Chapitre 32 | Instant de faiblesse

— Qu'est-ce que tu voudrais pour ton anniversaire ?

Le linge est en boule dans un panier, je commence à le sortir comme je l'ai fait tant de fois à la maison. Parfois, Luna s'en chargeait les soirs où elle ne travaillait pas, ce qui me permettait de gagner une bonne demi-heure de sommeil.

— Hugo ? m'appelle Camille pour la troisième fois. Arrête avec ces vêtements, qu'est-ce que tu fais ?

— Je range, pourquoi ?

— Mais laisse ça tranquille, je le ferai ce soir. Réponds à ma question plutôt !

— Qu'est-ce que tu m'as demandé ?

Elle étire ses jambes, et les laisse retomber le long du lave-linge. Lucia adore faire comme elle. Généralement, je l'en empêche, trop stressé par une éventuelle chute.

— Je t'ai demandé ce que tu voulais pour ton anniversaire, répète-t-elle dans un sourire.

Je fronce les sourcils, cherchant un instant la date d'aujourd'hui.

— Rien, je réponds spontanément. Je n'ai besoin de rien.

— Tu ne me la fais pas à moi ! T'as plutôt intérêt à trouver, hors question que je ne t'offre rien.

— Sérieux, Cam, on n'est pas obligés de...

— Chut, je ne veux rien savoir. C'est ton anniversaire quand même !

— C'est dans deux semaines, nuancé-je.

Et je ne lui ai jamais accordé une grande importance. Entre les oublis et le manque de moyens, la date de ma naissance était souvent omise. Lorsqu'on a pas de quoi le fêter, il n'y a rien de plus désagréable que de se remémorer son existence.

— Et ça va arriver vite, regarde, on n'a pas vu janvier passer ! Alors mi-février, n'en parlons pas. J'ai besoin de m'organiser pour que ce soit un super moment.

— Je ne veux pas de cadeau, insisté-je. On a qu'à sortir boire un verre en ville, c'est ce qui me ferait plaisir.

Elle roule des yeux, avant de soupirer.

— Ok, tu me réserves la soirée du 15 février. On ira au restaurant.

Je lui offre un sourire timide. Il faudra probablement que je pose un jour de congé pour avoir du temps libre, perspective qui ne m'enchante pas vraiment. Tout ce que je souhaiterais, c'est d'être auprès de ma famille ce jour-là, que tout ce qu'il se passe depuis trois mois disparaisse, que je puisse retourner vivre à l'appartement, et surtout revoir mes sœurs.

Retrouver une vie normale.

— Ça serait parfait.

Elle replace une de ses mèches de cheveux, toute contente de ma réponse. Mes yeux s'attardent sur le bleu qui se dessine le long de sa mâchoire. Discret, presque invisible si elle n'avait pas la peau si claire. Je cache mon inquiétude concernant ce détail devenu quotidien. Ces altercations avec nos camarades semblent devenir de plus en plus importants, pourtant elle se mure dans un silence complet. Ses récents ennuis avec d'autres derniers années avaient conduits à plusieurs bagarres.

Sur ce point, nous étions complémentaires. Il est rare que j'en arrive à user de la force. Fervent des mots et des discussions, je pense que les coups ne résoudront jamais rien, excepté en cas de légitime défense.

— Ça va au lycée ? l'interrogé-je en sortant de sa salle de bain.

— Bah oui, pourquoi ? Pas toi ?

— Si.

Elle me regarde, les yeux rieurs face à cette question. Devant un énième refus de sa part, je me promets de la garder à l'œil pendant les cours.

Ma réflexion est stoppée par la sonnerie de mon téléphone. Je soupire en voyant le nom de l'interlocuteur.

— C'est ma mère. Encore, lâché-je sous le regard interrogateur de mon amie.

Elle appelle tous les jours depuis un mois, mais il est rare que je réponde. Elle cherche à me contacter sans relâche, espérant secrètement que je rejoigne le foyer. Si elle me le demandait, j'accepterais sûrement. Je connais ma capacité à tout lui céder, elle est tellement fragile que je ne pourrai pas supporter de lui infliger une énième souffrance.

Je suis faible face à sa détresse, surtout quand elle m'implore de céder à tout ce que je souhaite depuis des semaines.

— Elle insiste beaucoup ces derniers jours, relève Camille en s'étirant.

— Oui, c'est louche.

L'appel cesse mais est suivi de près par un second. Puis un troisième. Je fronce les sourcils pour comprendre ce qui peut bien lui prendre. A la quatrième tentative, mon cœur s'emballe. Elle n'appelle jamais plusieurs fois, y a-t-il un problème ? Peut-être cherche-t-elle à me prévenir qu'il s'est passé quelque chose de grave avec les filles ?

— Tu devrais décrocher, me souffle Camille. Au pire, tu coupes l'appel si ça dégénère.

Ma colère s'est essoufflée avec le temps, bien que ma conscience me rappelle sans cesse les horreurs criées lors de ma dispute avec Luna. Mais la réalité, c'est que mon chez-moi me manque. Camille est d'une aide cruciale, vitale même, mais mon autonomie commence à me faire défaut. L'absence de mes sœurs me ronge. Et je ne supporte plus de rater tous ces moments importants pour Aria. Peut-être est-elle déjà en train de marcher, sans que je n'aie pu voir ses premiers pas de mes yeux ?

