Chapitre 30 | Cernée
J'inspire un grand coup, laissant la vague étouffante se calmer et s'éloigner de moi. La redescente est longue, langoureuse, et bouleversante à la fois. Je reprends mon souffle, me laissant retomber contre le matelas. D'ultimes larmes perlent aux coins de mes yeux, dégringolent contre mes tempes, et coulent dans mon cou désagréablement. J'expire, une main sur le ventre.
La panique diminue, mais me guette encore. Elle doit s'apercevoir de ma faiblesse, attendre le meilleur moment pour revenir à l'attaque. J'inspire. Ferme les yeux. Et ignore la douleur.
Le jour est déjà là. Je suis toujours instable, sentant mon corps tanguer vers la droite alors qu'il m'est impossible de tomber, de basculer, de disparaître. J'expire une nouvelle fois.
En me relevant, la terre recommence à tourner. Dans un geste timide, je regarde l'intérieur de mon bras, le souffle rauque. Ce n'est pas aussi moche que ce que je pensais, mes ongles sont moins longs que d'habitude, alors ils font moins de dégâts. Les petites plaies au-dessus de mon coude sont encore rougies, récentes. J'écarte doucement ma peau pour mieux évaluer la situation. Ça reste superficiel.
D'un revers de manche, j'essuie mes paupières et me mets debout. Dans la salle de bain, je frotte un gant de toilette contre ma chair, avec un peu de savon. Peut-être que ça suffira pour rester discrète. On dirait que j'ai traversé un champ de ronces.
Mais je n'ai fait que me battre avec moi-même.
— Maddy ? Tu peux descendre s'il te plaît ?
Sarah m'appelle depuis le rez-de-chaussée, d'une voix calme qui pourtant n'indique rien de bon. Je dépose mes lunettes sur le bout de mon nez pour cacher mes yeux brillants de douleur. Je me cache sous un pull, et descends comme demandé.
— Oui ?
Mon agacement est déjà perceptible, mais ce n'est pas le problème. Ma tutrice est debout à côté de la table à manger, une pile de feuilles à côté de sa main qui bat la mesure nerveusement.
— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je en saisissant un prospectus.
— Ce n'est pas pour ça que je t'ai fait venir. Il faut qu'on parle.
Son ton est sévère, et ce n'est pas habituel. Elle n'est jamais aussi sèche, sauf quand il s'agit de Madeleine et moi. Même quand nous faisions des bêtises, rien ne semblait grave à ses yeux. Pourtant, elle est en colère, je le vois bien. Elle n'est comme ça que lorsque l'une de nous deux est en danger.
Que sait-elle ?
Je relève le papier à hauteur de mes yeux, comme pour disparaître. Je n'ai pas encore envie de me disputer, alors cette chose me servira d'échappatoire. Du moins, jusqu'à ce que je comprenne de quoi il fait la promotion.
— Attends, c'est quoi ça ? Pourquoi tu as des papiers sur l'université ?
— Tom les a pris pour toi, explique-t-elle, mais...
— Je ne veux pas aller dans l'une d'entre elles, argumenté-je en farfouillant dans la pile. Rien n'est défini encore, vous ne pouvez pas décider pour moi.
— Il n'en a jamais été question, Maddy, poursuit-elle. On...
— Je me débrouille toute seule, laissez-moi encore du temps, bon sang.
Il n'y a aucune raison de s'énerver, je sais bien qu'ils pensent bien faire. Mais mes nerfs en pelote prennent le dessus, répondent à ma place. Et encore plus lorsque ce sujet tendu est abordé. Cette fois, mon répondant sera ma porte de sortie, pour ignorer le vrai problème qu'elle s'apprête à me déballer.
— Ce sont des brochures, rien de plus, insiste-t-elle. Tom a pensé à toi en les voyant, il n'avait pas d'arrière-pensées, et...
