Chapitre 23 | Danse de trop
[On l'a trouvée. Elle était au studio.]
Je m'arrête en plein milieu de la rue, les yeux fixés sur le message salvateur de Maddy. Je m'empresse de prendre des nouvelles, mais aucune réponse ne suit. Plus tôt dans la soirée, on m'avait contacté pour savoir si Madeleine et moi avions un rendez-vous de prévu aujourd'hui. En aucun cas concerné, j'avais accentué la panique de la famille Williams quant à la disparition de leur aînée. J'ai donc immédiatement participé aux recherches, suivant les indications de Maddy qui semble bien mieux connaître sa sœur que ce qu'elle laisse entendre.
Je n'avais été en contact direct avec aucune d'entre elles depuis la fête. La honte me ronge encore jusqu'aux os, et semble être ma plus fidèle alliée en ce moment. Une honte froide et pesante d'avoir osé poser les yeux sur Maddy et d'avoir cédé à ses appels alors que sa sœur fait battre mon cœur plus fort depuis plusieurs semaines. Une honte furieuse et méritée à cause de mes agissements pendant la soirée, d'avoir fait de mon amie la victime de mon inconscient.
Cette dernière avait tout fait pour me rassurer, me communiquant chaque jour un signe différent pour me prouver qu'elle n'était ni en colère, ni effrayée. Bien que le sujet n'ait été que rapidement abordé, elle a tout fait pour me convaincre de ne pas avoir peur de sa réaction, qu'elle avait l'esprit assez ouvert pour comprendre que parfois, on ne contrôle pas tout.
Je ne mérite pas autant de bienveillance, pas après ce que je lui ai fait.
J'essayais pourtant de les éviter, l'une comme l'autre. Cette solitude était une peine difficile, mais nécessaire pour tous. Incapable de regarder Madeleine dans les yeux, ou d'être dans la même pièce que Maddy plus de cinq minutes, l'isolement était la meilleure solution. S'écarter pour réfléchir. Prendre de la distance pour ne pas les blesser. Pour ne plus leur infliger le poids de mes hésitations.
Pourtant, Maddy n'avait cessé de m'aider à propos de ces badges colorés. Elle me communiquait ses théories et ses avancées, sans jamais enfreindre mon désir d'éloignement. Pris dans la recherche, je me suis concentré sur cette affaire sordide plutôt que sur ce combat incessant dans mon esprit. C'est pour l'instant le parfait remède pour oublier le bordel qui me tombe dessus jour après jour.
Ce pourquoi je suis le seul et unique responsable.
Cette carte magnétique, c'est tout ce qu'il me reste. Trouvée sur le sol de la chambre où ma sœur a été agressée, il ne fait aucun doute qu'elle appartenait à celui qui lui a fait du mal. À l'effigie de notre lycée, elle servait à un membre du personnel à se déplacer dans les locaux. En grandissant, je tournais et retournais ce seul indice dans ma paume en promettant qu'un jour, je mettrai la main sur ce salopard. Pour y parvenir, je m'étais endetté pour nous inscrire Luna et moi dans cet établissement, garantissant en même temps un avenir brillant à ma sœur grâce à la réputation de l'établissement qui attirera l'œil des universités.
Je n'ai plus que ça, mon seul espoir de vengeance. Et Maddy pourrait être celle qui apportera les pièces manquantes à l'intrigue de nos vies. Son aide et son soutien sont si précieux, jamais je ne pourrai lui rendre la pareille.
Les mains dans les poches, je quitte l'avenue principale pour rejoindre les quartiers résidentiels de la ville. Les petites maisons périphériques, toutes parfaitement identiques au taillage de haies près, n'ont plus aucun secret pour moi. Pour cause, elles avaient été le théâtre de mon enfance, lorsque je quittais en douce le foyer familial pour rejoindre mes amis pour m'amuser un peu.
Surtout une, en particulier.
