en avançant un masque jusqu'à mon visage.
« Les rayons du soleil s'infiltrent entre les lames du volet. La chambre est baignée de lumière, il me faut malgré tout quelques secondes avant de me souvenir de cette nuit. Je hais cette redescente, je déteste déjà les jours qui vont suivre. Vaseuse, je peine à apprécier le corps de Riley contre le mien. Ce câlin n'a rien d'agréable, il repose de tout son poids sur moi. Pourtant, le sentir serré contre mon dos entourant ma taille est la position que je préfère.
Je commence à bouger, encore plaquée contre le matelas. Avec douceur, je saisis sa main déposée derrière moi et l'embrasse pour le réveiller. Mes lèvres s'aventurent sur son poignet, son bras et en demandent davantage. Aucune réaction de sa part, il a toujours eu le sommeil lourd. Difficilement, je me retourne et me serre contre lui. Les réveils l'un avec l'autre ont le pouvoir de me faire sourire immédiatement, tout comme les câlins qui les suivent habituellement. Blottie contre lui, je ne trouve pas la chaleur recherchée. Il passe souvent la nuit hors des draps, alors je me colle davantage pour le réchauffer. Mais de nouveau, il s'appuie contre moi, m'écrasant presque.
— Riley, murmuré-je. »
— Allez, un peu de courage. J'ai presque fini l'anesthésie.
Mes yeux papillonnent, aveuglés par la lumière.
« — C'est l'heure, poursuis-je.
J'embrasse son cou puis sa joue à plusieurs reprises. Aucune réaction de sa part. Je m'écarte en fronçant les sourcils. Mes yeux détaillent ses yeux clos, et s'attardent sur la pâleur de sa peau, froide et moite sous mes doigts.
Je palpe son visage pour le tirer du sommeil, sans effet. Je repousse son torse du plat de la main, et il roule sur le dos. Hésitante, je me penche au-dessus de lui. Mon regard s'attarde sur sa poitrine, parfaitement immobile. »
— Prends une grande inspiration.
J'aperçois les contours du fil bleuté qu'elle brandit. Mon cœur s'affole.
« — Riley ?
Alertée, je tapote ses joues à plusieurs reprises en continuant de répéter son nom. Une bouffée de chaleur m'envahit. A présent complètement ancrée dans la réalité, je secoue ses épaules avec violence.
— Non, c'est pas possible. Non...
Je le gifle sans ménagement, et sa tête bascule sur le côté. Mes mains se mettent à trembler. Comme une automate, j'approche mon oreille de ses lèvres. Mais aucun souffle ne me parvient en retour. »
— Ne bouge pas, il ne me reste qu'à serrer. Encore un petit effort, c'est bientôt terminé.
Plus aucune sensation. Est-il possible que ma peau se déchire ? Je me colle contre le masque pour repartir, mais ne parviens pas à respirer librement. La douleur est atroce.
« — Tu ne peux pas, c'est... Tu vas te réveiller, tu vas...
Incapable de poursuivre, je cherche à tâtons son pouls.
— Non, pitié, Riley, je t'en supplie, j'ai besoin...
Je bascule et tombe du lit. Le choc me fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre, expulsant tout l'air de mes poumons. Non, il ne peut pas. C'est impossible.
Mes yeux agrandis par le choc, je cesse de respirer à mon tour. C'est à ce moment-là que j'ai compris. Alors que je ne savais rien de la vie, il fallait de nouveau que je comprenne la mort. »
— Est-ce que tu as faim ? Tu n'as rien mangé de la journée.
Ces six dernières heures aux urgences en sont responsables. La tête lourde, je lève à peine les yeux vers Sarah. Elle est venue me chercher et relayer Hugo et Madeleine qui n'en pouvaient plus d'attendre. Le trajet s'est composé essentiellement de questions posées d'une voix préoccupée par ma mère, et de regards inquiets que j'ai du mal à supporter. J'appuie davantage mon menton contre mon poing pour le soutenir, obligée de faire une pause à mi-chemin entre l'entrée et les escaliers de l'étage.
— Non, articulé-je. Je ne crois pas pouvoir manger.
— Tu as mal ?
Elle s'assoit à mes côtés et oriente mon visage vers elle. Du bout des doigts, elle effleure ma mâchoire légèrement gonflée depuis le choc.
