Chapitre 19 | Sentiments intenses
[Avertissement : ce chapitre contient des scènes réservées à un public mature et averti.]
Beaucoup de parents se plaignent de l'état des nuits de leur bébé peu de temps après la naissance. Je ne crois pas qu'ils aient conscience de notre situation actuelle. Essayez un peu de ramener un bébé de plus de trois mois dans un appartement miteux sous les toits, à peine chauffé et bientôt en plein mois de décembre pour qu'il puisse vivre entre quatre autres occupants qui peinent déjà à obtenir leur intimité.
Vous verrez si vous vous plaindrez à l'avenir des insomnies de vos rejetons.
— Tu ne veux pas dormir ? lui proposé-je d'une voix douce. Tu sais, se reposer un peu ça fait pas de mal et c'est même très agréable.
Elle se contente de rire. Les bébés pourris gâtés passent leur temps à couiner pour se faire remarquer alors que ma petite merveille et ses lourds problèmes préfèrent rire à longueur de journée.
Et quel grand frère je suis ! Arrêter les rires d'un bébé, quel malheur !
Nichée entre mon torse et un traversin, elle se contente finalement de manger ses petits doigts. Un bras calé sous la nuque et l'autre câlinant le ventre du bébé, je fixe le matelas au-dessus de ma tête en quête d'heures de sommeil supplémentaires.
En terminant mon service avec une heure d'avance, j'ai pu prendre le relais auprès de Luna pour qu'elle puisse enfin aller dormir. Je refuse de trop lui en demander. Elle ne doit ni travailler pour rattraper mes heures perdues, ni s'occuper d'Aria à plein temps. Je suis le seul à devoir endosser toutes ces responsabilités.
Surtout qu'il faut se rendre à l'évidence, nous ne pourrons jamais tenir ainsi si ma mère n'intervient pas au plus vite. Même si les infirmières de l'hôpital m'ont mis en relation avec une association qui aide les familles jugées en difficulté et qui propose pour de petits prix la garde du nouveau-né durant la journée, qu'en est-il du soir ? De la nuit ?
Je n'ai dormi qu'une heure, et voilà qu'Aria fait déjà des siennes. Mort d'inquiétude à l'idée de la voir glisser sans aucune raison, d'imaginer qu'une si petite chose pourrait être capable de ramper jusqu'au bord et de tomber, ou encore de la serrer trop fort par mégarde en dormant, je panique.
Impossible de fermer les yeux.
Rien n'est prêt pour accueillir un bébé dans cet appartement poussiéreux et en bordel, à commencer par l'endroit où elle dort. Mon père s'en est mêlé sans même demander mon avis, troquant notre lit double par des lits superposés. Il a sans doute pensé que maman serait capable de s'occuper de sa propre fille, et que le reste de la troupe partagerait la seconde chambre.
Mais ma mère refuse de toucher Aria, et Lucia de se séparer de maman. On tourne en rond, et recule par la même occasion.
— J'ai compris, pas la peine de me regarder avec ces yeux-là, murmuré-je en caressant l'arrête de son nez.
Je quitte le lit avec elle, nichée sur mon bras dans la même position qu'un petit koala sur sa branche. Le médecin m'a certifié que cette position était apaisante pour les bébés, alors autant en profiter.
Dans un silence absolu, j'évite chacun des pièges bruyants laissés par ma sœur la veille pour arriver au salon où j'entreprends de faire chauffer un biberon. Si celui de minuit est important, vous pouvez être certains que celui de trois heures l'est davantage. Pourquoi en rater un lorsqu'on peut manger à tout moment du jour et de la nuit ?
La crevette collée à mon torse comprend aisément mon attention, et commence à s'agiter dans tous les sens. Je glisse la tétine entre ses lèvres désireuses, la laissant ensuite tranquillement faire son job. Elle est douée, ça se voit à la façon dont elle se débrouille !
Tu rêves mon pauvre, t'es complètement mordu, c'est tout !
Pensif et inactif, je regarde par la petite fenêtre Los Angeles se dessiner sous mes yeux. Mon regard se perd dans un dédale d'immeubles en béton, avant d'oser s'aventurer sous les porches des maisons huppées de la ville. Du haut du dernier étage, chaque détail prend son importance, comme si c'était le seul piédestal permis pour les gens comme nous.
Je sillonne les pièces voisines et les sonde en imaginant leur contenu. Rêvant d'une vie meilleure ou simplement d'un avenir à l'abri du danger pour mes sœurs, je les improvise en train de grandir sereinement entre ces murs plutôt que dans ce taudis. Dans une famille normale, aimante et bienveillante.
Pourtant, mon esprit me chuchote que l'argent ne fait toujours pas le bonheur, contrairement à ma certitude passée. La situation de mes jumelles change radicalement la donne, et je dois dire qu'elle obscurcit mes songes depuis des nuits.
D'un côté, je rêve d'écouter Madeleine se confesser pendant des heures pour avoir la satisfaction de lire ce soulagement si sincère dans son regard, de pouvoir sentir dans son timbre que dire à voix-haute toutes les horreurs qu'elle a sur le cœur lui fait du bien. Puis, à l'opposé, je n'ai qu'un seul et unique souhait : serrer Maddy dans mes bras et lui chuchoter que tout ira bien, qu'elle ne craint plus rien à présent dans cette belle vie qu'elle s'est construite.
Elles ont eu la chance de vivre dans une de ces familles aisées, soit disant en sécurité. Mais l'une comme l'autre ont vécu d'affreux traumatismes qu'aucune de mes sœurs ne pourrait imaginer en voyant leur vie à présent aussi bien rangée. Avant que tout ne bascule pour Luna, nous étions heureux. Certes sans cesse dans le besoin, mais ensemble et unis contrairement à d'autres.
Soudain, mes yeux rencontrent la fenêtre tant admirée. Sous le large carreau vitré, se lisent aisément les courbes d'une adolescente endormie à la lumière de la lune. Je cligne des yeux, m'avançant davantage contre l'ouverture. Aucun doute, cette fois-ci Madeleine dort juste sous mon nez.
Lorsque j'ai compris qu'elles habitaient en réalité la si jolie maison qu'on aperçoit parfaitement depuis notre canapé, mon cœur a raté un battement. Ce lit sans cesse vide me narguait et commençait à me rendre dingue...