Je secoue la tête, incapable d'un penser. Mon amie dépose sa paume sur mon épaule pour me donner du courage. Lorsqu'elle quitte la pièce, j'accepte l'appel de ma mère.

— Hugo ? lance-t-elle immédiatement.

Je soupire en constatant qu'elle me parle en anglais. Ce n'est plus dans ses habitudes lorsqu'elle s'adresse à moi.

— Qu'est-ce que tu veux ? Il s'est passé quelque chose ?

Un long silence me répond, j'écarte l'appareil pour vérifier que nous sommes encore en ligne.

— Comment vas-tu ? Je n'ai pas entendu ta voix depuis presque deux semaines. Je ne peux plus supporter ça, mon chéri.

Mon cœur se serre. Malgré tout ce qu'elle nous fait voir, malgré sa tendance à replonger dans ses sombres dépendances, elle reste ma mère. Je me force simplement à enfermer mon amour pour elle au quotidien, afin d'avoir les épaules assez solides pour m'occuper d'elle et de ses bêtises.

Pour ne jamais avoir à prendre à cœur ce qu'elle vit.

— Ça va, ne t'inquiète pas. Les filles vont bien ? persisté-je, encore inquiet.

— Tu leur manques beaucoup. Lucia te réclame tous les jours sans exception, et Aria a du mal à tenir en place hors de tes bras. Si tu la voyais, elle a tellement grandi ! Elle marche à quatre pattes maintenant.

La pointe qui apparaît dans ma poitrine me coupe le souffle. Dit-elle la vérité ? N'est-ce pas que de simples paroles qu'elle aurait accentuées pour me pousser à culpabiliser ?

— Tant mieux.

— Quant à Luna, elle est plus épanouie que jamais. Elle peut enfin avoir la vie de n'importe quelle adolescente de son âge, c'est un bonheur de la voir ainsi. Mais tu lui manques, Hugo.

— Pourquoi appelles-tu maintenant ? Quelle est l'urgence ?

— Je voulais te dire que j'étais retournée au centre, que je participe à un groupe de parole, que je vais commencer une thérapie.

J'écarquille les yeux, muet face à son annonce.

— Je suis décidée à faire de mon mieux pour m'en sortir. Tout ce qu'il s'est passé depuis trois mois m'a ouvert les yeux.

Un petit rire m'échappe. Y croit-elle vraiment ? Qu'est-ce qui a changé comparé aux trois tentatives précédentes ?

— C'est Damian qui t'a poussée à le faire ? Je croyais qu'il ne considérait pas les addictions comme un problème sérieux, lâché-je froidement.

Il n'y a jamais cru. Lorsqu'elle lui avait avoué les maux qui la rongeaient, sa seule réponse était de lui demander d'arrêter immédiatement. Comme si c'était aussi simple ! Tout semble inné et logique dans la tête du militaire.

— C'est ton père, Hugo, souffle-t-elle de l'autre côté du combiné.

Il n'a jamais endossé ce rôle. Pas une fois dans mon existence. Mais je ne dis rien, décidé à éviter cette question pour le moment.

— Et non, il n'y est pour rien. C'est ma décision. Je veux que les choses aillent mieux pour vous et surtout pour Aria. Je veux que tout ça cesse.

Je hoche la tête, bercé par ses propres illusions. Ce ne sont que des paroles en l'air, elle n'en pense pas un mot. Tout ce qu'elle souhaite, c'est m'appâter jusqu'à elle, me convaincre de revenir. Je ne peux pas le faire à moins d'avoir une preuve de sa motivation et de son implication.

— Tu me crois ?

— Bien sûr, maman.

Jamais.

— Je voudrais que tu sois là, avec nous. Ces histoires avec ton père ne devraient pas t'empêcher d'être dans la famille. Tu es ici chez toi.

Mes yeux se voilent de larmes. Mon père n'aurait jamais dû nous abandonner pour s'engager, ma mère n'aurait jamais dû plonger et replonger année après année dans ces flots sinueux, nous n'aurions jamais dû mettre les pieds dans un de ces centres miteux d'accueil aux familles en difficulté, tout comme Luna n'aurait jamais dû perdre son sourire et son innocence. Après tout ça, je n'aurais jamais dû travailler comme un fou, jamais dû supplier ma mère d'arrêter de s'empoisonner alors qu'une énième sœur poussait dans son ventre, jamais dû faire des allers-retours pendant cinq mois dans un hôpital que je connais par cœur. Non, nous n'aurions jamais dû être aussi malheureux.

J'aurais préféré mourir. Ou ne jamais naître.

Je n'ai pas quitté la maison uniquement parce que le ton était monté avec Luna, ou pour montrer à mon père que je ne supporte pas sa présence hypocrite. Si je suis parti, c'était parce que je n'en pouvais plus de toute cette pression. C'est une putain d'accumulation qui me bouffe toute l'énergie que je devrais consacrer à mes études, à une carrière qui m'est interdite. C'est insoutenable, impossible à surmonter. Mais le pire dans tout ça, c'est que je crève d'amour pour elles. Pour mes sœurs, pour ma mère. Je ferai tout pour leur bonheur.

Je suis incapable de leur en vouloir. Elles ne méritent pas cette vie non plus.

Je soupire.

— J'ai eu un entretien d'embauche hier. C'est pour ça que je t'ai appelé, je... je voulais que tu le saches. Je fais vraiment des efforts.