Passant par la porte de derrière, je pénètre dans le jardin de la famille Devis. Sur la pointe des pieds, je frappe au carreau de sa chambre. La fenêtre s'ouvre comme par magie, telle une invitation à entrer.
Après quelques secondes d'escalade, je me laisse glisser dans la pièce. La jolie rousse m'accueille les mains sur mes hanches, sourcils froncés.
— T'abuses, franchement, chuchote-t-elle d'un air faussement sévère.
Ma meilleure amie me fait signe d'avancer, en plaçant son index contre ses lèvres pour ordonner le silence. Une fois la porte fermée, et un fond musical installé, elle tapote son lit du bout des doigts pour que je l'y rejoigne.
— Il est tard, qu'est-ce que tu aurais fait si je m'étais endormie ? demande-t-elle en penchant la tête sur le côté.
— J'aurais cassé la vitre, quelle question, répliqué-je en haussant les épaules.
— Sauvage, me nargue-t-elle en me tirant la langue. Tu as mangé ?
— Non, je n'ai pas eu le temps.
Elle hoche la tête, et se lève pour aller jusqu'à la cuisine, comme elle l'avait fait la veille et le jour d'avant déjà. Il faut croire que cette curieuse routine est en train de s'installer entre nous, et c'est triste d'en arriver là.
Depuis une semaine, mon père est à la maison. Il profite de mon logis, de mon bonheur, de ma famille. Et contrairement à ce qu'il pense, je respecte ma parole : je ne remettrai pas les pieds dans cet endroit qu'il change en enfer par sa présence. Même si pour ça je dois me disputer avec mes sœurs. Être loin d'elles est un crève-cœur, une longue agonie que j'ai du mal à supporter, mais actuellement la seule solution pour faire passer mon message de protestation.
Naturellement, Camille l'a immédiatement compris, dès le dimanche après la fête chez les Williams. Elle m'a accueilli à bras ouverts, à condition que son père et sa belle-mère n'en sachent rien. Depuis, je respecte sa demande, infiniment reconnaissant.
Il a suffi d'un regard pour qu'elle lise en moi comme dans un livre ouvert. À part elle, seule Madeleine semble être dotée de ce sixième sens. Qu'elle comprenne ce qui se passe dans ma vie en ce moment est la dernière chose que je souhaite, alors notre éloignement me permet cette fois-ci de me protéger. Evidemment qu'elle comprendrait, qu'elle me serrerait sûrement dans ses bras pour me soutenir, et qu'elle me proposerait des solutions pour améliorer ma situation, mais je refuse de profiter de cette gentillesse.
Pas après ce qu'il s'est passé sous son toit.
La culpabilité semble aller de pair avec ma solitude, et me dictent toutes deux ma conduite.
Une semaine est passée, et il faut le dire, de l'eau a coulé sous les ponts. Maddy a insisté pour mettre les choses à plat et nous sommes arrivés à la même conclusion : jamais tout cela n'aurait dû se produire, et ne se produira à nouveau. Je peine encore à accepter ce qui ressemble à un pardon de sa part, malgré les sourires qu'elle m'offre pour me rassurer.
Malgré son absence totale de remords vis-à-vis de sa sœur, les lettres du mot « coupable » sont gravées contre mon front, et la honte continue de me ronger. Une soudaine prise de conscience s'est opérée une fois les désirs charnels évacués, me rappelant sans cesse combien j'ai été con d'agir ainsi et d'avoir succombé au sourire de Maddy.
Je soupire, conscient que les évènements sont en train de réellement se compliquer pour moi. J'ai beau essayer de les repousser, l'une ou l'autre finissent toujours pas revenir, comme un magnétisme fascinant qui me laisse coi. Mes sœurs étaient mes uniques priorités, j'ai toujours rejeté toute présence féminine supplémentaire jusqu'à présent.
Parce que je pensais que mon cœur n'avait plus de place pour personne.
