II - Souvenirs

TW : Transphobie et haine dans le chapitre et l'illustration en média


– Pourquoi tu t'habilles en fille ?

– Trop chelou ce mec. 

– Alors t'es un transsexuel ? C'est une maladie mentale, non ?

– Nan mais t'es juste gay, ça se voit.

– Mais du coup t'as une bite ou une chatte ?

– T'approche pas de moi, je veux pas attraper ça !

– Tu me dégoûtes.

– Sale pédé !

– Tapette !

– Travelo !

Pourquoi ?

Pourquoi toute cette haine ?

Tous ces coups ?

Tous ces mots ?

Toutes ces insultes ?

Toute cette violence ?

À quoi cela rimait-il ?

Pourquoi gaspillaient-ils leur salive, leur temps, leur énergie à la harceler ?

Pourquoi ne la laissaient-ils pas vivre, tout simplement ?

L'arc-en-ciel qu'elle portait dans son cœur s'était étalé sur son corps en une constellation de bleus et d'ecchymoses multicolores qui marquaient ses bras et ses jambes. Flagrants, mais invisibles pour n'importe quel adulte de l'établissement. 


– Euh... Bonjour, madame... Je... 

– Que se passe-t-il, jeune homme ? Un problème ?

– Oui... Je me disais que vous pouviez m'aider, vu que vous êtes la CPE... Il...Il y a des gens de ma classe qui... Qui ont eu... Des comportements discriminants. Plusieurs fois.

– Comment ça ? Du harcèlement raciste ? Nous pouvons prendre ça en charge très rapidement et de manière efficace, ne vous inquiétez pas. 

– Ce n'était pas ça...

– Alors quoi ? 

– C'était... C'était transphobe. 

– Transphobe ? Allons, jeune homme, qu'est-ce que vous me racontez là ? Encore un truc de jeunes ?

– Non, madame, ce... Ça existe vraiment... Ce n'est pas une mode, ça a toujours existé...

– Mais oui, mais oui. Vous êtes vraiment sûr que ce n'étaient pas quelques petites moqueries amicales par-ci par-là ? Ça arrive souvent, vous savez, il ne faut pas en faire toute une histoire...

Ne faites pas semblant de ne rien voir ! Je sais que vous voyez tous mes bleus, toutes mes blessures ! Mon œil au beurre noir, il vous crève les yeux derrière vos lunettes ! Regardez, vous n'osez même pas me regarder en face ! Allez-y, ignorez moi, j'ai l'habitude ! J'ai l'habitude d'être comme invisible, d'être vue par un monde d'aveugles ! J'ai l'habitude, de tout ça, ce que vous dénoncez, que vous dites que ce n'est pas normal, que personne ne devrait être traité ainsi, pendant que vous ajustez vos petites œillères pour ne pas voir ce harcèlement ! Je voudrais vous le crier, là, le hurler dans vos oreilles délicates, crever vos tympans qui s'autodétruiront pour éviter de briser votre jolie petite coque de préjugés... mais je ne le ferai jamais. J'en suis réduite à me soumettre indéfiniment pour que vous puissiez continuer à vivre dans votre déni bien confortable, parce que je sais que crier ne ferait qu'empirer les choses, alors que paradoxalement, ça sera tellement libérateur.

– Peut-être, madame. 

– Je pense que nous avons tout dit, non ? Revenez me voir si c'est si grave que ça et que ça continue. Mais je dois vous avertir, c'est la première fois que nous traitons un cas de ce genre, nous n'avions jamais eu ce genre de problème auparavant. 

Mais pour vous, le problème, c'est moi, pas eux.

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