Son cœur battait de manière effrénée. Il avait beau venir ici plusieurs fois par semaine, il ne pouvait s'empêcher de se sentir fébrile à chaque fois. Pourtant, de l'extérieur, il ne semblait être qu'un homme, entrant dans la trentaine, totalement sûr de lui. Il n'y avait rien de plus faux. A l'intérieur, il avait l'impression de jouer sa vie. Il en était persuadé. Un seul pas dans ce restaurant allait changer sa vie du tout au tout, que cela soit d'une bonne ou d'une mauvaise manière.

Il avait fait une connerie. Enfin, c'était ce que Dean se disait maintenant qu'il l'avait faite et qu'il ne pouvait plus retourner en arrière. Il avait avoué son attirance à un homme dont il ne connaissait que le visage, le prénom, la voix et la cuisine. Rien de plus. Il lui avait même parlé moins d'une dizaine de fois et pourtant, il était persuadé d'avoir eu un véritable coup de foudre.

Inspirant un grand coup, Dean décida enfin d'entrer dans le restaurant et se laissa installer à sa table habituelle.

Cela faisait maintenant cinq mois qu'il venait régulièrement manger ici. Le restaurant était bien placé, à une bonne centaine de mètres de son lieu de travail, et était réputé pour sa bonne cuisine. Intrigué, Dean s'était donc laissé tenter une première fois. Puis une seconde fois. Puis il ne cessa de venir manger ici. Il était tout d'abord tombé amoureux de la cuisine et avait fini par demander à une des serveuses de bien vouloir féliciter leur cuisinier pour ce repas divin. Quelques minutes plus tard, ce fut du visage du cuisinier qu'il tomba amoureux.

Il devait avoir la trentaine lui aussi, un visage à la fois doux et typiquement masculin, comme coupé à la serpe, des yeux en amande et d'un noir profond, très caractéristique des personnes asiatiques, une carrure lui faisant se demander si cuisiner musclait autant. Bref. Il était le plus séduisant de tous les cuisiniers qu'il avait pu rencontrer. Et lorsque celui-ci lui sourit en le remerciant d'apprécier sa cuisine, Dean tomba cette fois-ci amoureux de ses lèvres et de sa voix.

Il apprit à ce moment-là qu'il s'appelait Ashton et que son métier avait creusé quelques cals sur ses mains. Depuis, ils s'étaient adressé la parole à quelques reprises. Bien trop peu de fois de l'avis de Dean qui aurait donné n'importe quoi pour que l'homme sorte de sa cuisine plus souvent pour venir lui parler. Ils auraient appris à se connaître, Dean aurait su si Ashton s'intéressait à la gente masculine, s'il était en couple, puis aurait pu laisser entendre que le cuisinier lui plaisait.

A la place, Dean était passé directement à la dernière étape. Involontairement. Et pas de la manière la plus subtile possible.

« Cela vous a plu Dean ? Vous voulez autre chose ?
– Oui, je vous veux vous. »

Il laissa tomber sa tête entre ses mains. Il avait réellement déconné sur ce coup là. Et en plus, il n'avait rien trouvé de mieux à faire après avoir lâché cette « magnifique » déclaration que de s'enfuir du restaurant ... sans payer. Il était repassé rapidement le lendemain, pendant la pause de Ashton afin d'être sûr de ne pas le croiser, pour payer son dû et depuis, il n'était plus revenu.

Il lui avait fallu une bonne semaine pour prendre son courage à deux mains et enfin entrer à nouveau dans le restaurant. La nourriture d'Ashton lui manquait. L'impression d'être proche physiquement de lui aussi. Il s'était donc finalement décidé de venir manger un soir de semaine, ne sachant pas s'il espérait voir le cuisinier ou non.

La serveuse qui l'avait fait s'installer un peu plus tôt revint vers lui. Zut. Il n'avait pas choisi ce qu'il voulait manger. Il tendit alors la main vers le menu quand une assiette se posa devant lui.