— Alors quoi, je vais de nouveau être le vilain petit canard de cette famille ? Celle qui ne veut pas faire de grandes études, de prestigieuses écoles, donc vous voulez me forcer la main ? C'est vrai que Madeleine, personne ne l'emmerde avec l'université, elle est tellement brillante que son avenir est tout tracé ! Elle fera ce qu'elle aime, elle, parce que la danse et l'art du spectacle en général sont des milieux respectés et admirés, en plus, elle est faite pour ça, alors pourquoi...
— Ça suffit ! hurle-t-elle brutalement.
Mes yeux s'agrandissent de surprise. Elle n'a jamais haussé le ton avec moi, pas une seule fois malgré tout ce que je lui fais voir. Pourtant, l'autorité n'est pas ce qu'il manque chez elle. Sarah a simplement toujours pris des pincettes avec moi, et ce depuis que je suis enfant, en respectant à la fois mon mutisme et mon intimité.
Alors, qu'est-ce qui peut bien la pousser à ce point dans ses retranchements ?
De quelles conneries est-elle au courant pour prendre cet air si sérieux ?
— Ne dis pas de bêtises simplement pour changer de sujet, reprend-elle plus calmement après une longue inspiration. Tu sais parfaitement que nous respecterons tes choix pour l'université, on te l'a toujours assuré, alors n'essaye pas de me faire croire que tu en doutes. Maintenant, assis-toi.
J'obéis, légèrement tremblante sur ma chaise.
— J'ai contacté Baldwin tout à l'heure pour l'informer de ce qu'il se passait à la maison depuis les fêtes. Et j'ai été très surprise par ce qu'il m'a appris.
Le docteur Baldwin.
Le psychologue Georges Baldwin.
Celui que j'ignore depuis presque quatre mois.
Merde.
Je lève les yeux vers elle, honteuse de m'être fait prendre. Je comprends mieux son état, ce genre de choses arrive au sommet de son échelle des bêtises faisables.
— Depuis combien de temps ça dure ?
— Quatre mois.
Elle prend sa tête entre ses mains, étouffant ce qui ressemble à une plainte. Je me mords la lèvre devant ce spectacle.
— J'en étais sûre, murmure-t-elle, je savais bien que quelque chose clochait.
— Je vais bien, je me sens obligée d'ajouter.
Je vais bien, mais il y a deux heures à peine, j'enfonçais de nouveaux mes ongles dans ma chair.
— Non, tu ne vas pas bien, s'écrie-t-elle en me pointant du doigt. Pas bien du tout ! Sinon, tu ne rentrerais pas un soir la main en sang, et complètement plongée dans un état second. Tu ne t'enfermerais pas dans ta chambre comme tu le fais pour éviter de nous parler. Tu ne ferais pas autant de malaises les uns après les autres, ne passerais pas la nuit à marcher pour trouver le sommeil, ni des heures à ruminer. Ça, ce n'est pas aller bien, Maddy !
Je baisse le menton, subitement gênée par tous ses reproches. Bien qu'une partie infime de la vérité, Sarah sait déjà beaucoup de choses, elle n'est pas aussi aveugle que ce que je pensais. Elle voit certaines choses que je croyais pouvoir garder pour moi.
— Comment as-tu pu cesser d'aller à ces rendez-vous et te faire passer pour moi dans un appel à ton médecin pour qu'un de tes tuteurs approuvent l'arrêt des séances ? Je nage en plein délire !
— Je vais bien, répété-je.
— Ce n'est pas à toi d'en décider, dit-elle fermement. Tu as besoin d'aide, et tu refuses tout simplement de la recevoir. C'est complètement immature, et puéril comme réaction. Tu n'es pas en mesure de savoir si ton état évolue, ou non. C'est le rôle de ton médecin. Tout ce qu'on veut, Tom et moi, c'est que tu te sentes bien, que tu t'en sortes. Et nous avons toujours tout fait pour t'apporter notre soutien, même si tu as l'impression d'être punie, ou je ne sais trop quoi. Tous nos choix à ton sujet ont été faits parce que nous t'aimons, et que nous voulons le meilleur pour toi, on veut que tu ailles mieux, Maddy. Et je pensais au moins que tu l'avais compris. Je ne sais plus quoi faire avec toi...