Le souffle légèrement perturbé, je suis des yeux les courbes légèrement floutées de la danseuse, recouvertes uniquement de ses sous-vêtements. Profondément endormie, son corps supposé réservé qu'aux regards curieux du ciel étoilé m'hypnotise.
Je secoue subitement le visage, ma bulle intime éclatée par un reniflement persistant. Luna débarque de nulle part, passe son bras sous le mien, et enfouie son visage contre mon épaule.
— ¿Que te pasa, pequeña? demandé-je en connaissant parfaitement la réponse.
— No quiero hablar.
— ¿Sino de cosas agradables?
— De nada, répond-elle dans un souffle.
Je hoche la tête en encerclant ses épaules d'un geste protecteur, avant de la serrer contre moi. L'une en larmes et la deuxième endormie contre son biberon, je les câline toutes les deux contre mon cœur, si fort que je pourrais presque en perdre la raison.
Luna ne tarde pas à éclater en sanglots, en serrant mon tee-shirt contre elle jusqu'à taire ses pleurs. Triste de constater que par habitude sa souffrance ne m'atteint plus comme avant, je souhaiterais abattre les murailles qu'elle a érigées pour nous protéger tous les deux de ses propres maux.
Ses cauchemars me sont communicatifs, tout comme ses souvenirs sont mes propres mauvais rêves.
Victime de ma fragilité, de mon imprudence et de mon impuissance, elle gisait encore dans des plaies jamais refermées, constamment rouvertes par le sel de ses larmes. Pleurer ne la soulage pas, même après six longues années écoulées.
— On finira par le retrouver ma Luna. Tu as ma parole qu'un jour, je le tuerai de mes mains, murmuré-je les lèvres serrées contre son crâne, tentant une fois de plus d'écarter cette menace fantôme qui se planque dans l'ombre de nos pas pour mieux nous détruire.
⁂
Ça va dégénérer, c'est évident.
Quelles sont les chances pour que tout se passe comme prévu et sans encombres alors que je ne fais moi-même aucun effort pour que ça fonctionne ?
Il ne passera pas la porte de cet appartement.
Non, pas tant que je serai aux commandes de cette famille à la dérive. Il n'assistera pas à notre évolution, il ne participera pas à cet exploit.
Il ne posera pas un regard sur les filles.
Je serre un peu plus Aria contre moi. Bien qu'elle se soit enfin endormie aux alentours de 21h, tout réveil en sursaut et crises de larmes est possible. S'il y a bien une chose que j'ai comprise à mes dépens, c'est qu'un bébé est imprévisible.
Il va vouloir la prendre. Il voudra tenir sa fille dans ses bras.
Je serre les lèvres à cette idée. Comment pourrai-je la lui confier alors qu'il ne s'est jamais manifesté auparavant pour la rencontrer ? Pour nous venir en aide ?
Lou me regarde avec un drôle de regard depuis le tabouret. Étrangement, sa frimousse n'affiche aucune malicieuse émotion, synonyme d'une belle bêtise imminente. Aujourd'hui, elle est calme, droite sur l'assise de son piédestal, à manger son petit-déjeuner dans un silence total plutôt qu'accompagnée du chahut habituel.
Je fronce les sourcils, et finis par déposer ma benjamine dans le panier aménagé en couffin pour rejoindre sa sœur.
Aucun doute, elle sait, me chuchote ma conscience.
— Qu'est-ce qu'il se passe, mariposa ? chuchoté-je en la chatouillant pour la faire réagir.
Elle remue sous mes doigts, avant de reprendre un semblant de sérieux.
— Je ne peux pas te dire, me répond-elle en riant.
— Bien sûr que si, tu peux tout me dire ! assuré-je exagérément avec un clin d'œil.
— C'est un secret, Hugo. Et on ne doit pas révéler les secrets.
— Si tu les dis à voix basse, personne ne saura que tu m'en as parlé. Je t'ai déjà raconté des secrets moi, non ?
Elle me regarde, visiblement hésitante. Tant de cinéma pour au final probablement entendre qu'une de ses copines d'école à tenu la main d'un garçon plus de dix secondes de suite, c'est une habitude lorsqu'on côtoie Lucia. Je ne compte plus le nombre de fois où elle m'a mené en bateau en affirmant avoir « l'affaire du siècle » comme elle dit.
— Je vais voir mon papa, murmure-t-elle contre mon oreille. C'est Luna qui me l'a dit.
Ses lèvres esquissent un petit sourire conquis, et immédiatement, je me fige. Ses yeux pétillent d'une lueur d'espoir et d'excitation jamais atteinte jusque-là, causée par l'homme responsable de tous nos malheurs.
Je me redresse, le cœur battant. Il ne faut pas qu'elle rencontre son père, ça serait pire que tout ! Comment expliquer à une petite fille qu'en six ans d'existence, il n'est pas normal de rencontrer son papa que maintenant ? Quels mots vais-je devoir utiliser quand il repartira l'air de rien à l'étranger pour ne revenir que dans cinq années et seulement s'il le souhaite ?
Impossible.
Je refuse de me mettre dans de telles emmerdes à cause d'un père qui joue les abonnés absents en brandissant son écusson pour unique excuse.
Je la laisse dans son cocon de bonheur, rien que quelques minutes avant de devoir éclater sa jolie petite bulle. Sans ménagement, j'entre dans la chambre pour trouver Luna en tailleur, écoutant de la musique à un volume considérable.
Une pointe de colère tiraille mon cœur à l'instant où je la vois. Bordel, quelle idée d'aller raconter ça à sa sœur alors que j'avais tout fait pour l'éviter ? Comment peut-elle accepter de voir son géniteur alors qu'il est précisément responsable de toutes les atrocités qui la hantent chaque nuit par de terribles cauchemars ?
Pourquoi ne trouve-t-elle pas la force de le détester ?
— Hey ? lance-t-elle en fronçant les sourcils, un écouteur en moins dans la main.
— Damian ne viendra pas ici, Luna, répliqué-je en m'asseyant sur l'unique chaise de la pièce.