Et voilà qu'en deux temps trois mouvements, deux reflets viennent foutre mon univers sans dessus-dessous. Les émotions en bataille, le cœur en girouette, trancher semblait encore impossible il y a quelques semaines. Un pétrin dans lequel je m'embourbe de jour en jour en les entraînant avec moi dans mon indécision.
— Mange, m'ordonne Camille en me tendant des couverts et une assiette composée d'un sandwich et de bouts de salade.
J'obéis sous son regard menaçant, la remerciant d'un signe de tête. Elle s'assoit en tailleur au bout de son lit, les coudes sur les genoux et le menton dans les mains.
— Alors, parle-moi de ta danseuse, commence-t-elle en lisant dans mes pensées.
— Ce n'est pas ma danseuse, nuancé-je en prenant une première bouchée.
— Je crois que si, t'es juste trop con pour le comprendre.
Je secoue la tête, définitivement réticent à cette idée. Madeleine ne m'appartient pas, il n'en a jamais été question. Ce n'est ni un objet, ni une propriété qu'on peut faire sienne.
— Tu ne la connais pas, c'est juste... compliqué en ce moment.
Madeleine a toujours été le centre de mon attention, celle avec qui je me sens bien. Maddy au contraire m'emporte dans une incertitude nouvelle, dans une série de découvertes qui remettent tous mes repères en question. Son baiser et ce qui a suivi m'ont fait perdre la tête. Un baiser accidentel autour d'une cigarette consumée, une soirée endiablée où je me suis laissé emporter par la maigre confiance en moi qu'elle parvenait à mettre en avant....
Quel était le sens de tout ça ? Un simple jeu de séduction, ou de vraies intentions ?
— Détrompe-toi, je la connais bien cette fille ! On a dansé dans le même cours pendant des années, et on est dans la même classe au lycée. Mais ce n'est pas le sujet, n'essaye pas d'y échapper avec une autre question ! Il y avait bien quelque chose, non ? À l'époque des petits mots.
— On a perdu le fil, je ne sais plus qui doit envoyer quoi à l'autre. Je ne l'ai pas revue depuis plusieurs semaines, et je ne suis pas sûr qu'elle ait envie que tout ça recommence.
— Mais toi, est-ce que tu en as envie ? demande-t-elle en me regardant droit dans des yeux.
— Je... oui. Tout ça me manque.
Et oublier tout ce qu'il s'est passé avec Maddy ? Cacher la vérité et reprendre le cours des choses comme s'il ne c'était jamais rien arrivé d'autre ? Après l'avoir écartée pendant si longtemps ?
Je ferai n'importe quoi pour retrouver notre complicité.
— Alors il faut que tu te bouges ! Ça crève des yeux qu'elle t'attire, tu ne parles que d'elle ! Tu voulais du temps pour réfléchir, mais tes hésitations n'aident ni l'une, ni l'autre, faut assumer maintenant. Franchement, je ne sais pas ce que tu attends...
Maddy est dans l'équation. Et dès que je la regarde, tout se complique.
Cette nuit n'était qu'une erreur, et je la regrette. Nous n'aurions jamais dû aller aussi loin.
— Je ne sais pas non plus, j'ai été... distrait dernièrement.
Probablement ma plus belle erreur à ce jour...
Distrait de tout, c'est le cas de le dire. J'ai l'impression d'avoir été déconnecté de la réalité trop longtemps. D'avoir laissé en plan les jumelles pour ne pas affronter la réalité. De ne pas avoir vu ma meilleure amie depuis une éternité, tant sa peau couverte de bleus m'était sortie de la tête.
