Chapitre 15 | Avec elle, mais sans lui
L'entendre s'effondrer contre le mur qui nous sépare ne suffit pas à me faire bouger de mon lit. Ses sanglots néanmoins, parfaitement audibles depuis ma position me forcent à me redresser, les sens et ce stupide instinct déjà aux aguets. Dans un silence total, je tends l'oreille pour essayer de jauger la gravité de la situation. Soutenus, presque étouffés, ses pleurs ne résonnent pas comme d'habitude.
Cette fois, elle a vraiment un problème.
En un rien de temps, je me retrouve le visage plaqué contre sa porte, pesant le pour et le contre en quelques secondes.
Pour : ça lui fait du bien de pleurer après tout ce qu'elle a fait endurer à tout le monde. Peut-être que maintenant, elle comprend enfin ce que ça fait de se sentir tellement misérable qu'on reste cloué au sol des heures durant, tout simplement incapable de trouver la force pour bouger.
Contre : Si jamais il lui arrive quelque chose, si c'est le premier signe d'une crise, non seulement Sarah ne me le pardonnerait jamais, tout comme je ne pourrais plus me regarder dans un miroir. Je ne suis quand même pas un putain de monstre, mes organes sont à l'agonie à force de l'entendre se morfondre sans savoir pourquoi.
J'abaisse la poignée brutalement, m'exceptant de sa permission pour pénétrer dans la chambre.
Je crois que je n'y ai mis les pieds que deux fois, trois si je suis optimiste.
Retranchée tel un animal blessé dans un coin de sa chambre, un genou contre sa poitrine, l'autre tendu, et le visage enfoui contre ses bras, je peine à la reconnaître. Où est passé la boule d'énergie et de joie qui me sert d'amer reflet ?
Je m'avance timidement jusqu'à elle, tirant nerveusement sur le bas de mon tee-shirt. Je me laisse glisser dos au mur, déposant mes fesses sur le sol juste à côté d'elle. Ses épaules tressaillent à intervalle régulier sans parler de cet agaçant hoquet qui la prend en continue.
Je la fixe comme si je la voyais pour la première fois depuis longtemps. C'est peut-être le cas. L'approcher spontanément est un évènement invraisemblable, son soleil et ma lune rarement en éclipse le reste de l'année.
Sa fragilité me saute aux yeux, me prend à la gorge, et je déteste cette sensation. Je n'aime pas voir les gens pleurer, les entendre geindre jusqu'à assister à leur défaillance. J'ai eu ma dose pour toute une existence. Toujours incapable de savoir quoi dire, quoi faire, comment aider dans cette situation, je me creuse la tête pour tenter d'attraper un souvenir semblable avec notre mère. Comment s'y prenait-elle déjà ? Ça fait si longtemps que je ne laisse plus personne m'approcher, me toucher, que j'en ai oublié ce qu'on ressentait lors d'un instant de tendresse qui se veut réconfortant. Je me mords la lèvre, dans une impasse.
Notre mère nous couvrait de baisers, nous encerclait de ses bras pour pouvoir effacer chacune de nos larmes jusqu'à ce que la douleur passe.
Ça, c'est au-dessus de mes forces, hors de question !
Tu as bien été dotée de la parole, non ? Qu'est-ce que tu attends ?
J'inspire un grand coup, la boule au ventre à l'idée de devoir échanger verbalement avec elle.
— Madeleine, l'appelé-je simplement.
Ma voix est ferme, merde. Ses bras se resserrent autour de sa silhouette, et son visage disparaît complètement de ma vue, sans même prendre la peine de m'accorder un regard.
Tu as décidé de ne pas ma faciliter la tâche aujourd'hui Madelinette !
Je me rapproche d'elle en laissant tout de même une bonne distance de sécurité entre nous. Ma conscience me hurle de bouger, de faire quelque chose, ce foutu pressentiment d'urgence m'obligeant à mettre ma rancœur de côté.
Je ne l'ai pas vue comme ça depuis son départ.
D'un petit geste hésitant, j'écarte une mèche de son visage en la coinçant derrière l'oreille afin d'accéder à son minois. Ses joues barbouillées de larmes m'accueillent tristement.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? réitéré-je en me mettant à sa hauteur.