— Ici ?
— Ne t'inquiète pas pour moi, maman.
Ce mot quitte mes lèvres sans prévenir. Je ne trouve même plus l'énergie de réagir. Ses yeux s'embrument, elle écarte avec soin les cheveux qui s'échappent de la tresse réalisée à la hâte par une infirmière pour ne pas gêner les sutures.
— Je passe ma vie à m'inquiéter pour toi, ma puce.
Mon cœur se serre une fois de trop, je ne le supporte plus. Encore dans les vapes, je vacille en me redressant. Bon sang, mais qu'est-ce que tu fous ? Qu'est-ce que tu attends pour te reprendre ? Tu es pitoyable.
Mon père débarque dans la pièce avec précipitation et avance à grands pas vers nous. Instinctivement, mon dos se voûte lorsqu'il s'approche de la plaie pour examiner les dégâts.
— Mon dieu, tu ne t'es pas ratée ! Comment tu te sens ?
Un sanglot me noue la gorge quand je recule. Je me contente de hausser les épaules.
Des milliers de gens ont vécu bien pire, arrête ton cinéma.
Tu n'as rien du tout, cesse de vouloir attirer leur attention.
— Elle a été courageuse, intervient ma mère. Les médecins n'ont pas trouvé l'origine de la perte de connaissance, mais n'ont rien découvert d'alarmant non plus. Cinq points, et une semaine de repos complet prescrite, c'est ce qu'ils nous laissent ! Elle restera groggy dans les prochaines heures, ils n'ont pas eu la main légère avec les médicaments.
— Eh bah, tu ne fais jamais les choses à moitié ! On va te surveiller de près, ça passera vite, conclut-il en embrassant mon front.
Un frisson désagréable dévale ma nuque. Mon quota de contact a largement été dépassé pour la journée, mon corps ne semble plus m'appartenir après tant de passage. Au bord du craquage et à bout de force, je les supplie de m'aider à monter dans ma chambre.
Je leur fais pitié.
Je ne suis même pas capable de tenir sur mes jambes.
Je me déteste, je me déteste, je me déteste.
Tiens-toi droite, putain, ne t'appuie pas autant sur lui.
Il faut que je reste debout, je dois marcher jusqu'à mon lit.
Le cœur au bord des lèvres, je souffle en m'asseyant sur mon lit une fois mes tuteurs partis. Quand la brume va-t-elle se dissiper ? Quand suis-je supposée retrouver des forces ? Pourquoi l'ouïe ne me revient pas complètement ? Je pince mes jambes incapables de me soutenir avec force. Aucune douleur ne survient, tout mon corps est insensible. Je tombe à genoux.
Les battements de mon cœur résonnent dans ma tête, le sang pulse avec force dans mes veines. Et si ce sifflement strident restait pour le reste de ma vie ? Et si je ne pouvais plus retrouver mon refuge musical à cause de lui ? Et si je n'étais plus jamais capable de tenir une journée sans avoir des vertiges malgré les quantités exorbitantes de sucre avalées ? Et si demain, tout recommençait ?
Les mains des soignants sont plaquées contre ma peau, la chaleur de leur contact m'étouffe. Ils me détiennent, me touchent dans tous les sens, marquent ma chair.
La douleur est insupportable, mes doigts cherchent à arracher mes mèches.
Je saisis un oreiller pour y enfouir mon visage avec violence, et hurle à pleins poumons.
« Son cri m'atteint en plein cœur. Je me recroqueville sur moi-même, incapable de rester forte devant elle. La colère a laissé place à la honte dans mon cœur, elle s'applique à masquer la peine qui me dévore chaque jour un peu plus.
Je ne vais pas y arriver. Je ne parviendrai jamais à effacer la froideur de sa peau contre mes lèvres. Ni même la douceur de ses caresses. Je ne peux pas.
— Comment as-tu pu nous faire ça ?! Pourquoi tu n'as rien dit ?!
C'est mérité. Chaque mot prononcé résonne comme une ultime sentence dans mon esprit, aussi douloureux que les lames fraîchement aiguisées qui rencontrent ma peau. Je mérite chacune de ses insultes.
— On te faisait confiance ! Tu aurais pu éviter tout ça, pourquoi tu n'en as jamais parlé ?
