Chapitre 1 | Sous le pont
340 jours plus tôt....
— Un, deux, trois, quatre, chantonne ma blondinette, dans sa position favorite.
Allongée sur le ventre, elle comptait depuis plus d'une heure les pressions que j'exerçais depuis tout ce temps contre le sol. Fermant les yeux, je termine en repoussant une fois de plus le béton du plat des mains, gravant cette image d'elle sur ma rétine pour la tatouer à jamais contre mon cœur.
Elle tapote du bout de l'index à chaque mouvement effectué, battant la mesure en rythme avec ses pieds faisant de même dans les airs. Malgré la fatigue, due à tant d'efforts, je ne peux que relever sa langue qui fourche pour rejoindre nos mots maternels.
— Once, doce, trece y cator...
— No hables español, lui ordonné-je immédiatement.
Ses yeux bleus n'affichent qu'une horrible expression de désolation, comme toujours lorsqu'on hausse le ton à ce sujet-là. Mais c'est pour son bien, pour celui de son avenir. Elle a la chance d'être née en Amérique, contrairement au reste de la famille. Une petite fille aussi innocente qu'elle ne peut pas subir les moqueries des autres parce qu'elle omet la prononciation des traditionnels « r », ennemis jurés de la plupart des étrangers. Ils paraissent infiniment plus doux ici... L'anglais est son repère, sa base, sa langue.
— Pourtant, tu le parles avec Luna. Ce n'est pas juste.
Je soupire en me relevant, les muscles endoloris et tirés au maximum. La pression de ces derniers jours n'étant toujours pas retombée, elle semble encore difficile à supporter sur une seule paire d'épaules. Cependant, il reste bien une petite place pour ce petit monstre qui boude affreusement mal.
— Allez, viens avec moi mariposa. C'est l'heure du bain.
Je tends les mains jusqu'à elle pour les glisser sous ses aisselles et la porter. La petite fille ne bronche pas, au contraire. Elle a toujours eu besoin d'attention, bien plus que les autres enfants, du haut de ses six ans, elle ne vit que dans nos pattes ou celles de sa mère. Pourtant, jamais je ne lui en tiendrais rigueur, je ne peux que comprendre cette peur sournoise qui l'envahit chaque nuit lorsque la lumière s'éclipse. Elle a vécu suffisamment d'abandons pour toute une vie.
— Maman dort encore ? demande-t-elle en tendant la main vers la porte de sa chambre pour en toucher le cadran en bois délavé.
Bon sang, ce taudis ne s'agrandira donc jamais ?
— Oui, elle est très fatiguée en ce moment.
— Mais c'est déjà ce que tu as dit hier, chuchote-t-elle directement à mon oreille.
— Je sais Lou*. Je sais.
— C'est parce qu'elle a encore été méchante avec toi ? Elle ne t'a pas obéi ?
Je secoue la tête, incapable de prolonger cet interminable interrogatoire, devenu quotidien. Je la dépose précautionneusement dans la baignoire une fois déshabillée, et fais couler le strict minimum d'eau pour la laver. Elle se met en tailleur, et passe la minute suivante à me fixer avec son plus bel air joueur.
— Est-ce que je peux te mouiller ? demande-t-elle les yeux brillants à l'idée de réaliser une bêtise dans les plus brefs délais.
— Non Lucia, pas aujourd'hui.
Elle croise exagérément les bras contre sa poitrine, décidée à me montrer son mécontentement. Je lève les yeux au ciel, suppliant intérieurement pour que cette période « je fais une bêtise ou je boude » soit uniquement de passage. La porte d'entrée claque, surprenant la petite qui me décroche un sourire.
— Dans ce cas, je veux que ce soit Luna qui s'occupe de moi.
— J'arrive, une petite minute ! crie l'intéressée depuis le couloir.
Je la quitte des yeux un instant pour apercevoir la dernière arrivée depuis notre chambre. Elle se débarrasse de ses ballerines aussi vite que possible, avant de retirer sa jupe et de nous rejoindre.
— Perdón por el retraso. ¿Como estuvo tu día?
Je soupire, alors que ma benjamine sourit davantage. C'est bien la peine de supplier ma petite sœur d'arrêter d'user de sa langue natale si la plus grande n'en fait qu'à sa tête.
— Tu n'es pas en retard ne t'en fais pas, et ça a été, rien de particulier... Tu reprends à quelle heure ?