Camille se bat constamment, elle reste une fille impulsive. Mais auparavant, lorsque nous étions dans les mêmes classes, je parvenais à gérer son caractère colérique. Depuis la naissance d'Aria, et davantage depuis la rentrée, je n'avais plus ce pouvoir. Incapable de tout surveiller à la fois, mes sœurs monopolisant toujours toute mon attention, mon amitié avec les jumelles n'a rien arrangé. Je suis dépassé par tout, et rien ne semble s'améliorer des deux côtés. Mon comportement complique tout, et chaque pas en avant semble me faire régresser davantage.
— Bah concentre-toi, alors ! Si elle t'intéresse vraiment, faut passer à la vitesse supérieure ! Sinon, tu vas finir tout seul, toi, conclue-t-elle avec un clin d'œil.
Je lui donne un coup de coude, et elle éclate de rire après une grimace. Son tact légendaire me surprend toujours, elle n'a jamais été du genre à patienter ou à prendre son temps. Pendant que je me noie dans le boulot et dans des sentiments qui me mettent la tête à l'envers, Camille, elle, serait déjà en train de foncer pour faire avancer les choses comme elle l'entend.
— Il faut que je me rattrape avec Madeleine... bredouillé-je en me grattant la nuque. Qu'on reprenne contact.
Mettre en mots tout ça, alors que je suis complètement perdu ? On arrive à la limite de ce que je peux supporter.
Et Maddy dans tout ça ? Tu ne peux pas la mettre de côté simplement parce que tu veux renouer avec sa sœur.
Tu ne peux pas faire la même erreur.
Maddy est une amie, et doit le rester.
— Elle va finir par te passer sous le nez !
Je lui envoie un oreiller dans la tête pour la faire taire, et avoir la paix. Elle connaît tout de mes réactions, lit en moi comme dans un livre ouvert, alors il faut arrêter ce massacre avant qu'elle n'aille trop loin, et qu'elle comprenne qu'une âme supplémentaire entre en jeu depuis peu.
⁂
[Lucia voudrait te voir. Elle comprend pas pourquoi tu n'es plus à la maison.]
Assis sur un banc, le portable sur la cuisse, j'attends une inspiration divine pour répondre au message de ma sœur, ouvert depuis plus de vingt-quatre heures.
[Alors explique-lui.]
Elle n'est finalement pas venue, cette fameuse inspiration. Sa réponse est imminente, je l'imaginerais presque accrochée à son téléphone à espérer un signe de ma part.
[Je sais plus quoi lui dire, elle s'inquiète, et c'est toi qui trouve les mots d'habitude. Ne la punis pas pour ce qu'il s'est passé au dîner, ce n'est qu'une gamine à qui son père manque...]
[Je ne reviendrai pas tant qu'il sera-là. En attendant, à toi d'assumer comme tu t'en sentais parfaitement capable.]
J'éteins l'écran la seconde qui suit. Jamais Luna et moi ne sommes restés fâchés aussi longtemps, il fallait bien que ça arrive. Etre loin de mes sœurs est une torture, une angoisse permanente, mais c'est la seule façon trouvée pour lui faire face. J'ai dû me contenter de voir les deux plus jeunes une après-midi par-ci une matinée par-là pour ne pas perdre complètement le lien.
Mais revenir à la maison reste impossible. Affronter mon géniteur n'est pas une solution, pour preuve, tout ça se retourne constamment contre moi.
La seule chose que j'espère, c'est qu'ils s'occupent bien d'Aria. Ma mère l'a prise dans ses bras naturellement avant l'arrivée de Damian, uniquement pour bien faire et lui prouver que nous sommes la petite famille parfaite à qui il manque une présence masculine comme vrai repère.
C'est ridicule, putain.
Cette situation me bouffe, m'étouffe et m'empêche de dormir. Je passe pour un monstre cruel qui veut priver des enfants de leur père, mais c'est tout le contraire. Cet homme est une ordure qui n'acceptera jamais son statut et les responsabilités qui l'accompagnent. Il les berne, les berce de doux songes pour ensuite disparaître aussi soudainement qu'il est revenu dans nos vies. Tout ce que je souhaite, c'est que les filles soient épargnées par ces histoires d'adultes et les comportements immatures de leurs figures parentales.