Son discours résonne comme une blessure qui s'ouvre à nouveau, chaque mot comme un coup de poignard supplémentaire. Cet amour qu'elle prône m'assassine, ne me fait pas du bien. Je ne partage pas sa vision des choses, elle ne peut pas comprendre.
Je ne sais plus quoi faire avec toi.
Je ne sais plus quoi faire de toi.
Tu es un cas désespéré.
Mes yeux s'embrument de larmes. Je voudrais disparaître, me volatiliser et m'envoler loin de son regard aussi sévère qu'inquiet.
— Désolée, lâché-je sans vraiment le penser.
Je suis uniquement désolée de voir que la situation la mette aussi mal. Je ne pensais pas que ça lui ferait autant de peine, que tout ça l'importait tant.
— Aide-moi au moins à comprendre, enchaîne-t-elle en s'asseyant en face de moi. Qu'est-ce qui a pu te passer par la tête ? Tu sais que tu en as besoin, alors pourquoi jouer avec ça ? C'est tellement important, Maddy.
— Je sais.
Et je ne fais pas tout ça volontairement. J'ai mes raisons.
— Je n'arrive pas à comprendre, insiste-t-elle en posant sa main sur la mienne. Tu n'y vas plus depuis octobre ? Mais je t'y accompagnais encore début décembre, je te voyais entrer.
— Je ressortais par la porte de derrière, marmonné-je.
Mentir de sert plus à rien à présent.
Sarah appuie sa main contre son front, bien trop pensive pour ajouter quoi que ce soit. Mais je vois dans son regard ce qu'elle pense, elle n'a pas besoin d'en dire plus. Elle culpabilise.
— Tout est de ma faute, admet-elle. Je n'aurais jamais dû te faire confiance, pas à ce sujet... Je pensais que tu étais plus responsable que ça, alors je me suis concentrée sur ta sœur... Tu te rends compte de tout ce temps perdu ? Il va falloir reprendre depuis le début à présent. Retour à la case départ. Tu ne peux pas jouer avec ta santé ainsi.
Elle ne semble plus en colère, soudainement. Sa voix est douloureuse, emplie de remords. Et mon cœur se sert en la voyant. Sarah est une bonne personne, elle a toujours pris soin de nous, bien plus que n'importe qui. Je n'ai aucun doute là-dessus, elle fait de son mieux. La voir se flageller pour une décision que j'ai prise me touche plus que voulu.
— Je ne joue pas avec ma santé, la rassuré-je. Ça n'a rien à voir.
Mes plaies ont cicatrisé, alors je ne vois pas le problème.
— Parce que tu ne comprends pas combien la santé mentale est importante. Je ne te parle pas que de physique, il y a tout ce qu'on ne peut pas voir en jeu. Et c'est aussi préoccupant qu'une plaie qu'il faut soigner.
Son charabia de médecin ne m'atteint pas, je me contente de baisser la tête en souhaitant plus que tout que cette conversation se termine. Je n'en peux plus.
— Aller voir un médecin n'est pas une punition, c'est pour t'aider. Ça ne nous fait pas plus plaisir qu'à toi, mais c'est pour ton bien.
— Je sais.
— Je veux que tu y retournes, ajoute-t-elle plus fermement en relevant mon menton pour me regarder droit dans les yeux, cette fois. Je t'y conduis la semaine prochaine, et j'attendrai dans la salle d'attente, si c'est ce qu'il faut pour être certaine que tu y sois.
— C'est inutile, Sarah. Ce gars est incompétent ! Rien ne fonctionne, il ne sert strictement à rien.
— Comment peux-tu le savoir, vu le temps que tu y as passé ? Qu'est-ce qui me dis que tu n'as pas menti à ce sujet également ? Y as-tu seulement mis les pieds les mois suivant ton hospitalisation ?