Les mains croisées contre les genoux, je me prépare à la joute verbale qui va suivre. Nos avis divergent au sujet de notre père, ceux de Luna bien trop bercés par des rêves de petite fille tandis que les miens sont profondément ancrés dans une réalité amère et difficile à concevoir.
— Tu ne vas pas commencer, décrète-t-elle tout simplement en quittant le lit pour se planter devant moi, bras serrés contre sa poitrine.
— C'est tout simplement hors de question ! Je ne veux pas que Lucia le voie, qu'il prenne Aria dans ses bras, ou encore moins qu'il t'approche. Je me fiche de ton avis, c'est pas possible, il ne passera pas la porte !
Elle se mord la lèvre en me fixant droit dans les yeux. On ne se dispute jamais, pas même pour de petites choses du quotidien, nous n'avons pas le temps pour ces bêtises. L'énergie qu'on dépense sert à survivre, aucune autre distraction n'a sa place.
— J'ai accepté beaucoup de choses, Hugo. J'ai toujours appuyé tes choix auprès de maman, tout comme je suis constamment de ton côté, poursuit-elle en espagnol. Je suis consciente que si on en est là, c'est grâce à toi. Mais ça, tu ne peux pas me l'imposer. J'ai aussi mon mot à dire, et je veux voir mon père. Que tu sois d'accord ou non.
— Après tout ce qu'il t'a fait endurer ? Luna, putain, c'est de sa faute tout ce qu'il s'est passé !
Sa peau se couvre instantanément de chair de poule. Elle frissonne d'un geste discret avant de murmurer d'une petite voix.
— Il faut apprendre à pardonner aux bonnes personnes. Papa n'était pas dans la chambre ce soir-là, il était à l'autre bout du monde. Il n'y est pour rien.
— Mais s'il était resté avec nous, on n'aurait jamais mis les pieds dans cette chambre. C'est là tout le problème.
Elle bout de l'intérieur, je vois la colère monter jusque dans son regard. Ce dernier m'incendie en un battement de paupières, près à dévoiler sa rage au grand jour.
— Tu mélanges tout, ajoute-t-elle d'un air hautain. Ce n'est pas parce que tu n'as pas su agir que papa est responsable. Bordel, Hugo, c'est trop injuste !
— Tu réagis comme une putain de gamine ! m'emporté-je.
Ce « papa » me brûle de l'intérieur, il ne devrait plus se trouver entre ses lèvres innocentes. Pas après les avoir perverties de la sorte.
— Ne me parle pas comme ça, menace-t-elle en me tenant tête, mâchoire serrée.
— Tu ne veux pas comprendre ! J'ai tout fait pour vous protéger, toi et les filles, ce n'est pas pour qu'il remette les pieds parmi nous en s'attribuant tout le mérite ! C'est moi qui vous ai élevées, pas lui ! C'est qu'un connard, un inconnu, quand est-ce que tu vas l'accepter ?
Elle repousse ses mèches blondes derrière son oreille en prenant une grande inspiration. C'est toujours comme ça avec elle, elle n'explose jamais. Elle encaisse, tarit ses maux et se retient.
Jusqu'au jour où tout ce qu'elle garde en elle lui sautera au visage.
— Tu n'es pas mon père, articule-t-elle en me fixant droit dans les yeux.
Le coup qu'elle m'envoie me fout au tapis en un instant. À court d'oxygène, j'assimile ses dires pourtant parfaitement conscient de leurs sens.
— Je n'ai jamais prétendu le contraire, murmuré-je, vexé.
— Je suis parfaitement consciente que sans toi, on n'y serait jamais arrivé, reprend-elle plus doucement. Mais tu n'as pas le droit de m'interdire de voir mon père. Encore moins d'imposer ton choix aux filles. Et s'il avait changé ? Qu'Aria était un motif pour qu'il revienne vers nous et que tout reprenne comme avant ?
— Tu es beaucoup trop naïve, Luna ! dis-je en levant les yeux au ciel. Ça fait une éternité qu'il aurait pu venir nous aider, rencontrer Lucia, voir maman enceinte, tu ne crois pas ? C'est trop tard ! Et beaucoup trop facile...
— Il était en mission, tu sais que son métier est très important à ses yeux. Il n'avait pas le choix, il ne fait que ce qu'on lui ordonne.
— Tu recommences ! Arrête de le défendre, de trouver des excuses à la con ! Les permissions existent depuis la nuit des temps, pas besoin d'attendre aussi longtemps pour en profiter ! Il se fout de nous depuis des années et toi, tu arrives encore à croire à ses putains de mensonges !
— Tu vois, c'est toujours le problème avec toi, tu ne supportes pas qu'on nous approche ! Mais je ne suis pas en sucre, je suis assez grande pour travailler et rapporter un salaire à cette maison, alors faire mes propres choix ce n'est qu'une formalité ! crache-t-elle en pointant un doigt accusateur contre mon torse.
— Il va te faire du mal, c'est tout ce que tu dois comprendre, répliqué-je tout aussi acerbe. Quand tu viendras encore pleurer son absence dans mes bras, j'espère que tu te souviendras de ce que je t'ai dit ! Il te fera du mal, exactement comme il y a six ans. Il va se barrer Luna, il ne passera jamais plus d'une semaine dans la maison, tu le sais pertinemment.
— Mais moi, j'ai besoin d'y croire, tu ne peux pas l'accepter ?
— Bien sûr que non ! Parce que pendant que ce salaud te...
— Arrête de l'insulter, c'est aussi ton père, crie-t-elle à son tour. Je lui pardonne rien qu'en voyant le bonheur de maman comme à chaque fois qu'elle le voit, en imaginant Lucia le rencontrer pour la première fois, rien qu'en le sentant me serrer contre lui, alors je t'assure qu'il viendra. Si tu n'es pas content, tu n'as qu'à te casser d'ici !
Mes yeux s'agrandissent sous le choc. Comment ose-t-elle ? Comment peut-elle être aussi imprudente ?
— Franchement, tu me dégoûtes, lâché-je complètement désorienté. On en reparlera une fois que vous serez toutes en larmes parce qu'il vous aura à nouveau laissées. On verra vers qui vous viendrez encore pleurer.
