L'arc-en-ciel se déroulait au sol comme une rivière multicolore ondulant sur l'asphalte. Il s'étalait dans toute la rue, serpentant sur la route, se promenant sur les trottoirs, se glissant sous les pieds des passants pour apporter un peu de couleur à ce lundi d'automne.

Ophélie contemplait cet arc-en-ciel depuis une heure ou deux, assise sur les quelques marches qui menaient à la porte d'un immeuble. Les rares passants jetaient des regards intrigués à cette jeune fille étrange, en T-shirt tournesol et jupe coquelicot malgré la fraîcheur de ce matin d'octobre que le soleil ne parvenait pas à réchauffer. Ils détournaient vite la tête, essayant d'ignorer l'ecchymose violacée qui marquait la pommette gauche de l'adolescente. Peut-être se demandaient-ils ce que faisait ici cette adolescente un peu trop masculine, à fixer de ses yeux sombres un simple arc-en-ciel peint sur le béton de la rue. Ou peut-être se fichaient-ils complètement de son existence. Dans les deux cas, ils l'auraient oubliée dans quelques mètres. 

Ophélie enroula une mèche chocolat autour de son index, la lissant momentanément avant de la laisser retomber en reformant ses frisettes naturelles. Elle consulta brièvement l'heure sur son téléphone portable. Presque onze heures et demie. À l'heure qu'il était, elle aurait dû être en cours de français, à dessiner au dos de son extrait de Dom Juan. À se prendre des petits mots mesquins roulés en boulettes de papier, envoyés droit sur sa tête. À se demander pourquoi aucun adulte n'intervenait malgré les marques de coups si flagrantes sur sa peau café au lait.

Elle préférait l'arc-en-ciel au lycée.