— À 17h ce soir, juste avant ton service.
Elle rassemble ses mèches blondes pour élaborer un rapide chignon, avant de s'agenouiller devant la baignoire pour s'occuper de notre benjamine. Après s'être appropriée la bouteille de shampoing, elle entame le nettoyage de toutes ces mèches rebelles, en me fixant de ses yeux clairs.
— Tu comptes me regarder laver notre sœur ? Tu n'as rien de mieux à faire Hugo ?
Je m'assois sur les toilettes, menton entre les mains. J'ai besoin d'une pause, c'est incontestable. D'une nuit de sommeil entière, sans interruption, sans cauchemars à soulager, sans aucune sœur à réconforter, sans mère à gérer, sans coups de fil de l'hôpital. Une seule nuit, reposante et sans soucis, celle que tous les adolescents de dix-neuf ans partagent pour reprendre des forces.
— Je dois aller voir Aria. Mais je n'en ai pas le courage, expliqué-je simplement à ma cadette.
Ses traits se détendent à l'entente du prénom, avant de laisser apparaître une moue désolée. Elle baisse les yeux, tout aussi peinée que moi, avant de rincer une fois de plus le crâne de Lou. Même si ce n'est pas son rôle, j'aimerais parfois qu'elle ait le pouvoir de me rassurer moi aussi, d'estomper les doutes qui me submergent, de rallumer la lumière lorsque l'obscurité m'envahit. J'aimerais simplement pouvoir me reposer sur quelqu'un de temps en temps...
— Il faut que tu ailles la voir Hugo, chuchote-t-elle en posant sa main, humide sur mon genou. Elle ne doit pas rester seule et on n'a pas le droit de l'abandonner. Pas maintenant.
— Je sais. Mais j'ai peur de ce qu'ils vont me dire en arrivant là-bas. Comme à chaque fois que je m'y rends.
— Elle aussi doit être morte de peur à l'heure qu'il est. Elle a besoin de toi, tu es son seul repère, son soulagement dans une journée rythmée par la torture et les tranquillisants. Elle se raccroche à toi, les infirmières nous l'ont expliqué...
Il y a-t-il la moindre parole normale dans ce beau discours ?
Endosser le rôle de père pour remplacer celui qui ne mérite pas de respirer notre air, encore une fois ? Combien de sœurs mes parents vont-ils m'offrir avant de comprendre que je ne peux les porter toutes les trois ? J'en supporte déjà une sur mon dos, la suivante contre ma hanche pendant que la dernière dort contre mon bras. À quel moment vont-ils entendre raison et arrêter de copuler uniquement pour se prouver que malgré la distance, leur amour persiste ?
— Je sais, rétorqué-je les dents serrées.
Ma sœur lève à peine le regard, face à l'intonation de ma voix.
Sujet sensible, bien trop tendu. Le fil va finir par se rompre.
— J'y vais, lâché-je simplement pour arrêter de torturer tout le monde.
Une torture. C'est le mot parfait.
— Je termine à 19h, dit-elle avant de me laisser partir. Tu penses que tu pourras me raccompagner ? Il fera noir et je...
— Aucun souci. On se voit tout à l'heure.
Elle m'offre un simple sourire, ceux qui en apparence affirment que tout va bien. Ces petits retroussements de lèvres qui en réalité me hurlent de ne pas pousser plus loin, de ne pas m'aventurer sur ce chemin-ci.
Je me laisse aller contre le battant en bois, isolé des regards de mes sœurs, confronté à mes propres appréhensions. Je les entends encore, je les perçois s'entêter sur des sujets lambdas comme si tout cela résultait d'hier. Dans une profonde inspiration, je gagne l'ancienne chambre conjugale, trouvant comme convenu l'adulte de la maison échouée sur le matelas, dans une obscurité des plus totales. Un pas, puis un second, me permettent de rejoindre son lit. Un raclement de gorge supposé m'annoncer s'échappe de mes lèvres, mais aucun mouvement ne lui répond.
— Maman, l'appelé-je la mâchoire serrée.
Elle laisse échapper une lourde plainte avant de retourner son oreiller, posé à présent contre son crâne.
— Maman, réitéré-je en repoussant la couette du bout des doigts pour la découvrir.
Se reconnaît-elle encore lorsque je l'appelle ainsi ?
Mon regard balaie la pièce à la recherche d'une preuve, d'un de ces indices qu'il me manque tant. Mais aucune substance empoisonnée ne semble paraître à son chevet en ce début d'après-midi.