J'ai l'impression de nous revoir enfants, lorsque rien n'avait changé entre nous.
Je la déteste profondément... tout comme je ne supporte pas de la savoir ainsi.
Une parenthèse, rien qu'une...
— Je le déteste, je le déteste, je le déteste, gémit-elle en enfouissant son visage dans ses mains.
— Qui ça ?
Elle m'accorde un petit regard, plus obscure que ceux qu'elle offre à la Terre entière. Je reconnais immédiatement cette expression, un haut-le-cœur m'échappe lorsque j'en prends conscience. Ses lèvres tremblent, bouffies à force de les mordre, sans parler de ses paumes ensanglantées.
Bordel, ça commence toujours comme ça et ça finit mal.
Je ne veux pas qu'ils me la prennent à nouveau.
— C'est l'argentin, c'est ça ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
— Rien du tout, Hugo est adorable au contraire, murmure-t-elle.
Elle repousse son portable du bout des doigts, m'incitant à prendre connaissance de son contenu immédiatement. Mes yeux s'agrandissent lorsqu'ils cernent la publication, ma bouche s'entrouvre sous le choc.
— Bordel, Madeleine je...
... je ne sais pas quoi dire. J'aurais dû me douter que ça avait un lien avec son poids. Cet emmerdeur de Valentin ne l'a pas ratée, quel connard ! Les pleurs de ma sœur redoublent alors que j'observe davantage le montage.
Sur une photo placée à gauche de l'écran, Madeleine apparaît pratiquant son sport à la barre, il y a des années de ça. Je sais combien elle déteste cette période, elle ne s'est jamais sentie aussi mal, enfermée dans ce corps qui ne lui a jamais correspondu. Le justaucorps cintré et les collants ne font qu'accroître ses formes et les défauts qu'elle reprochait à son corps. Non pas qu'ils me dérangent personnellement, à mes yeux la vie n'est pas une question de morphologie, mais elle n'est pas à l'aise avec cette période.
Elle a passé des heures entières à brûler jusqu'à la moindre photo de danse la mettant en scène pendant cette période, tellement son reflet l'obsédait même des années après. C'est sans compter sur le gif d'un poulet tournant sur sa broche juste à côté d'elle sur la photographie. Celle de droite, l'expose en maillot de bain sur un transat, lunette de soleil sur le nez et adoptant une pose comme n'importe quelle jolie adolescente le ferait devant un objectif.
Je me souviens de cette journée passée avec lui, elle avait cherché un maillot de bain convenable toute la matinée avant de fondre en larmes parce qu'aucun ne la cachait suffisamment à son goût. Sa perte de poids l'a profondément marquée, aussi bien moralement que physiquement, chacune des pâles cicatrices qui rayent son corps sont visibles et amplifiées par un filtre sur la photo. Je sais parfaitement qu'elles sont à l'origine de son plus grand complexe.
Les légendes injurieuses remplies de « comment c'est possible d'après vous ? » ou encore « bonne en apparence, mais imbaisable en réalité » peuplent le post, jusqu'à récolter un beau bouquet de commentaires haineux et injustes.
— Il faut que tu en parles à Sarah, c'est grave ce qu'il ose te faire Madeleine, répliqué-je en établissant un nouveau contact avec elle.
— Et puis quoi encore, tu n'as pas d'autre idée pour qu'il continue ? C'est sa réponse, tout ça parce que j'ai osé ouvrir la bouche. Ça n'arrivera plus jamais.
— Tu rigoles ? Tu ne peux pas te laisser faire comme ça. C'est parce que tu gardes le silence qu'il continue à t'emmerder.
Seigneur, dans quelle merde elle a été se fourrer en fréquentant ce type !
— Tu ne comprends pas... Il en sait bien plus qu'il n'a l'air Maddy, lâche-t-elle.
L'étau se ressert autour de ma gorge.
— Quoi ? Est-ce qu'il sait pour...
— Il pense le savoir, il ne jure que par l'accident.