— Je ne pouvais pas, il... Riley ne... il... je suis désolée...
— Il est mort ! Il est mort alors que tu aurais pu éviter ça ! Tu étais au courant, Maddy, tu savais tout et tu ne l'en empêchais pas, tu n'as jamais cherché l'aide dont il avait besoin ! Tu as fini par le tuer !
J'éclate en sanglots, incapable d'ajouter quoi que ce soir devant cette mère meurtrie. Ses paroles s'infiltrent dans ma chair et me brûlent jusqu'à gémir de douleur. Contrairement aux cigarettes que j'éteins contre mon corps, je ne suis pas maître de la situation, j'en subis simplement les conséquences.
— Réponds, bon sang, qu'est-ce qui a bien pu te passer par la tête ?! Il a fait une overdose, tu sais ce que ça veut dire ? Tout ça aurait pu être évité, tu n'avais qu'à ouvrir ta bouche et réfléchir deux minutes ! Alors pourquoi tu n'as rien dit ?!
Elle encercle mes épaules et les secoue violemment. Face à mon silence, sa main part toute seule. L'onde de choc se propage dans le reste de mon corps, mes pleurs redoublent lorsque je lève le bras pour protéger mon visage. La joue brûlante, mes yeux s'écarquillent en rencontrant celle que j'ai tant de fois admirée pour sa gentillesse.
— Oh mon dieu, ce n'est pas vrai, sanglote-t-elle. Pardonne-moi, je ne voulais pas... ce n'est pas... Maddy, je ne...
Elle me serre subitement dans ses bras, je m'y cramponne comme à une bouée de sauvetage malgré le danger. La tempête qui nous atteint est insurmontable.
Je ne tomberai plus amoureuse. Plus jamais. »
— Maddy !
— Ne me touche pas, je ne veux pas que tu me touches, dégage !
— Je ne veux pas te faire de mal, je voulais simplement savoir comment tu...
— Je t'ai dit de ne pas me toucher ! crié-je.
— Pas tant que tu ne m'auras pas donné l'autorisation, souffle-t-il avec douceur, je te le promets.
J'enfouis mon visage entre mes genoux et laisse mes larmes rouler sur mes joues. Hugo s'assoit à côté de moi, sans pour autant esquisser le moindre geste dans ma direction.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as mal quelque part ?
— Partout, je n'en peux plus, avoué-je dans un souffle.
Quel cinéma, arrête ça !
— Je vais chercher ta mère, tu ne peux...
— Je suis fatiguée, pleuré-je entre mes mains. Je veux que cette journée se termine, je n'en peux plus.
Tu n'avais qu'à manger correctement. Tu aurais dû savoir que tu n'étais pas capable de tenir debout. Tout est de ta faute.
— Tu as fait le plus dur, dit-il tout bas. Tu vas pouvoir te reposer, et ça ira beaucoup mieux demain.
— Rien n'ira mieux demain, pourquoi tu ne le comprends pas ? Je n'y arrive pas, ça fait des mois que ça dure, j'en ai assez.
— Maddy...
Mon prénom me fait l'effet d'une bombe. Il est désagréable à entendre, teinté d'inquiétude, de compassion et de douleur que je ne peux supporter.
Tu vois ce que ressentent ceux qui t'entourent ?
— Je suis épuisée, je veux que tout s'arrête.
Je relève les yeux vers lui, trop tôt pour éviter son regard profondément touché par mes mots.
— Ne dis pas des choses pareilles, s'écrie-t-il en se rapprochant davantage. Tu vas y arriver. Tu es l'une des personnes les plus fortes que je connaisse et tu vas te battre de toutes tes forces.
Imagine-t-il seulement l'ampleur des combats à mener ?
Les larmes perlent de nouveau au coin de mes yeux gonflés. Mes lèvres tremblent, incapable de répondre quoi que ce soit.
— Tu vas y arriver, poursuit-il. Je sais que tu peux le faire.
— Et si c'était tout simplement inutile ? Je suis à bout, ça va finir par avoir ma peau. J'ai peur de ne jamais pouvoir sortir la tête de l'eau.
— Tiens bon, murmure-t-il tout près. On va t'aider, personne ne te laissera tomber.