Mon cœur s'arrête de battre. Sait-elle encore ce que « travailler » signifie ? Elle qui a passé presque trois mois enfermée dans le noir après la naissance d'Aria ?

— Tu as... quoi ?

— Je suis allée à un entretien d'embauche, répète-t-elle. J'ai vu une annonce dans le centre commercial pour travailler dans la réserve d'un magasin. Je crois que ça s'est bien passé, ils devraient bientôt me donner une réponse.

— Ils ont vu ton dossier ? Ils savent que tu as perdu ta licence pour infraction à...

— Ils savent tout, j'ai été honnête avec eux. Les gens changent, Hugo. Et ils sont prêts à apporter leur aide pour une potentielle réinsertion professionnelle.

Si les gens changent, elle, ne le fera jamais.

L'arnaque est forcément là, quelque part.

— Je l'ai fait pour toi, pour vous. Pour que tu puisses arrêter de travailler certains jours de la semaine. Qu'est-ce que tu en penses ?

S'attend-elle à ce que je la remercie ?

— C'est une bonne chose que tu y sois allée, dis-je simplement.

— Reviens à la maison, s'il-te-plaît.

Sa voix se brise. Le ton employé me serre le cœur, et me fait mal au ventre. Je ne veux pas l'entendre pleurer.

— Maman, je...

— Je parlerai à ton père. Je lui dirai que je veux te revoir, que tes sœurs ont besoin de toi. Je sais bien qu'entre vous deux, ce n'est pas possible, mais laisse-moi essayer. On peut trouver un terrain d'entente, un consensus. Et s'il ne dormait pas à la maison, s'il restait seulement la journée, et le soir pour le repas de temps en temps ? Tu accepterais de revenir ?

Ça serait déjà beaucoup. Avec le lycée, et le restaurant le soir, je ne le croiserai pas souvent. Mes sœurs, par contre, pourraient être le centre de mon attention.

— S'il arrive à la maison qu'une fois que je suis parti, c'est d'accord.

— Oh, tu peux en être certain ! Vous ne vous verrez que le soir, c'est promis ! J'y veillerai personnellement, mon chéri.

Je lève les yeux au ciel, conscient de la bêtise que je viens de faire. De cet instant de faiblesse que je lui ai accordé. Quel idiot.

— Tu veux bien venir manger à la maison ce soir ?

J'accepte, raccroche sous ses « je t'aime » avant de déposer mon portable sur le sol. Une seule certitude me reste en tête : toute cette histoire n'allait être qu'un échec supplémentaire.

Lorsque je frappe à la vitre de la chambre de Camille, elle ne me répond pas. C'est inhabituel de sa part, elle n'oublie jamais ce genre de choses. Une pointe d'angoisse me traverse, soucieux de savoir si elle m'en veut. Depuis une semaine, je vagabonde entre chez moi et chez elle. Ma mère a tenu parole, mon père n'est pratiquement jamais là lorsque j'occupe les lieux. Luna a déserté la maison à son tour, elle dort chez une amie pour éviter le moindre conflit, une idée sûrement soufflée par son géniteur. Aucun cri n'a encore résonné depuis cette trêve, il n'y a que les rires de Lucia qui me restent en mémoire.

Mon amie n'a pas bien pris la chose, inquiète de me voir revenir plus abîmé que la fois précédente. J'ai essayé de faire les choses en douceur, de ne pas trop la brusquer pour ne pas l'angoisser, mais elle insiste pour que je reste, pour que je prenne mon temps. Pourtant j'ai décidé de laisser une nouvelle chance à ma famille, par faiblesse plus que par envie. Je dois simplement prendre mes dernières affaires pour rentrer.

Je toque une nouvelle fois, et la vitre coulisse. Je souffle de soulagement, cependant prêt à affronter mon amie inquiète. Lorsque mes pieds touchent le sol de sa chambre, c'est pourtant un silence total qui m'accueille. J'ai beau la chercher du regard, rien ne vient.

Un reniflement me fait sursauter quelques minutes plus tard. Seul indice de sa présence, je passe la tête par la porte de la salle de bain. De dos, mon amie a la main pressée sur son visage, tenant un gant de toilette contre son œil.

— Cam ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Je fais un pas vers elle, mais elle me stoppe d'un geste.

— Tes affaires sont dans l'armoire. Prends-les, et laisse-moi tranquille.

Son ton est tranchant, il a perdu toute once de joie. Je fronce les sourcils, puis glisse ma main dans son dos avec douceur. Il faudrait être idiot pour ne pas voir que quelque chose cloche. Camille se laisse faire, sans pour autant m'éclairer sur ce qui la met dans cet état.

Après quelques caresses, je la prends dans mes bras, le menton appuyé contre le sommet de son crâne.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle se retourne, et retire sa main pour laisser apparaître une paupière gonflée, virant progressivement au bleu.

— Qui t'a fait ça ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? insisté-je le cœur battant.

Je tourne son visage vers la lumière, examinant le bel œil au beurre noir. Elle grimace en voyant mon expression, avant de bredouiller qu'elle s'est de nouveau battue.

— C'est tout ? Tu ne vas rien dire de plus ?

Mon amie secoue la tête, décidée à rester silencieuse.

— C'est au lycée ? Encore ces imbéciles qui viennent t'embêter ? Camille, dis-moi ce qu'il se passe ou je te jure que je vais aller les voir moi-même !

— Ce n'est pas ce que tu crois, lâche-t-elle en se laissant tomber sur les toilettes.