Je vais la tuer, à quel moment a-t-elle été aussi imprudente ?
— Est-ce qu'il a notre vrai nom ? demandé-je subitement.
Par pitié...
Elle secoue la tête. Si ce n'est pas ça, alors autre chose la terrorise pour qu'elle panique ainsi. Excepté le choc généré par la photo, une part d'ombre subvient dans toute cette histoire. Je saisis son menton entre mes doigts, en ayant assez de tourner autour du pot pour lui arracher trois mots.
— Qu'est-ce qu'il a sur toi pour que tu sois aussi flippée, Madeleine ? l'interrogé-je en la fixant droit dans les yeux.
Elle me repousse violemment, avant de se relever et de me hurler, furieuse.
— Qu'est-ce que tu en as à faire de toute manière ? Tout ça ne te concerne pas Maddy ! Tu te fiches complètement de moi, ça fait des années que ça dure, alors tu peux garder ta pitié ! Tu es hors de danger, mes affaires ne t'atteignent pas et je te protègerai comme je l'ai toujours affirmé contrairement à toi ! Alors ne t'en mêle pas et ne fais pas semblant de t'inquiéter !
La gifle mentale qu'elle vient de me rendre est plus douloureuse que prévu, elle me transcende, résonnant dans chaque partie de mon corps.
Elle a raison. Après tant d'années à l'ignorer, je n'ai plus le droit de jouer ce rôle.
Je me lève sans un mot, refermant la porte derrière moi. Je préfère qu'elle soit en colère contre moi plutôt que de se morfondre jusqu'à provoquer une des crises d'épilepsie dont elle seule à le secret.
Terrifiée à l'idée qu'elle ne me dise pas tout, qu'elle se soit en réalité bien plus confiée à celui qu'elle aimait que ce qu'elle laisse entendre, je garde le silence. Savoir que cet idiot pourrait nous manipuler avec aisance grâce à toutes les informations qu'on cache depuis des années au monde extérieur, me donne la nausée. Confier tout ça à Sarah serait un risque supplémentaire... C'est ainsi que je l'ai rejointe inconsciemment les deux pieds dans le piège qu'il lui tendait.
⁂
Deux semaines se sont écoulées depuis la mise en garde de Valentin, et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Madeleine a retrouvé sa bouille joyeuse et bienveillante, cet écart de conduite à remis les compteurs à zéro.
Les portes claquent de nouveau à notre étage, je laisse toujours la musique trop fort pour la rendre dingue, et ça fonctionne à merveille. Ce minuscule moment de complicité, ou de faiblesse selon les points de vues, était bien une parenthèse qui n'espère aucune récidive. Ma sœur passe son temps à attirer mon attention, à tenter de parler comme si de rien n'était, mais c'est trop tard. Si elle n'a pas besoin de moi dans les moments importants, j'ai été claire sur la banalité du quotidien : qu'elle n'espère plus jamais une relation comme celle de notre enfance.
Je respecte la part du contrat dans mon coin, pas complètement tranquille au sujet de son ex petit copain toxique et de cette histoire. Ça me travaille tellement, que je ne passe plus une nuit sans la compagnie de mon propre fantôme, celui qui a emporté mon cœur dans l'au-delà.
Novembre est une horrible période, parce qu'il est parsemé de dates symboliques quant à mon ancien couple. C'est le mois de l'année où je m'enferme dans ma bulle, où me parler s'apparente à dialoguer avec un mur, et mes proches le savent. Ça fait bien longtemps qu'ils n'essayent plus. Je compte les jours avant d'atteindre mon sixième mois de sobriété, avant la date de notre premier baiser, avant celle de l'officialisation de notre relation, avant de retrouver mon mois de décembre adoré.
Belle ironie.
Madeleine pendant ce temps vit pleinement son petit rêve californien, passant tout son temps avec l'espagnol. Se voyant presque trois fois par semaine, seule cette immonde lettre toute abîmée est un indice de leur prochaine rencontre. Je ne comprends toujours pas son fonctionnement, me contentant de les regarder quitter la rue sourires aux lèvres.