La sincérité que je lis en lui m'explose à la figure. Elle me rappelle toutes les personnes qui ont voulu me tendre la main, tous ceux que j'ai éloignés parce que je pensais me protéger du monde et de ses désillusions.
— Je voudrais te prendre dans mes bras, et te serrer très fort. Tu m'as fait tellement peur, Maddy... Est-ce que tu veux bien me laisser faire ?
Après quelques secondes d'hésitation inutiles, je confirme d'un timide geste de la tête. Ses bras m'encerclent jusqu'à m'approcher de son torse. Je laisse mon visage s'appuyer contre lui en veillant à ne pas cogner le pansement quelque part. J'enlace son torse à mon tour, sa prise se resserre autour de moi, le menton sur le sommet de mon crâne.
— Doucement, murmuré-je d'une voix plus légère. J'ai vraiment mal partout.
— Ça va aller. Tout va s'arranger, je t'en fais la promesse.
Sa voix se perd en chemin. Bercée par sa respiration, mes paupières se ferment pour trouver la paix tant convoitée.
« — Est-ce que tu crois que tout ça, c'était écrit ?
Je roule sur le côté pour l'observer, toujours allongée dans l'herbe. Ce rêve peuple mes nuits depuis qu'il est parti. Un dernier au revoir, d'ultimes mots d'adieu mis en scène.
— Tu ne crois plus en ta bonne étoile ?
— Pas quand elle me fait un coup pareil. C'est trop dur, avoué-je.
Son pouce continue de caresser mon visage, je referme ma main contre la sienne.
— Je n'aimerai plus jamais comme je t'ai aimé toi, assuré-je le cœur lourd.
Il sourit.
— Au contraire, je veux que tu aimes de toute ton âme, mon ange. Le monde est trop rude pour se passer d'amour.
Il m'embrasse. Un baiser douloureux et mélancolique qui fait rouler les larmes sur mes joues, qui me pousse à me cramponner très fort à lui pour savourer cette idylle. »
Peu importe qu'elle appartienne aux songes, ou à la réalité.
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Hey, comment allez-vous ?
Bon... Avant toute chose, je tiens à dire que ce chapitre a été d'une extrême complexité à écrire et à corriger. J'ai bien cru ne jamais y arriver. Avant que les "sadique !" ne sortent en commentaires, je voulais simplement rappeler que peu de sujets sont choisis au hasard par un auteur. Ces mots, j'avais besoin de les poser. Je le fais à travers Maddy aujourd'hui.
Et si on revenait dessus à présent ! Je l'avoue, ça fait beaucoup pour un seul chapitre (et quel brique, au secours !), qu'en avez-vous pensé ?
J'ai vraiment mis toute mon âme dans sa rédaction. Ceux qui connaissent mes écrits savent que les segments qui mêlent les flashbacks à la réalité sont ma signature, ma patte. Je ne voyais pas d'autre forme possible pour rendre cet hommage à Riley.
Maintenant, vous savez tout le concernant, et surtout que Maddy était plus qu'impliquée puisqu'elle a été la seule à vivre son décès en direct... Est-ce que ce vous aviez imaginé ?
A travers ces scènes, on comprend aisément toute la dévotion de Maddy et cet amour qu'ils se portaient mutuellement. Je trouve que ça en dit long sur son comportement depuis le début du roman... C'était un couple enfermé dans un cercle vicieux, qui se détruisait autant qu'il se faisait du bien. Maddy en porte encore les stigmates aujourd'hui.
Concernant le moment dans le présent, la pauvre n'a pas été épargnée non plus ! Comment avez-vous trouvé Hugo et Madeleine ? C'est dans ces moments-là qu'on comprend tout ce que Maddy a sur les épaules, elle perd complètement sa carapace à cause de la souffrance.
Pour finir... cette ultime scène avec Hugo. Maddy m'a brisé le cœur, je n'ai pas d'autre mot. Heureusement qu'il était là pour elle...
Avez-vous des idées concernant la suite ?
On reste sur la même ambiance la semaine prochaine... vous imaginez bien que tout ça n'a pas laissé Madeleine indifférente.
Prenez bien le temps de lire la note de début de chapitre, s'il-vous-plaît.
Merci pour vos lectures, vos retours qui me portent chaque jours.
A la semaine prochaine, des bisous, Lina !
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