Elle me dévisage, retenant son souffle comme moi à cet instant. Les yeux remplis de larmes, nous pivotons en même temps vers la sonnerie stridente qui retentit dans le salon.
— Vas-y, je n'inviterai jamais ce genre de lâche à franchir le pas de ma porte, conclus-je.
Elle se dépêche de rejoindre l'entrée, non sans un coup d'épaule et un regard accusateur dans ma direction.
⁂
Est-ce qu'un couteau à bout rond peut blesser si on l'enfonce suffisamment profond dans la carotide de quelqu'un ? Ces trucs sont si fragiles que le doute s'instaure lorsque je le tourne et retourne dans ma paume.
Mon géniteur me fait face, riant et mangeant à notre table comme si c'était tout à fait normal. Et ça me rend dingue. Il est bientôt onze heures, et Lucia le regarde avec tant d'admiration que je n'arriverai pas à la mettre au lit ce soir. Luna boit ses paroles comme s'il était l'homme le plus savant de la Terre, et Aria somnole contre le décolleté de ma mère. Un amer goût de trahison se fait ressentir dans ma bouche en voyant ce spectacle écœurant.
Damian est assis comme un homme, un vrai. De ces bonhommes d'habitude si peu accueillants et qui semblent s'ouvrir enfin. Un verre ballon à la main, il trinque de temps à autre avec ma mère en la gratifiant d'un clin d'œil séducteur, avant d'apporter à ses lèvres son vin. Ses cheveux sont plus longs que dans mon souvenir, ou du moins plus longs que ce que mes préjugés sur l'armé ne laissent entendre. Il passe son temps à rire, et à faire rire mes sœurs, en allant toujours de son petit commentaire tout sauf vital.
Peut-être que la carotide, c'est trop exigeant. Je devrai commencer par l'œil.
— Et toi Hugo, comment se passent les études supérieures ? demande-t-il avec un sourire sincère.
Inspire.
— Je suis encore au lycée, rétorqué-je. J'ai un an de retard, tu le sais bien.
Et je n'ai pas d'avenir.
— Oh, c'est vrai, excuse-moi ! s'empresse-t-il de reprendre. Mais ça me paraît tellement improbable de nos jours le redoublement, ils vous offrent vos diplômes dans des kinder surprises maintenant !
Expire.
— Sûrement.
— Mais c'est sûr qu'il faut bosser si tu veux te donner les moyens d'étudier dans une bonne fac ! Pas de places réservées aux branleurs à Harvard ou Stanford. Où en sont tes notes ?
Je n'irai jamais à la fac. J'économise pour Luna.
— Elles dépassent légèrement la moyenne, je réponds simplement.
— C'est tout ? Allons, tu vaux mieux que ça ! Qu'est-ce que tu attends pour t'y mettre vraiment ?
— Je n'ai pas le temps de bosser comme il le faudrait.
— Pas le temps ? Pas la motivation, tu veux dire ! Faut être un sacré flemmard pour ne pas arriver à sortir un quatorze, minimum ! Tu fais du sport au lieu de travailler, c'est ça ? relève-t-il avec un petit sourire en coin.
Ne joue pas à ça. Je ne suis pas ton ami, ni ton camarade.
— Plus trop, non.
Mon géniteur fronce les sourcils.
— Mais qu'est-ce que tu es devenu... roule-t-il des yeux dans un rictus.
Je n'ai pas l'argent pour payer une licence. Je n'ai pas le temps de prendre soin de moi.
— Il fait de son mieux, chuchote ma mère d'une voix douce et mielleuse.
Je ne la reconnais pas. Quel rôle à la con joue-t-elle en sa présence ?
— Si tu le dis. Et toi ma puce, comment ça se passe à l'école ?
— Ça va, je me débrouille plutôt bien, répond Luna dans un sourire.
— Elle est brillante, continué-je avec fierté. C'est la meilleure de sa promo, elle a les qualités pour faire de grandes études si on lui en donne l'occasion.
Ma sœur m'envoie un coup de pied dans le tibia, avant de me faire de gros yeux.
— Il en faut bien une au moins.
Recommence à respirer, allez.
— Les conditions ne sont pas optimales, il faut dire, enchaîne-t-il. Vu le... l'espace que vous avez pour vivre.
J'observe ma mère se tendre du coin de l'œil.
— On est bien ici, affirmé-je avec un sourire arrogant.
— Oh que non, on dirait une famille de sans-abris qui dorment dans des logements illégaux. Je n'ai jamais vu de telles conditions de vie, tout ça à cause d'un caprice d'enfant gâté.
— Je te demande pardon ?
— Si tu arrêtais d'être aussi têtu, tu saurais qu'accepter mes chèques pourrait au moins te permettre de payer un loyer convenable. Comment peux-tu faire vivre tes sœurs dans un tel endroit et continuer à te regarder dans la glace ?
— Je ne veux pas de ton argent, on se débrouille très bien sans toi.
— Permet-moi d'en douter, Hugo. Je pourrai m'installer dans le coin, j'ai justement une proposition pour un post administratif. Plus de terrain pour moi si je le souhaite. Qu'est-ce que vous en dites ? J'ai repéré plusieurs maisons dans le quartier et...
— Tu es sérieux ? murmure ma mère, les yeux remplis d'étoiles.
— Bien sûr, mon amour. C'est ce que tu voudrais ? On pourrait enfin se poser, et fonder la famille dont on a toujours rêvé, qu'est-ce que tu en penses ?
Je nage en plein délire.
— Et puis quoi encore ! m'emporté-je. Pour nous faire une quatrième sœur à abandonner par la suite ? J'ai assez donné !
— Hugo, ça suffit, me réprimande ma cadette.
Elle y croit. Elle y croit dur comme fer.
— Moi aussi, je voudrais vivre avec toi, papa, s'écrie Lucia en sautant à son cou.
— Évidemment ma chérie, on pourrait tous être enfin réunis et...
— Arrête ça ! m'écrié-je en me levant d'un bond, le poing serré contre la table. Ne fais pas de promesses que tu ne tiendras pas, connard ! Tu ne vois pas le mal que tu leur fais en les faisant espérer ainsi ? Ne leur donne pas de faux espoirs, je sais ce que tu vaux au fond, et ce ne sont que des promesses en l'air, comme toujours !