Je suis toujours épatée par cette capacité que ma sœur a d'être joyeuse en toute circonstance, ou presque. Elle sautille nuit et jour en ne parlant que d'Hugo, si bien que je connais plus son emploi du temps que la chronologie de mon roman.
C'est déprimant.
Ce dernier lit mes mangas à la chaîne, avant de me faire un rapport détaillé de ce qu'il a ressenti durant la lecture autour d'une cigarette dans les escaliers du lycée. Je pourrais l'écouter pendant des heures, il raconte bien les histoires.
À présent, j'ai la malchance de sortir de ma chambre en même temps que ma jumelle, bien trop souriante pour un simple trajet jusqu'à son studio de danse.
— Tu sors ? On fait un bout de chemin ensemble ? propose-t-elle naïvement.
— Sûrement pas, nié-je en dévalant les escaliers pour la semer.
J'attrape ma veste en jean en passant, avant de me rendre directement au centre-ville. L'unique fille sur Terre à me supporter et à m'apprécier pour ce que je suis m'attend assise sur un banc, battant la mesure contre le dossier en bois. J'aime beaucoup Sam, c'est aussi l'une des seules personnes que je tolère. C'était la meilleure amie de mon copain, la chanteuse de leur groupe alors les affinités se sont vite formées.
— Je pensais carrément pas que tu viendrais ! s'étonne-t-elle en me fixant avec des yeux ronds.
— Tu as dit que c'était important. Pour toi, je peux faire quelques efforts.
— Madyson Williams, je suis très touchée ! J'ai toujours su qu'on était copines toutes les deux !
Hum.
— Alors, qu'est-ce qu'il t'arrive, me forcé-je à demander, avant de sourire par obligation.
— C'est un peu délicat en fait, je peux pas te balancer ça comme ça, rit-elle nerveusement.
J'ai déjà saisi. Il suffit simplement que tu prononces son nom pour que j'en aie la preuve. Personne ne prend de pincettes avec moi, sauf lorsqu'on parle de lui.
— Je t'écoute, insisté-je déjà détachée de toutes émotions en prévision de toute tentative de discours à son sujet.
— C'est... c'est au sujet de Riley, murmure-t-elle avec autant de sérieux que possible.
Bingo.
— Sa mère essaye de te joindre depuis une éternité, mais elle n'a aucun contact avec toi, pas de numéro ou d'adresse... Alors elle m'a chargée de t'en parler.
Sa mère est un amour. Et lui un gros crétin de lui avoir fait endurer tout ça. Aucune maman sur cette Terre ne mérite ce sort.
— Si quelqu'un ne laisse pas de trace ou de numéro, c'est parce qu'il ne veut justement pas être retrouvé, lâché-je avec sarcasme.
— Ne joue pas à ça avec moi, Maddy, tempère-t-elle fermement.
Je hoche la tête, tentant d'adopter un air plus décontracté.
— Et pour quelle raison souhaite-t-elle s'entretenir avec moi ? Je ne suis pas d'humeur à la voir en face au cas où ce n'était pas clair.
— Elle aimerait... enfin elle souhaiterait essayer de tourner la page.
— Tourner la page ? C'est tout ? Je ne pense pas qu'une mère puisse tourner la page après le décès d'un de ses enfants.
— Ça fait une éternité que tout ça est arrivé, elle a besoin de faire son deuil elle aussi, accuse-t-elle, pourtant d'une voix infiniment douce.
— Une éternité ? Tu t'entends ? couiné-je d'une façon qui ne me ressemble pas. Il me faudra sûrement une éternité pour arriver à l'oublier, pour pouvoir marcher sans sentir sa présence à mes côtés, c'est ça, une éternité. Tu as décidément du tact à revendre Sam, je ne comprends même pas comment tu oses affirmer qu'il était ton meilleur ami quand je vois la vitesse à laquelle tu l'as remplacé !
Cette conversation me monte à la tête, je déteste évoquer le sujet.
Je savais que je n'aurais pas dû me déplacer.