Elle s'assoit en tailleur, le regard vide.

— Alors explique-moi, parce que je ne comprends pas ce qu'il se passe. Tu es constamment couverte de bleus, et maintenant au visage ? Tu les laisses faire ? Et comment peux-tu constamment te retrouver au milieu de ces brutes ?

— Je n'ai pas envie d'en parler.

Elle se contente de mouiller à nouveau son gant et de tamponner sa blessure avec.

— Je crois que ce n'est plus une question d'envie, continué-je en lui prenant des mains pour tamponner délicatement les contours gonflés moi-même. Ces gens te font du mal, tu ne peux pas les laisser faire sans rien dire.

— Ce n'est pas aussi simple, Hugo, ok ? Tout n'est pas aussi facile que de pointer du doigt les méchantes personnes qui nous entourent. Et dans mon cas, parler ne servirait à rien. Je sais ce que je fais, et je ne veux pas que tu t'en mêles.

— Que je m'en mêle ? Tu rigoles ? Je ne peux pas fermer les yeux, je vois bien qu'il se passe quelque chose ! Si je n'avais pas passé les derniers mois ici, avec toi, tu n'en aurais sûrement pas parlé ! Pourtant c'est grave, Cam, on s'en prend à toi et...

Sa main se verrouille contre mes lèvres pour me faire taire.

— Arrête. Je t'ai dit que je n'avais pas envie d'en parler. Pas maintenant. Et surtout pas ici.

Son regard parle pour elle, j'y lis toute la peur qu'elle n'ose exprimer. Je recule d'un pas pour la contempler, trop abasourdi pour comprendre le sous-entendu.

— Je te promets de t'expliquer. Là, ce n'est ni l'endroit, ni le moment.

Je confirme d'un signe de tête, incapable de trouver les arguments nécessaires pour lui arracher la vérité de la bouche.

— Tu veux que je reste avec toi ce soir ?

— Non, rentre. C'est ta première vraie soirée en famille. Si tu veux vraiment m'aider, ne pose pas de question et retourne chez-toi.

J'accepte, connaissant son mécanisme de défense. Elle a besoin d'être seule, tapis dans l'ombre et que plus personne ne l'embête. Sinon, ça sera pire. A regrets, je respecte cette demande pour ne pas aggraver les choses.

— Essaye au moins de mettre de la glace dessus, pour éviter que ça ne gonfle davantage.

Je dépose un baiser sur sa main, accueilli par un sourire timide. Mon cœur se serre, pourtant, je m'éloigne afin de lui offrir l'espace qu'elle désire tant.

Rien qu'un sourire. Un simple sourire a un pouvoir inimaginable. Le sien, en tout cas, semble avoir le don de me réchauffer le cœur. Il me fait oublier cette réalité trop brutale. Un sourire qui n'éloigne pas les drames, mais qui les rend supportables.

Par sa présence, elle éloigne ma mère et mes sœurs de mon esprit. Par sa présence elle m'empêche de retourner auprès de Camille pour lui soutirer des réponses. Par sa présence, elle m'offre une parenthèse loin de ce monde aux problèmes d'adultes.

Aujourd'hui, ses lèvres sont recouvertes d'une fine pellicule rosée que j'ai du mal à quitter des yeux. Ses joues sont également colorées, accompagné d'un regard brillant d'une lueur nouvelle. Madeleine est le rayon de soleil que tout le monde voudrait avoir dans sa vie. Elle illumine l'espace, contaminant d'allégresse tous ceux qui l'entourent. Elle est née pour être heureuse. Comment est-il possible qu'un cœur renferme autant de joie ?

Pourtant, je sens que quelque chose est différent. Je le vois dans ses yeux, à sa façon de sourire. Elle m'offre un bonheur illusoire, mais ça ne prend pas. Notre lettre a suffi à me le faire comprendre. Sa note était concise, vague, et dépourvue de sa bonne humeur habituelle. De simples mots accolés, vides d'émotion.

Je la laisse me guider, détentrice du secret de notre prochaine activité. Je pensais qu'elle allait danser, mais je ne vois aucun sac pouvant contenir ce dont elle a besoin, alors le mystère reste total. Lorsque nos regards se croisent, elle me sourit, pour de vrai. Pourtant, quand elle détourne le regard cet air jovial s'évapore, rompant avec ses habitudes.

À première vue, on peut penser qu'il est facile de cerner Madeleine. Qu'il est facile de cerner n'importe quelle personne naturellement joyeuse. On peut percevoir une jeune femme constamment aimable et aimante.

Belle erreur d'interprétation.

Cela fait peut-être partie d'elle, mais je reste persuadé qu'elle n'en est pas l'unique caractéristique. Madeleine ne se résume pas à un sourire ou une attitude positive.

— Comment va Maddy ? demandé-je pour rompre le silence qui commence à s'installer entre nous.

— Elle va bien, enfin, je crois. Tu sais, nous ne sommes pas aussi proches que tu le penses.

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir leur rivalité, pour comprendre que leur relation n'a rien d'une fraternité complice. Je suis même certain de ne jamais les avoir vues ensemble depuis que je les connais.

— Tu la côtois au quotidien, vous habitez sous le même toit. C'est pour ça que je pose la question.

— Ce n'est qu'une façade, lâche-t-elle avec un petit rire nerveux. Tu ignores ce qu'il se passe à l'intérieur de cette maison. Maddy m'y fait me sentir comme une étrangère.