Mes yeux se remplissent de larmes une nouvelle fois, et je ne suis pas sûre de pouvoir les retenir. Cette funeste chronologie me revient en tête, de son épilogue à son prologue, et écrase mon palpitant en un instant. Les séances avec le psy, le centre de désintoxication, l'hospitalisation, et Riley.
Riley.
— J'ai vraiment essayé, soufflé-je dans un gémissement presque inaudible.
— Comment veux-tu que j'en sois persuadée ? C'est ce que je pensais jusque-là ! Je me suis laissée berner parce que tu es ma fille, en essayant de faire la part des choses, de ne pas laisser ma profession prendre le dessus pour ne pas t'étouffer. Jamais je n'aurais accordé autant de confiance à une jeune patiente aux mêmes antécédents que toi, ça aurait été complètement imprudent. Comment j'ai pu laisser passer ça ?
Elle ne s'adresse plus à moi. Ma tutrice réalise simplement l'ampleur des dégâts, aussi douloureux soit ce constat. Ma main se met à trembler contre mon genou, consciente que cette fois, c'est bel et bien terminé. Sa confiance en moi s'est volatilisée, elle ne me laissera plus tranquille. Ce luxe dont je bénéficiais depuis des mois n'est pas prêt de revenir.
— On ne peut pas guérir instantanément, tu en as conscience ? C'est la même chose en psychologie. Tu ne peux pas baisser les bras si rapidement, ça prendra du temps. Tout le temps nécessaire.
— C'est peine perdue.
— Non, on va faire ce qu'il faut, reprend-elle. Tout ce qu'il faut pour que tu ailles mieux.
J'essuie une larme qui m'échappe, et me lève d'un bon. Je ne veux pas de promesses en l'air, j'ai assez espéré. À l'entendre, je serais au bord du gouffre, sur le point de craquer. Mais elle n'y est pas du tout, ça fait des mois que ça dure, la fin est seulement langoureuse et lente à arriver. Je ne fais que survivre.
— Tu dois nous parler, insiste-t-elle en se levant à son tour. On ne peut pas tout deviner, on a besoin de ton aide également. Il faut que tu sois d'accord avec tout ça, que tu l'acceptes.
— Laisse-moi tranquille, craché-je. J'ai besoin d'air.
Je claque la porte fenêtre derrière moi pour me réfugier dans le jardin. Me laissant tomber dans la pelouse, je déverrouille mon portable en un geste, avant d'enfoncer mes écouteurs dans mes oreilles pour m'enfermer dans un mutisme bien connu et surtout, pour qu'on me fiche enfin la paix.
⁂
J'entends du bruit depuis le salon, c'est ce qui me pousse à ouvrir les yeux. Toujours allongée à même le sol, je suis étonnée de constater que personne ne m'ait réveillée, prônant comme argument que j'allai chopper la mort à rester ainsi. Mais rien. Sarah a donc bien compris qu'il ne fallait pas insister.
Ma somnolence n'a pas aidé mon état, au contraire, il m'enfonce davantage dans la brume. Assise, j'arrache des brins d'herbes dans les alentours le temps que le sol se stabilise.
Puis, mon regard dévie vers la baie-vitrée ouverte, où des bribes de conversations d'échappent. Madeleine, Hugo, et ma mère sont dans le salon.
Alors ça y est ? Elle lui a enfin présenté celui qui l'obsède depuis des mois ?
Sarah doit-être contente, depuis le temps qu'elle réclame de le voir. Elle sait qu'il intéresse ma sœur, qui semble d'ailleurs être la dernière au courant de ce détail. Notre tutrice est aussi informée de mes sorties avec l'espagnol, de l'amitié qui nous lie, difficile à cacher.
Est-ce toujours d'actualité ?
À mes yeux, oui. Je sais que je tiens à lui malgré cette nuit-là. Je suis consciente que nos conversations sont plus importantes. Qu'elles prennent de plus en plus de place dans mon cœur. Elles m'apportent simplement cette douce impression d'être comprise, écoutée, et jamais jugée, dont je ne peux plus me passer.