Je ne renoncerai pas tant qu'un signe de faiblesse ne vient pas de leur part. Faire des concessions est possible, seulement si elles sont de leur initiative. La dernière chose que je souhaite serait de passer pour un fils à maman qui rentre la queue entre les jambes, incapable de tenir ses engagements.
Les yeux dans le vague, je n'aperçois pas Maddy pointer le bout de son nez. Elle me sourit sans rien dire, postée à quelques mètres de moi.
— Tout va bien ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils.
— Oui, soufflé-je en me levant du banc.
— Tu peux venir, si tu veux, elle est enfin sortie de la salle de bain. J'ai essayé de t'appeler, mais...
— Je n'ai plus de batterie, je suis désolé, la coupé-je.
Elle hoche la tête, et m'invite d'un signe de tête à entrer dans sa propriété. C'est elle qui m'a incité à revenir auprès de Madeleine, après l'avoir laissée respirer un peu. Maddy se comporte différemment depuis la fête, alors j'évite d'y revenir. Une fois une mise au point de sa part sur ses intentions, soulignant avec tact qu'elle n'attendait rien d'autre qu'une relation charnelle.
Mettant sur le dos de l'alcool le manque de lucidité dont elle a fait part. Un mensonge à peine croyable, mais que je ne relève pas.
Nous n'étions pas ivres, donc nos actes semblent réfléchis, consentis. Pourtant, c'est la beauté de ce moment instinctif qui nous a emportés dans ses travers. Maddy a été claire, c'était un égarement qui allait de pair avec l'instant présent. Et je la suis sur ce point.
Cela signifie-t-il pour autant que tu ne ressens plus cette petite étincelle pour elle ? Celle de votre baiser ?
Je passe le portail sans réponses. J'en ai assez de chercher des signes partout où je vais, à chaque instant que je passe avec elles. Maddy est sincère, enivrante, et mystérieuse, tout comme Madeleine est douce, rassurante et infiniment attirante.
L'étincelle est bien là, je la sens s'éveiller doucement. Elle s'anime d'excitation parce que je vais la revoir, parce qu'elle m'a manqué et que je ne veux plus avoir à me retenir de la voir.
C'est une petite lumière, qui n'a pourtant rien à voir avec ce qu'il se passe en présence de Maddy. C'est une attirance perceptible qui me donne constamment envie de sourire, alors que l'autre n'est qu'éphémère.
Ressentir ça pour une amie n'a rien de normal. Je ne fais que me voiler la face.
Maddy évite mon regard quand nous avançons en direction de sa maison. Lorsque mes yeux croisent l'encolure de son vêtement, ils se figent sur la teinte plus foncée que prend sa peau par endroit. Tout est de ma faute, et cette pensée s'enfonce dans ma chair comme un poignard.
Je m'en veux terriblement qu'elle ait été victime de tout ce que je garde profondément enfoui depuis des années.
Jamais je ne lui ferai de mal délibérément, pas même à Madeleine ou à aucune femme sur cette planète. La culpabilité me bouffe. Je me hais depuis des jours pour tout ça, et n'ose plus passer la nuit avec aucune fille. Camille a pourtant essayé, mais c'est impossible.
Qui sait ce dont je serai capable dans mon sommeil, pendant un mauvais rêve ?
Incontrôlées et incontrôlables, mes peurs fécondes m'envahissent et régissent mes actes, les métamorphosant en une série de gestes violents et irréfléchis.
Je ne maîtrise pas ces choses-là, tout comme j'ai été impuissant ce soir-là. Je voudrais le hurler, l'écrire avec de grandes lettres capitales pour qu'on me croit.
Mais je lui ai fait du mal, et c'est impardonnable.
— Attention où tu marches, me conseille-t-elle en faisant un pas de côté.