Mes lèvres se serrent douloureusement à l'intonation de sa voix. C'est bien la plus grande interrogation que j'ai concernant Maddy. Je n'arrive pas à cerner sa vision des choses. Je ne suis même pas certain qu'elle ait conscience de combien son comportement peut impacter l'état de sa sœur.

— Je n'ai jamais compris tout ça, avoué-je.

— Moi non plus, c'est bien ça le problème.

— J'ai essayé, mais elle est complètement hermétique à ce sujet. Impossible de savoir quoi que ce soit.

— Elle a déjà évoqué mon nom spontanément avec toi ?

Le pire, c'est qu'à l'entendre on croirait sa réplique ironique. Madeleine ne le pense pas le moins du monde, et c'est bouleversant d'en prendre conscience.

— Oui, plusieurs fois même. Ne pense pas qu'elle ne s'intéresse pas à toi, parce que ce n'est pas vrai. Je ne peux pas savoir comment elle se comporte avec toi, mais une chose est sûre c'est que tu es importante pour elle.

— Vous devez vous voir souvent pour qu'elle te confie tout ça, relève-t-elle.

— Assez, oui.

Madeleine baisse les yeux, s'écartant légèrement. Je lui lance un regard interrogateur qu'elle ignore.

— C'est bien que vous soyez amis, achève-t-elle tout bas.

Je hausse les sourcils en l'entendant, et un fin sourire m'échappe en prenant conscience qu'une pointe de jalousie fait vibrer son intonation.

— Ça te dérange que je passe du temps avec elle ?

— Pas du tout. Elle t'apprécie, ça se voit. Je suis contente qu'elle ait quelqu'un à ses côtés.

Sans ajouter quoi que ce soit, elle ouvre la porte du studio de danse, et me laisse passer devant en m'indiquant une salle. J'avais donc raison, et cette perspective occulte un instant Maddy de mes pensées. Trépignant d'impatience à l'idée de la voir passer à l'acte, je souris comme un idiot.

La salle en question est immense. Une scène, quelques projecteurs, une multitude de chaises, et un lourd rideau la façonne. Son regard se perd sur les détails de la pièce, ne partageant apparemment pas ma joie d'être ici.

— Quelque chose ne va pas ? chuchoté-je en avançant ma main jusqu'à la sienne.

Mon petit doigt s'accroche au sien d'un geste attendrissant, et elle me sourit immédiatement, les yeux pourtant brillants de larmes.

— Non, tout va bien. Je suis contente d'être là !

Elle se détache afin d'avancer jusqu'à la scène et de s'assoir au bord. Je l'imite, marquant plus clairement la frontière entre l'artiste qu'elle représente et le simple spectateur en admiration que je vais devenir.

— C'est ici qu'ont lieu nos répétitions générales. J'adore cet endroit, on s'y croirait presque, explique-t-elle.

Même si la salle ne peut pas accueillir beaucoup de public, je veux bien croire que ça puisse être grisant d'être le centre d'une scène aussi grande.

— Ça doit être intimidant quand elle est remplie.

— C'est toujours un peu le cas, même si on prend l'habitude. J'ai toujours le cœur qui bat à mille à l'heure lorsque le spectacle commence, je suis impressionnée par toutes ses têtes tournées vers moi. C'est un shoot d'adrénaline brutal, et soudain qui m'envoie dans un autre monde. Une sensation divine et unique.

— J'aimerais avoir une passion qui me fait ressentir tout ça, avoué-je fasciné.

— Ce n'est pas le cas avec le basket ?

Je hausse les épaules.

— Je n'ai plus le temps pour ça. Avec les années, j'ai perdu l'intérêt que je portais à ce sport. Il me rappelle tout ce que je n'aurai jamais, et toutes les choses que je ne pourrai pas faire.

— Pourquoi ne pas reprendre ? Tu m'as toujours affirmé que tu adorais ça.

— Je crois que certaines passions peuvent s'estomper avec le temps. Elles deviennent moins intenses, parce que l'on grandit. Je n'ai plus l'occasion de pratiquer, alors l'étincelle n'est plus là.

— Si c'était vraiment ta passion, l'étincelle réapparaîtrait à chaque fois que tu entrerais sur le terrain. C'est le cas pour moi, dès que je quitte les coulisses pour monter sur scène. Un feu, ça se ravive. Je ne pense pas qu'on puisse perdre une passion aussi facilement.

— Ce n'est pas une perte, mais une évolution. Ton amour pour une discipline peut grandir avec la pratique, l'apprentissage, et l'énergie que tu lui accordes. Elle s'adapte à tes idéaux, à tes envies, tes émotions, à ta vie tout simplement. Alors il peut très bien se passer l'inverse, une régression en quelque sorte.

— Je ne peux pas me permettre de penser comme ça. C'est tout ce que j'ai, avoue-t-elle avec sincérité.

Je lui réponds par un sourire, incapable d'argumenter davantage. Les goûts, les couleurs, et les passions de chacun sont impossibles à discuter, tout comme leur interprétation est propre à celui concerné. Madeleine ne pourra jamais comprendre mon point de vue, elle est libre de pratiquer tant qu'elle le souhaite. Elle a les moyens, le temps, et l'énergie à disposition pour entretenir sa passion, se perfectionner et aller plus loin encore. Sans aucun reproche ni jalousie, j'admire cette lueur de plaisir dans son regard.

