Quatre bougies
TW : mort, rien de gore mais je préviens quand même
Une pièce sombre, sous les toits. Un vieil homme écrit sur un bureau branlant à la lumière d'une bougie pratiquement consumée. L'encre sombre prend des reflets rougeâtres à la lueur tremblotante de la petite flamme. Au dehors, la nuit est sombre et épaisse. La lune a quitté son poste, laissant les petites étoiles et leur faible éclat tenter d'éclaircir l'insondable obscurité.
Le vieillard prend son temps. Il inscrit les lettres avec soin et pèse chacun de ses mots comme s'il avait tout son temps, qu'il n'était pas au crépuscule de sa vie, que celle-ci n'arrivait pas à son terme comme la petite chandelle qui continue inexorablement de fondre. Il sait qu'il ne lui reste plus beaucoup de temps. Il dispose de quatre bougies, dont celle qui se consume en cet instant, qu'il a allumée il y a moins d'une minute. Chaque chandelle devrait tenir environ trois minutes. Douze minutes pour écrire les derniers mots d'une vie.
Pourtant, il ne se presse pas et continue de noircir lentement le papier jauni.
Les dernières gouttes de cire tombent sur la coupelle. La flammèche s'éteint définitivement.
Plus que trois bougies.
Le vieillard craque une allumette, prend une deuxième chandelle, l'enflamme.
Il sait que lorsqu'il les aura toutes utilisées, il ne tardera pas à mourir. Il s'est fait à cette idée depuis longtemps déjà, en voyant partir ses proches un à un jusqu'à ce qu'il se retrouve seul, seul avec ses textes et ses chandelles.
Il écrit quelques mots.
La bougie s'éteint, laissant tomber quelques dernières gouttes de cire.
Plus que deux bougies.
Comme la première fois, le craquement d'une allumette précède le crépitement de la flamme.
Sa mémoire est confuse, brouillée par la vieillesse et la fatigue. Mais les quelques souvenirs qui lui restent illuminent la mer sombre de son oubli comme de petites flammèches pareilles à celle de la bougie qui illumine la feuille à moitié remplie, ou comme de petits vestiges de l'énergie qui brûlait autrefois en lui. Ils se souvient du rire de sa femme, des deux petites couettes que sa fille se faisait chaque jour à huit ans, des livres que son fils dévorait au collège. Il se rappelle qu'il était bibliothécaire, qu'il écrivait des nouvelles ou des poèmes mais qu'il n'avait jamais osé les montrer à quiconque, malgré son rêve d'enfant de devenir un jour écrivain. Aujourd'hui, aux portes de la mort, il se laisse aller à imaginer qu'il est un vieil auteur, qu'il a publié un recueil de poésie ou bien quelques textes. « De toute façon, se dit-il, pourquoi faudrait-il forcément être publié pour se définir comme écrivain ? »
Brusquement, la lumière disparait. La petite chandelle s'est éteinte.
Plus qu'une bougie.
Le vieil homme allume une dernière flamme.
Ça y est.
Il va mourir dans trois minutes. Rejoindre ceux qui l'ont accompagné durant sa longue vie ou disparaître dans le néant.
En formulant cette pensée, il se rend brusquement compte qu'il ne veut pas. Il croyait s'être préparé à sa fin imminente, il croyait pouvoir affronter debout son trépas, mais devant la Grande Faucheuse, il veut fuir, gagner un peu de temps encore, juste une petite minute de plus.
Il écrit les derniers mots de son poème d'une écriture fébrile, presque illisible à côté des premiers mots joliment calligraphiés, met le point final en manquant de déchirer le fin papier, pose brusquement la plume. Les yeux fixés sur la bougie, ils regarde la mèche se consumer, la cire couler jusque dans la coupelle en petites gouttes lentes et poisseuses, la petite flamme danser et se rapprocher inexorablement de la base de la chandelle. Il fixe la délicate tache de lumière comme s'il pouvait stopper sa descente grâce à son regard. Mais elle continue à approcher gaiement de sa perte.
La dernière bougie s'éteint.
Le vieillard se retrouve dans l'obscurité. Sans bougies.
Il ne veut pas mourir, il veut continuer à vivre, ne serait-ce qu'une minute de plus, un instant. Dans sa folie, il s'est persuadé que la fin de la dernière bougie signalerait son trépas, comme si la mort elle-même avait choisi de l'emporter dans le noir. Il craque une allumette, comme pour tromper la Faucheuse, lui faire croire qu'une mèche brûle encore, mais dans son empressement, il se brûle les doigts et laisse tomber le bâtonnet.
La flamme se propage sur le bois sec du parquet et des murs comme sur de l'essence. En un instant, la pièce entière est incendiée. Au dehors, quelqu'un appelle les pompiers. Mais c'est trop tard pour le vieillard. Lorsque l'incendie sera éteint, on ne retrouvera de lui que ses ossements calcinés ainsi qu'une plume à la pointe encore tachée d'encre.
Mais si on avait cherché un peu plus loin, dans la rue d'à côté, on aurait pu découvrir un morceau de papier calciné, ultime reste du poème du vieil homme, qui s'est envolé par la fenêtre, porté par l'air chaud, sur lequel sont encore lisibles quelques mots qui forment la dernière strophe de l'ultime œuvre du vieillard :
Jouez avec le feu,
Il vous prendra votre âme.
Regardez trop la flamme,
Elle vous brûlera les yeux.
Nouvelle écrite pour le concours de @Lauwern sur le thème du feu mais que j'ai envoyée quelques heures après la fin du concours. En plus, je m'étais trompée dans l'adresse mail, j'avais oublié une lettre. Bravo moi. Mais l'organisatrice a quand même fait un compte rendu, donc merci beaucoup à elle ! Celle de ce chapitre est donc la réécriture de la nouvelle originale en tenant compte de ses conseils. Ça fait un petit bout de temps qu'elle est écrite, mais j'essayais de trouver un peu plus de contenu au poème (évidemment, j'ai pas réussi... C'est pour ça que les restes du poème sont si petits)
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