Mes yeux s'agrandissent lorsqu'ils trouvent le salon couvert de journaux. Rappelé à l'ordre, je me concentre sur les liasses de périodiques qui s'élèvent à droite et à gauche de la pièce, jusqu'à la cuisine il semblerait.
— C'est quoi tout ça ? demandé-je complètement déstabilisé.
— Pour un exposé sur la presse des années 2000, marmonne-t-elle.
Je fronce les sourcils, étonné de voir autant d'investissement de sa part. Pourquoi rassembler autant de quotidiens alors qu'on peut les consulter en ligne ? Et d'abord, d'où viennent tous ces articles, et comment les a-t-elle obtenus ? Les archives peuvent-elles être sorties des rayons de la bibliothèque ?
— Ne fais pas attention à tout ça, j'ai bientôt fini, dit-elle d'une voix calme. Je n'ai pas eu le temps de ranger, je ne pensais pas que tu m'écouterais.
— Faut croire que tu donnes de bons conseils.
Mon regard s'attarde sur les dates inscrites en gras sur le papier à proximité. Plusieurs semblent datés de l'année de 2009, et plus précisément du dernier mois de l'année. Quel genre d'exposé peut bien porter sur des recherches aussi précises ?
— Comme si tu en doutais, lance-t-elle avec un sourire en commençant à monter les escaliers.
Je lève les yeux au ciel, avant d'ajouter :
— Tes parents ne sont pas là ?
— Mon père travaille, et ma mère parle à ses cailloux, je suis tranquille pour plusieurs heures.
— Quoi ?
Encore une expression qui m'est inconnue, mon anglais est-il si fragile que ça ?
— Elle fait du yoga, et tu sais, avec des pierres supposées apaisantes.
Non, je ne vois pas de quoi elle parle. Ma mère n'a jamais pratiqué cette activité, comme aucune autre d'ailleurs. C'est à peine si elle pense à se nourrir en journée, alors faire des étirements en se prenant pour un courant d'air, ça ne risque pas.
— Porte du fond, à gauche, m'indique-t-elle un fois sur le palier.
Elle disparaît dans sa chambre quelques minutes plus tard, me laissant tout seul dans sa propre maison.
Je reste figé devant l'entrée de la pièce qui contient tout son monde. Les évènements de notre nuit partagée me reviennent en plein tête en un instant : les baisers, les sourires... et ses larmes.
J'inspire pour oublier, et frappe à la porte indiquée par Maddy. Une voix agacée m'indique que je peux entrer, et c'est le pas légèrement tremblant que je m'exécute.
— Pourquoi tu veux absolument me parler dans des moments comme ça, alors que tu m'ignores le reste du...
Madeleine s'arrête, me fixant avec deux yeux ronds.
— Je pensais que c'était ma sœur, bafouille-t-elle en laissant tomber ses jambes sur le côté.
Enroulée dans une couverture et assise sur le rebord de sa fenêtre, elle recoiffe rapidement ses mèches humides avec ses doigts. Un petit sourire m'échappe, la voyant pour la première fois sans sa traditionnelle queue de cheval.
Physiquement, les différencier restait quasiment impossible, même après plusieurs mois à leur côté, ce détail physique restait encore ce qui me permettait de les distinguer. La voir les cheveux lâchés est curieux, et pour autant, leur apparence distincte est frappante.
— Je peux revenir plus tard, si tu veux être tranquille...
— Non, non ! Je ne m'attendais pas à te voir, c'est tout, réplique-t-elle en se redressant. Je suis contente que tu sois ici.
Et ça se voit, on peut aisément lire ses émotions sur son visage. Même si elle est très expressive, que ses lèvres laissent passer un beau sourire, il ne me trompe pas. Quelque chose a changé dans sa façon de me regarder.
Peut-être sait-elle ce que tu as fait à Maddy ?
Ce que tu as failli faire avec Maddy ?