— Je comprends. Mais la situation est différente, je ne peux pas non plus penser qu'une passion est éternelle, inchangée.

— Alors explique-moi, déclare-t-elle en s'asseyant devant moi. Je veux comprendre.

Je cherche mes mots un instant, incapable de lui révéler que l'argent à son mot à dire là-dedans ou que parfois le quotidien prend le dessus.

— Je m'occupe de mes sœurs et de ma mère, ce qui m'empêche d'avoir du temps pour moi. Et avec mon travail, ce n'est pas compatible.

— Tu ne devrais pas passer après tout ça.

Son innocence est mignonne, me faisant simplement prendre conscience que nous ne faisons pas partie du même monde. Comment lui en vouloir ? Elle a été élevée ainsi, sans jamais manquer de rien. Il est difficile de demander à quelqu'un qui ignore tout de ma situation de se mettre à ma place, d'ouvrir assez son esprit pour pouvoir partager ma vision des choses.

— Je n'ai pas le choix, Madeleine. C'est simplement avoir le sens des priorités.

— Ça me rend triste, tu devrais avoir le droit de faire ce que tu veux quand tu en as envie. Comme tout le monde.

Le rêve américain dans lequel elle baigne depuis sa naissance semble se fissurer progressivement, au rythme de ses soupirs. Je ne suis pas le seul dans ce cas, des centaines de familles vivent dans la misère, la nôtre peut déjà s'estimer chanceuse d'avoir un toit et une source de revenu. Habiter à Los Angeles n'est pas forcément synonyme de soleil et de belles plages au sable blanc.

— Tu n'as pas à l'être, je m'y suis habitué. Maintenant, ça ne me fait plus rien de ne plus pratiquer comme avant, je réponds en calant une mèche brune derrière son oreille.

— C'est encore pire... marmonne-t-elle en se laissant faire.

Je lui souris pour attirer une expression plus joyeuse sur ce visage concentré. Elle me l'offre quelques secondes plus tard, dépourvue de sincérité.

— C'est un mal pour un bien, ajouté-je pour la convaincre. Si j'avais continué le basket, je n'aurais jamais essayé le dessin. C'est parce que j'avais moins de temps pour moi que j'ai commencé à esquisser à droite et à gauche dès que je le pouvais entre deux services, ou avant de dormir. Et c'est une passion comme une autre, peut-être même plus forte que pour mon sport de prédilection.

— Tu aimes faire du basket, mais dessiner t'aide davantage ?

— C'est ça. Dessiner m'apporte, alors que mon sport permet de me dépenser, parfois de me défouler. Si j'avais le choix entre les deux activités, je préférerais m'asseoir dans un coin avec un carnet. Maintenant j'ai la possibilité de le faire dans une de ces maisons des associations, et ça me convient. C'est plus reposant, et plaisant pour moi.

— C'est ce que tu entends par évolution d'une passion ?

— Oui. Tu n'as pas tout essayé, tu es jeune. Alors comment peux-tu savoir que la danse est ton unique passion, tant que tu n'as pas tenté tout le reste ?

— C'est en moi, je n'ai aucun doute là-dessus. Rien ne pourra me faire le même effet que danser.

Je ris, vaincu par sa détermination.

— Et comment t'es-tu mise au dessin alors ? En même temps ?

— Avec ma sœur, lorsque nous étions enfants. Ma mère peignait, et on l'imitait. Elle n'avait pas ma patience, ça c'est sûr, alors rapidement j'ai continué toute seule juste pour le plaisir. Et j'ai toujours essayé d'apprendre à Maddy comment faire, mais c'était pas gagné. Imagine-la un peu ! Je n'étais pas franchement douée non plus... C'est après son hospitalisation et nos retrouvailles que j'ai repris. Je n'ai pas parlé pendant des mois, j'avais besoin d'un moyen d'expression pour...

— Comment ça ? Tu n'avais pas le droit à la parole ?

— Pas vraiment, c'est quasiment impossible à expliquer en fait. Je le voulais, mais j'en étais incapable. Je me sentais coupable pour chaque mot prononcé, pour chaque son que je laissais échapper. Alors avec le temps, j'ai juste perdu ma voix, enfin, c'est comme ça que je le voyais. Comme si j'avais peur de ne plus savoir parler à cause des longs silences qui ont précédé. Je t'avais parlé du centre dans lequel ma mère biologique m'avait envoyée...

Sa voix est plus timide, presque honteuse. Son assurance diminue progressivement, mais elle cherche mon regard et attend une confirmation.

— L'organisme religieux ?

— Oui. Ma mère avait... un problème, enfin c'est ce que je préfère pense, je n'ai jamais cherché à comprendre. Je n'ai jamais voulu savoir, c'est quelque chose que je souhaite laisser loin derrière moi. Mais elle voyait certaines choses, entendait ceux qu'elle appelait « ses montres ». Elle s'est mise à imaginer que mes crises d'épilepsie étaient un danger pour tout le monde, que c'était lié au diable ou je ne sais quoi. Et en un claquement de doigts j'étais dans ce centre lugubre aux traitements douteux. Là-bas, j'ai été réduite au silence. Et ça a duré plus d'un an et demi d'après les services sociaux, je serais incapable de dire combien de temps j'y suis restée, je n'avais aucune notion du temps. En sortant de là, je me suis tournée vers le dessin. J'en faisais nuit et jour, parce que c'était tout ce qui était à ma disposition, je ne pouvais pas danser.