Et je suis sûre que c'est réciproque.
Je hausse un sourcil en voyant sa main se poser dans le dos de Madeleine, qui plus est devant sa mère. Ma jumelle ne s'est apparemment pas vantée de cette évolution. Il parle avec une aisance qui ne lui ressemble pas, que je ne lui connais pas.
Après tout, tu ne le connaîtras jamais comme elle le connaît.
Elle ne mérite pas cette relation.
J'abandonne, et me laisse retomber sur le sol, les jambes en l'air et les mains sur le ventre. Maintenant que j'y suis, autant y rester le temps que cette instabilité passe. De toute façon, je ne pourrai pas aller dans ma chambre sans croiser l'un d'eux sur mon passage.
— Tu n'es pas franchement discret, dis-je après avoir entendu des bruits de pas derrière ma tête.
— Je ne cherchais pas à l'être, répond-il en toute honnêteté. Tu viens faire un tour avec moi ?
Je fais non de la tête, et ferme les yeux pour illustrer mon refus.
— Tu te trompes de cible, l'argentin. Je ne suis toujours pas Madeleine.
Il soupire, et je le devine à présent à croupis près de moi.
— Tu sais, je vais finir par te croire raciste avec ce surnom.
Je ne tique pas, sa conversation n'étant qu'une transition dénuée de sens. Hugo s'assoit à côté de moi, sans rien dire. Pratiquement sûre qu'il prépare un mauvais coup, je suis à peine surprise lorsqu'il chatouille ma joue avec une herbe.
— T'es vraiment lourd, grogné-je en frottant mon visage.
— Allez, viens ! On va marcher un peu, ça fait longtemps.
Je cède à sa demande, consciente qu'il ne me lâchera pas tant que je n'aurais pas accepté.
On passe par l'extérieur, sûrement pour éviter de tomber une seconde fois sur Madeleine. Hugo arrive avec une jumelle, et repart avec l'autre.
Une belle illustration de la situation !
Dans la rue, notre marche est silencieuse. Lui doit trouver ça normal, il est avec moi, non avec ma sœur. Je ne suis pas aussi bavarde, pas aussi ouverte qu'elle.
On se retrouve dans le parc, de nouveau dans la pelouse. J'en viens à me demander pourquoi ai-je été délogée de mon jardin si c'est pour être replantée un peu plus loin. Assise en prenant appui sur mes mains, j'attends.
Hugo s'immobilise à côté de moi, et sort un paquet de cigarettes de sa veste pour me le tendre.
— Sers-toi, je n'ai marqué mon numéro sur aucune d'entre elles.
Je souris, prenant exprès une dans un coin. Sa petite référence à notre première rencontre réchauffe mon cœur, semblable à une petite étincelle bienvenue.
— Moque-toi, c'est ça, rétorqué-je en battant le briquet.
J'allume la sienne, coincée entre ses lèvres.
— Oh bon sang, ça fait du bien, dit-il après la première inspiration, se laissant tomber en arrière contre le sol.
— Tu exagères.
— Je n'ai pas fumé depuis presque trois semaines. C'est mon premier paquet.
Je hausse les sourcils, étonnée.
— Quel menteur ! ajouté-je en lui donnant une tape sur l'épaule.
— Je t'assure !
— Profite-en pour arrêter alors. C'est le moment.
— Non, ça sera jamais le moment, rit-il nerveusement. C'est un antistress redoutable, je ne peux pas m'en dispenser.
Je roule des yeux, mais suis au fond d'accord avec lui. Sans cette nouvelle addiction, j'aurais craqué depuis longtemps. Impossible de passer plus de deux heures sans la moindre trace de nicotine dans mon organisme.
Mon attention se pose sur le visage de mon interlocuteur, toujours en quête de réponses. Pourquoi m'a-t-il dérangée, que veut-il ?
— C'était bien, ton nouvel an ? lancé-je.
T'es maso, ou quoi ? Lancer la seule conversation dont tu ne veux rien entendre ? Tu le fais exprès ?