— Je suis passé te prendre ça, dis-je en lui tendant une des longues tasses caractéristiques du Starbucks coffee.
— C'est adorable, me remercie-t-elle en glissant déjà la paille entre ses dents. Il ne fallait pas.
Crème glacée frappée vanille, avec un coulis de framboise par-dessus. Nos rituels auront au moins eu le mérite de m'apprendre avec quels produits Madeleine se montre gourmande.
— Tu vas mieux ? interrogé-je en tirant sa chaise de bureau pour m'asseoir face à elle.
— Ce n'était rien, je me suis juste évanouie. Ça arrive à tout le monde, regarde Maddy ! répond-elle précipitamment.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas le lien qu'elle fait avec sa jumelle. Elle paraît frêle tout à coup, avec ces deux cernes bleus qui se dessinent sous ses yeux. Sa peau a toujours été pâle, mais le contraste est criant, comme si les semaines passées loin d'elle me revenaient en tête en un regard.
— Ce n'est quand même pas anodin, marmonné-je.
— J'étais en train de danser, je n'ai pas vu le temps passer.
— Mais tu as disparu pendant plus de huit heures, Madeleine ! Tu étais au lycée, puis plus personne n'a su nous dire où tu étais et...
— C'est pour ça que tu es venu ? Pour faire la police ? Tu ne m'adresses pas la parole pendant près de deux semaines, m'évites dès que tu m'aperçois, et maintenant tu veux me faire croire que tu es inquiet ? Cette fois, ça ne prend pas avec moi.
Son ton est sec, acerbe, et tranchant. Elle croise les bras contre sa poitrine, le corps tapi contre le rebord de fenêtre donnant sur le trottoir d'en face. Je soupire, ne pouvant que la comprendre. En apparences, Madeleine semble garder son sang froid et sa bonne humeur à longueur de journée, mais c'est finalement une véritable énigme de lire en elle. Elle est joyeuse, souriante, et infiniment généreuse, un vrai rayon de soleil. C'est comme cela qu'elle m'apparaît depuis qu'on se connaît, mais en aucun cas il s'agit d'une norme inébranlable.
A quoi je m'attendais, en revenant ainsi ?
Attends de voir à quel point elle sera blessée quand elle apprendra ce qu'il s'est passé entre toi et sa sœur...
Bien que leur reflet se confonde, mon corps fait la part des choses. Il réagit par désir à celui de Maddy, tout comme mes sens s'éveillent par instinct en présence de Madeleine. Mais elles ravagent toutes les deux mon quotidien.
Elle me couve timidement d'un regard bienveillant, le plus discrètement possible. Je vois bien qu'elle mouille ses lèvres à plusieurs reprises, essayant de me dire des mots qui paraissent imprononçables.
— Est-ce que tu t'es rapproché de Maddy à cause de ce que je t'ai dit la dernière fois ? Toi aussi, tu penses que je suis responsable de ce qui nous est arrivé ?
Mes yeux s'agrandissent. Bien sûr que non, jamais je n'oserai l'accuser de quoi que ce soit ! Notre dernière discussion remonte à ses aveux face à la lune, assis tous les deux sur le banc du parc Griffith, se monte-t-elle la tête depuis tout ce temps ?
Et c'est uniquement ta faute. Tu l'as mise dans cet état, à cause de ton silence et ton inattention.
— Pas du tout, Madeleine ! Tu fais complètement fausse route, il n'en a jamais été question ! Pourquoi je te jugerai sur un sujet aussi grave ? Évidemment que tu n'es pas responsable, tu n'étais qu'une enfant !
— Alors qu'est-ce qui a changé ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? s'indigne-t-elle. On... enfin je pensais qu'il se passait quelque chose, qu'on avait nos habitudes, et qu'on s'entendait bien, même plus que ça. C'est moi qui me suis complètement fait des idées, j'ai si peu d'importance à tes yeux ? Parce que tu n'es pas clair !