— Les gens ont besoin d'avancer Maddy, tout le monde ne recule pas dès qu'on lui tend la main comme tu le fais, répond-elle me regardant droit dans les yeux, comme si elle ne saisissait pas le sens de ses paroles. Tout ce qu'elle te demande, c'est de venir récupérer tes affaires, rien de plus. Ils veulent fermer sa chambre et ne jamais y remettre les pieds. La ranger et la laisser en suspend pour ne plus faire semblant d'attendre un fils qui ne reviendra jamais. Tout ce qu'on te demande, c'est de descendre jusqu'à sa porte, de récupérer tes biens et ce que tu souhaites garder.
— Je ne veux rien, et mes affaires peuvent rester là-bas. Quel genre d'idiote tu es pour penser que je vais utiliser à nouveau des objets qu'il gardait pour penser à moi ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
Ils veulent me forcer à faire mon deuil, comme si c'était aussi simple que de récupérer un putain de carton.
— Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour...
— Tu m'as demandé si j'étais d'accord et tu as eu ma réponse. Pas la peine d'insister. Je n'irai jamais dans cette maudite chambre pour me prendre en pleine tête l'ensemble de nos bons moments partagés entre ces murs, et encore moins pour visualiser une fois de plus son départ. Tu n'étais pas là, moi si.
Je me lève sans attendre la moindre réponse, enfonçant mes écouteurs pour quitter cette réalité, pour fuir enfin vers un monde où personne ne me demande de faire quoi que ce soit pour n'importe qui d'autre que moi-même.
⁂
Vous avez déjà aimé quelqu'un si fort que lorsqu'il n'est plus à vos côtés, son absence vous broie le cœur violemment, comme si ce dernier implosait dans votre poitrine pour vous manifester sa peine ? Pour vous rappeler combien vous n'êtes qu'une moins que rien depuis que votre vie a perdu son repère ?
Dire que c'est douloureux est un putain d'euphémisme.
Les cheveux dégoulinants contre mes épaules, la pluie s'abatant à intervalle régulier contre ma capuche j'attends impatiemment de chopper la crève pour pouvoir rester au lit les trois prochains jours. L'arbre sous lequel je m'abrite ne devrait plus tenir très longtemps, sans parler de square vide qui me tient compagnie.
Aujourd'hui, la famille de Sarah est à la maison, des oncles et tantes prêts à tout pour féliciter Madeleine et pour comparer chaque seconde de nos existences entre elles. Sans oublier sa mère, dont la bouche emplie de jolis mots à mon sujet, mériterait d'être lavée au savon une bonne fois pour toute. De jolies phrases toujours tournées en ma défaveur, pour me rappeler combien mes choix ont été néfastes et pour m'envoyer mes erreurs à la figure, comme un enchaînement de claques méritées si on en croit ces mauvaises langues.
Plutôt crever de froid sous la pluie.
Je ne supporterais pas d'entendre un mot à son sujet, il est ma plus belle erreur, mon plus beau mensonge, ma délivrance masquée en un puissant poison.
Sans lui, je ne suis plus rien.
Je laisse l'arrière de mon crâne retomber contre le tronc sur lequel je m'adosse, dépitée par cette fuite que je m'impose.
— Madeleine ?
Je soupire dans un frisson, la voix d'Hugo parfaitement identifiable dorénavant.
Qu'est-ce qu'il fait encore ici ?
Vais-je un jour avoir la moindre identité propre à ses yeux ?
Me contentant de baisser mon regard embrumé par la tristesse jusqu'à son visage, son étrange sourire m'accueille, tel une minuscule étincelle qui aurait presque le pouvoir de réchauffer un bout de mon cœur glacé.
— Maddy, chuchote-t-il en me fixant.
Sa main sort de nulle part, tendue dans ma direction. Sous sa capuche, je distinguerais presque les quelques gouttes de pluie dévaler ses mèches, semblables à mon état physique. Je m'accroche à sa poigne en me relevant doucement, avant de me planter face à lui et d'ancrer mes yeux droit dans les siens.
Son regard est tellement sombre aujourd'hui.
— Est-ce que tout va bien ? demande-t-il en haussant un sourcil.
Rien ne va.
Je hoche poliment la tête.