Je mets les pieds dans le plat pour l'empêcher de tourner autour du pot plus longtemps. Je n'ai aucun doute quant à la vraie raison de sa présence, il veut mettre les choses au clair, c'est ce que deux amis feraient. Mais sa timidité ne le lui permet pas. Je refuse de lui infliger cette attente, tout comme j'ai besoin de passer à autre chose également.
— C'était incroyable, le meilleur de toute ma vie.
Mon cœur se serre, je détourne les yeux.
On récolte ce que l'on sème, idiote.
L'entendre le dire est bien plus douloureux que prévu. Madeleine le met en joie, c'est une évidence.
Mais pourquoi a-t-il fallu qu'il choisisse ma sœur pour le rendre heureux, et pas n'importe qu'elle autre femme sur cette planète, pour que je puisse me réjouir pour lui sans en être...
— Et toi, c'était comment ?
— Super, je l'ai fêté avec quelques amis.
Faux, j'étais seule dans ma chambre avec un livre. De toute façon, la lecture est une valeur sûre, et fêter une nouvelle année de torture supplémentaire est d'une débilité absolue.
— Qu'est-ce que vous avez fait, avec Madeleine ? poursuis-je.
Qu'est-ce que tu cherches, bon sang ?
— Un restaurant au bord de la plage, et on a passé la soirée à danser. On a même regardé le lever du jour au bord de l'eau.
Gnangnan comme programme.
Ils ont l'air plus intime que ce que je pensais. Je croyais qu'Hugo était plus proche de moi que de ma jumelle, la soudaine accélération de leur relation me perturbe, me prend de court. Je n'avais rien vu venir. Quel épisode ai-je raté ?
Pourquoi elle et pas une autre ? Pourquoi celle que j'envie autant que je déteste ? Pourquoi choisir la seule pour qui je ne pourrai pas me réjouir ?
— C'était vraiment sympa, on a passé un très bon moment. Je crois que Madeleine était contente aussi, poursuit-il.
Mon cœur me brûle, désagréablement cette fois. Cette sensation qui me tord le ventre, cette douleur sournoise et insipide qui s'infiltre sous ma peau m'empêche d'être lucide. Pour un sujet que j'ai lancé.
Pourquoi une relation joviale, alors que j'en suis...
... complètement jalouse.
— Je... justement, je voulais te dire, enchaîne-t-il.
Je ne veux plus rien entendre, J'ai changé d'avis. Je veux simplement fermer les yeux et tout éteindre.
— À propos de ce qu'il s'est passé entre nous...
— On a dit que nous n'en parlerons plus jamais, le coupé-je.
Putain, Maddy. Tu ne peux pas jouer comme ça avec les gens, à constamment souffler le chaud et le froid. Finis ce que tu as commencé. Arrache le ce foutu pansement, et fais taire la douleur.
— Je sais, mais c'est important pour moi. J'étais proche de Madeleine, avant qu...
— Qu'on ne soit sur le point de coucher ensemble ? lâché-je, acerbe.
Tu es injuste.
Je n'aime pas cette conversation, et je n'ai rien à assumer. Je voudrais simplement qu'on passe à autre chose, qu'on arrête de marcher sur des œufs à ce propos. Parce que j'ai tourné la page, je ne lui en tiens pas rigueur. Il a essayé de me faire comprendre que ce n'était pas sa faute, qu'il ne contrôlait rien. Et je le crois, je comprends. Mais n'oublierai pas pour autant.
Nos conversations deviennent hasardeuses, hésitantes. Il voit Madeleine davantage, passe tout son temps avec elle. Je ne supporterai pas qu'on cesse de se parler à cause de leur espèce de relation naissante, c'est tellement soudain et sorti de nulle part !
Tu ne sais pas dans quoi tu t'engages. Tu cherches quelque chose que tu ne pourras jamais obtenir. Ça va te bousiller, arrête tout de suite.
Je ne veux plus perdre le moins ami, peu importe ce que je dois supporter pour ça.