— Nora, lève-toi, m'impatienté-je en ouvrant le store d'un coup sec.
Ma mère grogne en masquant ses paupières pour réfuter l'agression de la lumière extérieure. Vivre des jours entiers enfermée et dans le noir complet n'est en rien une réussite pour quiconque, encore moins lorsqu'on lutte contre de nombreux démons.
— Inutile de crier Hugo, je suis parfaitement réveillée, beugle-t-elle en tâtonnant le haut de la table de chevet.
Ce même réflexe qu'elle exécute chaque matin sans en manquer un, a la capacité de me dégoûter autant que de me faire peur. Depuis dix ans il hantait mon quotidien ainsi que celui de mes sœurs, se transformant en un cauchemar familial, en boulet attaché à nos chevilles et décidé à tous nous faire couler.
Pourtant, ce n'est qu'un tâtonnement Hugo.
— Bois un café et va prendre une douche maman. Ne laisse pas les filles te voir dans cet état.
Tu me fais pitié, complété-je mentalement.
Avec nonchalance, je quitte cette véritable grotte en refermant méticuleusement la porte derrière moi. Je ne le supporte plus. Je n'en peux plus.
— Ce n'est pas toi qui s'occupes de moi ce soir ? murmure ma petite sœur en se serrant contre ma jambe, suivant chacun de mes mouvements jusqu'à la porte d'entrée.
— Non mariposa. Luna est avec toi jusqu'à ce qu'elle aille travailler, et après c'est maman qui va te surveiller.
— Elle ne dort plus ? demande-t-elle avec un demi-sourire. Je pensais que tu ne lui faisais plus confiance !
— De quoi je me mêle curieuse ? rétorqué-je en lui tirant la langue.
Elle détale en courant vers le salon, sûrement pour se fourrer dans les jupes de ma sœur. Ce court moment de répit me permet de quitter la pièce, en évitant les cris et pleurs de notre benjamine.
⁂
Marcher sur un carreau en évitant le suivant est devenu une habitude, baisser la tête et fixer le sol, une nécessité. Ce vert pâle délavé accompagne et guide mes pas depuis quatre-vingt-dix jours déjà, allongeant mon chemin jusqu'à retrouver les couleurs paisibles de la maternité. Je ne salue plus personne, je ne regarde jamais autour de moi, comprenant aisément que chaque situation dans un hôpital est différente, épiloguant sur un bonheur ou sur un drame selon les cas. La nôtre, est simplement un miracle.
La petite magicienne était apparue quatre-vingt-dix jours auparavant, dans un état des plus pitoyables et fragiles qui soit. Pourtant, parfaitement accrochée à la vie, elle avait décidé de se battre malgré ses deux mois et demi d'avance. Un minuscule bébé d'à peine un kilo, impossible à tenir entre ses bras sous peine de lui briser un membre. Une vie supplémentaire à chérir, de nouveaux dangers à surmonter pour elle.
Son berceau est toujours éloigné de celui des autres nouveau-nés, plongé dans une obscurité parfaite. La lumière la tuerait, le bruit aussi. Comme toujours, l'approcher est une épreuve, et ma voix la fait sursauter. Les milles et une précautions pour rester à ses côtés sont accomplies, heureusement qu'une infirmière reste pour me guider.
— Ce matin, elle a ouvert les yeux au moment de l'osculation, me chuchote-t-elle gentiment en glissant ses mains sous le buste de la petite Aria.
— C'est vrai ? murmuré-je en m'asseyant pour la tenir contre moi. Comment sont-ils ?
— Marron, comme les vôtres, sourit-elle en déposant ma petite sœur contre mon torse. Comment va la maman ?
Je prends une minute pour l'observer, elle qui connaît déjà des problèmes d'adultes aguerris. Je ne la berce pas encore, ses tremblements étant trop importants pour le moment.
— Elle va bien. Elle n'a rien touché depuis près de trois mois, ils l'ont autorisée à revenir parmi nous il y a quelques semaines, expliqué-je simplement en couvrant ce corps frêle d'une couverture.
— En voilà une bonne nouvelle, me répond-elle. Aria fait beaucoup de progrès en ce moment, vous lui donnez des forces. Elle a même réussi à prendre du poids ces derniers temps, les médecins sont très fiers d'elle.