— Heu... on dirait pas, insiste-t-il maladroitement.
J'ai l'impression que mon cœur va exploser tant il est lourd.
Qu'est-ce qu'il m'arrive ?
Alors je lui bricole un sourire, monté de toutes pièces comme ceux que j'offre à mes tuteurs pour les satisfaire. Les sourires rassurent, alors que les miens ne sont que de piètres illusions.
Le coin de mes yeux se gorge doucement de larmes, sans que j'en saisisse l'origine ou le motif. Une vague de tristesse soudaine, froide et silencieuse, s'immisce dans chaque centimètre de ma peau, formant un douloureux sanglot dans ma gorge.
Riley...
— Je vais voir ma sœur, tu... tu n'as qu'à venir avec moi, décrète Hugo sans que sa phrase n'apparaisse comme une question, sinon comme une affirmation.
Doucement, il saisit mon coude en m'emportant avec lui sur le sentier plutôt que sur cette pelouse trempée.
Reprends-toi Maddy, tu ressembles à une vulgaire poupée de chiffon là !
— Attends, articulé-je. Je ne veux pas déranger.
— Hors de question que je te laisse ici. Tu fais peur à voir, tes lèvres sont bleues. Je te raccompagne chez toi après.
Je porte mes doigts contre ces dernières, constatant qu'elles sont gelées. D'un pas nonchalant, je suis Hugo dans un silence mortuaire, lui qui n'a de cesse de jeter des coups d'œil dans ma direction.
Le faible éclairage joue avec mes nerfs, me forçant à redoubler d'attention pour ne pas plonger le pied tout droit dans une flaque. C'est finalement les lueurs blafardes d'un établissement public qui m'aveuglent.
Un hôpital ?
— C'est quoi le délire ? lâché-je en un soupir.
— Dépêche-toi, les horaires des visites sont bientôt terminées et...
— Qu'est-ce qu'on fout ici ? insisté-je.
Un stratagème mis en place avec mes tuteurs pour me tirer de force là-dedans ? Pour me forcer à faire face ? Revenir en arrière pour mieux comprendre ?
— Je veux simplement voir ma sœur, Maddy. Je viens de te le dire.
Mes traits s'adoucissent. Il a une autre petite sœur ? Hospitalisée en plus ?
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je pensais l'avoir aperçue au lycée hier.
— Tu as du voir Luna, il s'agit d'Aria à présent. C'est ma benjamine, elle a quelques mois seulement. Elle est hospitalisée depuis sa naissance.
Oh... Ses propos laissant supposer qu'une troisième sœur s'ajoute à l'équation, je m'abstiens de toutes remarques. D'un geste délicat, il saisit le bord de ma manche, m'entraînant à sa suite jusqu'aux longs couloirs aux couleurs pâlottes.
Faites qu'elle n'ait pas un cancer. Tout mais pas ça.
— Troisième porte à gauche, je te rejoins lorsque j'aurais rempli les autorisations de visites à l'accueil, me dit Hugo en me gratifiant d'un sourire.
Je hoche la tête, laissant mes pas me guider sans réfléchir. Il ne faut pas penser dans ce genre d'endroits, agir mécaniquement suffit. À mon grand étonnement, la chambre de la petite est baignée de lumières douces et accueillantes, loin de mes souvenirs attachés à la morgue ou aux soins palliatifs. Les quelques machines semblent silencieuses, comme si elles souhaitaient garder les maux et signes de détresse du bébé pour elles afin de ne pas l'inquiéter.
Les sons sont-ils plus forts pour des adultes capables d'endosser et de comprendre ce qu'il se passe ?
Je m'approche à pas feutrés, avant de me pencher nerveusement au-dessus du berceau. Je déteste les enfants, c'est incontestable. Mais pas les bébés, ces petites créatures sont innocentes et n'ont strictement rien demandés, encore moins à vivre dans un monde tel que le notre.
La sœur d'Hugo est minuscule pour son âge, si bien que je me demande comment une chose de cette taille arrive à survivre toute seule, plongée dans le noir sans personne à longueur de journée. Un étrange magnétisme me pousse à tendre les mains jusqu'au distributeur de désinfectant, avant d'avancer les doigts jusqu'à elle. Doucement, je dessine de petits ronds sur ses paumes tournées vers le ciel, en inspectant une quelconque réaction de sa part.