Mes yeux s'embrument à cette idée, encore rendue vulnérable et plus sensible qu'à l'accoutumé par les derniers évènements. Je ne contrôle rien, mon cœur de pierre est parti en exil.
Tu ne peux pas dire qu'il ne compte pas pour toi, me souffle ma conscience.
C'est un ami, il me comprend. Il est peut-être le seul qu'il me reste, et cette amourette avec Madeleine pourrait tout foutre en l'air. Je refuse qu'elle me vole une nouvelle fois une amitié naissante, je ne le supporterai pas une fois de plus.
Mon isolement a toujours été causée par son attractivité. Nos proches sont attirés par elle et sa bienveillance, sa perfection. Gamine, mes amis finissaient toujours par se lasser de ma présence pour préférer ma sœur, ce qui m'a parfois causé beaucoup de soucis. Ces évènements nous façonnent, alors qu'elle ne devait sûrement pas s'en rendre compte. Mais le constat est là. J'ai été modelée dans la solitude et le rejet d'autrui.
— Je ne l'aurai pas formulé comme ça, marmonne-t-il en se grattant nerveusement la nuque. C'est arrivé sur le moment, parce que...
— Arrête, ne reviens pas là-dessus. On en a déjà suffisamment parlé, tu connais mon avis, je connais le tien. Inutile de ressasser cette histoire.
— Tout ce que je veux dire, c'est que je n'aurais jamais dû réagir comme ça. J'ai paniqué, je ne t'aurais jamais fait de mal en temps normal. Tout m'a submergé d'un coup, je n'étais plus avec toi, je... ce n'était pas voulu, crois-moi.
Evidemment que je te crois.
— Où veux-tu en venir ? murmuré-je.
— Je ne veux pas que tu t'inquiètes si... Enfin avec...
Je hausse un sourcil, va-t-il vraiment me parler d'elle ? Comme pour me demander une quelconque permission ? Se confie-t-il à moi parce qu'il a conscience de notre amitié ?
Dans quel monde vit-il ? Ne remarque-t-il pas cette rivalité fraternelle ? Cette bataille éternelle qu'on se livre à longueur de temps ?
Tu lui as tendu la perche, Maddy.
— Je voudrai que ça reste entre nous, que Madeleine ne soit pas au courant. Je lui en parlerai un jour, mais je crois qu'il faut que ça vienne de moi.
Je lève les yeux vers lui, dans l'attente du coup de poignard qui me fera comprendre que c'est bien trop tard pour agir.
— Quant à Madeleine, jamais je ne lui ferai quoi que ce soit. Je veux que tu le saches, parce qu'avec elle, enfin... tout ça... devient concret.
Ses mots résonnent dans mon crâne, il a donc parfaitement conscience de ce qu'il se passe autour de lui, contrairement à ce que son attitude laisse penser. La bataille est déjà livrée, achevée, passée.
Et je l'ai perdue.
⁂
_____________________
Bonsoir à tous ! J'espère que vous allez bien!
Voici un nouveau chapitre des reflets ! On retrouve notre petite Maddy, bien en forme comme toujours !
La première partie se compose essentiellement d'une discussion mère/fille, et il y en a à dire ! Maddy et ses bêtises, Sarah qui ne sait plus où donner de la tête...
Pensez-vous qu'elle a raison d'user de tels mots avec Maddy ? De la mettre devant le fait accompli pour mieux la faire réagir ?
En tout cas, elle essaye de changer les choses, ou simplement de comprendre sa fille...
Qu'avez-vous pensé de ce moment ?
Par la suite, c'est un échange entre la jeune femme et Hugo, comme ils l'ont tant de fois fait tous les deux. Et pourtant, c'est Madeleine qui est au centre de leur conversation...
Comment toujours, Hugo est un peu déconnecté de la réalité pour parler à Maddy ainsi de sa sœur... Le sujet reste très sensible !
Comment avez-vous trouvé ce passage ?
Merci pour votre lecture, on se retrouve la semaine prochaine pour la suite.
Des bisous, Lina.
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