« Voilà pour vous. Souhaitez-vous prendre quelque chose à boire avec ?
– Je ... excusez-moi, mais je n'ai encore rien demandé ! lui avoua penaud Dean.
– Désolée, mais on m'a dit de vous l'apporter.
– Comment ça ? Enfin ... je veux dire ...
– C'est moi qui ai fait envoyer cette assiette. »

Le visage de Dean vira à l'écarlate. Il savait forcément qui venait de lui parler et hésitait donc à continuer de regarder la serveuse ou à se tourner vers son nouvel interlocuteur. Il se força finalement à lever son regard vers le cuisinier. Il ne parvenait pas à déchiffrer les émotions de son visage tant il était paniqué. Et lorsqu'il le vit s'installer en face de lui, jambes et bras croisés, il se sentait près de la liquéfaction.

« Je ... commença-t-il à dire en cherchant des yeux une quelconque échappatoire.
– C'est un risotto aux champignons. »

La réponse d'Ashton lui parut tellement incongrue sur le moment qu'il en resta coi. N'allait-il rien dire de plus ? Seulement lui offrir un repas qu'il allait manger seul et partir ? Il s'apprêta alors à répliquer, demander une réponse ou même qu'il lui dise de ne plus jamais revenir dans ce restaurant. Au moins, ainsi, il serait fixé. Mais avant que le moindre mot ne sorte de sa bouche, un rire sortit de celle de l'Asiatique.

« On dirait que je vous ai fait un affront en parlant du repas. Ou plutôt t'ai fait un affront. Après tout, après une déclaration comme celle de la semaine dernière, je pense que l'on peut arrêter les formalités. »

Finalement, il aurait peut-être préféré que le cuisinier se contente clairement de lui dire de ne plus jamais revenir plutôt que de se moquer ainsi de lui. C'était douloureux. Plus qu'il ne l'aurait imaginé.

« C'est le plat que tu préfères.
– Hein ? s'étonna Dean.
– Pendant une de nos discussions, tu m'as dit que le plat que tu préférais manger était le risotto aux champignons. Et tu étais un peu déçu qu'il ne soit pas dans le menu avec les autres risottos.
– Je ... d'accord, bafouilla-t-il sans comprendre où l'autre voulait en venir.
– Cela fait des semaines que je m'entraîne à faire le meilleur risotto aux champignons. Simplement pour pouvoir te le proposer un jour et être sûr qu'il t'envoûtera tellement que tu reviendras encore et encore manger ici. Quand tu t'es enfui la semaine dernière, j'ai cru que tu ne reviendrais plus. Alors j'ai continué à travailler d'arrache-pied dans l'espoir de te faire revenir ici. »

Dean avait peur de mal comprendre. Enfin ... Ashton voulait seulement le fidéliser au restaurant ou alors y avait-il un autre but derrière tout cela ?

« Ces derniers mois, j'ai vraiment aimé parler avec toi, observer ton visage lorsque tu goûtais un de mes plats, surtout lorsque tu penses être seul alors qu'en réalité je te vois de la cuisine. Je ne sais pas vraiment ce que c'est, mais pour parler ton langage, moi aussi je te veux toi.
– Vraiment ? demanda Dean en commençant à rire d'incrédulité.
– Vraiment !
– Alors on fait quoi maintenant ?
– Maintenant ? Tu vas manger ce risotto avec moi et on pourra considérer cela comme notre premier rendez-vous. Après cela nous aurons encore pleins de rendez-vous où nous nous découvrirons encore d'autres points communs et nous rapprocherons autant que nous le voudrons. Monsieur est-il satisfait de ce programme ? »

Ashton attrapa la fourchette qu'il plongea dans l'assiette avant de la présenter à Dean attendant nerveusement sa réponse. Il le vit alors attraper le couvert qu'il porta à sa bouche non sans un petit rictus satisfait.

« Je pense pouvoir me contenter de ce programme pour le moment. J'ai hâte de voir ce que vous me réserverez pour plus tard Chef Ashton. »