Je confirme d'un signe de tête, parfaitement conscient que cette petite est une battante, bien décidée à surmonter toutes ces épreuves. Un lien exceptionnel nous accrochant l'un à l'autre, je suis à ce jour le seul à l'avoir prise dans mes bras. Sa mère lui a été arrachée à la naissance, après avoir révélé une présence élevée d'opioïdes dans l'organisme. Une maman irresponsable, qui durant l'ensemble de sa grossesse a caché sa rechute et sa dépendance, transmettant ce poison à son bébé à naître. Provoquant son arrivée prématurée parmi nous, notre mère nous a ainsi offert deux situations insurmontables à gérer. Une adulte complètement intoxiquée, et un bébé en état de manque avant même d'avoir aperçu la lumière du jour.
Une si petite chose qui doit déjà apprendre à se battre contre des démons offerts par sa mère, secouée de tous les côtés par les effets secondaires d'un sevrage en urgence. Aujourd'hui, son calvaire durait depuis quatre-vingt-dix jours. Les symptômes s'effacent peut-être à mesure que ses doses de morphines sont diminuées, jamais ça n'effacera les traumatismes que ça a engendrés chez chacun d'entre nous.
Les services sociaux de nouveau collés à nos chaussures, notre quotidien ne se résume qu'à une lutte incessante. Une seule présence aux côtés du bébé n'est autorisée, monopolisant mes jours et mes nuits pour cette nouvelle arrivante. Comme toujours, les dizaines de fils qui la retiennent en vie et loin du monde sinueux de la dépendance, façonne une barrière entre nous. C'est à peine si elle respire seule, si ses doigts ne s'agrippent entre eux, si ses lèvres acceptent de manger. Chaque automatisme est une torture, chaque changement une horreur à vivre pour elle. Je l'admire tellement, elle est si forte malgré sa légèreté.
— Il est encore un peu tôt pour la laisser sortir, mais bientôt, elle sera avec vous au quotidien, renchérit l'infirmière, satisfaite de son intervention.
Je n'ai pas envie d'y songer, je ne souhaite pas imaginer ce moment. À présent, elle est en sécurité et surveillée, loin des tumultes de notre vie quotidienne. Qu'en sera-t-il lorsqu'on se retrouvera avec un bébé sur les bras ? Avec une petite fille à éduquer, une grande sœur à rassurer, et une mère incapable de joindre les deux bouts ? Non, je ne veux même pas y penser.
— En tout cas, votre présence est vraiment un cadeau pour elle, c'est le seul moment où elle se sent bien. Si vous la voyiez le matin, rien ne peut la calmer ! C'est un lien exceptionnel que vous avez créé avec elle, vous pouvez me croire.
Si seulement il n'y avait que ça. Si seulement elle était mon seul but et ma seule inquiétude dans ce monde. Si seulement sa mère était responsable et son père, pas un abruti fini. Si seulement elle n'était pas venue au monde comme un poids supplémentaire sur nos épaules.
Alors je confirme d'un énième mouvement de tête, caressant d'une main le sommet du crâne de notre miracle empoisonné, avant de la bercer contre moi en nous promettant qu'un jour enfin, tout ira bien.
⁂
— Comment tu me trouves ? lance-t-elle en réalisant une pirouette devant moi.
Je lève les yeux au ciel, en repliant convenablement mon col.
— Tant qu'on ne te demande pas de tourner et lever les bras en même temps, je pense que ça devrait le faire, plaisanté-je.
Elle m'assassine du regard, avant de poser ses mains sur ses hanches.
— Je suis sérieuse Hugo. Même si ce n'est qu'un petit job, ça nous aiderait énormément. En plus, je veux rentrer tôt, Lou est seule avec maman depuis trop longtemps.
Je l'arrête d'un geste, avant de fixer son chignon du regard. Comme toujours, on frôle le n'importe quoi, elle a toujours été incapable de faire quoi que ce soit de ses cheveux. Je rectifie le tir, en bidouillant le plus possible.
— Ils vont t'adorer, même s'ils risquent de comprendre en un instant que tu es bel et bien un petit bébé de dix-sept ans plutôt qu'une jolie jeune fille majeure.
— On peut toujours essayer, ce n'est pas comme si tout ça était très réglo, ajoute-t-elle avec un clin d'œil.
— Fais attention en rentrant au lieu de dire des conneries.
— Compris !