— Mais qu'est-ce qu'il te prend pour me parler comme ça ? demande-t-il visiblement dans le flou le plus total.
— Qu'est-ce qui me prend ? C'est une vraie question ?! Tu crois peut-être que tu peux te pointer comme ça après six ans d'absence avec de belles promesses comme cadeau d'excuse ? Tu rêves ! Pas après tout ce que tu nous as fait endurer, pas après tout ce qu'on a vécu par ta faute !
— Quoi, tu m'en veux encore pour ça ? Pour ce qu'il s'est passé au centre d'accueil ? Ce n'était rien, Hugo, apprends à grandir un peu !
Le peu de raison qu'il me restait s'effondre à mes pieds.
— Rien du tout ? Est-ce que t'es conscient de ce qu'elle a vécu là-bas ?! hurlé-je hors de moi en l'empoignant par le col de sa chemise flambante pour le relever. T'as complètement bousillé sa vie !
— Si tu n'étais pas qu'un putain de trouillard tu aurais su quoi faire ! Au lieu de réagir comme un gamin incompétent et incapable d'affronter ses peurs sans se pisser dessus ! Si tu n'avais été que l'ombre d'un homme, tu l'aurais défendue !
— Elle n'avait que dix ans, et je n'en avais pas...
— Ça suffit ! s'époumone Luna en claquant ses deux poings contre la table.
La scène reste en suspens, rythmée par les sanglots de ma petite sœur, sous le regard impitoyable de la plus grande. Ma mère berce nerveusement Aria tête baissée, comme si de rien n'était pendant que tout explose autour d'elle.
D'un geste brusque, Damian s'écarte de ma prise. Je bous de l'intérieur, à deux doigts de lui en coller une comme j'en rêve depuis tout ce temps.
— Il faut toujours que tu gâches tout, murmure Luna en me fixant droit dans les yeux, les joues baignées de larmes.
Je lance violemment ma serviette contre la table, fracassant un des verres à pied qui s'écrase au sol sous les pleurs incessants du bébé.
⁂
Je suis incapable d'estimer le temps qu'il m'a fallu pour me calmer. Une heure ? Deux peut-être ? La nuit est déjà plus qu'avancée, et je reste immobile, assis sur mon banc tout près du pont. En battant des paupières plus fort, je pourrais presque revoir Madeleine courir, la recroiser comme la première fois. Mécaniquement, je sors mon portable pour lui envoyer un message.
T'as besoin d'aide.
Tu ne retourneras pas là-bas tant qu'il y sera.
Tu dois te changer les idées, Hugo.
Pourtant, mon pouce reste en suspens. Au sommet de la liste des contacts, les deux jumelles se suivent. Mon cœur balance rien qu'un instant, sans vraiment savoir vers qui me tourner.
Maddy est partie en plein milieu de votre discussion, elle avait l'air en colère, me souffle ma conscience.
Mes pas s'harmonisent entre eux pour rejoindre leur rue, comme une sorte de magnétisme à qui je donne l'autorisation de me contrôler. Alors que je pensais trouver la maison calme et enveloppée par la nuit vu l'heure tardive, un fond sonore régulier s'élève dès l'entrée du lotissement. La porte est grande ouverte, et la quantité d'adolescents exorbitante déborde jusque dans le jardin.
T'as oublié la fête ! Madeleine te l'avait pourtant dit !
J'entre presque timidement, n'ayant jusque-là jamais franchi le pas de la porte. Le hall est bondé, cette ambiance m'oppresse. Où est-ce que Maddy a bien pu se cacher ? Elle n'aurait jamais accepté ce genre de choses sous son toit, sa jumelle l'aurait-elle mise dehors le temps d'une soirée ?
Mes suppositions me reviennent en pleine tête lorsque mes yeux la trouvent, remuant au milieu d'une dizaine de personnes sous des spots qui épousent leurs ombres. Je reste bouche bée devant ses mouvements tout sauf maladroits.
De dos, on pourrait presque penser qu'il s'agit de Madeleine, si on en croit la queue-de-cheval parfaitement réalisée se balançant de droite à gauche. La voir danser sur un morceau de rap américain me fait froncer les sourcils, est-elle ivre ? Plus rien ne semble avoir d'importance, ses courbes sont saillantes dans cette tenue ajustée qui embellit ses formes à la perfection.
Instantanément, la douceur de ses lèvres me revient en mémoire comme un flash.
Incapable de briser ce qui semble être son instant de liberté, j'attrape un verre en la contemplant. Puis, lorsque la musique s'arrête et que les couples hésitants rigolent entre eux, Maddy continue à bouger les hanches, yeux fermés comme si de rien n'était.
C'était évident !
Je bouscule quelques intrus pour la rejoindre, avant de déposer ma paume contre son épaule dénudée.
— Hugo ? demande-t-elle avec un sourire.
— Salut.
— Tu es venu finalement, remarque-t-elle en retirant un de ses écouteurs.
— Je me disais, tu ne pouvais pas danser sur ce genre de musique, répliqué-je avec un petit rire.
— C'est évident, je ne sais même pas si on peut appeler ça de la musique, dit-elle en haussant les épaules.
— Tout ce qui n'est pas Bowie n'est pas considéré comme tel ? entré-je dans son jeu.
— Tu as tout compris. Ça, c'est de la vraie musique, répond-elle en approchant son écouteur jusqu'à moi.
Les quelques notes qui s'en échappent sont immédiatement reconnaissables.
— Muse ? Carrément ?
— J'ai ma période, confirme-t-elle avec un clin d'œil. Je voulais faire semblant de m'amuser une dernière fois avant de disparaître, histoire que les mauvaises langues me laissent tranquille.
— Je comprends. Où est Madeleine ?
Elle perd son sourire dans la minute qui suit.
— Tu es venu voir Madeleine, bien sûr.
Son visage se ferme, et ses traits se durcissent. Maddy m'arrache son écouteur des mains, avant de tourner brutalement les talons pour gravir les escaliers qui mènent à sa chambre. Je la suis, me glissant dernière les barrières qui empêchent l'accès de l'étage aux invités.
— Maddy, s'il te plaît, lâché-je exaspéré.