Cette situation doit être abominable à supporter au quotidien.
— Qu'est-ce que tu as fait pour mériter ça, petite Aria ? murmuré-je en penchant la tête sur le côté.
Les perfusions, bien que minuscules pour être adaptées à un enfant de cette taille, me provoqueraient presque un haut-le-cœur. Subir une journée entière avec une aiguille dans la chair, est tout bonnement inimaginable.
Se rend-elle seulement compte de quoi que ce soit ?
Timidement, je tourne le fin bracelet autour de son poignet afin d'y lire le mal qui semble la ronger. D'une écriture fluide, se détache un simple « syndrome de sevrage néonatal – opiacés » qui alourdit mon cœur en moins d'une seconde.
Comment un bébé peut-il avoir été en contact avec de la drogue ? Comment arrive-t-il à surmonter un sevrage si violent ?
L'étau se ressert autour de ma gorge, alors que mes doigts s'agrippent contre le bord en plastique du lit. Je retiens un sanglot, me prenant en pleine face la réalité criarde : la sœur d'Hugo abrite exactement les mêmes maux que moi il y a quelques mois de ça. Nos situations similaires, semblables à celle que je partageais en secret avec mon copain me touche en plein cœur.
Bon sang, je suis en train de pleurer devant un berceau, qu'est-ce qui débloque chez moi ?
Mes yeux rencontrent par inadvertance sa date de naissance, et une nouvelle fois mon cœur palpite. Ce jour précis du mois de mai, inoubliable et symbolique pour mon palpitant. Je ne sais quel tour tordu les astres sont en train de me jouer, mais aucun rire ne répond à cette coïncidence. On m'a appris à croire en les étoiles et en leurs prédictions, mais ce genre de signes n'est pas le bienvenu.
Même date de naissance, même mal qui les ronge. Sauf qu'il avait abandonné, alors qu'elle semble plus accrochée à la vie que jamais. Je me retrouve avec elle, mais sans lui...
Mon rythme cardiaque s'accélère, tout comme ma respiration qui perd tout tempo normal. Un fin brouillard voile ma vision jusqu'à m'aveugler partiellement, couplé par un mur de larmes qui s'érige pour l'occasion.
À mi-chemin entre la suffocation et la perte de connaissance, je sors en trombe de la pièce, rejoignant l'escalier de service le plus proche.
C'est sans compter sur la présence d'Hugo déjà à ma suite, avec comme seul moyen d'expression, mon prénom qui ne quitte plus ses lèvres.
⁂
___________________________
Hey ! Bonsoir à tous !
Voici un chapitre de plus, avec quelques minutes d'avance pour une fois !
Comment avez-vous trouvé ce nouveau segment ?
La première partie est un moment calme, presque doux entre les deux sœurs (oui, ça existe encore !) ainsi qu'une bonnes quantités de réponses (et de mystères) quant à la situation des jumelles et aux actions de Valentin.
Qu'en avez-vous pensé ? Vos théories sont-elles plus complètes ?
Pour la suite, l'échange entre Maddy et l'une de ses seules amies, Sam, pourrait bien cacher quelques indices sur le secret de Maddy en lien avec son copain...
Des idées ?
Et enfin, la fin du chapitre, avec de nouveau un petit moment avec notre Hugo... Croyez-moi, vous n'êtes pas prêts pour ce qui arrive...
Concernant les semaines à venir, je suis dans l'incertitude complète... Tous mes chapitres sont à présents postés, vous imaginez bien que le rythme va être compliqué à tenir ! Je voulais m'accorder une pause entre deux parties (il reste 3/4 chapitres avant la seconde) ça risque d'être plus tôt que prévu...
Pendant les vacances, les chapitres seront postés (si j'y arrive) le samedi matin, vers 11h.
Je vous tiens au courant quant à la rédaction de la suite depuis Instagram...
J'espère que vous allez bien, des bisous, Lina !
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