C'est toujours comme ça. Tous les jours le même cirque jusqu'au début de la nuit. J'essaye depuis des mois de tout gérer sans mêler mes sœurs, sans leur imposer ce rythme de taré guettant chacune de mes faiblesses pour me faire basculer dans la folie. Il ne faut pas craquer, ne surtout pas baisser les bras.
Pas maintenant.
Le service s'enchaîne à une vitesse infernale, d'une cadence saccadée accélérant encore et encore à chaque instant. Pourtant rien ne m'empêche de m'accouder sur le bord de la fenêtre pour la voir passer. Ma sœur ne se rend sûrement pas compte de ma présence, elle qui avance aisément dans cette jolie robe en tulle noire, perchée sur des talons hauts pour fournir les quelques années qui manquent à sa majorité. Savoir que je la surveille la rassure. Veiller ses arrières m'apaise. Elle qui attire trop souvent les regards par sa jeunesse synonyme de beauté, captant les yeux des hommes respectables comme des pervers masqués des coins reculés de Los Angeles.
Une fois hors de ma vue, le bal recommence. Les danses mécaniques s'enchaînent en un ballet de mouvements orchestrés faisant partie de ma douce mélodie nocturne. Servir, sourire, demander poliment, remercier, le tout dans l'espoir de recevoir un maigre pourboire qui viendra subsister aux revenus quantifiés. Une machine bien huilée consistant à nous offrir un salaire en échange d'efforts démesurés pour mieux verser à l'État ce que nous avons gagné.
L'argent ne fait pas le bonheur, quelle connerie. Il a au moins la capacité d'assurer nos arrières. Tout n'est que monnaies et dépenses de nos jours, ceux qui affirment porter ce stupide proverbe comme valeur ont un confort déjà assuré.
Puis vient la délivrance, la cigarette de fin de service. Offerte par notre patron comme un cadeau empoisonné révélant notre fin de journée, celle que j'ai pris l'habitude de fumer du haut de ce pont. Roi de fer dominant la ville, traversé par quelques flots à peine agités de courants. Je m'appuie comme tous les soirs depuis un an sur ce bord délavé, à regarder mes cendres se fondre dans la nuit.
Les mêmes soirées à espérer que la suivante sera meilleure, les mêmes nuits à rêver d'un monde merveilleux et d'une vie ailleurs, loin des emmerdes et impératifs du quotidien. Oui, cette même rambarde sur laquelle je m'assois en songeant silencieusement pour qu'elle cède, que cet acte paraisse accidentel plutôt que réfléchi. Ce même regard sur les lumières de la ville m'incitant à tomber, à cesser de respirer.
La chaleur me brûle les doigts, comme un rappel à l'ordre douloureux. L'espoir ne dure jamais plus d'une cigarette, partant en fumée aussi vite qu'elle n'est apparue. Les voix de mes sœurs raisonnant dans mon esprit, celles qui me forcent à rejoindre le sol, pour me supplier de les aider rien qu'un jour de plus.
Un seul de plus Hugo, c'est ce que tu te promets depuis un an.
Mes pieds rejoignent le béton pour écraser mon mégot, tout ça pour comprendre que mon heure ne viendra point aujourd'hui, que sans moi elles ne tiendront pas. Mes raisons de vivre, d'exister, sans mauvais jeu de mots. Condamné à survivre pour elles, en priant pour que demain cette cigarette m'offre davantage de courage pour passer sous ce pont. Rejoindre ces flots trop calmes pour noyer, trop chauds pour asphyxier, trop clairs pour emporter.
Allez, rien qu'un jour de plus Hugo, tu réessaieras demain.
Putain.
⁂
_________________________
Hey ! Bonsoir à tous !
Et voilà, le tout premier chapitre !
Vous l'aurez compris, "Les reflets du miroir" est bel et bien un compte à rebours qui débute à partir de maintenant, se terminant comme vous le savez, sur la situation présentée dans le prologue !
C'est donc ainsi que commence l'histoire, du point de vue d'Hugo.
Qu'en avez-vous pensé ? Quelle est votre première impression le concernant ?
J'espère de tout cœur que ce chapitre vous a plu, merci encore pour l'accueil que vous avez réservé à ce roman, ça me touche énormément !
À la semaine prochaine,
des bisous, Lina 😘
(*) En référence à ma Lilou adorée, héroïne du roman « Reborn Without You » de Laurelyne
(**) En référence à l'héroïne du roman de ma coupine d'écriture Manon, berceau de nos premiers mots et lectures échangés...
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