Je n'arrive pas à la suivre, au sens propre comme au figuré.
À moins que je n'arrive pas à mes comprendre moi-même ?
Je suspends mes gestes un instant, subitement projeté dans l'intimité des filles. Mes mouvements s'adoucissent au milieu d'un petit couloir aux murs tapissés de clichés de famille, de petites bouilles innocentes et de minuscules tutus roses. Maddy disparaît dans une pièce, pendant que je reste immobile sur le seuil.
Derrière la porte, un bout de sa chambre se découvre. Les pieds d'un lit, des piles de livres tentant une ascension périlleuse jusqu'au plafond, et quelques vêtements éparpillés par-ci par-là. Le frottement parfaitement reconnaissable d'un briquet se fait entendre, me forçant à tendre davantage l'oreille.
— On dirait un psychopathe.
Et elle semble sérieuse en plus ! Je m'avance dans la pièce, et la trouve perchée sur le rebord de la fenêtre, secouant sa cigarette au-dessus d'un cendrier. Immédiatement, l'atmosphère de ce lieu m'attaque de plein fouet. Sur le plus grand mur de la chambre, un véritable microcosme s'étale de part et d'autre, m'attirant plus que de raison. Des photos, des souvenirs, des objets suspendus, des citations ou des pages de livres, le tout figé contre le crépi qui s'apparenterait presque au tableau de recherches d'un commissariat de police criminelle.
Sous mes yeux se déroule le fil de son existence, l'ensemble des souvenirs qui semblent chers au cœur de Maddy. À les voir tous alignés, la solitude qui caractérise la jeune fille paraît s'estomper si on en croit le nombre de protagonistes intervenant dans sa vie. En un raclement de gorge elle interrompt ma contemplation.
— Les gens ne comprennent pas comment je peux me sentir seule, commence-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées, ce n'est pourtant pas si compliqué, je le suis. Alors quand ma solitude devient trop douloureuse, je lève les yeux vers ce mur, et je contemple les bons moments, comme on regarderait le film de sa vie. À force de me répéter que je suis quelqu'un de méchant, j'ai fini par l'accepter, par rejeter la faute sur moi comme si j'étais le seul problème dans cette putain de société. Mais l'instant d'après, je regarde ces photos, et garde en tête que les vrais méchants ne sont que des jaloux qui ont tort.
Derrière elle, un vinyle de Muse tournoie calmement, l'album The Resistance épaulant à merveille ses propos. Je reste bouche bée face à son explication, puis quitte le mur pour venir m'asseoir sur le bord de son lit juste à côté d'elle, sous son perchoir. Elle me tend sa cigarette du bout des doigts.
Un lit sous une fenêtre Hugo, ça ne te rappelle rien ?
Ce n'est pas Madeleine que tu épiais la nuit dernière !
Mes joues s'empourpreraient presque à ce constat. Elles le feraient sûrement si mon corps tout entier n'était pas déjà obnubilé et fasciné par le sien.
— Comment se fait-il que tu n'arrives que maintenant à la fête ? demande-t-elle d'un seul coup.
— J'avais des choses à régler avec ma famille.
— Et pour Madeleine ? C'est quoi l'excuse ? lance-t-elle en piquant presque un fard.
— Je n'ai pas besoin d'excuses pour venir la voir, me justifié-je en fronçant les sourcils.
Maddy lâche un petit rire, avant de prendre une nouvelle dose de nicotine.
À quel moment cette vision d'elle est devenue aussi excitante ?
— Qu'est-ce qu'il se passe entre vous au juste ? Vous êtes amis ?
Je m'apprête à répondre, quand les mots se bloquent instinctivement dans ma gorge. Comment qualifier cette relation ? En aucun cas ce genre de choses ne se limite à l'amitié.
— Et elle est au courant ta nouvelle meilleure amie que tu as embrassé sa sœur ?
La voilà la raison de son intervention, son ton acerbe me le fait bien ressentir. Ses paroles me brûlent, elles font ressortir toutes les questions que je refoule depuis des semaines. Une curieuse lueur d'excitation brille dans son regard.
— Je ne sais pas, Maddy.
— À un moment, faudrait peut-être que tu commences à te poser des questions, éclate-t-elle de rire. Ce n'est pas super fair-play de jouer avec deux personnes comme ça.
— C'est plus compliqué que ça, vous êtes différentes et...
— Dieu merci, m'interrompt-elle en levant les yeux au ciel.
— Vous êtes toutes les deux importantes pour moi, continué-je à toute vitesse. Mais je vous connais depuis quoi, quelques mois ? Comment veux-tu que j'y voie clair en si peu de temps ?
— Je ne te demande pas de faire une déclaration, respire ! Mais simplement de... d'être plus clair dans tes attentions.
Elle me sourit, alors que tout ce que je voudrais à cet instant, c'est disparaître tant la honte m'accapare.
— Et si possible, précise quand tu veux me parler de couleurs de badges plutôt que de notre baiser, ça m'évitera de me faire tout un tas d'idées avant.
Elle est blessée, ça crève les yeux.
Je l'ai blessée.
— Je suis désolé, dis-je simplement en posant ma main sur son genou. Je ne saurais pas expliquer, mais on s'entend bien, j'ai l'impression que tu me comprends... Avec Madeleine, c'est différent, elle m'apporte beaucoup mais pas dans le même sens...
Elle pose la sienne tout contre, avant de figer son regard dans le mien.
— Pourquoi m'as-tu embrassée si tu ne sais pas ce que tu veux vraiment ?
Son franc parlé finira par me tuer ! Qu'est-ce qu'elle cherche à la fin ?
— Tu l'as fait en premier.
— Oh que non, tu ne me la feras pas à moi, chuchote-t-elle en caressant mon avant-bras. C'est toi qui as commencé.
Et tu fais tout pour me distraire !
— Tu veux vraiment jouer au chat et à la souris, maintenant ? entré-je dans son jeu plus timidement, en glissant ma main un peu plus loin.
D'un geste vif, elle saisit mon poignet pour stopper ma progression.
— Dis-moi que je ne suis pas folle, que tu n'arrêtes pas de me chercher avec ce genre de gestes. Tu me perds à force de me lancer toutes sortes de signaux aussi contradictoires.