— Tu en avais déjà fait avant ?

— De la danse ? Oui ! Mon père adorait m'emmener au studio tous les samedis, c'était vraiment un moment que j'attendais avec impatience. J'en faisais avec ma sœur, c'était un bon moyen de nous rapprocher.

J'imagine rien qu'un instant Maddy avec un tutu et des pointes. Maddy qui bougerait avec grâce. Maddy qui danserait sur de la musique classique. Aujourd'hui, et avec la Maddy que je connais, tout ça me semble impossible et irréalisable.

— Dur à croire, lâché-je en tentant d'étouffer un rire.

— C'est là que tout a commencé avec ce sport. Mais je l'ai repris bien plus tard, et j'ai dû travailler comme une dingue pour rattraper le niveau perdu et les années passées. On ne devient pas un prodige à 13 ans, surtout pas en danse classique.

— Tu t'es vraiment bien rattrapée alors, chuchoté-je avec un sourire.

— Je devais le faire, avoir au moins ça. C'était mon seul point d'ancrage. J'avais besoin d'un objectif, de trouver un sens à mon existence. Sans ça, je ne serai plus là aujourd'hui, c'est ce qui m'a permis de tenir et de rester forte.

— Tu as trouvé ta voie, c'est sûr.

— Faut croire, répond-elle fièrement avec un sourire radieux.

— Et qu'est-ce que tu attends pour me montrer ? Si on est là, ce n'est pas pour rien. Il faut que je te supplie pour que tu te lances ?

— Je me fais simplement désirer, dit-elle en haussant les épaules avant de se lever.

Devant moi, elle enfile ses pointes, puis me tend notre lettre. Mes yeux la parcourent en quête de nouveauté, et finissent par croiser son écriture. Une rencontre pour me prouver qu'elle a raison, ni plus, ni moins.

Je comprends facilement qu'elle veut parler de notre discussion de la dernière fois, dans le magasin d'art plastique. Notre divergence d'avis au sujet de l'utilisation des couleurs dans nos œuvres n'est toujours pas passée.

— Donc, tu penses que c'est en dansant en pantalon que tu vas arriver à me convaincre ? reformulé-je.

— Je te montre simplement que je n'ai pas besoin d'un costume pour bien danser, j'en suis largement capable dans une tenue du quotidien. Et puis, tu voulais me voir pratiquer, arrête de tourner autour du pot en te cachant derrière des excuses idiotes !

Elle me nargue en tirant la langue, adoptant une fine insolence.

— J'ai bien compris qu'il fallait te demander directement. Tu n'aurais jamais proposé de le faire spontanément, me défends-je.

— Je t'ai lancé un nombre incalculable de perches pour qu'on passe du temps ensemble ! Je ne pensais pas que la danse t'intéresserait autant ! réplique-t-elle visiblement de mauvaise foi.

— Il faut dire clairement les choses, c'était trop subtil !

Elle plisse les yeux, un petit sourire malicieux illuminant son visage.

— Bon à savoir.

Madeleine rejoint la scène sans ajouter quoi que ce soit, connectant son portable à une enceinte. Dès que ses premiers pas résonnent, son expression se transforme. La concentration est totale, tout comme l'ensemble de ses tourments s'envolent lorsqu'elle se place au centre. Je m'avance sur le bord de ma chaise, le visage appuyé sur ma main et les yeux rivés sur elle.

C'est la première fois que je vois quelqu'un danser d'aussi près. Bien que nous soyons dans un lieu public, j'ai l'impression qu'aucun instant partagé avec elle n'a été si intime. J'imagine cette entrevue comme une invitation à entrer dans son monde, comme une première résolution du mystère qui l'entoure. L'art est notre humanité, notre personnalité, et notre échappatoire à la fois. Il nous définit, nous représente, nous expose au monde en nous protégeant de nous-mêmes. Il représente ce que nous avons de plus cher, puisque chaque art est unique, il est notre singularité. L'œuvre d'art qu'on propose illustre notre talent, le façonne, et rythme nos passions.

Sans ça, ma vie n'aurait aucun sens. Et lorsque je regarde Madeleine, la nécessité de danser semble inscrit en lettres capitales contre sa peau. Elle ne respire que pour ça.

Dans une symbiose enivrante, elle reproduit corps et âme mis à nu la chorégraphie des premières qualifications. Je reconnais la musique, cette chanson en français que je ne comprends pas mais dont la mélodie me rend dingue. Elle hante mes songes et façonne mes journées, ses notes d'une douceur sans pareil comme gravées au fer rouge dans ma mémoire.

Je ne la quitte pas des yeux une seule seconde, de peur de rater le moindre geste, la moindre émotion ou expression de son visage concentré. Elle vagabonde par-ci par-là avec élégance et légèreté, à tel point que j'en viens à me demander si elle touche réellement la scène du bout des pieds. Son pantalon évasé épouse ses mouvements et la rend encore plus jolie. Peut-être qu'au fond, elle avait raison. Aucun accessoire ne pourra la sublimer davantage.

N'y connaissant rien, j'observe attentivement chaque avancée, chaque balancé, figeant mon regard sur ses chaussons qui bougent beaucoup trop rapidement pour que j'en saisisse tous les mouvements. Son interprétation se termine par quelques sauts, des envolées contrôlées qui me font perdre le souffle. Je retiens ma respiration en la voyant faire d'une facilité déconcertante des enchaînements qui semblent pourtant si complexes, entrouvrant la bouche sous la surprise. Finalement, sa silhouette s'immobilise au milieu du parquet, sans aucun projecteur braqué sur elle alors que mon corps entier semble la célébrer.