C'est la deuxième fois qu'on me le reproche, et les choses ne se sont pas miraculeusement éclaircies depuis. Tout demeure aussi compliqué, emmêlé.
Si seulement ce n'était pas allé aussi loin à cette putain de soirée !
Mes décisions nocturnes n'étaient pas réfléchies, simplement le fruit d'une requête, d'un mécanisme impossible à arrêter une fois enclenché. Maddy persiste à déclarer qu'aucun sentiment n'a à voir avec son attitude, mais je ne suis pas sûr de pouvoir en dire autant. Je me suis laissé emporter dans la danse, mais l'attirance à-t-elle quoi que ce soit à voir avec de l'amour ? Les remords me bouffent quand je repense à l'épilogue de cette entrevue, tout comme je reproche à mon corps d'avoir apprécié celui d'une autre.
C'était sous le coup de l'émotion, rien de plus ?
Mon cœur se ratatine lorsque je relève les yeux vers Madeleine, première victime de mon laisser-aller.
« — Alors, parle-moi de ta danseuse. »
— Je suis désolé, m'excusé-je une énième fois. J'ai fait conneries sur conneries dernièrement, tout est allé trop vite. Je ne voulais pas te blesser, ni que tu te sentes mal.
— Ça ne répond pas à ma question, murmure-t-elle.
« — T'es juste trop con pour le comprendre. »
Je me lève, et m'avance jusqu'à elle. Planté devant sa silhouette, je la surplombe aisément. Elle reste immobile, le regard ancré dans le mien avec détermination. Doucement, mes doigts trouvent les siens et s'y accrochent. De mon autre main, je repousse ses mèches pour les caler derrière son oreille avant de saisir son menton. Son pouls pulse contre mon index, mais elle ne laisse rien paraître.
— Ne laisse personne te faire croire que tu n'es pas importante.
Et mes lèvres se posent contre le dos de sa main, comme pour attester mes paroles à l'aide d'un contact, tel un sceau contenant mes sentiments laissés contre sa peau en signe de sincérité.
⁂
____________________________
Hey ! Bonjour à tous !
Je suis trop contente de vous poster ce chapitre (qui a été une petite torture à corriger, mais passons !) Comment allez-vous ?
Je sais que certains ici passent des examens de fin d'année, j'espère que tout se passe bien !
On se retrouve pour le premier chapitre du point de vue d'Hugo depuis la petite soirée qui le fait tant rêver, et le premier de cette partie d'ailleurs ! Alors, content de le retrouver ?
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Je n'ai jamais autant détesté les triangles amoureux qu'en écrivant ce chapitre, quelle galère de trouver les bons mots ! (surtout avec la girouette que nous avons là !)
Je vous avez bien dit que les choses n'étaient pas encore jouées... Tout reste à faire !
Ce chapitre est rempli de culpabilité pour Hugo, qui se torture pas mal...
Pensez-vous qu'il a la bonne réaction ? Qu'il se pose les bonnes questions ?
En tout cas, sa meilleure amie est bien décidé à le bouger un peu !
Comme vous pouvez le constater, les problèmes surgissent de tous les côtés autour de lui ! Entre sa famille, et les jumelles, il n'est pas sorti !
Fait-il le bon choix, en restant loin de sa famille d'après vous ?
Et pour finir, un petit passage avec ses jumelles adorées, Maddy en premier, qui mijote un coup dans son coin, et Madeleine, qui pour une fois, ne se laisse pas faire !
Est-ce que sa vous a plu ?
Je n'arrive pas à croire que ça fait déjà quatre chapitres de postés, ça passe vite ! Merci à tous pour votre lecture, et vos messages (je les vois, les lis tous, pleure parfois, mais ne trouve pas encore le temps d'y répondre... Un jour, c'est promis !)
Bon week-end à tous, des bisous, Lina.
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