— Tu n'es pas très forte pour résister il faut dire, murmuré-je simplement.
Sa jugulaire palpite contre son cou, synonyme d'un cœur qui s'affole, autant que ses joies rosissent. Ces symptômes de désir m'obsèdent, tout comme ses mouvements deviennent plus précis dans ma vision, se détachant parfaitement de l'atmosphère qui commence à nous envelopper.
— Je réponds, c'est tout.
— Quelle politesse.
Mon souffle se fait la malle en même temps que sa main s'aventure plus loin. Ma conscience me laisse enfin un peu de répit et de liberté. Alors les pensées en suspens, mes doigts glissent contre sa cuisse, et la douceur de sa peau me choquerait presque tant elle est surprenante.
— Je ne voudrais pas que tu te vexes en pensant que ce que tu ressens est à sens unique.
Depuis plus d'une heure, elle s'amuse avec moi d'une maîtrise qui m'effraie, c'est de la torture. Je ne saurais dire quand j'ai basculé là-dedans, quand j'ai arrêté de réfléchir pour me laisser avoir comme un débutant.
Elle est redoutable, pourtant je n'ai d'yeux pour ses lèvres.
— Et qu'est-ce que je suis supposé ressentir ? m'essoufflé-je en connaissant parfaitement la réponse.
Elle me sourit avec malice, et je la comprends en un regard. Cette excitation, cette tension qui émane entre nous... La voilà la vraie réponse.
Et elle arrive parfaitement à la provoquer avec de simples gestes.
— Aucune idée, murmure-t-elle avant de mordiller le bout de sa lippe.
Elle prend ma main et la pose sur son propre corps, j'en reste abasourdie. Les sens en éveil, je voudrais bannir cette barrière de tissus qui la recouvre.
— Est-ce que j'ai besoin d'une cigarette comme prétexte pour t'embrasser ? questionné-je incapable de tenir davantage.
— Non, répond-elle précipitamment avec assurance.
Alors ma main se verrouille derrière sa nuque, et nos lèvres se dévorent en un baiser amer et pressé.
La chaleur qui émane de son corps prend possession de mon âme, si fort, si intense, si vite que je peine à reprendre mon souffle. Dans un appel d'air inespéré, je la colle davantage contre ma peau à la recherche d'une nouvelle bouffée d'adrénaline. Ses cuisses s'écartent déjà pour m'accueillir, puis se resserrent immédiatement contre ma taille au moment opportun. Toujours assise sur son putain de rebord, mes mains se fraient un chemin jusqu'à ses reins où elles viennent se nicher, en quête de chaleur.
Ses doigts se perdent dans mes cheveux lorsque je dépose une suite de baisers le long de sa mâchoire, épousant ses formes de ma bouche pour rejoindre son cou. Les frissons qui le dévalent ne sont qu'une invitation supplémentaire à poursuivre mes attaques.
Dans une lutte acharnée de désirs, nos gestes se confondent. S'agit-il d'un corps-à-corps hâtif ou d'une belle danse enivrante qui ne se pratique qu'à deux ?
Jamais personne encore n'a été aussi réactif à mon contact, de quoi me faire oublier tous les interdits que je taris depuis trop longtemps pour cette pratique intime. Maladroitement mais dans un excès de confiance, mes doigts se glissent sous le bord de son pantalon.
Pourtant, la jolie brune en décide autrement. Énergiquement, elle pousse mon torse du plat de la main avant de descendre de son perchoir pour rejoindre la terre ferme. Elle m'éloigne une nouvelle fois, me faisant basculer contre le lit. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle passe déjà son bas sous sa taille, avant de me rejoindre.
La fièvre me contamine à vitesse grand V et prend le contrôle, alors mes mains se bloquent contre ses hanches pour ne plus la laisser s'éloigner. Mes ongles s'accrochent nerveusement sur la dentelle de sa culotte, cherchant dans quel sens aller pour continuer à avancer. Maddy m'embrasse avec fougue, sa langue jouant déjà avec la mienne.
Je n'ai jamais embrassé quelqu'un comme je l'embrasse à cet instant, et c'en est presque un regret. La peine pique mon cœur alors que je redouble d'efforts pour la chasser.
Maddy, Maddy, Maddy.
Ne pense à rien d'autre qu'à elle.
Son assurance me prend de court lorsqu'elle retire d'une main ma ceinture, puis mon jean, sans même baisser les yeux. Une nouvelle fois un monde nous sépare. Je me crispe légèrement, avant de laisser passer un sourire en sentant ses lèvres s'écarter.
— Très mignon, commente-t-elle d'un air malin.
Je la fais taire en attrapant le bas de son débardeur pour le faire disparaître à son tour. Mais une fois de plus, ses mains me bloquent.
— Attends, dit-elle à bout de souffle.
Des mèches rebelles s'échappent de sa queue-de-cheval à présent détruite, lui donnant des airs de furie, très séduisante cela dit. Impatient, je la fixe comme si elle avait commis une faute impardonnable. Nos yeux ne se quittent plus, le temps semblerait presque ralentir si nos respirations affolées ne rythmaient pas notre silence.
— Je vais être claire avec toi, poursuit-elle en baissant le ton, j'ai une cicatrice juste sous les côtes. Ça ne me fait pas mal, ce n'est pas sensible, et tu n'as en aucun cas à retenir tes gestes, compris ?
Bordel, la fameuse brûlure.
— Je suis certain qu'elle n'est pas aussi importante que tu le dis, continué-je pour la rassurer. Tu n'as pas à en avoir honte, ça n'a...
Son rire m'interrompt. Je fronce les sourcils, retenant la partie de mon âme possédée qui souhaiterait la croquer toute entière.
— Tu n'y es pas du tout, Hugo. Je n'en ai pas honte. Je ne veux pas que tu sois surpris et que tu en fasses tout un plat. Jamais je n'aurais honte de mon corps et de son histoire.
Le message est reçu, et son assurance, cette lueur de détermination dans son regard, ce ton posé et décidé m'excitent. Je hoche la tête avant de plonger mon visage dans son cou, où mes mordillements la torturent de plaisir. À califourchon, elle retire son haut et commence à déboutonner ma chemise.