Cette bulle insonorisée qu'elle avait établie autour de nous, m'invitant involontairement dans ce monde mélomane si codifié, résiste à l'arrêt de la musique. Elle maintient sa position finale, détournant cependant le regard jusqu'à moi. Je lui réponds de la même manière, scellant mes pupilles aux siennes pour lui témoigner toute l'admiration que j'éprouve pour elle. Aucun mot ne serait capable de décrire correctement cette impression sauvage qui me tord le ventre, ni cette excitation qui me traverse de part en part. À bout de souffle comme si je venais moi-même d'enchaîner un ballet de mouvements artistiques en un temps record, j'ai du mal à redescendre.

Je ne veux jamais quitter cet endroit, c'est trop doux, trop agréable, trop délicat comparé à la rudesse d'une vie qui me maintient à bout de bras.

En un battement de paupières, je lui indique que j'ai compris, que j'adopte son point de vue et le respecte, que je comprends où elle voulait en venir. Les artifices ne sont pas nécessaires quand le talent prend déjà toute la place. Sa prestance me désarme.

Au bout de quelques minutes suspendues dans le temps, ses lèvres laissent échapper un sourire, je frémis. Un sourire de mademoiselle-je-sais-tout qui lui colle à la peau, un rôle de miss-je-te-l'avais-dit qui lui correspond à merveille. Je confirme qu'elle a réussi à me convaincre, incapable d'user à nouveau de la parole. Ma danseuse irradie l'espace de joie, avant de se mettre en mouvement pour me rejoindre. Timidement assise sur le bord de la grande estrade, sa joie est totale. Encore et toujours cette même expression qui a chassé toutes les ombres décelées dans ses yeux verts à mon arrivée.

Si sa victoire est visible jusqu'au bout de ses doigts, je ne vois que ses lèvres rosées qui m'offre la perspective d'un bonheur. Je détourne les yeux, gêné de la fixer ainsi. Cette attirance me consume, je quitte la salle des bons souvenirs plein la tête.

Mieux, des images que je voudrais à tout jamais me souvenir. Voir ce petit rayon de soleil si épanouie pour la première fois réchauffe mon cœur, hors de question de laisser échapper cet instant joyeux.

Sur le chemin du retour, alors que la danseuse est restée pour s'entraîner, je prends la liberté de faire un détour malgré l'heure. Un repos mérité pour projeter ses courbes contre le papier.

Je passe la porte de la maison des associations en saluant d'un mouvement de tête la directrice, avant de me rendre dans un des ateliers où j'ai été accueilli dernièrement. C'était l'idée de Camille que l'odeur de la peinture rendait malade. Un compromis parfait qui m'a rendu la part d'autonomie que j'avais tant recherchée. Bien qu'en place pour les jeunes défavorisés, un mot bien difficile à accepter, j'ai rendu les armes pour me laisser porter.

Comme toujours, la salle que je choisis est vide, en proie à un silence pesant. Pourtant, l'inspiration que cette danse a fait naître en moi perdure, elle pique le bout de mes doigts jusqu'à ce que je sorte une nouvelle feuille cartonnée du placard, jetant presque mes affaires dans un coin pour libérer au plus vite cette pulsion créatrice.

Je déchire la pochette qui protège le support de mon prochain tableau, et commence l'esquisse en un même mouvement. Je ferme les yeux pour me souvenir de chaque détail jusqu'aux méandres de sa silhouette avant d'ouvrir les paupières pour les reproduire trait pour trait.

Une folie ravageuse qui me tient en haleine pendant plusieurs heures, incapable de lâcher mon crayon. Mon unique modèle, celle qui deviendrait une source d'inspiration constante. Un rayon de soleil plus brillant que les autres, le seul qui parviendrait à m'arracher des sourires pendant la tempête.

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Hey ! Comment allez-vous !

Je suis tellement heureuse d'enfin revenir parmi vous ! Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Ce n'est pas le meilleur pour une reprise, puisqu'il reprenait des évènements et discussions passées. j'espère ne pas trop vous avoir perdu avec tout ça !

On retrouve tout d'abord Hugo et sa meilleure amie Camille, chez qui il séjourne depuis plusieurs mois pour éviter de croiser son père... mais plus pour longtemps ! Hugo a cédé à la proposition de sa mère et commence progressivement à rentrer chez lui.

Croyez-vous que cette fois, ça va fonctionner ?

D'un autre côté, il laisse derrière lui son amie qui semble aussi avoir quelques secrets...

Le reste du chapitre se concentre sur Madeleine et Hugo, qui une nouvelle fois se rapproche. Après le nouvel an, ce moment est une avancée supplémentaire pour ces deux-là. 

Avez-vous aimé cette scène ? 

Quel est votre avis sur leur discussion sur leur passion respective ? Etes-vous plutôt comme Hugo à penser qu'une passion peut s'affaiblir ou comme Madeleine à la croire éternelle ?

Enfin, le triangle amoureux semble progressivement s'effacer... 

Pensez-vous que les choses peuvent encore changer ? 

Merci pour votre lecture, on se retrouve mercredi prochain pour la suite avec un chapitre du POV de Maddy ! Bonne fin de journée, des bisous, Lina.

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