Elle ne porte pas de soutien-gorge.
Elle veux que je la remarque.
Je crois qu'elle arrache les boutons résistants, tant la tension entre nous est extrême. Son sein dans ma main, mes doigts se fraient un chemin jusque son ultime sous-vêtement. Ils jouent avec ses nerfs en lui donnant du plaisir, sous une multitude de gémissements qu'elle étouffe.
Haletante, qu'elle roule contre les draps avant de m'attirer plus près encore. Je pourrais presque voir ses pupilles gagner en obscurité sous mes caresses, et cette domination me plaît. Plus de maladresse, plus d'hésitations, plus de remises en question. Plus aucun flash.
Jusqu'au moment où les choses s'enveniment, et mon cœur perd le contrôle. Ses mains descendent plus bas encore, sous ses doigts de fée, je me décompose.
Ses hurlements.
Ils se confondent avec nos cris de plaisir.
Les bruits bestiaux que la pièce n'étouffe plus.
Est-ce moi qui respire aussi fort ?
Ses appels, Hugo.
— Hugo, gémit-elle contre ma peau, son souffle mourant face à mes actes.
Ses mains se resserrent autour de moi.
Ils m'étouffent.
Elle dépose dans ma main le carré d'aluminium que je déchire machinalement. Je déroule le préservatif sans réfléchir, sans même savoir si c'est ainsi que l'on est supposé agir.
Merde, tu paniques !
Respire, retrouve ton souffle !
Elle hurle ton nom, elle crève de peur.
— Hugo, réitère-t-elle en se courbant son mon emprise.
Mes mains tremblent contre ses hanches.
Mon poing cogne contre la porte.
Elle me mord la lèvre, féroce et indomptable.
Sa main moite se colle contre ma bouche, je ne peux plus respirer ni crier.
— Non, arrête, commencé-je.
Elle m'embrasse pour me faire taire, collant son intimité contre moi pour m'inciter à aller plus loin.
Ils l'encerclent, la privent de son enfance, lui font du mal.
Je suis impuissant, je ne contrôle rien.
Frappe-les, griffe-les, défends-la !
Qu'est-ce que tu attends pour leur faire du mal ?
— Arrête, putain ! hurlé-je en la repoussant avec force, avant de verrouiller ma main contre sa gorge.
Sous la violence de ma protestation, l'arrière de son crâne cogne contre la tête de lit. Paniquée et perplexe, sa main part toute seule et s'abat sur ma joue.
De quoi me faire revenir pour de bon.
Je serre les draps dans mon poing resté libre, en clignant des yeux pour dissiper le voile qui m'obscurcit la vue. Je n'ose plus bouger, mais prends subitement conscience de la situation. Pâle, tremblante, Maddy me regarde comme on découvrirait un monstre. Mes doigts s'écartent, mais notre face-à-face se poursuit jusqu'à ce que nos respirations retrouvent leur chemin. Toujours au-dessus d'elle, nu et sans la moindre attirance à présent, j'évite son regard.
La redescente est brutale, bordel.
Son cœur s'affole, je l'entends palpiter tant il est aussi paumé que moi.
Je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé.
Rien de tout ça n'est de ta faute, Maddy.
Rien, aucun mot ne sort de ma putain de bouche.
Le désir s'évapore aussi vite que la tension devient palpable. Humiliée, terrorisée, Maddy se fissure devant moi comme au réveil d'un songe merveilleux brutalement interrompu.
Je suis vierge, traumatisé, souillé, je ne peux pas.
Tu n'y es pour rien Maddy, mais pitié, ne me regarde pas ainsi.
N'aie pas peur !
Mon visage toujours à quelques centimètres du sien, son expression m'est familière. Comme une apparence trompeuse que j'ai autrefois portée, comme le reflet d'un miroir fissuré qui illustre mon passé, Maddy se ratatine contre le matelas pour mettre le plus de distance possible entre nous.
Ne me laisse pas...
Et elle éclate en sanglots, mettant un point final à notre histoire.
À suivre...
________________________
Salut la compagnie ! Comment ça va ?
*Se prépare mentalement à se faire incendier, elle et ses questions à la con*
Avant toutes choses, je tiens à m'excuser pour mon absence et d'avoir mi tant de temps à vous partager cet ultime chapitre, j'en suis plus que désolée. Ainsi que pour la présence éventuelle de fautes d'orthographe, ce chapitre n'est pas passé en bêta lecture alors il est tel quel, j'ai fait de mon mieux !
Bon...
Qu'avez-vous pensé de ce dernier chapitre ?
Un peu mouvementé, un peu long, et avec un peu beaucoup d'infos, je sais ! Vous comprenez maintenant pourquoi ça m'a pris autant de temps ! Dans la première partie, on se retrouve seuls avec notre petit Hugo et ses pensées... un peu compliquées !
Puis, vient la fameuse confrontation avec sa sœur. C'est tout aussi délicat vous me direz !
Qu'en avez-vous pensé ? Etes vous d'accord avec Hugo, ou plutôt avec sa sœur ? A-t-il vraiment le droit de les empêcher de voir leur père pour les protéger ?
Sans parler du repas, qui a finalement lieu. C'est votre première confrontation avec leur idiot de père... ça annonce clairement la couleur !
Que pensez-vous de cette scène ? De la façon dont la petite famille réagit ?
La suite prend un tournant un peu radical ! Comme un besoin inexplicable, Hugo se précipite chez ses jumelles en espérant parler à quelqu'un. Mais les choses ont quelques peu dérapées...
Comment avez-vous trouvé tout ce passage ?
Je ne suis, et ne serai probablement jamais à l'aise avec ce genre de choses. Pourtant, cette scène a été comme une évidence, et son écriture s'est faite toute seule. J'en suis plus que satisfaite. Malgré tout, les ships ne sont pas encore joués d'avance... vu comment cette histoire termine.
Vous m'en voulez beaucoup ? Quels sont vos avis/théories sur tout ça ?
La fin est un petit peu brutale, je l'avoue ! Mais c'était nécessaire.
Je vous annonce donc que cette première partie est bel et bien terminée !
Merci beaucoup pour votre lecture, je vous invite à lire la partie suivante si vous voulez en savoir plus sur la suite des événements !
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